T 1895/21 (Alliage Aluminium-Cuivre-Lithium/Constellium) 17-05-2023
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PRODUITS EN ALLIAGE D'ALUMINIUM - CUIVRE - LITHIUM À PROPRIÉTÉS EN FATIGUE AMÉLIORÉES ET PROCÉDÉ DE SA PRODUCTION
Motifs d'opposition - exposé insuffisant (non)
Motifs d'opposition - non brevetable (non)
Priorité - (oui)
I. Le recours de l'opposante (requérante) concerne la décision de la division d'opposition rejetant l'opposition contre le brevet EP 3 080 317 B1. Les documents suivants cités dans la décision attaquée sont pertinents pour la présente décision.
D1 : WO 2015/086922 A2
D2 : WO 99/44719 A2
D4 : US 2012/0152415 A1
D7 : ASM Specialty Handbook, Aluminum and Aluminum
Alloys, ASM International 1993, pages 199-210
D8 : US 5 207 974 A
D13 : FR 2 757 422 A1
II. Avec le mémoire exposant les motifs de recours, la requérante a soumis le document suivant :
D14 : Déclaration de E. M. Willams
III. La revendication 1 du brevet attaqué est libellée comme suit :
"1. Procédé de fabrication d'une tôle, dont l'épaisseur est au moins 80 mm, en alliage d'aluminium comprenant les étapes dans lesquelles
(a) on élabore un bain de métal liquide en alliage d'aluminium comprenant, en % en poids, Cu : 2,0 - 6,0 ; Li : 0,5 - 2,0 ; Mg : 0- 1,0 ; Ag : 0 - 0,7; Zn 0 - 1,0 ; et au moins un élément choisi parmi Zr, Mn, Cr, Sc, Hf et Ti, la quantité dudit élément, s'il est choisi, étant de 0,05 à 0,20 % en poids pour Zr, 0,05 à 0,8 % en poids pour Mn, 0,05 à 0,3 % en poids pour Cr et pour Sc, 0,05 à 0,5 % en poids pour Hf et de 0,01 à 0,15 % en poids pour Ti, Si <= 0,1 ; Fe <= 0,1; autres <= 0,05 chacun et <= 0,15 au total,
(b) on coule ledit alliage par coulée semi-continue verticale pour obtenir une plaque d'épaisseur T et de largeur W de telle façon que, lors de la solidification,
- la teneur en hydrogène dudit bain de métal liquide (1) soit inférieure à 0,4 ml/100g,
- la teneur en oxygène mesurée au-dessus de la surface liquide (14, 15) soit inférieure à 0,5 % en volume,
- le distributeur utilisé (7) pour la coulée soit réalisé en tissu comprenant essentiellement du carbone, qu'il comprenne une face inférieure (76), une face supérieure définissant l'orifice par lequel le métal liquide est introduit (71) et une paroi de section substantiellement rectangulaire, la paroi comprenant deux parties longitudinales parallèles à la largeur W (720, 721) et deux parties transversales parallèles à l'épaisseur T (730,731) lesdites parties transversales et longitudinales étant formées d'au moins deux tissus, un premier tissu présentant des mailles de dimension inférieure à 0.5 mm et semi-rigide (77) assurant le maintien de la forme du distributeur pendant la coulée et un second tissu non obturant (78) permettant le passage et la filtration du liquide, lesdits premier et deuxième tissu étant liés l'un à l'autre sans recouvrement ou avec recouvrement et sans interstice les séparant, ledit premier tissu couvrant de façon continue au moins 30 % de la surface desdites parties de paroi (720,721, 730, 731) et étant positionné de manière à ce que la surface liquide soit en contact avec lui sur l'ensemble de la section,
(c) on homogénéise avant ou après avoir optionnellement usiné ladite plaque pour obtenir une plaque de laminage pouvant être déformée à chaud,
(d) on lamine à chaud et optionnellement à froid ladite plaque de laminage ainsi homogénéisée pour obtenir une tôle dont l'épaisseur est au moins 80 mm,
(e) on met en solution et on trempe ladite tôle,
(f) optionnellement on détensionne ladite tôle ainsi mise en solution par déformation plastique avec une déformation d'au moins 1 %,
(g) on fait subir un revenu à ladite tôle ainsi mise en solution et optionnellement détensionnée."
