T 2602/19 (Chaux partiellement pré-hydratée/GOMBART) 27-05-2022
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UTILISATION DE CHAUX PARTIELLEMENT PRE-HYDRATEE DANS LA SEPARATION D'UN MELANGE MATIERES SOLIDES/LIQUIDE, PROCEDE DE TRAITEMENT DES BOUES ET BOUES PURIFIEES OBTENUES SELON CE PROCEDE
Gombart, Marc
Carmeuse Chaux
Modifications - extension au-delà du contenu de la demande telle que déposée (non)
Possibilité d'exécuter l'invention - exposé de l'invention permettant sa mise en oeuvre (oui)
Nouveauté - sélection multiple
Nouveauté - (oui)
Activité inventive - (oui)
I. L'opposante (requérante) a formé un recours contre la décision de la division d'opposition de maintenir le brevet européen EP-B-1 791 792 tel que modifié par la requérante sur la base de la requête subsidiaire 1 alors en vigueur.
II. Il a été discuté notamment des documents suivants au cours de la phase d'opposition :
D1|FR 2 841 895 A1 |
D3|EP 1 154 958 B1 |
D4|WO 98/02391 A1 |
D6|"Memento technique de l'eau", Degrémont, 9e édition, tome 2, 1989, 949-957|
III. Le mémoire exposant les motifs du recours comprend plusieurs annexes, dont:
"Annexe 3 : l'enseignement du document D3 : destruction de la nouveauté de la revendication 1 de la requête auxiliaire n° 1 ayant conduit au maintien du brevet litigieux sous forme modifiée." (pages 1 à 9)
IV. Le libellé de la revendication indépendante de la requête principale (brevet tel que maintenu par la division d'opposition) est le suivant :
"1. Procédé pour le traitement d'une boue au moyen de chaux en vue de concentrer, dessécher et recueillir ses matières solides, ledit procédé comprenant les étapes consistant à :
(alpha) mettre en contact et sous agitation pendant 2 à 10 minutes de la chaux vive partiellement pré-hydratée à réactivité retardée (CVRR) avec la boue à traiter, à raison d'au moins 1 partie en poids sec de ladite CVRR pour 100 parties en poids sec de matières solides contenues dans ladite boue, ladite CVRR étant constituée de 85 à 90 % en poids de CaO et de 15 à 10 % en poids de Ca(OH)2, ayant une granulométrie moyenne telle que 20 mym <= d50 <= 200 mym et étant utilisée (i) sous forme de poudre ou (ii) sous forme de suspension aqueuse à une concentration supérieure ou égale à 10% en poids, le Ca(OH)2 des particules de ladite CVRR servant à la floculation desdites matières solides ;
(beta) séparer, notamment par filtration, centrifugation ou décantation, la suspension résultante pour obtenir un matériau solide se présentant sous la forme d'un premier gâteau humide, qui est un mélange homogène desdites matières solides concentrées, de ladite CVRR et d'eau; puis,
(gamma) faire réagir ou laisser réagir le CaO de ladite CVRR qui est contenue dans ledit matériau solide ainsi séparé, avec l'eau dudit matériau solide."
Les revendications dépendantes 2 à 5 correspondent à des modes de réalisation préférés.
V. Suite à une notification au titre de l'article 15(1) RPCR indiquant que le recours serait probablement rejeté, la requérante a indiqué qu'elle n'assisterait pas à la procédure orale fixée.
VI. La procédure orale a ensuite été annulée.
VII. Les arguments de la requérante peuvent être résumés comme suit :
La revendication 1 de la requête principale ne satisfait pas aux conditions de l'article 123(2) CBE.
La requête principale ne satisfait pas aux conditions de l'article 83 CBE.
En tenant notamment compte de la référence au document D4, le document D3 antériorise l'objet de la revendication 1 de la requête principale (article 54(1) et (2) CBE).
L'objet de la revendication 1 de la requête principale n'implique pas une activité inventive
- par rapport au document D3 comme état de le technique le plus proche en combinaison avec le document D6, et alternativement
- par rapport au document D6 comme état de le technique le plus proche en combinaison avec D1, D3 ou D4.
