T 0383/20 (Procédé d'hydrotraitement/IFP) 09-06-2022
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Procédé d'hydrotraitement de gazole mettant en ½uvre un enchaînement de catalyseurs
Admissibilité d'un document cité et admis en opposition - (oui)
Admissibilité des documents cités dans le mémoire du recours - (oui)
Suffisance de l'exposé de l'invention - (oui) paramètre suffisamment defini
I. Le recours de la titulaire fait suite à la décision de la division d'opposition de révoquer le brevet européen n° 2 878 370 au motif que l'objet de la revendication 1 de la requête soumise le 5 octobre 2018, libellée comme suit, ne répondrait pas aux exigences de l'article 83 CBE:
"1. Procédé d'hydrotraitement d'une charge hydrocarbonée contenant des composés azotés à une teneur supérieure à 150 ppm poids et ayant une température moyenne pondérée comprise entre 250 et 380°C, comportant les étapes suivantes :
a) on met en contact en présence d'hydrogène ladite charge hydrocarbonée avec au moins un premier catalyseur comprenant un support d'alumine, du phosphore, et une phase active formée d'au moins un métal du groupe VIB sous forme oxyde et d'au moins un métal du groupe VIII sous forme oxyde, ledit premier catalyseur étant préparé selon un procédé comprenant au moins une étape de calcination,
b) on met en contact en présence d'hydrogène l'effluent obtenu à l'étape a) avec au moins un deuxième catalyseur comprenant un support d'alumine, du phosphore, une phase active formée d'au moins un métal du groupe VIB et d'au moins un métal du groupe VIII, et au moins un composé organique contenant de l'oxygène et/ou de l'azote, ledit deuxième catalyseur étant préparé selon un procédé comprenant les étapes suivantes :
i) on met en contact au moins un composant d'un métal du groupe VIB, au moins un composant d'un métal du groupe VIII, du phosphore et au moins un composé organique contenant de l'oxygène et/ou de l'azote avec le support, de manière à obtenir un précurseur de catalyseur,
ii) on sèche ledit précurseur de catalyseur issu de l'étape i) à une température inférieure à 200°C, sans le calciner ultérieurement, de manière à obtenir un effluent hydrotraité,
et dans lequel l'étape a) est effectuée dans une première zone contenant le premier catalyseur qui occupe un volume V1, et l'étape b) est effectuée dans une deuxième zone contenant le deuxième catalyseur qui occupe un volume V2, la répartition des volumes V1/V2 étant comprise entre 10% vol/90% vol et 50% vol/50% vol respectivement de la première et deuxième zone."
II. Avec son mémoire de recours, la requérante a contesté la décision, demandé que le document D11 (SIMDIST Analysers - Global Analyser Solutions) soit écarté de la procédure de recours et soumis les documents suivants:
D16: ASTM D2887-13: "Standard Test Method for Boiling Range Distribution of Petroleum Fractions by Gas Chromatography";
D17: ASTM D6352-12: "Standard Test Method for Boiling Range Distribution of Petroleum Distillates in Boiling Range from 174 to 700°C by Gas Chromatography";
D18: ASTM D7500-12: "Standard Test Method for Determination of Boiling Range Distribution of Distillates and Lubricating Base Oils in Boiling Range from 100 to 735°C by Gas Chromatography";
D19: ASTM D7213-12: "Standard Test Method for Boiling Range Distribution of Petroleum Distillates in the Boiling Range from 100 to 615°C by Gas Chromatography";
D20: ASTM D7213-15 (Reapproved 2019): "Standard Test Method for Boiling Range Distribution of Petroleum Distillates in the Boiling Range from 100°C to 615°C by Gas Chromatography".
III. En réponse, l'opposante et intimée a fait valoir que l'invention revendiquée était insuffisamment décrite et demandé que les documents D11 et D12 ("Results of Proficiency Test Vacuum Gasoil", December 2015, Institute for Interlaboratory Studies) ne soient pas écartés de la procédure de recours.
IV. A la clôture des débats de l'audience du 9 juin 2022, la requérante a confirmé demander l'annulation de la décision contestée et demandé le renvoi de l'affaire pour examen du motif d'opposition selon l'article 100a) CBE ou, à titre subsidiaire, le maintien du brevet sous forme modifiée sur la base du jeu de revendications soumis le 5 octobre 2018.
L'intimée a demandé le rejet du recours et requis que l'examen ne soit pas limité au motif d'opposition selon l'article 100a) CBE en cas de renvoi de l'affaire.