La revendication 10 du brevet attaqué est libellée comme suit :
"10. Tôle dont l'épaisseur est au moins 80 mm, susceptible d'être obtenue par le procédé selon une quelconque des revendications 1 à 9, en alliage d'aluminium comprenant, en % en poids, Cu : 2,0 - 6,0; Li : 0,5 - 2,0; Mg : 0- 1,0 ; Ag : 0 - 0,7 ; Zn 0 - 1,0 ; et au moins un élément choisi parmi Zr, Mn, Cr, Sc, Hf et Ti , la quantité dudit élément, s'il est choisi, étant de 0,05 à 0,20 % en poids pour Zr, 0,05 à 0,8 % en poids pour Mn, 0,05 à 0,3 % en poids pour Cr et pour Sc, 0,05 à 0,5 % en poids pour Hf et de 0,01 à 0,15 % en poids pour Ti, Si <= 0,1 ; Fe <= 0,1; autres <=0,05 chacun et <= 0,15 au total, caractérisé en ce que à l'état revenu sa moyenne logarithmique de fatigue mesurée à mi-épaisseur dans la direction TL sur éprouvettes lisses selon la Figure 1a à une contrainte d'amplitude maximale de 242 MPa, une fréquence de 50 Hz, un rapport de contrainte R = 0,1 est au moins 250000 cycles."
Les revendications 2 à 9 se rapportent directement ou indirectement à la revendication 1 et les revendications 11 à 16 se rapportent directement ou indirectement à la revendication 10.
IV. Les arguments de la requérante qui sont pertinents pour la présente décision peuvent être résumés comme suit.
L'invention ne peut pas être exécutée sur toute l'étendue de la revendication 1, car le brevet enseigne seulement une pompe ou un autre moyen d'aspiration et un gaz inerte pour l'obtention de la teneur en oxygène désirée. La revendication 1 n'étant pas limitée à ces moyens, l'enseignement est insuffisant pour la partie de la revendication couvrant d'autres méthodes pour l'obtention de la teneur en oxygène désirée.
La priorité n'est pas valablement revendiquée à cause de l'expression tôle. Ainsi, D1 constitue l'état de la technique selon l'article 54(3) CBE et détruit la nouveauté de la revendication 1.
En partant de D4 comme état de la technique le plus proche, le problème à résoudre peut seulement être considéré comme consistant à trouver une alternative. Les exemples du brevet ne permettent pas de conclure qu'il y a un avantage en termes de fatigue qui serait dû aux caractéristiques distinctives. L'épaisseur de la tôle et les limites en teneur d'hydrogène et d'oxygène, respectivement, sont arbitraires. Le distributeur est évident pour la personne du métier au vu de l'enseignement de D8 ou de D13 ou de D2.
V. Les arguments de l'intimée (titulaire du brevet) se reflètent dans les motifs ci-dessous.
VI. À la fin de la procédure orale du 17 mai 2023, les requêtes des parties étaient les suivantes :
La requérante (opposante) a demandé que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit révoqué.
L'intimée (titulaire du brevet) a demandé que le recours soit rejeté, alternativement que le brevet soit maintenu tel que modifié sur la base d'une des requêtes subsidiaires 1 à 3, soumises avec la réponse au recours.
Brevet tel que délivré (requête principale)
1. Article 100b) CBE
La chambre partage l'avis de la division d'opposition selon lequel l'objection au titre de l'article 100b) CBE ne s'oppose pas au maintien du brevet.
La revendication 1 concerne un procédé de fabrication d'une tôle en alliage d'aluminium. Ce produit peut être obtenu en mettant en oeuvre les étapes (a) à (e) et (g) de la revendication 1. Il n'est pas contesté que toutes ces étapes peuvent être mises en oeuvre par la personne du métier et qu'elle peut obtenir une tôle en alliage d'aluminium. Le fait que certaines étapes peuvent être exécutées de différentes façons ne s'oppose pas à la suffisance de description. Le but du procédé est d'obtenir une tôle, et non pas le réglage de la teneur en oxygène. Il suffit que le brevet décrive comment la teneur en oxygène peut être maintenue en dessous de 0,5 % en volume dans le contexte des étapes revendiquées. Cela est bien le cas à l'alinéa [0029].