VIII. Les arguments des intimées sont reflétés dans les motifs ci-dessous.
IX. La requérante demande que la décision contestée soit annulée et que le brevet soit révoqué.
Les intimées demandent que le recours soit rejeté. Alternativement elles demandent que le brevet soit maintenu selon les requêtes subsidiaires 2 et 3 telles que déposées en première instance par lettre en date du 6 mai 2019.
Requête principale
La présente requête principale a été déposée comme requête subsidiaire 1 en première instance par lettre en date du 8 mars 2019. Elle a été maintenue par la division d'opposition.
1. Modifications
Pour les raisons suivantes, la requête principale satisfait aux exigences de l'article 123(2) CBE.
1.1 La revendication 1 est basée sur les revendications de type procédé 5 et 6 ainsi que sur le passage à la page 8, lignes 22 à 31 tels que déposés, ce passage ayant trait à un "matériau solide issu d'une boue".
D'après la requérante, les modifications apportées à la revendication 1 mélangent deux "aspects" de l'invention, à savoir le deuxième aspect ("procédé pour la concentration, la séparation, la dessiccation et la décontamination", page 7, ligne 35 de la demande telle que déposée) et le troisième aspect ("matériau solide issu d'une boue", page 8, ligne 22 de la demande telle que déposée).
Or, le passage à la page 1, lignes 16 à 23, montre un lien direct entre le "matériau solide issu d'une boue" et le "procédé de traitement d'une boue". Il ne s'agit donc pas de modes de réalisation distincts.
1.2 De l'avis de la requérante, la chaux à la page 8 telle que déposée est seulement rajoutée après la séparation du matériau solide, contrairement à l'ajout avant cette séparation dans la revendication 5 telle que déposée.
Or, notamment les expressions "matériau solide issu d'une boue, susceptible d'être obtenu selon ce procédé et "le matériau a été purifié au moyen d'une CVRR [chaux vive à réactivité retardée]" à la page 8, lignes 22 à 25 (caractères en italiques ajoutés par la chambre) indiquent que la chaux a été ajoutée à la boue, c'est-à-dire avant la séparation, et non au matériau solide.
L'idée de l'invention est justement de combiner les avantages du pré-chaulage et du post-chaulage, et d'éviter la nécessité de mélanger le matériau après séparation avec la chaux vive (page 4, ligne 31, à la page 5, ligne 9, ainsi que page 6, lignes 12 à 21).
Un ajout de la CVRR après l'étape de séparation n'est divulgué nulle part.
Le passage à la page 9, lignes 14 à 19, cité par la requérante, n'exclut pas un ajout de la chaux avant la séparation. En effet, le passage à la page 10, lignes 19 à 33, explique que la chaux est ajoutée avant la séparation mais que, en raison de la réactivité retardée, la réaction a seulement lieu après la séparation.
2. Exposé de l'invention
Pour les raisons suivantes, la requête principale satisfait aux conditions de l'article 83 CBE.
2.1 La requérante cite une liste de paramètres nécessaires pour fabriquer une chaux de type CVRR selon l'invention et soutient que la détermination de ces paramètres constitue un effort excessif.
La chambre note d'abord que notamment les exemples et les alinéas [0040] à [0050] du brevet expliquent les détails des différentes étapes du procédé.
De plus, la jurisprudence constante des chambres de recours a établi qu'il ne peut être objecté à l'encontre d'un brevet que l'invention n'est pas exposée de manière suffisamment claire et complète que si de sérieuses réserves peuvent être formulées à cet égard, étayées par des faits vérifiables (La Jurisprudence des Chambres de recours, 9**(e) édition, 2019, I.E.2).
Or, la requérante n'a pas apporté de tels faits vérifiables.
2.2 Même si les exemples du brevet contesté n'indiquent pas le temps de contact sous agitation entre la chaux partiellement pré-hydratée et la boue, la détermination d'un temps de contact adapté dans la gamme de la revendication 1 ne nécessite pas un effort excessif.
2.3 La requérante allègue également que le "retard de la réaction" de la CVRR d'au moins 20 minutes dans D1 n'est pas compatible avec le temps de contact entre 2 et 10 minutes selon la revendication 1 de la requête principale.
