T 1165/16 17-02-2021
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PROCEDE D'IMAGERIE
I. Le recours se dirige contre la décision de la division d'examen rejetant la demande de brevet européen numéro EP 11 723 534.1 publiée sous le numéro de publication internationale WO 2011/138542 A1.
II. La décision attaquée cite les documents suivants:
D1:|US 2002/0158973 A1|
D2:|EP 1 282 304 A1 |
Elle était fondée sur les motifs que l'objet de la revendication 1 des quatre requêtes alors pendantes n'impliquait pas d'activité inventive (article 56 CBE) au vu de la divulgation du document D1 combinée aux connaissances générales de l'homme du métier et au vu de la divulgation du document D2 combinée aux connaissances générales de l'homme du métier.
III. La demanderesse ("requérante") a formé recours contre cette décision.
IV. Avec le mémoire exposant les motifs de recours ("mémoire de recours"), la requérante a redéposé les revendications des quatre requêtes sur lesquelles se base la décision attaquée. Elle a en outre déposé quatre nouvelles requêtes subsidiaires (quatrième, cinquième, sixième et septième requête subsidiaires), chacune comprenant un jeu de revendications 1 à 6.
La requérante a également annexé au mémoire le document suivant décrivant selon-elle les connaissances générales de l'homme du métier de l'imagerie spatiale.
D-CNES:|CNES, "Cours de technologie spatiale: Techniques et Technologies des Véhicules Spatiaux Volume 2: Charges utiles", CILF, 2002, ISBN 978-2-11885-378-2, Module VII, pages 315 à 385.|
Elle a soumis des arguments expliquant pourquoi l'objet des revendications impliquait une activité inventive et a requis l'annulation de la décision attaquée et la délivrance d'un brevet européen sur la base de l'une des requêtes déposées avec le mémoire.
V. Le 9 juillet 2020, une citation à une procédure orale a été envoyée à la requérante. Dans une notification datée du 21 juillet 2020 émise au titre de l'article 15(1) de la version révisée du règlement de procédure des chambres de recours (RPCR 2020, JO OEB 2019, A63), second paragraphe, la chambre a en outre formulé l'opinion provisoire suivante:
- l'objet de la revendication 1 de la requête principale et de la première, quatrième et cinquième requête subsidiaire n'impliquait pas d'activité inventive (article 56 CBE) au vu de l'état de la technique reconnu dans la demande combiné aux connaissances générales de l'homme du métier ou combiné à la divulgation du document D1
- l'objet de la revendication 1 de la deuxième, troisième, sixième et septième requête subsidiaire s'étendait au-delà de la demande telle qu'elle a été déposée (article 123(2) CBE)
- les valeurs du diamètre de la pupille spécifiées dans la revendication 1 des deuxième, troisième, sixième et septième requêtes subsidiaires ne pouvaient en soi contribuer à une activité inventive
VI. La requérante n'a pas soumis de nouveaux arguments ou de nouvelles requêtes en réponse à l'opinion provisoire de la chambre. Cependant, dans une lettre datée du 5 janvier 2021, elle a sollicité que, en raison de la crise sanitaire COVID 19, la procédure orale soit repoussée à une date ultérieure.
VII. Dans une notification datée du 15 janvier 2021, la greffière de la chambre a informé la requérante que la procédure orale originellement fixée au 18 janvier 2021 était ajournée au 17 février 2021 et qu'elle se déroulerait sous forme de visioconférence.
VIII. Le 17 février 2021, la procédure orale devant la chambre s'est déroulée sous forme de visioconférence.
Au cours de la procédure orale, la requérante a retiré les première, seconde, troisième, cinquième, sixième et septième requêtes subsidiaires alors pendantes.
Avant que la présidente de la chambre ne prononce la clôture des débats, la requérante a formulé ses requêtes finales comme suit.
La requérante requiert que la décision attaquée soit annulée et qu'un brevet européen soit délivré sur la base des revendications de la requête principale ou de la quatrième requête subsidiaire déposées avec le mémoire de recours.
