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T 1298/16 19-01-2021
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APPLICATEUR POUR APPLIQUER UN PRODUIT SUR LES CILS
Motifs d'opposition - exposé insuffisant (non),
Preuves produites tardivement - recevable (oui),
Renvoi - (oui),
I. Le recours a été formé par l'opposante (requérante) contre la décision intermédiaire par laquelle la division d'opposition a conclu que, sur la base de la requête subsidiaire 2bis déposée lors de la procédure orale, le brevet en litige (ci-après le "brevet") satisfaisait aux exigences de la CBE.
II. La division d'opposition a décidé en particulier que
(1) l'objet de cette requête est nouveau par rapport aux documents D9 et D10 et implique une activité inventive au vu de D15 en combinaison avec D1, D2 ou D3;
(2) sur la base de cette requête, le brevet expose l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.
III. Dans son mémoire exposant les motifs du recours, la requérante (opposante) demande l'annulation de la décision de la division d'opposition. Elle soumet que:
- l'invention n'est pas exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter;
- l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2bis n'est pas nouveau par rapport à D1, D6, D7 et D16, document produit avec le mémoire de recours et
- l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2bis n'implique pas d'activité inventive en partant de D15.
La requérante demande la tenue d'une procédure orale dans le cas où la Chambre de Recours ne ferait pas droit à ces requêtes.
IV. Dans sa réponse au mémoire de recours, l'intimée (propriétaire) demande le rejet du recours, à titre subsidiaire le maintien du brevet selon les requêtes subsidiaires 3 à 8 déposées au cours de la procédure d'opposition. L'intimée demande en particulier que:
-le document D16 produit avec le mémoire de recours ainsi que les objections de nouveauté et d'activité inventive basées sur ce document ne soient pas admises dans la procédure; si la chambre entendait admettre D16 dans la procédure, que l'affaire soit renvoyée en première instance;
- les objections de nouveauté basées sur D1, D6 et D7 soulevées pour la première fois avec le mémoire de recours à l'encontre de l'objet de la revendication 1 de la requête 2bis ne soient pas admises;
- les objections d'activité inventive basées sur D15 en combinaison avec D16, D12, D13 et D8 soulevées pour la première fois avec le mémoire de recours ne soient pas admises.
V. Par lettre du 24 janvier 2017, la requérante demande notamment que les requêtes subsidiaires 3 à 8 soient rejetées, maintient ses objections contre l'insuffisance de l'exposé, l'admission du document D16 et l'admission des objections de manque de nouveauté de la revendication 1 de la requête 2bis par rapport à D16, D1, D6 et D7.
VI. Le 2 janvier 2020 la chambre invite les parties à une procédure orale fixée au 11 mai 2020 et fait part de son opinion préliminaire selon laquelle l'invention semble être exposée de manière claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter. La chambre note également qu'il faudra discuter de l'admissibilité du document D16 ainsi que d'un éventuel renvoi de l'affaire à la division d'opposition si le document était admis dans la procédure de recours.
VII. Le 21 avril 2020, compte-tenu des circonstances liées à la Covid-19 la chambre reporte la procédure orale au 18 janvier 2021.
VIII. Par lettre du 9 juillet 2020, l'intimée soumet notamment de nouvelles requêtes subsidiaires 3bis à 8bis.
IX. Par lettre du 24 novembre 2020, la requérante retire sa requête en procédure orale et demande que, si l'intimée y consent, la procédure soit finalisée par écrit. Elle indique que si la procédure orale est maintenue, elle n'y assistera pas.
X. Par notification du 4 décembre 2020, la chambre informe les parties qu'elle maintient son opinion provisoire selon laquelle l'invention est exposée de manière suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. La chambre ajoute qu'elle entend utiliser son pouvoir d'appréciation et admettre le document D16 dans la procédure de recours et renvoyer l'affaire à la division d'opposition.