1. Admissibilité des documents D11, D12, D16-D20 et autres moyens de preuve soumis avec les écrits des parties
1.1 D11 ayant non seulement été admis dans la procédure d'opposition mais également discuté dans la décision contestée, il n'y a aucune base légale pour l'écarter de la procédure de recours dont il fait partie intégrante au titre de l'article 12(2) RPCR 2020.
1.2 Le document D12 et les moyens de preuve supplémentaires soumis avec les écrits des parties n'étant pas pertinents - tel qu'expliqué ci-après - pour les questions relatives à la suffisance d'exposé de l'invention, leur admissibilité au vu de l'article 12(4) RPCR 2020 peut rester ouverte.
1.3 Les documents D16-D20 représentant des normes ASTM applicables aux charges hydrocarbonées selon le brevet, et ces normes étant en outre répertoriées à la figure 7 de D11, celles-ci sont étroitement liées au contenu de ce dernier, si bien que la chambre a décidé de ne pas les écarter de la procédure de recours (article 12(4) RPCR 2020).
2. Suffisance d'exposé de l'invention (article 83 CBE)
2.1 L'invention telle que revendiquée concerne un procédé d'hydrotraitement d'une charge hydrocarbonée contenant des composés azotés à une teneur supérieure à 150 ppm et présentant une température moyenne pondérée (ci-après TMP) comprise entre 250 et 380°C, et ledit procédé comportant des étapes bien définies.
2.2 Selon l'intimée, le procédé revendiqué ne répondrait pas aux exigences de l'article 83 CBE pour les raisons suivantes:
1. En l'absence de précision sur la méthode de distillation simulée (ci-après "méthode DS") nécessaire pour déterminer les points d'ébullition de la charge hydrocarbonée de départ et ainsi en déduire par calcul sa TMP, l'homme du métier se trouverait confronté à un effort excessif dans le choix de la méthode nécessaire à la détermination de ce paramètre de distillation.
2. Les méthodes DS connues de l'homme du métier produisant en outre des valeurs de TMP très variables, une même charge hydrocarbonée pourrait donc ne pas satisfaire aux conditions requises par la revendication 1, avec pour conséquence une telle imprécision sur le paramètre TMP que l'homme du métier ne serait pas en mesure de reproduire l'invention revendiquée.
3. Selon l'intimée, il serait en outre impossible de réaliser un gazole de très basse concentration en soufre avec une charge de départ ne contenant pas de gazole.
2.3 Concernant le point 1
2.3.1 La chambre note que le paramètre TMP est décrit au paragraphe [0028]) de la description comme étant calculé selon la formule: TMP = (T 5% + 2 x T 50% + 4 x T 70%)/7, avec les valeurs T 5%, T 50% et T 70% étant évaluées par distillation simulée (DS).
La chambre observe à cet égard que la méthode DS pour déterminer les points d'ébullition nécessaires au calcul de la TMP n'est certes définie ni dans la revendication, ni dans la description, il n'en est pas moins qu'il n'est pas contesté que le paramètre TMP était bien connu dans l'industrie pétrochimique et que la DS est couramment utilisée pour déterminer la distribution des points d'ébullition d'un mélange hydrocarboné donné. Il s'ensuit que l'homme du métier expert de l'industrie pétrochimique connaissait les méthodes DS existantes pour déterminer la distribution des points d'ébullition d'une charge hydrocarbonée, en particulier celles décrites dans D11, et plus particulièrement les 21 méthodes différentes définies à la figure 7, dont certaines sont d'ailleurs celles selon D16 à D20). Il est donc manifeste de ce qui précède que l'homme du métier était en mesure de mettre en oeuvre et d'appliquer ces différentes méthodes.
2.3.2 La chambre est par ailleurs d'avis que, même si ces méthodes bien connues de l'homme du métier diffèrent entre elles, les différences sont parfaitement identifiables et à la hauteur de l'homme du métier, car concernant soit le domaine d'application de chaque méthode, soit leurs conditions expérimentales ou encore le mode de calcul de la DS. Par conséquent, attendu que le domaine d'application de chacune de ces méthodes est clairement défini en terme de produits de départ et d'intervalles de distillation (voir D11 et D16-D20), et que d'autre part le brevet (paragraphes [0028], [0035] et [0037]) divulgue les types de charge préférées et leurs points d'ébullition (à savoir entre 150°C et 500°C, de préférence entre 80°C et 450°C), la chambre est convaincue que l'homme du métier était capable de choisir sans difficulté la méthode la plus apte à déterminer la distribution des points d'ébullition de la charge considérée.
