Stocker des données sur l'ADN en utilisant des fossiles de synthèses : Robert Grass et Wendelin Stark finalistes du Prix de l'inventeur européen 2021
- Les deux chercheurs autrichiens et suisses sont nommés finalistes du Prix de l'Office européen des brevets (OEB) pour avoir créé un stockage de données stable sur de l'ADN encapsulé dans de la silice
- Inspirées des fossiles, les données sont codées sous forme d'ADN et encapsulées dans de minuscules billes de silice ce qui évite sa décomposition causée par les éléments au fil du temps
- L'invention actuellement utilisée pour tracer l'origine des produits tout au long des chaînes d'approvisionnement et en tant que support de stockage de données, a le potentiel de protéger les informations pendant des millénaires
Munich, le 4 mai 2021 - L'Office européen des brevets (OEB) annonce que les chercheurs autrichien et suisse Robert N. Grass et Wendelin Stark sont nommés finalistes du Prix de l'inventeur européen 2021 dans la catégorie « Recherche » pour leur invention de stockage de données à partir de brins ADN encapsulés dans du verre. L'invention permet une nouvelle méthode de préservation des données converties en code génétique en utilisant la fossilisation artificielle grâce à de minuscules billes de silice.
« Robert Grass et Wendelin Stark démontrent qu'une approche innovante et transdisciplinaire peut produire des avancées technologiques avec des avantages potentiels pour de nombreuses générations à venir, en particulier avec la numérisation croissante de tous les aspects de la société », a déclaré le Président de l'OEB, António Campinos lors de l'annonce de leur nomination au Prix de l'inventeur européen 2021. « Grâce à la protection que confère le brevet, ils ont transformé leurs recherches en une innovation commercialisable et applicable au monde réel ».
Les lauréats de l'édition 2021 du Prix de l'inventeur européen décerné chaque année par l'OEB seront annoncés le 17 juin prochain lors d'une cérémonie qui débutera à 19h00 CEST et repensée cette année en un événement virtuel d'envergure mondiale.
Imiter les fossiles pour surmonter la dégradation des données numériques
L'humanité produit des données à un rythme effréné, mais la plupart d'entre elles sont stockées soit sur des disques durs et des serveurs, dont la durée de vie est limitée et dépasse rarement une décennie, soit sur des bandes magnétiques ou même des disquettes, qui commencent à se dégrader au bout de 20 ans. L'invention de Robert Grass et Wendelin Stark ouvre la voie à un stockage de données de long terme qui dépasse cette limite en imitant les capacités de stockage de l'ADN des fossiles.
Les deux inventeurs se sont rencontrés en 2004 après la nomination de Wendelin Stark en tant que professeur assistant au département de chimie et de biosciences appliquées de l'ETH Zürich. La même année, Robert Grass est devenu l'un des premiers étudiants en doctorat de Wendelin Stark. Ils partageaient un trait de caractère en particulier : un état d'esprit d'ingénierie qui concentrait leurs recherches vers le développement d'inventions concrètes basées sur les technologies médicales et de biologie.
L'écriture (par synthèse) et la lecture (par séquençage) de l'ADN est l'un des domaines qui a retenu leur attention, plus précisément l'idée que l'ADN - en plus de stocker l'information génétique de chaque organisme vivant - pourrait être utilisé comme moyen de conservation des données. Cela se fait en convertissant les données numériques (une série de « zéro » et de « un ») en une séquence correspondante fondée sur les quatre paires de bases de l'ADN. Alors que le stockage des données sur de l'ADN avait déjà été établi par d'autres scientifiques, dont le généticien américain George Church en 2012, il restait un obstacle majeur pour rendre viable cette méthode : les brins d'ADN non protégés se dégradent rapidement après exposition à l'eau, à l'air ou à la chaleur. Les inventeurs ont trouvé la réponse dans les fossiles, où l'ADN se conserve pendant des centaines de milliers d'années. « Le défi était clair : rendre l'ADN stable », explique Robert Grass. « Les fossiles se sont avérés être la bonne voie, nous avons donc étudié la structure chimique de silice précipitée sur de l'ADN, ce qui nous a conduit à la technologie d'encapsulation ».