XI. Par lettre du 22 décembre 2020, l'intimée retire sa requête en procédure orale afin de poursuivre la procédure par écrit. Elle fait valoir également que le document D16 n'est pas prima facie pertinent au regard de la nouveauté de l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2bis et qu'il ne devrait pas être admis dans la procédure de recours.
XII. Le 12 janvier 2021 la chambre annule la procédure orale fixée au 18 janvier 2021.
XIII. Les requêtes en procédure orale ayant été retirées, la chambre a statué dans le cadre de la procédure écrite.
XIV. Les requêtes des parties sont les suivantes:
La requérante (opposante) demande que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit révoqué.
L'intimée (propriétaire) demande que le recours soit rejeté ou, à titre subsidiaire, que le brevet soit maintenu sur la base d'une des requêtes subsidiaires 3-8 déposées pendant la procédure d'opposition le 16 décembre 2015 ou sur la base d'une des requêtes subsidiaires 3bis-8bis déposées le 9 juillet 2020.
XV. La revendication indépendante 1 de la requête principale (Requête 2bis) s'énonce comme suit :
Applicateur (160-660) pour appliquer un produit (6) sur les cils et/ou les sourcils, comprenant:
- au moins un secteur de brosse (162a-c ; 262a-d) comprenant une rangée hélicoïdale de fibres (167), le ou les secteurs de brosses présentant une forme hélicoïdale; et
- au moins un peigne (166a-c ; 266a-d ; 366a-c ; 466a-c ; 566a-c) comprenant une rangée hélicoïdale de dents (169), ayant une forme générale hélicoïdale,
- les rangées ayant des hélices orientées dans le même sens
- le nombre de secteurs de brosse (162a-c, 262 a-d) étant supérieur ou égal à trois.
XVI. Il est fait référence aux documents suivants dans la présente décision :
D1: US4964429
D12: EP1602300
D13: US2005034740
D15: EP1475013
D16: GB2170996A
Requête principale: Requête subsidiaire 2bis
1. Exposé de l'invention - Article 100(b) CBE
L'invention est exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.
1.1 La requérante conteste la suffisance de l'exposé du mode de réalisation dans lequel l'applicateur est fabriqué en une seule pièce injectée couvert par la revendication 1.
1.2 La chambre juge que l'homme du métier peut réaliser un applicateur en une seule pièce injectée divulgué au paragraphe [0080] du brevet.
Le paragraphe [0080] s'énonce comme suit: "On pourra prévoir que le ou chaque secteur de brosse est d'une seule pièce par exemple en étant réalisé par injection d'une matière synthétique. De même, si les secteurs de brosse sont au moins au nombre de deux et par exemple au nombre de trois, ils pourront ne former qu'une pièce. On pourra alors rapporter le ou les peignes sur cette pièce. Enfin, on pourra fabriquer l'applicateur tout entier (brosse(s) et peigne(s)) en une seule pièce injectée. Dans ce cas, on distinguera les fibres par rapport aux dents par leur agencement, leur forme et/ou leurs dimensions. On pourra aussi les différencier par le fait que les fibres sont plus souples que les dents, c'est-à-dire que les dents sont plus rigides que les fibres".
La technique de réalisation d'applicateurs par moulage/injection est connue de l'homme du métier comme le montrent par exemple les documents D1 (colonne 7, lignes 45-56), D12 (paragraphes [0001] et [0007]) D13, (paragraphes [0041] et [0042] et D15 (paragraphes [0070] et [0071]). L'homme du métier peut donc réaliser un applicateur en une seule pièce injectée où les fibres de la brosse et les dents du peigne se différencient par leur agencement, leur forme et/ou leurs dimensions.
La chambre note que la requérante n'indique pas les difficultés que l'homme du métier rencontrerait pour réaliser un applicateur en une seule pièce.