2.3.3 On notera par ailleurs que des 21 méthodes identifiées à la Figure 7 de D11, l'homme du métier ne retiendra bien évidemment pas celles se rapportant aux coupes "gasoline", "gasoline + ethanol", "solvents, "petroleum wax", "crude oil", "crude petroleum", "crude oil and residues", puisque le brevet se restreint aux coupes "de type gazole". Il reste par conséquent 13 méthodes à prendre en considération, ce qui en aucun cas ne peut être considéré comme représentant un effort excessif que de les tester une à une. Et même si les méthodes DS prévoient parfois des conditions expérimentales différentes et posent quelques limitations supplémentaires, telles que l'absence de composés de bas poids moléculaire dans la charge analysée (paragraphe 1.2 des documents D17-D20), la condition principale de toutes les méthodes DS concerne l'intervalle de points d'ébullition de la charge analysée (voir paragraphe 1.1 de D16, D17, D19, D20 et 1.3 de D18 ainsi que la figure 7 de D11), si bien qu'en suivant l'enseignement du brevet et en mettant à profit ses connaissances générales, l'homme du métier était parfaitement capable de choisir une méthode DS en fonction du point d'ébullition initial et final de la charge à sa disposition, et contrairement à l'opinion de l'intimée, il n'était donc nullement nécessaire d'effectuer une analyse complète de la charge pour choisir la méthode à mettre en oeuvre.
2.3.4 La chambre ne peut en outre se joindre à l'argument soulevé à la procédure orale par l'intimée, selon lequel la TMP d'une charge hypothétique tombant sous le libellé de la revendication 1 et comprenant un mélange d'essence et de composés hydrocarbonés lourds ne serait pas calculable, car il n'existe pas de méthode DS pour déterminer une telle distribution de points d'ébullition.
La chambre observe toutefois que la revendication 1 concerne une méthode d'hydrotraitement de charges azotées et elle est donc limitée au traitement de telles charges susceptibles d'être ainsi traitées; or l'essence n'est pas supposée être traitée par hydrotraitement puisqu'elle l'est déjà. En outre, l'intimée n'a apporté aucune preuve que ladite charge hypothétique serait susceptible d'être ainsi traitée et encore moins que celle-ci présenterait un intervalle de points d'ébullition pour lequel aucune méthode DS connue ne serait applicable.
2.3.5 Il suit de ce qui précède que la chambre ne peut se joindre à la conclusion de l'intimée selon laquelle la multiplicité des charges hydrocarbonées et le nombre important de méthodes DS confronterait l'homme du métier à un effort excessif lors de la détermination d'une méthode DS adaptée à une charge hydrocarbonée donnée.
2.4 Concernant le point 2
2.4.1 La chambre concède que l'application de l'une ou l'autre des méthodes connues et/ou la mise en oeuvre des différentes conditions opératoires illustrées dans une même norme peuvent, en l'absence d'indication dans le brevet de la méthode DS à utiliser, avoir un impact substantiel sur la valeur du paramètre TMP calculé et conduire à des résultats divergents, avec pour conséquence une portée large pour la revendication incriminée.
Une telle conclusion n'est toutefois pas suffisante pour affecter la suffisance de description du paramètre en question, car chaque méthode DS connue est applicable à une charge donnée et chaque méthode DS peut par conséquent être mise en oeuvre et permettre le calcul d'une valeur TMP, si bien que l'invention est sans aucun doute possible reproductible (voir à cet égard la décision T 482/09, point 2.1 des motifs, qui concerne une revendication incluant le paramètre "viscosité" mais n'indique aucune méthode de mesure).
On notera au demeurant que l'intimée n'a en outre apporté aucune preuve étayant son affirmation selon laquelle l'objectif de l'invention ne serait pas atteint sur toute la portée de la revendication incriminée.
2.4.2 L'intimée s'est à cet égard référée à la décision
T 2096/12, dans laquelle l'épaisseur en tant que paramètre avait été jugé insuffisamment décrit du fait de l'absence de divulgation de la méthode utilisée pour mesurer ledit paramètre. La chambre ne peut se joindre à cette décision très particulière, car concernant un objet absorbant dont l'épaisseur dépendait non seulement de la forme et de la construction de l'objet, mais également de la pression appliquée sur l'absorbant, si bien que la méthode classique de mesure d'une épaisseur n'était plus nécessairement applicable, Par contre, dans l'affaire T 0482/09 susmentionnée qui concernait la viscosité d'une substance liquide, ou dans le cas d'espèce qui concerne la distribution des points d'ébullition d'une charge hydrocarbonée, ce sont des paramètres intrinsèques d'un produit qui sont déterminés à l'aide de méthodes standards connues, si bien que les raisons et conclusions ayant menées à la décision T 2096/12 ne sont pas applicables au cas présent.