Dans l'alinéa [0014], le brevet contesté indique que la CVRR peut être préparée selon l'enseignement de D1 dont la CVRR a effectivement un retard d'au moins 20 minutes (revendication 1 de D1). Or ce retard n'est pas incompatible avec le temps de mise en contact sous agitation entre la boue et la chaux, qui est entre 2 et 10 minutes d'après la revendication 1. Au contraire, il est même souhaitable que la réaction se déclenche seulement après la mise en contact et la séparation (cf. les alinéas [0034] et [0035] du brevet contesté).
3. Nouveauté
La requérante est de l'avis que D3 antériorise l'objet de la revendication 1 et renvoie notamment aux alinéas [0022] et [0031] ainsi qu'à la référence au document D4 dans l'alinéa [0026].
Or, pour les raisons suivantes, la chambre ne partage pas cet avis:
- Afin d'arriver à l'objet de la revendication 1 de la requête principale, il faut d'abord choisir d'utiliser comme chaux une chaux partiellement pré-hydratée comme celle divulguée dans D4 (cf. la référence à ce document dans l'alinéa [0026] de D3).
- Les granulométries moyennes d50 de la revendication 1 de la requête principale se recoupent avec celles de l'alinéa [0022] de D3. Les particules d'une taille inférieure à 250 mym sont même "avantageusement ... éliminé[es]".
- La durée de 5 minutes maximum entre l'ajout du floculant à la boue et l'ajout de la chaux de D3 (alinéa [0031]) se recoupe avec la durée entre 2 et 10 minutes selon la revendication 1. En plus, une agitation n'y est pas mentionnée.
- À la page 7, lignes 15 à 21, D4 divulgue l'ajout de 0,1 à 5 % d'un modifiant chimique à la chaux vive pour en ajuster la réactivité. Il faudrait choisir l'eau dans la liste comme modifiant chimique.
D'après les calculs de la requérante (cf. l'Annexe 3 des motifs, page 5) - qui n'ont pas été contestés - cela correspond à la formation d'entre 0,4 et 20,55 % Ca(OH)2, c'est à dire une gamme plus large que la plage de valeurs plus limitée de la revendication 1. Ainsi, la teneur en eau de 2 % spécifiquement mentionnée dans D4 (par exemple dans le tableau 1) conduit à une teneur en Ca(OH)2 de 8,2 %, donc en dessous de la plage revendiquée.
Une sélection multiple est donc nécessaire pour arriver à l'objet de la revendication 1. Or, selon la jurisprudence constante des chambres de recours, "la question de la nouveauté ne peut être tranchée en examinant séparément les plages des différents paramètres. Cela constituerait ... une approche artificielle et injustifiée, car ce ne sont pas les plages spécifiques des trois paramètres pris individuellement ou associés qui constituent l'objet de la revendication ... mais le groupe de procédés définis par la combinaison de ces plages" (La Jurisprudence des Chambres de recours, 9**(e) édition, 2019, I.C.6.3.3).
Pour ces raisons, l'objet de la revendication 1 est nouveau vis-à-vis de D3 (article 54(1) et (2) CBE).
3.1 Pour les mêmes raisons, l'objet des autres revendications est également nouveau (article 54(1) et (2) CBE).
4. Activité inventive
4.1 L'invention concerne un procédé pour le traitement d'une boue au moyen de chaux.
4.2 Le document D3 divulgue également un procédé pour le traitement d'une boue au moyen de chaux (alinéa [0001]) et divulgue plusieurs caractéristiques de la revendication 1 (cf. le point 3. ci-dessus).
D3 est donc un point de départ approprié pour évaluer l'activité inventive.
4.3 D'après le brevet contesté, le problème à résoudre est de mettre à disposition un procédé bénéficiant des avantages du CaO tout en réduisant le caractère violent de la réaction (qui conduirait sinon à la formation d'un gâteau peu homogène après la séparation), et cela sans nécessité de manipulation supplémentaire après la séparation (cf. les alinéas [0006], [0012], [0016] et [0052] par exemple).
4.4 La revendication 1 de la requête principale propose de résoudre ce problème par le procédé de traitement d'une boue selon la revendication 1 caractérisé en la combinaison :
- d'une utilisation d'une chaux de type CVRR,
- qui a une granulométrie moyenne 20 mym <= d50 <= 200 mym,
- qui contient entre 85 et 90 % de CaO et entre 10 et 15 % de Ca(OH)2 et
- avec une durée de la mise en contact de la chaux avec la boue sous agitation entre 2 et 10 minutes.
