T 0907/18 (TRAITEMENT DE SURFACE DE BILLET DE BANQUE/Oberthur) 27-07-2021
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PROCEDE DE TRAITEMENT DE SURFACE D'UN BILLET DE BANQUE
Oberthur Fiduciaire SAS
Solvay Specialty Polymers Italy S.p.A.
I. Le présent recours de l'opposante (ci-après "la requérante") fait suite à la décision de la division d'opposition de rejeter l'opposition formée à l'égard du brevet européen n° 2 761 084, dont la revendication 1 est libellée comme suit:
"1. Procédé de traitement de surface d'un billet de banque (1) qui comporte, au moins sur l'une de ses faces opposées (20, 21), au moins une impression consistant en au moins un motif (3), cette face
(20, 21) et son impression associée (3) étant recouverts d'un revêtement de protection transparent (R), caractérisé par le fait que l'on procède à la mise en place par impression d'un revêtement contenant un vernis et un composé chimique organique incorporant des atomes de fluor sous forme d'au moins un groupement perfluoro-polyéther (PFPE), sur ladite face (20, 21), et que l'on procède à son séchage."
II. Dans sa décision, la division d'opposition est parvenue à la conclusion que les motifs invoqués, à savoir l'insuffisance de description de l'invention (article 100 b) CBE) et le défaut d'activité inventive (articles 100 a) et 56 CBE), ne s'opposaient pas au maintien du brevet tel que délivré. Elle a en particulier fait valoir que l'objet revendiqué ne découlait pas à l'évidence du contenu du document D1 (WO 2009/080626 A2) pris en combinaison avec l'enseignement de l'un quelconque des documents D2 (EP 1 006 168 B1), D3 (EP 1 273 704 B1), D4 (EP 1 371 676 A1), D5 (EP 1 484 445 B1), D6 (EP 1 489 124 B1) ou D7 (EP 1 690 882 B1). En outre elle a décidé de ne pas prendre en considération les moyens de preuve D8 à D12 produits tardivement par l'opposante.
III. Avec son mémoire de recours, la requérante a contesté les conclusions de la division d'opposition et déposé un nouveau moyen de preuve D13, relatant un échange de courriels datés de novembre 2017 à février 2018 entre la requérante et la société Solvay - l'une des propriétaires du brevet (ci-après les intimées).
IV. Avec leur réponse du 16 octobre 2018 au mémoire de recours, les intimées ont soumis une note d'observations accompagnée de deux jeux de revendications (identiques à ceux déposés à titre de requêtes subsidiaires 1 et 2 en procédure d'opposition) et demandé le rejet du recours ainsi que la non-admissibilité des documents D8 à D13.
V. Dans sa notification au titre de l'article 15(1) RPCR, la chambre a fait part de son avis préliminaire selon lequel l'objet du brevet tel que délivré apparaissait découler de manière évidente de l'état de la technique connu de l'homme du métier. La chambre a en outre fait valoir que le dépôt des requêtes subsidiaires apparaissait ne pas satisfaire aux conditions énoncées aux articles 12(2) et (4) RPCR 2007.
VI. A la procédure orale, qui s'est tenue le 27 juillet 2021, le débat s'est concentré sur la conformité du brevet aux dispositions de l'article 56 CBE, en particulier la combinaison du contenu du document D1 avec celui des documents D2 à D7 pris individuellement a été discutée avec les parties. La recevabilité des requêtes subsidiaires a ensuite été discutée. A la clôture des débats, les requêtes des parties étaient les suivantes:
- La requérante a demandé l'annulation de la décision contestée, l'admission des documents D8 à D13 dans la procédure de recours et la révocation du brevet;
- Les intimées ont demandé à titre principal le rejet du recours et, à titre subsidiaire, le maintien du brevet sur la base de l'un des jeux de revendications déposés conjointement à la réponse au mémoire de recours à titre de requêtes subsidiaires 1 et 2.
1. Suffisance de description
Sur ce motif d'opposition, la chambre ne peut suivre les arguments avancés par la requérante, n'étant pas convaincue que le brevet contienne une quelconque lacune d'information s'opposant à l'exécution de l'invention telle que revendiquée. Les raisons ayant menées à cette conclusion ne seront pas détaillées dans cette décision, la chambre étant parvenue à la conclusion que le brevet devait être révoqué pour un autre motif (voir ci-après), mais référence est faite à l'opinion préliminaire dans laquelle il avait été conclu que le motif d'opposition au titre de l'article 100 b) CBE ne s'opposait pas au maintien du brevet tel que délivré.
