T 1049/92 10-11-1994
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Procédé de broyage fin de minéraux et broyeur pour la mise en oeuvre de ce procédé
Activité inventive (oui)
Remboursement de la taxe de recours (non)
I. Le présent recours vise à contester la décision datée du 18. septembre 1992 de la division d'examen, qui a rejeté la demande de brevet n 88 402 353.2 (numéro de publication EP-A-0 308 350) au motif que les objets des revendications de cette demande n'impliquent pas l'activité inventive requise par l'article 52, éclairé par l'article 56 de la CBE, devant l'enseignement fourni par les deux premiers documents de la liste suivante de l'art antérieur cité :
- FR-A-2 114 071 - ci-après "document FR" ;
- DE-A-3 525 936 - ci-après "document DE" ;
- US-A-1 396 711 - ci-après "document US" ;
- GB-A-688 165 - ci-après "document GB" ;
- DE-A-1 757 093
- DE-A-3 323 517
- Technologie des appareils de fragmentation et de classement dimensionnel, Tome 1, par E. C. Blanc (Edition Eyrolles, 1974), - ci-après "ouvrage technique".
II. Selon la décision ci-dessus contestée, le document DE décrit un broyeur à alimentation forcée, et l'amélioration apportée à un tel broyeur par la présente invention est suggérée par le document FR. En effet, cette dernière antériorité montre des cylindres de broyage arrangés en trio, le troisième cylindre étant disposé en-dessous du plan formé par les deux autres. La fente E entre les deux cylindres supérieurs est plus importante que les fentes entre le troisième cylindre et chacun des cylindres supérieurs. Par suite, la matière située entre les trois cylindres est maintenue sous pression. Dans tout système de broyage, les cylindres sont poussés élastiquement l'un vers l'autre, si bien que cette information fait implicitement partie du contenu du document FR.
III. La requérante (demanderesse) a formé recours le 2. novembre 1992 et acquitté la taxe correspondante. Le mémoire de recours a été reçu à la même date, accompagné d'un jeu de quatre revendications, ainsi que de pages complémentaires de l'ouvrage technique de E. C. Blanc.
En réponse à des notifications de la Chambre de recours, la requérante a fourni des observations et a déposé, le 8. octobre 1994, de nouvelles revendications 1 à 4 et les pages 1 à 3 modifiées de la description.
IV. Les deux revendications indépendantes 1 (procédé) et 4 (appareil) s'énoncent comme suit :
"1. Procédé de broyage fin de minéraux consistant à soumettre une couche de la matière à broyer à une compression entre deux cylindres à axes parallèles, tournant en sens inverses et poussés élastiquement l'un vers l'autre, en assurant une alimentation forcée des cylindres, caractérisé en ce que l'on maintien la matière broyée sous pression dans l'espace délimité par les cylindres (10, 12) immédiatement au-dessous du plan fictif (X - X) contenant les axes des cylindres."
"4. Broyeur pour la mise en oeuvre du procédé selon la revendication 1, 2 ou 3, comportant deux cylindres (10, 12) à axes horizontaux et parallèles, tournant en sens inverses et poussés élastiquement l'un vers l'autre, et des moyens permettant une alimentation forcée des cylindres, caractérisé en ce qu'il comporte, en outre, un rouleau (14) dont le diamètre est nettement inférieur à celui des cylindres et qui est placé sous les cylindres, parallèlement à ceux ci, et en ce que ledit rouleau est situé près du cylindre tournant dans le même sens que lui et poussé par des moyens élastiques vers l'autre cylindre, de façon à fermer vers le bas l'espace délimité par les deux cylindres immédiatement au-dessous du plan contenant leurs axes et à exercer une pression sur la matière broyée passant entre cet autre cylindre et le rouleau, ce passage à section réduite constituant la seule sortie pour la matière broyée confinée dans ledit espace."