1.3 La requérante explique qu'en l'absence de critères objectifs quantifiables permettant de distinguer le peigne de la brosse, il est impossible:
(i) de réaliser des parties de brosse et de peigne distinctes;
(ii) d'assurer un effet objectif sur tout le domaine des revendications, puisque des modifications minimes théoriquement couvertes ne peuvent objectivement apporter des effets différents;
(iii) de connaître de manière claire et précise le domaine interdit des revendications pour un applicateur monobloc.
(iv) De plus selon la requérante, le brevet devrait inclure les limitations du document D15, cité comme point de départ de l'invention au paragraphe [0004] du brevet, notamment le fait que le peigne est distinct et rapporté.
1.4 (i) Le paragraphe [0080] du brevet divulgue des critères objectifs pour distinguer les fibres des secteurs de brosse par rapport aux dents des peignes:
- leur agencement
- leur forme
- leurs dimensions
- leur souplesse /rigidité
La chambre note en effet que les différences ne sont pas quantifiées mais que l'homme du métier sait les choisir de telle sorte que la brosse et le peigne se distinguent et apportent des effets différents.
(ii) La chambre note qu'il est de jurisprudence constante qu'une objection pour insuffisance de l'exposé ne peut légitimement être fondée sur l'argument selon lequel le brevet ne permettrait pas à l'homme du métier d'obtenir un effet technique non défini dans la revendication. Aux paragraphes [0003]- [0004] et [0010]-[0011] le brevet divulgue qu'un peigne a une fonction de séparation des cils alors qu'une brosse est destinée à charger les cils avec le produit à appliquer mais ces effets techniques ne sont pas définis dans la revendication 1. Cette objection relève donc de l'activité inventive selon l'article 56 CBE et non d'une insuffisance de l'exposé de l'invention.
(iii) De plus la chambre rappelle que la définition du "domaine interdit" d'une revendication n'est pas liée aux articles 83 et 100(b) CBE mais à l'article 84 CBE.
(iv) Enfin, la chambre ne voit aucune raison de limiter la revendication 1 à un applicateur où le peigne est distinct et rapporté. D15, cité comme art antérieur dans le brevet n'implique aucune limitation à l'égard de l'invention du brevet.
2. Recevabilité du document D16 - Article 12(4) RPCR 2007
La chambre admet le document D16 dans la procédure de recours.
2.1 Dans la présente affaire, le mémoire exposant les motifs du recours a été produit avant 1er janvier 2020. C'est donc l'article 12(4) RPCR 2007 qui s'applique (article 25(2) RPCR 2020).
L'article 12(4) RPCR 2007 confère à la chambre un pouvoir d'appréciation qui lui permet de considérer comme irrecevables les faits, preuves et requêtes qui auraient pu être produits ou n'ont pas été admis au cours de la procédure de première instance.
Selon la jurisprudence constante des chambres de recours, des documents présentés avec le mémoire exposant les motifs du recours ne doivent pas être considérés comme irrecevables s'ils constituent une réaction adaptée et diligente à ce qui s'est passé antérieurement dans la procédure, par exemple lorsqu'ils permettent à la partie déboutée dans le cadre de l'opposition de combler les lacunes dans son argumentation en présentant d'autres moyens de preuve au stade du recours (cf. V.A.4.13.1 de La Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, 9e édition, 2019).
Dans la présente affaire, la revendication 1 de la requête 2Bis est une combinaison de revendications délivrées (revendications 1,2,3,4 et 6 délivrées) et a été soumise pendant la procédure orale en opposition.
L'intimée (propriétaire) avait déposé le 16 décembre 2015, après la citation à une procédure orale et dans les délais de la Règle 116 CBE, huit requêtes subsidiaires dans lesquelles la revendication 1 correspondait à des combinaisons de revendications différentes de celles de la revendication 1 de la requête 2Bis (la revendication dépendante 6 telle que délivrée n'avait été introduite dans aucune des revendications 1 des requêtes subsidiaires).