2.4.3 A la procédure orale, l'intimée a également mentionné la décision T 1845/14, qui concerne un paramètre ambigu et dont les limites sont indiquées être essentielles pour résoudre le problème technique sous-tendant l'invention. Ce cas diffère du cas d'espèce, dans lequel le paramètre TMP n'est pas ambigu, puisque basé sur des méthodes connues et standardisées. En outre, le paramètre TMP n'est pas décrit dans le brevet comme essentiel pour la résolution du problème technique sous-jacent l'invention.
2.4.4 L'objection concernant l'ambiguïté résultant de l'étendue des résultats obtenus par l'application de l'une ou l'autre des différentes méthodes connues se limite donc à un problème lié aux valeurs limites de l'invention, et se réduit donc à un problème de clarté de la revendication, puisque concernant les bornes de celle-ci; elle ne saurait toutefois résulter d'une insuffisance de description, puisque l'invention est clairement reproductible, l'homme du métier ayant simplement à suivre les étapes mentionnées dans l'objet revendiqué pour la reproduire.
2.4.5 Il s'ensuit que les arguments présentés au regard de la reproductibilité des différentes méthodes DS et de la variation de la TMP calculée en fonction de la norme choisie ne sont pas pertinents pour la discussion de la suffisance d'exposé de l'invention revendiquée.
Concernant les moyens de preuve cités par la requérante, à savoir le tableau X2.1 de D20 et les résultats expérimentaux cités au point 2.4 du mémoire de recours, ainsi que ceux cités par l'intimée, à savoir le document D12 et les calculs de la TMP basés sur la page 54, et les données concernant la charge hydrocarbonée "Middle fraction Maya heavy crude oil" (pages 12 et 13 de la réponse au mémoire de recours), ceux-ci ne sont donc pas pertinents pour cette décision.
2.5 Concernant le point 3
2.5.1 L'intimée a fait valoir à la procédure orale que l'invention visait certes (paragraphe [0001]) la production d'un gazole désulfuré et désazoté, mais que cet objectif ne pouvait être obtenu lorsque la charge de départ ne comprend pas déjà du gazole, si bien que l'invention revendiquée ne serait pas exécutable sur toute sa portée.
2.5.2 La chambre note tout d'abord que cette allégation n'est étayée d'aucune preuve tangible. Ensuite, elle insiste sur le fait que la suffisance d'une invention se doit d'être évaluée en considérant le contenu global de la demande, et dans le cas d'espèce, la description du brevet (paragraphes [0028] et [0029]) confirme que l'invention revendiquée n'est pas limitée à l'utilisation d'un gazole comme charge de départ. En particulier la page 4, ligne 48, est libellée comme suit: "Dans la suite du texte, nous appellerons conventionnellement cette charge (la charge hydrocarbonée traitée) gazole, mais cette désignation n'a aucun caractère restrictif." La description qui suit (paragraphes [0038]-[0121]) expose par ailleurs clairement les étapes du procédé d'hydrotraitement revendiqué et regroupe ainsi tous les modes de réalisation prévus par la revendication 1. De plus, l'exemple (paragraphes [0122]-[0141]) illustre des modes spécifiques de réalisation de l'invention et l'hydrotraitement d'une charge hydrocarbonée gazole de distillation/LCO ayant une TMP telle que revendiquée.
Par conséquent, l'objection de l'intimée concerne plutôt une contradiction entre la revendication et une partie de la description, et donc un éventuel problème de clarté, mais en aucun cas la suffisance d'exposé de l'invention.
2.6 Il suit de ce qui précède que la chambre n'a pas été convaincue par les arguments de l'intimée, et en conclut que l'objection soulevée au titre des Articles 100 (b) et 83 CBE ne s'oppose pas au maintien du brevet tel que délivré.
3. Renvoi de l'affaire (Article 111(1) CBE et Article 11 RPCR 2020)
La décision attaquée et les écrits des parties traitant exclusivement de la suffisance d'exposé de l'invention, la chambre juge équitable de renvoyer l'affaire devant la division d'opposition pour permettre un débat sur les autres motifs qui pourraient s'opposer au maintien du brevet.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition pour suite à donner.