V. Les arguments de la requérante peuvent se résumer de la façon suivante :
L'affirmation de la décision contestée, selon laquelle la partie caractérisante de la revendication 1 est connue du document FR, ne peut être tenue pour exacte. La division d'examen s'est en effet appuyée sur une interprétation du document FR effectuée pour les besoins de son argumentation. Ce document FR décrit un broyeur classique et non un broyeur à alimentation forcée, si bien que l'une des conditions de la présente invention n'est pas remplie. Ensuite, la présence de deux intervalles au niveau du cylindre inférieur révèle que l'espace au- dessus de ce cylindre n'est pas rempli. La matière dans cette espace n'est, par conséquent, pas mise sous pression.
Le document DE décrit un broyage à alimentation forcée, mais la seconde condition, à savoir la fermeture de l'espace sous les cylindres broyeurs, n'y est pas enseignée puisque la section du passage laissé par les couteaux est égale à au moins deux fois la section réduite du ruban de matière broyée sortant des cylindres de broyage.
Le simple fait de fermer l'espace en-dessous des cylindres broyeurs ne suffit pas pour affirmer que la matière broyée est sous pression. Par suite, les documents US et GB, qui enseignent des moyens fermant en partie cet espace, ne peuvent suggérer la présente invention.
VI. La requérante demande :
- l'annulation de la décision contestée et la délivrance d'un brevet sur la base des revendications 1 à 4 déposées le 8 octobre 1994, ou bien le renvoi de la demande à la première instance ; - le remboursement de la taxe de recours.
1. Le recours est recevable.
2. Dans les nouvelles revendications, seule la revendication indépendante 4 d'appareil a été modifiée, pour y faire apparaître clairement la présence de "moyens permettant une alimentation forcée des cylindres", le diamètre nettement inférieur du rouleau situé sous les deux cylindres broyeurs, et la disposition de ce rouleau en vue de laisser un intervalle de passage réduit. Toutes les nouvelles caractéristiques sont supportées par la description et les figures. Il s'ensuit que les revendications sont conformes à l'article 123(2) CBE.
3. Le broyeur, objet de la demande rejetée, appartient à une catégorie particulière de machines de fragmentation, car il est basé sur le procédé de broyage à alimentation forcée. Selon l'ouvrage technique de E.C. Blanc, ce procédé se caractérise en ce qu'on règle les cylindres lisses de broyage pratiquement au contact l'un de l'autre et qu'on alimente le broyeur au rythme de 3 à 5 fois de ruban théorique qui en résulterait. La matière, ainsi forcée entre les cylindres, provoque leur écartement, au prix d'une surcharge de la pression des ressorts. Il y a alors compactage et auto-broyage au sein de la couche de matière, permettant d'obtenir un grand pourcentage d'éléments nettement plus fins qu'avec les systèmes classiques.
Parmi les documents cités, deux correspondent à ce type de broyeurs, à savoir DE-A-1 757 093 et le "document DE". Ce dernier constitue l'art antérieur le plus proche de la présente invention, car outre le procédé ci-dessus décrit, il enseigne la présence de deux couteaux inclinés, placés en vis-à-vis l'un de l'autre à la sortie de la fente de séparation des deux cylindres de broyage. Ces couteaux sont destinés à écarter de la masse du ruban de matière broyée sortant les films d'eau disposés à la surface de cette masse. La description de ce document DE précise que ces couteaux limitent l'ouverture de sortie de la fente des cylindres.
4. Le procédé selon la revendication 1 de la demande de brevet rejetée est caractérisé en ce que, dans l'espace immédiatement en dessous des cylindres, donc à la sortie de la fente entre les cylindres, la matière broyée est maintenue sous pression. Cette dernière caractéristique de l'invention est définie sous forme d'un résultat recherché, avec, en plus, la simple mention de la présente d'une pression, sans aucune indication de valeurs précises.