La question est de savoir si la requérante aurait dû déposer D16 pendant la procédure d'opposition sachant que l'opposition porte sur le brevet dans sa totalité et que la revendication 1 de la requête subsidiaire 2Bis est une combinaison de revendications délivrées.
2.2 La chambre exerce son pouvoir d'appréciation et admet le document D16 dans la procédure pour les raisons suivantes:
- La requérante (opposante) ne pouvait pas fournir des moyens de preuve à l'encontre de chacune des positions de repli possibles définies dans les revendications dépendantes. La requête subsidiaire 2Bis a été soumise pendant la procédure orale devant la division d'opposition. Or l'ajout de la revendication 6 telle que délivrée dans la revendication 1 rendait l'objet de cette requête subsidiaire nouveau par rapport aux documents intermédiaires D4 et D5 (voir T1830/11, Case Law Book 2019 V.A.4.11.3c).
- De plus la revendication dépendante 6 telle que délivrée s'énonce comme suit:
"Applicateur selon l'une quelconque des revendications précédentes, dans lequel le nombre de secteurs de brosse est supérieur ou égale à deux, notamment supérieur ou égale à trois, et de préférence égale à trois".
L'intimée (propriétaire) a donc choisi d'ajouter la deuxième alternative parmi les trois alternatives couvertes par cette revendication.
- Enfin, le document D16 semble prima facie pertinent pour l'appréciation de la nouveauté de l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2Bis.
2.3 L'intimée conteste le fait que D16 soit prima facie pertinent. Selon elle, l'objet de la revendication 1 diffère
- du premier mode de réalisation (figures 1, 5, 6 et 7) de D16 en ce que:
a- les secteurs de brosse comprennent une rangée hélicoïdale de fibres, les secteurs ayant une forme hélicoïdale.
b- L'applicateur comprend au moins un peigne comprenant une rangée hélicoïdale de dents, le peigne ayant une forme générale hélicoïdale.
c- Les rangées ont des hélices orientées dans le même sens.
- du deuxième mode réalisation (figure 2) de D16 en ce que
a- L'applicateur comprend au moins un peigne comprenant une rangée hélicoïdale de dents, le peigne ayant une forme générale hélicoïdale.
b- le nombre de secteurs de brosse est supérieur ou égal à trois.
2.4 La chambre ne partage pas l'avis de l'intimée.
La page 1, lignes 81-105 et la revendication 1 de D16 divulguent un applicateur comprenant une brosse à poils disposés en rangées longitudinales ou en spirales alternées de poils relativement longs et courts. Les rangées de poils courts appliquent le mascara, tandis que les rangées de poils longs peignent et séparent simultanément les cils.
Il semble donc que l'applicateur de D16 comprend des secteurs de brosse et des peignes en alternance qui sont, selon la deuxième alternative, de forme hélicoïdale. La forme et la dimension des dents du peigne n'étant pas définies dans la revendication 1 de la requête subsidiaire 2 Bis, les poils relativement longs peuvent être considérés comme les dents du peigne, d'autant plus que les poils relativement longs ont pour fonction de peigner et séparer les cils.
De plus le nombre de secteurs de brosse est supérieur ou égal à trois selon la page 1, lignes 118-122 et la revendication dépendante 3 de D16.
3. Renvoi de l'affaire en première instance - Article 11 RPCR 2020.
L'intimée demande le renvoi de l'affaire en première instance au cas où la chambre admettrait le document D16 dans la procédure.
Conformément à l'article 11 RPCR 2020, la chambre peut renvoyer l'affaire à l'instance qui a rendu la décision attaquée si des raisons particulières le justifient.
L'admission du document D16 étant prima facie pertinent pour apprécier la nouveauté de l'objet de la revendication 1 de la requête 2Bis, cela constitue une raison particulière qui justifie le renvoi de l'affaire à la division d'opposition.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition afin de poursuivre la procédure.