IX. Le texte de la revendication 1 de la requête principale est reproduit ci-dessous:
"Procédé d'imagerie comprenant les étapes suivantes pour fournir une image finale (IF) composée de valeurs d'intensité affectées respectivement à des pixels (PI) d'une matrice de l'image finale constituée de colonnes adjacentes (CIF) et de lignes adjacentes (LIF) de pixels :
/1/ embarquer un instrument de prise de vues (10) à bord d'un aéronef ou d'un satellite en orbite autour de la Terre (S), ledit instrument de prise de vues comprenant un télescope (1) et au moins une matrice de photodétecteurs (20) disposée dans un plan focal (PF) du télescope, ladite matrice de photodétecteurs étant constituée de colonnes adjacentes (CDET) et de lignes adjacentes (LDET) de photodétecteurs (2);
/2/ en utilisant l'instrument de prise de vues (10), saisir des valeurs d'intensité de rayonnement en provenance de zones élémentaires (ZE) d'une scène (F); puis
/3/ construire l'image finale (IF) en affectant certaines des valeurs d'intensité saisies à l'étape /2/ aux pixels (PI) de la matrice d'image finale,
le procédé étant caractérisé en ce que :
- à l'étape /2/, les valeurs d'intensité saisies sont restreintes à une sélection d'un photodétecteur (2) sur deux le long des colonnes (CDET) et le long des lignes (LDET) de la matrice de photodétecteurs (20), de façon à constituer une sélection surfacique d'un photodétecteur sur quatre dans ladite matrice de photodétecteurs ; et
- à l'étape /3/, les pixels (PI) de la matrice de l'image finale (IF) auxquels sont affectées les valeurs d'intensité saisies par les photodétecteurs sélectionnés sont adjacents entre eux selon les colonnes (CIF) et les lignes (LIF) de ladite matrice d'image finale."
X. Le texte de la revendication 1 de la quatrième requête subsidiaire est reproduit ci-dessous. Les caractéristiques ajoutées (respectivement, supprimées) par rapport au texte de la revendication 1 de la requête principale sont soulignées (barrées).
"Procédé d'imagerie comprenant les étapes suivantes pour fournir une image finale (IF) composée de valeurs d'intensité affectées respectivement à des pixels (PI) d'une matrice de l'image finale constituée de colonnes adjacentes (CIF) et de lignes adjacentes (LIF) de pixels :
/1/ embarquer un instrument de prise de vues (10) à bord [deleted: d'un aéronef ou] d'un satellite en orbite autour de la Terre (S), ledit instrument de prise de vues comprenant un télescope (1) et au moins une matrice de photodétecteurs (20) disposée dans un plan focal (PF) du télescope, ladite matrice de photodétecteurs étant constituée de colonnes adjacentes (CDET) et de lignes adjacentes (LDET) de photodétecteurs (2);
/2/ en utilisant l'instrument de prise de vues (10), à bord du satellite en orbite, saisir des valeurs d'intensité de rayonnement en provenance de zones élémentaires (ZE) d'une scène (F), ladite scène (F) étant une portion de surface de la Terre ; puis
/3/ construire l'image finale (IF) en affectant certaines des valeurs d'intensité saisies à l'étape /2/ aux pixels (PI) de la matrice d'image finale,
le procédé étant caractérisé en ce que :
- à l'étape /2/, les valeurs d'intensité saisies sont restreintes à une sélection d'un photodétecteur (2) sur deux le long des colonnes (CDET) et le long des lignes (LDET) de la matrice de photodétecteurs (20), de façon à constituer une sélection surfacique d'un photodétecteur sur quatre dans ladite matrice de photodétecteurs ; et
- à l'étape /3/, les pixels (PI) de la matrice de l'image finale (IF) auxquels sont affectées les valeurs d'intensité saisies par les photodétecteurs sélectionnés sont adjacents entre eux selon les colonnes (CIF) et les lignes (LIF) de ladite matrice d'image finale."
XI. Les arguments de la requérante pertinents pour la décision peuvent être résumés comme suit.
a) La contribution principale de l'invention n'est pas la réduction du temps de lecture des valeurs saisies par la matrice de photodétecteurs mais l'amélioration du contraste de l'image finale.
b) Les valeurs numériques des principaux paramètres optiques, les caractéristiques économiques et les enjeux considérés dans le domaine de l'imagerie spatiale sont incompatibles avec ceux considérés dans le domaine général de l'imagerie ou dans le domaine voisin de la photographie grand public. De ce fait, l'homme du métier de l'imagerie spatiale n'aurait pas consulté l'état de la technique de ces domaines.