Contrairement à l'avis de la requérante, il n'est pas nécessaire qu'un résultat recherché soit expressément divulgué ou suggéré dans un document pour détruire la nouveauté de, ou l'activité inventive impliquée par ce résultat. Lorsqu'une caractéristique est énoncée sous forme de résultat, il convient de s'interroger sur les moyens d'obtenir ce résultat afin de déterminer si de tels moyens n'existent pas dans l'art antérieur ou n'y sont pas suggérés. De même qu'un demandeur peut tenter d'utiliser des paramètres inusités pour dissimuler un manque de nouveauté, il peut aussi tenter de définir des caractéristiques par un résultat, apparemment nouveau uniquement par sa formulation. De telles caractéristiques doivent, donc, être examinées avec circonspection. La Chambre reste très réservée sur l'affirmation de la requérante, selon laquelle un technicien, fût-il un spécialiste du broyage, est capable de savoir (avec précision !) ce que signifie "maintenir la matière broyée sous pression", lorsqu'aucune valeur minimale de pression n'est, pour le moins, donnée.
5. Or, la description de la demande en cause indique qu'un moyen de créer cette pression consiste à fermer ledit espace vers le bas par un barrage de façon à ne laisser subsister qu'un passage de section réduite pour la sortie des produits broyés. Ce libellé donne l'impression que tout passage réduit, donc obstrué par un objet quelconque, suffit à satisfaire le résultat escompté. Il ressort, toutefois, des explications de la requérante que les termes "section réduite" doivent être compris par rapport à la section du ruban de sortie de la matière broyée. Une telle interprétation est soutenue par la description (colonne 1, ligne 47, "fente étroite pour la sortie des produits broyés") et la figure de la demande en cause.
6. Dans le broyeur selon le document DE, les espaces laissés entre les couteaux en vis-à-vis et entre les couteaux et les cylindres ne peuvent constituer un passage de section réduite selon l'interprétation ci-dessus. Par suite, le résultat recherché n'est pas atteint et l'objet de la revendication 1 est bien nouveau.
Le broyeur selon la revendication 4 est, lui aussi, visiblement nouveau vis-à-vis de cet art antérieur le plus proche, qui ne divulgue, entre autres, aucun rouleau dans l'espace en-dessous des cylindres.
L'exigence de nouveauté selon l'article 52 CBE est, donc, bien respectée.
7. Selon la description de la demande en cause, les solutions apportées par les parties caractérisantes des revendications 1 et 4 visent à éviter la formation d'agglomérats dans la matière à broyer qui est soumise à de très fortes pressions lors du broyage. Jusqu'ici, cet inconvénient était combattu par l'emploi de produits anti-agglomérants, - une solution en soi coûteuse.
Toutefois, comme l'a expliqué la requérante, les caractéristiques nouvelles des revendications 1 et 4, mentionnées dans les parties caractérisantes de ces revendications, ne suffisent pas, en elles-mêmes, à résoudre le problème ci-dessus. La solution réside, en effet, dans la combinaison de ces caractéristiques nouvelles avec l'alimentation forcée propre à ce type de broyeurs. En effet, l'alimentation forcée permet de former un "bouchon" sous la forme d'une couche de matière mobile comprimée dans l'espace entre les cylindres, donc à l'entrée de l'espace sous les cylindres, tandis que les caractéristiques nouvelles des revendications assurent la présence d'un "bouchon" à la sortie de cet espace, et ce sont ces deux "bouchons" qui permettent de maintenir une pression à l'intérieur de la matière broyée confinée dans l'espace. La matière subit des pressions dans plusieurs directions, et la formation d'agglomérats est ainsi combattue.
La solution selon la présente invention est, donc, le résultat d'une combinaison de moyens.
8. Il convient de voir si une telle combinaison est suggérée par l'art antérieur :
8.1. Le document FR, mentionné dans la décision contestée, concerne un broyeur de type classique, c'est-à-dire avec un écartement donné des cylindres de broyage afin de réduire à une dimension correspondante les produits à broyer. La description de cet art antérieur mentionne, en effet, un broyage de gâteaux provenant d'un four, ainsi qu'un intervalle déterminé de pincement E des cylindres qui n'est pas négligeable sur les figures. Aucune alimentation forcée n'est prévue, puisque les gâteaux sont simplement approvisionnés sur les cylindres par l'intermédiaire d'un lit d'étendage. Par conséquent, le broyeur selon ce document FR ne comporte pas une des caractéristiques de la combinaison de moyens selon les revendications 1 et 4 de la demande, d'après lesquelles une alimentation forcée des cylindres doit être assurée.