2. Brevet tel que délivré - activité inventive
Par application de l'approche problème-solution, la chambre est parvenue à la conclusion que l'objet des revendications telles que délivrées ne satisfait pas aux dispositions de l'article 56 CBE pour les raisons qui suivent:
2.1 Les parties sont d'accord sur le fait que l'état de la technique le plus proche est représenté par le document D1, qui divulgue (voir revendication 1) un procédé par lequel un document de sécurité est recouvert d'une couche de protection transparente comprenant une couche de primaire, elle-même revêtue d'une composition réticulable, de préférence non-adhésive, la couche de primaire comprenant un surfactant fluoré et au moins une substance polymérisable choisie parmi les polyesters acrylate ou methacrylate et les monomères à base d'urée ou de polyuréthane.
Selon les revendications 14 et 15, la composition réticulable non-adhésive peut en particulier contenir un composé perfluoré, tel que par exemple le perfluoroalkylvinyléther.
2.1.1 La chambre observe que dans la revendication 1 du brevet incriminé, l'invention revendiquée ne précisant pas la nature du "vernis" mis en oeuvre, celui-ci est anticipé par le primaire mis en oeuvre dans le revêtement de D1, qui au vu de sa fonction est assimilable audit vernis. Il s'ensuit que la seule différence entre l'invention telle que délivrée et la divulgation de D1 réside dans les atomes de fluor incorporés dans le composé chimique organique sont sous forme d'au moins un groupement perfluoro-polyéther.
2.2 Eu égard au problème sous-tendu par l'invention, celui-ci résiderait selon le brevet incriminé ([0031] et [0033]) dans la mise à disposition d'un procédé visant à renforcer l'ensemble des propriétés présidant à la longévité d'un billet de banque, à savoir la résistance à la salissure, l'hydrophobie et l'oléophobie, sans pour autant en augmenter sensiblement le coût de fabrication et en conservant les méthodes d'impression usuelles; en outre le billet doit rester compatible avec un contact épidermique, sans être toxique ou allergène.
2.3 Quant à la solution proposée par le brevet, celle-ci réside dans le procédé selon la revendication 1 telle que délivrée, qui est en particulier caractérisée par le fait que les atomes de fluor incorporés dans le composé chimique organique sont sous forme d'au moins un groupement perfluoro-polyéther.
2.4 S'agissant de vérifier si le problème susmentionné est effectivement résolu par rapport à l'art antérieur le plus proche décrit dans le document D1, la chambre observe qu'il n'existe aucune comparaison entre les modes opératoires du brevet et ceux de D1, qui au demeurant vise à résoudre un problème similaire à celui du brevet, à savoir la production de documents de sécurité protégés contre l'altération et les salissures par une méthode de fabrication simple (D1, page 1, lignes 6 et 7 et 22 à 28; page 4, lignes 7 à 10).
2.4.1 Les intimées ont fait valoir que le document D1 visait non pas à protéger les billets de banque mais les documents de sécurité. En outre, D1 ne traitant pas du problème des salissures sèches, le problème sous-tendant l'invention serait de fournir une solution à ce problème propre aux billets de banque.
2.4.2 La chambre ne peut suivre les intimées sur ce point, car s'il est vrai que D1 ne mentionne pas explicitement le problème lié aux salissures sèches et qu'il vise à protéger les documents de sécurité contre l'altération (D1, page 1, ligne 7) liée aux salissures ("soiling": D1, page 1, ligne 23; page 4, lignes 9 et 18) et aux dépôts de saleté ("dirt deposits": D1, page 1, ligne 27), D1 cite toutefois explicitement les billets de banque à titre d'exemple de documents de sécurité (voir D1, page 1, lignes 11 à 15; page 38, lignes 10 et 11).
Il est donc indiscutable que D1 s'adresse au même type de document de sécurité que le brevet incriminé et qu'il vise - tout comme le brevet - à la protection de ces derniers contre les dépôts de saleté et les salissures. S'il est vrai que les types spécifiques de saleté et de salissures ne sont pas détaillés, il est manifeste que D1 s'adresse à tous types de saleté ou salissures, y compris les salissures sèches, même si celles-ci ne sont pas mentionnées explicitement, si bien qu'en l'absence d'élément de comparaison avec les revêtements fluorés de D1, le problème particulier lié aux salissures sèches ne peut être retenu, car inclus dans le problème générique de D1. Il est en outre à noter que la revendication 1 n'indiquant aucune quantité minimale du composé comportant au moins un groupement perfluoro-polyéther à mettre en oeuvre dans le procédé revendiqué, cette omission soulève un problème de plausibilité quant au fait que le problème mis en avant par les intimées puisse être résolu sur toute la largeur de la revendication.