2. Article 100a) ensemble article 54 CBE
La chambre ne peut pas suivre l'argumentation de la requérante selon laquelle D1 est un document au titre de l'article 54(3) CBE. Le brevet attaqué et D1 ont la même priorité et la même date de dépôt. Si la priorité n'est pas valablement revendiquée pour une partie X du brevet, alors elle ne l'est pas non plus pour cette partie X de D1. Cette partie X aurait donc la même date de dépôt pour le brevet que pour D1 et ne pourrait donc pas être antériorisée par D1. Cette conclusion est basée sur la jurisprudence de la priorité partielle, établie dans la décision G 1/15 (voir point 6 des motifs).
Par conséquent, D1 ne constitue pas un état de la technique au sens de l'article 54(3) CBE.
3. Article 100a) ensemble article 56 CBE
3.1 L'invention concerne les produits laminés alliages aluminium-cuivre-lithium et leurs procédés de fabrication (alinéa [0001]).
3.2 D4 est considéré comme l'état de la technique le plus proche. Les parties ne contestent pas que les caractéristiques distinctives vis-à-vis de l'objet de la revendication 1 du brevet sont les teneurs en hydrogène et oxygène ainsi que le distributeur. La chambre est d'accord avec l'intimée sur le fait que l'épaisseur de la tôle est aussi une caractéristique distinctive, car la revendication 1 définit à la première ligne que la tôle à fabriquer doit avoir une épaisseur d'au moins 80 mm. Il en résulte qu'à l'étape (d) de cette revendication, le terme "optionnellement" ne se rapporte pas au but "pour obtenir une tôle dont l'épaisseur est au moins 80 mm" et que l'obtention d'une tôle d'au moins 80 mm ne peut pas être facultative, mais constitue une partie du procédé revendiqué.
3.3 Le problème que le brevet propose de résoudre est de fournir un procédé simple menant à des tôles épaisses ayant des propriétés en fatigue améliorées (alinéa [0009]).
3.4 Il est proposé de résoudre le problème par un procédé selon la revendication 1, caractérisé en ce que la tôle a une épaisseur d'au moins 80 mm et que lors de la solidification, la teneur en hydrogène du bain de métal liquide est inférieure à 0,4 ml/100 g, la teneur en oxygène mesurée au-dessus de la surface liquide est inférieure à 0,5 % en volume et le distributeur utilisé pour la coulée est réalisé en tissu comprenant essentiellement du carbone et comprend une face inférieure, une face supérieure définissant l'orifice par lequel le métal liquide est introduit et une paroi de section substantiellement rectangulaire, la paroi comprenant deux parties longitudinales parallèles à la largeur W et deux parties transversales parallèles à l'épaisseur T, lesdites parties transversales et longitudinales étant formées d'au moins deux tissus, un premier tissu présentant des mailles de dimension inférieure à 0.5 mm et semi-rigide assurant le maintien de la forme du distributeur pendant la coulée, et un second tissu non obturant permettant le passage et la filtration du liquide, lesdits premier et deuxième tissus étant liés l'un à l'autre sans recouvrement ou avec recouvrement et sans interstice les séparant, ledit premier tissu couvrant de façon continue au moins 30 % de la surface desdites parties de paroi et étant positionné de manière à ce que la surface liquide soit en contact avec lui sur l'ensemble de la section.
3.5 La requérante conteste qu'il soit prouvé que le problème posé dans le brevet est effectivement résolu. C'est pourquoi, selon elle, le problème à résoudre était seulement de mettre en place un procédé alternatif.
La chambre ne peut pas suivre l'argumentation de la requérante.
En effet, il ressort du tableau 3 que les procédés selon la revendication 1 (essais 8 et 9) mènent à des tôles ayant de meilleures propriétés en termes de fatigue.
Il est vrai que pour les exemples 1 à 7, un mélange KCl/LiCl a été utilisé à la surface du métal liquide dans le four de fusion et que la présence de sel dans le four de fusion pourrait avoir dans certains cas un effet néfaste sur les propriétés en fatigue (alinéa [0026]). Cependant, il n'y a pas de preuve que cela ait bien été le cas pour les essais 1 à 7 du brevet. Nonobstant la question de savoir si D14 est à prendre en considération durant la procédure de recours (article 12(4) et (6) RPCR 2020), il n'y est pas indiqué que dans les essais 1 à 7, un tel effet négatif ait effectivement eu lieu. Cet effet se produit selon D14 si le sel se mélange avec l'alliage liquide (point 15 de D14). Cependant, cette affirmation ne permet pas de conclure qu'un tel mélange s'est produit dans les exemples 1 à 7 à un tel degré que les plus faibles performances en fatigue sont seulement dues à la présence du mélange KCl/LiCl. De plus, l'essai selon l'exemple 7, qui est conduit dans les conditions les moins favorables en ce qui concerne les concentrations d'oxygène (0,7 % en volume) et d'hydrogène (0,47 ml/100 g), mais pour lequel un distributeur B comme présent dans le procédé revendiqué a été utilisé, a quand même une moyenne logarithmique du nombre de cycles nettement plus élevée que les essais selon les exemples 1 à 6 conduits dans de meilleures conditions en hydrogène et oxygène, mais avec un distributeur A. Cette différence des résultats est une forte indication que le distributeur choisi dans le procédé a un effet sur les propriétés de fatigue du produit obtenu. Comme il n'y a pas d'exemple qui mette en cause cette conclusion, il est accepté que le problème posé est effectivement résolu.