Ce document, par ailleurs, ne traite guère du problème de la formation d'agglomérats, voire même de la consistance des matières broyées. Un tel problème, en fait, ne se pose pas dans le broyeur selon ce document puisqu'il est destiné à concasser des gâteaux de matière en fragments de dimensions données. Cet art antérieur veut éliminer la poussière et la solution consiste à évacuer les éléments fins par un système de ventilation. Le but visé par ce document et sa solution sont, donc, très éloignés de la présente invention.
L'homme du métier, confronté au problème de la présente invention, n'a, par suite, aucune raison de considérer ce document, qui même s'il fait partie du même domaine technique, concerne un type de broyeur différent. Pour ces raisons, l'affirmation de la division d'examen, selon laquelle la combinaison du contenu des documents DE et FR n'est que routine, ne peut être partagée par la Chambre. Dans sa motivation, la division d'examen ne semble pas avoir tenu compte du caractère particulier "à alimentation forcée" du broyeur selon la présente invention.
8.2. Dans ces conditions, il importe peu de savoir si le troisième cylindre, montré à la figure 3 de ce document et situé dans l'espace juste en-dessous de la fente entre les deux cylindres supérieurs, crée ou non un passage de section réduite pour les matières broyées.
8.3. Les mêmes raisons s'appliquent aux documents US et GB, du fait qu'eux aussi ne concernent pas des broyeurs à alimentation forcée et n'abordent pas le problème de la formation d'agglomérats. Certes, ces documents enseignent la présence de moyens, à savoir, respectivement, une barre de fragmentation et un dispositif de guidage, situés juste à la sortie de la fente entre les cylindres broyeurs et créant de ce fait un passage de section réduite, mais cet enseignement ne constitue pas une suggestion de la combinaison de moyens revendiquée par la présente invention.
8.4. De ce fait, les objets des revendications 1 et 4 impliquent une activité inventive et sont, donc, brevetables. Les revendications dépendantes 2 et 3 de procédé, qui soit précisent la revendication 1 soit révèlent une étape supplémentaire du procédé, sont brevetables en raison de leur dépendance.
9. La Chambre ne peut guère partager la critique exprimée par la requérante dans son mémoire et selon laquelle la division d'examen n'avait pas le droit d'interpréter le document FR en corrigeant la direction erronée d'une flèche indiquant le sens de rotation d'un cylindre sur la figure 3 de ce document et ne pouvait, par suite, fonder sa décision sur un document falsifié. Il appartient, bien au contraire, à la division d'examen de lire un document avec les yeux d'un homme du métier et de corriger une erreur de ce document, lorsque cette erreur est évidente, comme c'était le cas en l'espèce.
10. La règle 67 CBE n'envisage de remboursement de la taxe de recours que si, entre autres, un vice substantiel de procédure a eu lieu.
Une erreur d'interprétation d'un document ne constitue pas un vice de procédure, voir à ce sujet les décisions des Chambres de recours T 162/87, JO OEB 1987, 333, et T 19/87, JO OEB 1988, 143, cette dernière décision étant simplement citée par analogie.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision de la première instance est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la première instance pour délivrance d'un brevet sur la base des documents suivants :
a) revendications 1 à 4, reçues le 8 octobre 1994,
b) description :
- pages 1 à 3, reçues le 8 octobre 1994,
- texte publié de la demande, colonne 2 à partir de la ligne 34 incluse ("mise en charge ...") et colonne 3 jusqu'à la ligne 6 incluse.
c) figure, telle que publiée.
3. La requête en remboursement de la taxe de recours est rejetée.