4.5 La question de savoir si le problème posé est effectivement résolu peut rester sans réponse car l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive même si le problème à résoudre est seulement la mise à disposition d'un autre procédé pour le traitement d'une boue au moyen de chaux.
4.6 En effet, en partant de D3, la personne du métier ne choisirait pas une mise en contact sous agitation entre la chaux et la boue pendant une durée entre 2 et 10 minutes dans le cas d'une granulométrie à l'intérieur de la plage revendiquée. En effet, d'après l'enseignement de D3, cela entraînerait une montée trop forte du pH :
Contrairement au brevet contesté, où c'est la chaux qui joue le rôle de floculant (cf. la revendication 1 de la requête principale), D3 utilise des floculants organiques (alinéa [0001]) qui se dégradent rapidement à un pH élevé (alinéa [0010]). Un pH de 9 est considéré comme seuil critique (alinéa [0016]).
Le tableau 1 de D3 indique que, pour une granulométrie dans la gamme revendiquée (échantillons 2 et 3), le pH monte au seuil critique en moins d'une minute (20 et 36 secondes). Autrement dit, un temps de contact entre 2 et 10 minutes conduirait à un pH trop élevé.
Au vu du tableau 1, la personne du métier comprendrait qu'une durée entre 2 et 10 minutes serait seulement compatible avec une granulométrie largement au-dessus de la plage revendiquée (échantillon 6).
Le document D3 contient donc un enseignement qui éloigne la personne du métier de l'invention ("teaching away").
Le fait que le document D6 (page 952) conseille un "excellent mélange des réactifs avec la boue" ne change pas ce constat.
C'est pourquoi l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive par rapport à D3 (article 56 CBE).
4.7 La requérante considère également que le document D6 peut être considéré comme l'état de la technique le plus proche de l'objet de la revendication 1. Elle se réfère notamment à la figure 607 et à l'indication d'un temps de contact entre 5 et 10 minutes à la page 953.
La chambre note cependant que le procédé de la figure 607 utilise du lait de chaux, c'est-à-dire une suspension de chaux éteinte Ca(OH)2. Par conséquent, D6 ne divulgue pas:
- l'utilisation d'une CVRR
- qui contient entre 85 et 90 % de CaO
- avec la granulométrie d50 revendiquée
- qui est ajoutée à hauteur de 1 %
- qui sert comme floculant
- et qui provoque une réaction après la séparation du matériau solide.
D6 a donc moins de caractéristiques en commun avec la revendication 1 de la requête principale et semble moins approprié comme état de la technique le plus proche que D3.
Par ailleurs, le problème technique à résoudre en partant de D6 ne peut pas être la mise à disposition d'un procédé avec une réaction moins violente. En effet, en raison de l'absence de chaux vive CaO, la réaction dans D6 n'est déjà pas violente. Le problème est plutôt de mettre à disposition un procédé qui assure une bonne "hygiénisation" du gâteau (en raison de l'exothermicité de la réaction entre le CaO et l'eau) tout en gardant une bonne homogénéité du gâteau (cf. les alinéas [0011] et [0012] du brevet contesté).
La requérante prétend que la personne du métier arriverait de manière évidente à l'objet de la revendication 1 en combinant D6 avec D1, D3 ou D4.
Or, la requérante n'a pas indiqué de passages dans ces documents contenant une suggestion selon laquelle la personne du métier cherchant à résoudre le problème posé remplacerait le lait de chaux de D6 par une chaux partiellement pre-hydratée, et encore moins par une chaux de type CVRR avec les propriétés, dans la forme et dans les concentrations de la revendication 1.
C'est pourquoi ces attaques prouvent plutôt que la personne du métier aurait seulement pu arriver à l'objet de la revendication 1. Cela relève d'une analyse ex post facto (cf. La Jurisprudence des Chambres de recours, 9**(e) édition, 2019, I.D.5 et I.D.6).
Pour ces raisons, l'objet de la revendication 1 implique également une activité inventive par rapport à D6 (article 56 CBE).
4.8 Pour les mêmes raisons, l'objet des autres revendications implique également une activité inventive (article 56 CBE).
Par ces motifs, il est statué comme suit
Le recours est rejeté.