En 2012, l'équipe de Robert Grass (sous la direction de Wendelin Stark) a recréé cet effet protecteur en enfermant de l'ADN synthétique dans des particules de silice dont le diamètre était jusqu'à 10 000 fois plus fin qu'une feuille de papier. Une fois que les données souhaitées sont converties en ADN - à l'aide d'une technique de synthèse qui inclut un codage correctif conçu par un autre scientifique de l'ETH Zurich, le Dr Reinhard Heckel, compensant les potentiels dommages à l'ADN et la perte de données - il est encapsulé dans des particules de silice. Même si ces « fossiles de silice » non poreux protègent l'ADN de la plupart des agents corrosifs et des dommages causés par la température, l'ADN peut être facilement récupéré et lu en traitant les particules avec une solution de fluorure qui dissous le verre, mais qui n'endommage pas les informations. Grâce à cette méthode, l'équipe de Robert Grass a pu récupérer des données sans aucune erreur après une semaine de stockage à 70°C - une période à température élevée qui équivaut à une exposition de 2 000 ans de stockage aux températures moyennes en Europe centrale.
Avec la preuve que leur technologie fonctionnait, l'ETH Zurich a déposé une demande de brevet européen pour l'invention de Robert Grass et Wendelin Stark, qui a été accordée en 2018.
Imaginer un monde écrit dans l'ADN
Robert Grass et Wendelin Stark ont commercialisé leur concept dès 2016 par le biais de la société dérivée de l'ETH, Haelixa AG. Cette société est l'une des nombreuses sociétés dérivées de l'ETH cofondées par les chercheurs, qui y voient un excellent moyen de commercialiser des inventions brevetées. « Si vous voulez créer une entreprise et obtenir des investissements de la part d'une université ou d'un organisme de financement, vous devez avoir une preuve très convaincante pour ce qui est de la protection de votre propriété intellectuelle », explique Robert Grass. « C'est pourquoi les dépôts de brevet sont une étape extrêmement importante ».
Les fossiles de silice d'Haelixa se sont révélés très utiles comme système de code-barres robuste pour faire de la traçabilité - les minuscules particules contenant de l'ADN sont appliquées sur un produit ou une substance, puis récupérées pour vérification. La technique a été utilisée pour tracer l'écoulement d'eaux souterraines et vérifier des produits dans des chaînes d'approvisionnement, comme, par exemple, du coton biologique et des gemmes provenant de fournisseurs ayant des pratiques d'extraction éthiques certifiés et respectant les accords internationaux sur les « gemmes de conflits ».
Le potentiel de l'invention de Robert Grass et Wendelin Stark en tant que méthode de stockage de données prend également de l'ampleur à mesure qu'il devient possible de stocker de plus grandes quantités de données. En 2018, pour promouvoir cette technologie, l'album « Mezzanine » du groupe Massive Attack a été réédité par les chercheurs au format ADN qui ont encodé un fichier de données de 15 Mo dans des brins d'ADN synthétique. La technique a encore gagné en reconnaissance en 2020, lorsque le premier épisode de la série Netflix « Biohackers » - un fichier vidéo de 100 Mo - a été stocké sur de l'ADN. Si le coût élevé de l'écriture de l'ADN synthétique limite largement son utilisation actuellement, Robert Grass et Wendelin Stark travaillent sur les solutions pour en réduire les coûts en simplifiant l'équipement de synthèse de l'ADN. Robert Grass est convaincu que de nouvelles technologies permettront d'accéder à des mégaoctets de données écrits sur de l'ADN pour quelques euros seulement dans les années à venir, ce qui en fera un outil idéal pour stocker en toute sécurité des informations précieuses.
C'est avec cet objectif en tête que les inventeurs poursuivent leurs recherches. « Nous envisageons un monde dans un avenir proche où lire de l'ADN sera accessible pour la technologie de tous les jours », déclare Robert Grass. « Si vous prenez le monde dans lequel nous travaillons, lire et écrire de l'ADN, c'est comme prendre un stylo sur du papier - un support beaucoup plus courant avec lequel les gens peuvent interagir ».