c) Quand bien même l'homme du métier de l'imagerie spatiale aurait consulté l'état de la technique de ces domaines, il n'aurait pas considéré une solution consistant à ne retenir que les valeurs saisies par une partie des photodétecteurs embarqués à bord d'un satellite. Comme le montre la section VII.2.2.3.7 du document D-CNES, l'homme du métier de l'imagerie spatiale conçoit un instrument de prise de vues de façon à obtenir une résolution souhaitée au sol. L'optique de formation d'image est optimisée pour une certaine taille de photodétecteurs. Les photodétecteurs sont onéreux. Une fois l'instrument conçu, l'homme du métier de l'imagerie spatiale n'aurait donc pas renoncé à utiliser tous les photodétecteurs. Il aurait eu recours à des solutions déjà existantes permettant de réduire le temps de lecture d'une matrice de photodétecteurs sans céder sur la résolution. Il aurait par exemple utilisé plusieurs têtes de lecture pour lire différentes parties de la matrice de photodétecteurs ou placé une pluralité de matrices de taille réduite dans le plan focal. L'homme du métier de l'imagerie spatiale donnerait toujours la primauté à la résolution. L'amélioration du contraste obtenue avec l'invention est un effet inattendu qui pousse l'homme du métier à rompre avec ce "préjugé technique".
1. Le recours est recevable.
2. L'invention
La demande concerne des procédés et systèmes d'imagerie s'appuyant sur un instrument de prise de vues embarqué à bord d'un aéronef ou d'un satellite. L'invention consiste à ne retenir que les valeurs d'intensité saisies par un photodétecteur sur deux le long de chaque ligne et chaque colonne de la matrice de photodétecteurs de l'instrument de prise de vues, afin de former l'image finale. L'effet recherché est l'amélioration du contraste de l'image pour un même diamètre de pupille d'entrée ou la réduction de l'encombrement de l'instrument de prise de vues (voir la description de la demande, page 2, lignes 6 à 31). Le paragraphe reliant les pages 4 et 5 souligne également que l'invention permet de réduire le temps de lecture des valeurs d'intensité.
3. Requête principale et quatrième requête subsidiaire, activité inventive (article 56 CBE)
3.1 Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour l'homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique (article 56 CBE).
3.2 Contrairement à la revendication 1 de la requête principale, la revendication 1 de la quatrième requête subsidiaire est limitée à l'application de l'imagerie terrestre à partir d'un satellite en orbite autour de la Terre (voir point X. ci-dessus). Le raisonnement suivant se concentre sur cette application et est donc valable pour les deux requêtes. Il se base sur l'approche "problème-solution" (Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, neuvième édition, juillet 2019, "Jurisprudence", I.C.2).
3.3 État de la technique le plus proche et problème technique objectif
3.4 Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, l'état de la technique qui est cité et reconnu dans une demande de brevet en vue de la formulation du problème technique peut en principe servir de point de départ à l'évaluation de la nouveauté et de l'activité inventive (Jurisprudence, I.C.2.7; T0628/07, point 3.3 des motifs, dernière phrase). La chambre partage l'avis exprimé dans l'affaire T0413/08 qu'en l'absence d'indication contraire, la prise en compte d'un certain état de la technique par le titulaire d'un brevet peut être acceptée sans difficulté (voir point 2 des motifs, cinquième paragraphe, "at face value"). Ceci s'applique par analogie au demandeur d'un brevet.
3.5 Dans son mémoire de recours (page 9, lignes 3 à 6), la requérante a affirmé que, selon-elle, l'art antérieur le plus proche à considérer était constitué par les connaissances générales de l'homme du métier de l'imagerie spatiale, notamment celles rappelées de la page 1, ligne 4 à la page 2, ligne 18 de la demande publiée.
Lors de la procédure orale, la requérante a confirmé que le préambule de la revendication 1 de la requête principale et de la quatrième requête subsidiaire faisait partie des connaissances générales de l'homme du métier avant la date de priorité de la demande.
La chambre partage cet avis.
3.6 La dispute ne concerne que les étapes de la partie caractérisante.
Ces étapes consistent à ne retenir que les valeurs d'intensité saisies par un photodétecteur sur deux le long de chaque ligne et chaque colonne de la matrice de photodétecteurs, afin de former l'image finale.
3.7 La description de la demande attribue plusieurs effets techniques à ces étapes. Le paragraphe reliant les pages 4 et 5 souligne par exemple que l'invention permet de réduire le temps de lecture des valeurs d'intensité.
3.8 D'après la jurisprudence des chambres de recours, c'est la performance objective de l'inventeur, et non sa performance subjective, qui est déterminante lorsqu'il s'agit d'apprécier l'activité inventive. Partant de l'état de la technique existant objectivement, il faut déterminer selon des critères objectifs le problème technique à résoudre (Jurisprudence, I.C.2).
Puisque l'effet de réduction du temps de lecture de la matrice de photodétecteurs est mentionné explicitement dans la demande, la chambre considère que le problème technique objectif peut être formulé comme réduire ce temps de lecture. Pour la chambre, le fait que, aux yeux de la requérante, ce problème n'est pas l'objet principal de la demande (voir point XI.a) n'est pas un critère objectif pertinent dans ce contexte.