Ainsi, il n'est pas nécessaire de redéfinir le problème de façon moins ambitieuse.
3.6 Il reste à déterminer si la solution proposée découle de façon évidente de l'état de la technique.
3.6.1 Même si on acceptait l'argumentation de la requérante que la réduction des teneurs en hydrogène (eu égard à l'enseignement de D7) et oxygène seraient des mesures classiques pour la personne du métier, il y a quand même toujours un effet lié au distributeur comme expliqué ci-dessus.
3.6.2 D8 divulgue un distributeur (figure 3) similaire au distributeur utilisé dans le procédé de la revendication 1 du brevet, à l'exception du tissu comprenant essentiellement du carbone et de la caractéristique "semi-rigide assurant le maintien de la forme du distributeur pendant la coulée". Cette dernière caractéristique ne découle pas de façon directe et non-ambiguë de D8 au vu de la divulgation à la colonne 12, lignes 12 à 18 et lignes 65 et 66, qui indique plutôt que la forme du distributeur est obtenue à l'aide de suspensions. En outre, il est divulgué à la colonne 15, ligne 66 que le distributeur est flexible même si aucune importance n'est attribuée à cette propriété.
La personne du métier essayant de résoudre le problème posé n'a pas de raison particulière de consulter D8. D8 ne mentionne pas les alliages aluminium-cuivre-lithium et ne concerne pas les propriétés en fatigue. Même si D8 divulgue la formation d'oxydes comme étant désavantageuse (colonne 4, lignes 25 à 28), D8 ne s'intéresse pas au problème de fatigue, mais concerne plutôt le début de la coulée (colonne 5, lignes 11 et 12, et colonne 18, lignes 32 à 37). En outre, D8 ne divulgue pas de tôles ayant une épaisseur de 80 mm. Il n'y a donc pas d'enseignement dans D8 qui permettrait de conclure que l'utilisation du distributeur de D8 dans les conditions spécifiques de D4 mènerait à une amélioration des propriétés du produit obtenu.
3.6.3 D2 et D13 divulguent aussi des distributeurs (D2 : p.ex. figure 2 ; D13 : figures 1 et 6), mais ne mentionnent pas non plus les alliages aluminium-cuivre-lithium et ne s'intéressent pas aux tôles ayant une épaisseur d'au moins 80 mm et aux propriétés de fatigue. Il n'y a donc pas de raison de consulter ces documents pour résoudre le problème posé. Mais même si la personne du métier consultait D2 ou D13, elle n'arriverait pas à un procédé selon la revendication 1 du brevet attaqué utilisant le distributeur qui y est spécifié. Les deux types de tissus du distributeur de D2 ne sont pas sans interstices les séparant et les parties transversales et longitudinales du distributeur de D13 ne sont pas toutes formées d'au moins deux tissus.
3.6.4 La solution au problème n'est donc pas évidente et l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive.
3.7 Des tôles dont l'épaisseur est d'au moins 80 mm et qui sont susceptibles d'être obtenues par le procédé examiné ci-dessus et ayant les propriétés de fatigue telles que revendiquées à la revendication 10 ne sont pas enseignées dans D4 et, comme indiqué ci-dessus, ne sont pas non plus divulguées dans les autres documents de l'état de la technique. L'objet de la revendication 10 implique donc aussi une activité inventive. La même chose vaut pour les revendications 2 à 9, qui se rapportent directement ou indirectement à la revendication 1, et les revendications 11 à 16, qui se rapportent directement ou indirectement à la revendication 10.
Par ces motifs, il est statué comme suit
Le recours est rejeté.