Notes aux rédactions
A propos des inventeurs
Le Professeur
Robert N. Grass est né à Bregenz, en Autriche, le 5 décembre 1979. Robert Grass a
rejoint l'ETH de Zurich en 1999 comme étudiant en génie chimique jusqu'à
l'obtention de sa thèse en 2007. Son sujet de thèse a été l'étude de la
synthèse des nanopoudres et ses applications. Après obtention de son Doctorat, Robert
Grass a créé les sociétés TurboBeads LLC et homotune AG, dérivées de l'ETH. La
méthode de stockage des données par ADN encapsulé dans les billes de silice que
son équipe a développé depuis 2012 est commercialisé par deux de ses anciens
doctorants au sein d'Haelixa AG, une société dérivée de l'ETH - qu'il a cofondé
en 2016. En parallèle, il continue ses recherches comme Professeur titulaire au
sein du laboratoire des matériaux fonctionnels de l'ETH de Zürich, un poste
qu'il occupe depuis 2017. Son indice h est de 47 (Google Scholar), ce qui montre
un très haut niveau de productivité de publication et d'impact.
Le Professeur Wendelin Jan Stark est né à Zurich, en Suisse, le 2 juin 1976. M. Stark a étudié à l'ETH Zurich, où il a obtenu son Master en chimie en 2000, puis son Doctorat en génie mécanique et des procédés en 2002. En 2003, Wendelin Stark est nommé Professeur assistant au département de Chimie et biosciences appliquées. Il est promu Professeur associé en 2009. Wendelin Stark est devenu, en 2014, Professeur titulaire et occupe la chaire de l'ingénierie des matériaux fonctionnels. Depuis le début de ses travaux au sein de l'ETH Zurich, Wendelin Stark a cofondé 10 entreprises - dont Haelixa AG et TurboBeads LLL - et a écrit plus de 300 articles scientifiques. Il a également été membre du panel scientifique consultatif du Programme des Nations Unies pour l'environnement qui publie le rapport sur l'avenir de l'environnement mondial (2014-19). Son indice h est de 76 (Google Scholar), ce qui montre un très haut niveau de productivité de publication et d'impact et qu'il est l'un des scientifiques les plus cités dans son domaine.
Wendelin Stark est cité dans 24 brevets européens et Robert Grass dans 13. Ils sont les deux co-inventeurs du EP2831268, accordé en 2018, pour lequel ils sont nommés finalistes du Prix de l'inventeur européen 2021.
A propos du Prix de l'inventeur européen
Le Prix de l'inventeur européen est l'une des compétitions européennes les plus prestigieuses de sa
catégorie. Lancé par l'OEB en 2006, ce prix annuel récompense, individuellement
ou en équipe, les inventeurs dont les innovations ont apporté des réponses aux
grands défis de notre temps. Les finalistes et les lauréats sont sélectionnés
par un jury indépendant constitué
d'autorités internationales issues du monde universitaire, des affaires, de la
politique, des sciences et de la recherche. Il examine les innovations à l'aune
de leur contribution au progrès technologique, au développement social, à la
croissance économique et à la création d'emplois en Europe. Le Prix est décerné
dans cinq catégories (Industrie, Recherche, Petites et moyennes entreprises,
Pays non membres de l'OEB et Œuvre d'une vie). Par ailleurs, les internautes
choisissent le gagnant du Prix du public parmi les 15 finalistes en
votant en ligne sur popular-prize.epo.org
A propos de l'Office européen des brevets
Avec près de 6 400 agents, l'Office européen des brevets (OEB) est l'une des plus grandes institutions publiques européennes. Son siège
est à Munich et il dispose de bureaux à Berlin, Bruxelles, La Haye et Vienne.
L'OEB a été créé dans l'objectif de renforcer la coopération sur les brevets en
Europe. Grâce à sa procédure centralisée de délivrance de brevets, les
inventeurs peuvent obtenir une protection par brevet de haute qualité dans non
moins de 44 pays, couvrant un marché de quelque 700 millions de personnes.
L'OEB fait aussi autorité au niveau mondial en matière d'information brevets et
de recherche de brevets.
Contacts à l'Office européen des brevets
Luis Berenguer Giménez
Directeur principal
Communication, Porte-parole
Tel.: +49 89 2399 1203