3.9 Caractère évident
3.10 Il va de soi que ne lire que les valeurs d'intensité saisies par une partie des photodétecteurs d'un système d'imagerie réduit le temps de lecture. La chambre est d'avis que ne retenir qu'une valeur sur deux le long des lignes et des colonnes est, au vu des connaissances générales de l'homme du métier, une manière évidente parmi d'autres de réduire ce temps tout en conservant le format de l'image correspondant à la résolution pouvant être obtenue en lisant les valeurs d'intensité saisies par tous les photodétecteurs.
En outre, document D1, dans sa partie décrivant l'art antérieur (paragraphes [0004] à [0013]), mentionne explicitement le problème de la durée de lecture d'une matrice dense de photodétecteurs, ainsi que la solution consistant à sous-échantillonner la matrice lors de sa lecture tout en considérant le format désiré de l'image finale (paragraphe [0008]). Document D1 cite une demande de brevet japonais qui propose de ne retenir qu'un pixel sur quatre de la matrice de photodétecteurs (paragraphe [0010]).
3.11 La requérante n'a pas contesté que la solution revendiquée faisait partie des connaissances générales de l'homme du métier du domaine englobant de l'imagerie ainsi que des connaissances générales de l'homme du métier du domaine de la photographie grand public. La requérante n'a pas non plus contesté que cette solution était divulguée dans le document D1 qui appartient au domaine de la photographie grand public.
3.12 La requérante a cependant argumenté que l'homme du métier de l'imagerie spatiale n'aurait pas recherché la solution dans ces domaines (voir point XI.b) ci-dessus).
3.13 Cet argument n'a pas convaincu la chambre. Lors de l'examen de l'activité inventive, il convient de consulter l'état de la technique non seulement dans le domaine spécifique dont relève la demande, mais également dans des domaines voisins et/ou dans un domaine technique général l'englobant (voir Jurisprudence, I.D.8.2). La chambre est d'avis que l'homme du métier aurait recherché une solution dans un domaine où une matrice de photodétecteurs doit être lue. Ceci inclut le domaine général de l'imagerie ainsi que le domaine de la photographie grand public.
3.14 L'argument de la requérante basé sur le préjugé technique (voir point XI.c) ci-dessus) n'a pas non plus convaincu la chambre.
Un préjugé de l'homme du métier est un avis largement répandu mais inexact à propos d'un fait technique. Démontrer l'existence d'un préjugé requiert un degré élevé de preuve (Jurisprudence, I.D.10.2).
La requérante n'a pas fourni de preuve du préjugé allégué. La chambre ne peut donc pas examiner son bien-fondé.
En outre, il est de jurisprudence constante que, pour savoir si l'objet revendiqué apporte une solution évidente à un problème technique objectif, il faut se demander si l'homme du métier souhaitant résoudre ledit problème aurait, pour parvenir à l'invention revendiquée, modifié l'enseignement du document de l'état de la technique le plus proche à la lumière d'autres enseignements de l'état de la technique (Jurisprudence, I.D.5).
En consultant l'état de la technique du domaine de l'imagerie en général ou du domaine de la photographie grand public en particulier (voir point 3.13 ci-dessus), l'homme du métier aurait trouvé une solution consistant à renoncer aux valeurs saisies par certains photodétecteurs. La chambre juge que l'homme du métier aurait immédiatement reconnu les avantages de cette solution en terme de complexité (et d'encombrement) par rapport aux solutions mentionnées par la requérante (voir point XI.c) ci-dessus), malgré son inconvénient en terme de résolution de l'image finale. La chambre note qu'il est usuel de compromettre temporairement la fonction première d'un système pour réduire sa complexité. Elle ne voit donc pas de contradiction dans le fait de concevoir l'instrument de prise de vues pour une certaine résolution au sol tout en recherchant des compromis entre résolution et complexité.
3.15 L'homme du métier aurait cherché ces compromis dans le domaine de l'imagerie en général ou dans le domaine de la photographie grand public (voir point 3.13 ci-dessus) et, ce faisant, y aurait trouvé la solution revendiquée (voir point 3.9 ci-dessus).
3.16 La chambre arrive donc à la conclusion que l'objet de la revendication 1 de la requête principale et de la quatrième requête subsidiaire est évident au vu de l'état de la technique pris en compte par la requérante combiné aux connaissances générales de l'homme du métier ou combiné à la divulgation du document D1.
4. Puisque que ni la requête principale ni la quatrième requête subsidiaire n'est admissible, le recours doit être rejeté.
Par ces motifs, il est statué comme suit
Le recours est rejeté.