2.5 Il suit de ce qui précède que le problème à résoudre se doit d'être reformulé de manière moins ambitieuse, à savoir dans le cas d'espèce, celui de viser à la protection des billets de banques contre tous types de saletés et salissures par le biais d'un procédé alternatif à celui connu de D1.
2.6 A la question de savoir si la solution proposée au problème susmentionné, à savoir la mise en oeuvre d'un composé comportant au moins un groupement perfluoro-polyéther, était ou non évidente pour l'homme du métier à la lumière de l'état de la technique, à savoir les documents D2 à D7, la chambre observe que ces documents font tous état de l'utilisation de perfluoro-polyéthers pour améliorer les propriétés oléofuges et hydrofuges de surface de certains matériaux, en particulier des produits à base de papier (voir en particulier D2, paragraphes [0007] et [0008] ou D3, paragraphes [0002] et [0008]).
2.6.1 Attendu que le papier est le composant de base de la plupart des billets de banque, il ne fait aucun doute pour la chambre, au vu de cet enseignement très fort, que l'homme du métier n'hésitera pas à tester ces perfluoro-polyethers et les mettre en oeuvre en tant qu'alternative technique aux produits perfluorés proposés dans D1, voire pour en améliorer leurs propriétés protectrices, si bien que la solution proposée au problème indiqué ci-dessus découle de manière évidente de l'état de la technique connu de l'homme du métier.
2.6.2 Les intimées ont contesté ces conclusions, mettant en avant que les documents D2 à D7 traitent de papiers pour l'industrie alimentaire, en particulier pour l'emballage de produits humides, huileux et gras tels que beurre ou margarine pour les rendre plus oléofuges et hydrofuges, et que l'homme du métier n'aurait pas d'incitation particulière à appliquer cet enseignement aux billets de banque et encore moins, pour y résoudre le problème particulier des salissures sèches.
2.6.3 La chambre ne peut se joindre à cet argumentaire, car tel qu'indiqué plus haut le problème spécifique des salissures sèches est implicitement inclus dans le problème générique déjà décrit dans D1 et le problème lié aux corps gras et humides concerne bien évidemment aussi celui des billets de banque qui doivent aussi être rendus hydrofuges et oléofuges, tout comme les papiers de D2 ou D3, si bien que l'homme du métier s'intéressera bien évidemment à l'enseignement de ces documents avec la conviction d'obtenir un résultat similaire avec les papiers spécifiques aux billets de banque.
2.7 Pour la chambre, il s'ensuit que la combinaison de faits invoqués par la requérante est suffisante pour prouver que l'objet de la revendication 1 telle que délivré découle de manière évidente de l'enseignement des documents cités, en particulier de ceux des documents D1 et D2 (ou D3), si bien que le motif d'opposition basé sur les articles 100 a) et 56 CBE s'oppose au maintien du brevet dans sa forme telle que délivrée.
3. Requêtes subsidiaires - recevabilité
3.1 Les requêtes subsidiaires 1 et 2 déposées en réponse au mémoire de recours n'ayant nullement été commentées et motivées, celles-ci ne satisfont pas aux conditions énoncées à l'article 12(2) RPCR 2007 qui dispose en particulier que la réponse au mémoire de recours doit contenir l'ensemble des moyens invoqués par une partie, et qu'elle doit présenter de façon claire et concise les motifs pour lesquels il est en particulier demandé de modifier ou de confirmer la décision attaquée et exposer expressément et de façon précise tous les arguments et justifications qui sont invoqués.
3.2 Or dans le cas d'espèce, les motifs et les arguments pour lesquels il est demandé de modifier ou confirmer la décision attaquée ne sont pas apparents de la réponse au mémoire de recours.
3.3 La chambre ayant fait part de cette omission dans son opinion préliminaire et les intimées n'ayant pas répondu à cette dernière, ni présenté à la procédure orale d'argument justifiant cette omission, la chambre ne voit pas de raison particulière pour ne pas faire usage de son pouvoir d'appréciation conféré par l'article 12(4) RPCR 2007 de ne pas les prendre en considération.
4. La requête principale ne satisfaisant pas aux exigences de l'article 56 CBE et les requêtes subsidiaires 1 et 2 n'étant pas prises en considération par la chambre, il peut donc être fait droit au recours de l'opposante.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. Le brevet est révoqué.