T 0840/09 19-07-2011
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Procédé d'homogénéisation haute pression d'une émulsion à base de lait
I. Le brevet européen nº 1 464 230 au nom de la Compagnie Gervais Danone, se fondant sur la demande européenne nº 0 4290886.3, déposée le 2 avril 2004 et revendiquant la priorité française du 4 avril 2003 (FR 0304203) a été délivré le 21 juin 2006 (Bulletin 2006/25).
II. Une opposition conjointe a été formée contre ce brevet par Unilever PLC et Unilever NV. Les opposants ont requis la révocation complète du brevet en application de l'Article 100(a) CBE, pour défaut de nouveauté et d'activité inventive, et de l'Article 100(c) CBE.
Les documents suivants ont, entre autres, été cités au cours de la procédure d'opposition:
D1a: WO 00/01246; et
D3 : M.G. Hayes et al, "Influence of high pressure homogenisation on some characteristics of ice cream", Milchwissenschaft, 58 (9/10), 2003, 519-523.
III. D'après la décision intermédiaire rendue par la division d'opposition à la fin de la procédure orale tenue le 25 novembre 2008 et notifiée par écrit le 3 février 2009 le brevet tel que modifié selon la requête principale (incluant les revendications 1-8 fournies avec les écritures du 23 octobre 2008 et les revendications 9-13 avec celles du 22 octobre 2007) et l'invention qui en constitue l'objet satisfont aux conditions énoncées dans la CBE.
Le libellé de la revendication 1, seule revendication indépendante, s'énonce comme suit:
"1. Procédé de fabrication d'un produit fermenté comportant, avant sa fermentation, une étape d'homogénéisation haute pression d'une émulsion à base de lait, caractérisé en ce que la pression d'homogénéisation P est supérieure à 400 bars et inférieure à 2000 bars, en ce que la quantité totale de matière grasse dans l'émulsion est compris entre 2% et 10% en poids et en ce que la quantité totale de matières protéinées est compris entre 2% et 5% en poids et notamment entre 4% et 5% en poids, et en ce qu'il comporte:
-un préchauffage de l'émulsion à une première température T1 inférieure à 90ºC,
-ladite homogénéisation, au cours de laquelle l'émulsion est portée à une température de sortie T2 > T1,
-un chambrage à une température sensiblement égale à T2
-un pré-refroidissement à une température T3 < T1, suivi de ladite fermentation."
La division d'opposition a considéré que l'objet de la revendication 1 telle que modifiée satisfaisait aux exigences de l'Article 123(2) CBE. Elle a aussi considéré que l'objet revendiqué était nouveau et impliquait une activité inventive au vu des documents cités. Toutefois elle a considéré que la priorité n'était pas valablement revendiquée et que c'est la date de dépôt de la demande, à savoir le 2 avril 2004, qui devait être considérée au sens de l'Article 54(2) et (3) CBE. Elle a donc conclu que le document D3, publié en 2003, faisait partie de l'art antérieur au sens de l'Article 54(2) CBE. Néanmoins, même si D3 était considéré comme état de la technique le plus proche et non pas D1a, le procédé revendiqué était considéré nouveau et inventif.
IV. Le titulaire du brevet, seul requérant, a introduit un recours contre la décision de la division d'opposition le 10 avril 2009 en demandant :
1. de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a rejeté l'opposition et maintenu le brevet sous forme modifiée conformément à sa requête principale ;
2. de l'infirmer en ce qu'elle a considéré la revendication de priorité non valable ;
3. de reconnaître au contraire que les revendications du brevet EP 1 464 230 tel que maintenu bénéficient de la priorité de la demande française FR 0 304 203.
La taxe de recours a été payée le même jour.
Le mémoire de recours a été reçu le 12 juin 2009. Le requérant titulaire a présenté ses arguments concernant la recevabilité de son recours et la validité de la priorité.
V. Dans la lettre en réponse datée du 10 août 2009 les intimés (opposants) ont contesté les arguments du requérant et ont requis le rejet du recours comme irrecevable.
VI. Par sa notification datée du 23 décembre 2010 la chambre a porté à la connaissance des parties son opinion provisoire selon laquelle le recours était irrecevable.
VII. Avec sa lettre datée du 19 mai 2011, le requérant a présenté des arguments supplémentaires concernant la recevabilité du recours. Il a aussi retiré sa requête visant à la tenue d'une procédure orale et a requis une décision par écrit.
VIII. Avec leur lettre du 8 juin 2011 les intimés ont également retiré leur requête relative à la tenue d'une procédure orale et ont requis une décision en l'état du dossier.
IX. La procédure orale a eu lieu devant la chambre de recours le 19 juillet 2011 en l'absence des parties.
X. Les arguments du requérant (titulaire du brevet) quant à la recevabilité du recours présentés par écrit peuvent être résumés comme suit:
i) Le recours est recevable. La décision selon laquelle les revendications du brevet ne bénéficient que de la date de dépôt de la demande fait grief au requérant. Une telle décision rend opposables tous les documents publiés entre la date de priorité et la date de dépôt effectif, ainsi que les divulgations, utilisations publiques, etc. ayant pu avoir lieu pendant cette même période. Il ne serait donc pas conforme à l'esprit, ni à la lettre, de l'Article 107 CBE que le requérant ne puisse pas faire examiner ses arguments à ce sujet par une chambre de recours.
ii) La décision T 84/02, à laquelle se réfèrent les intimés et la chambre, et qui considère un recours dont l'objet exclusif est de voir reconnaître le droit de priorité comme étant irrecevable, n'est pas un "arrêt de principe" et peut dès lors être critiquée. D'une part la jurisprudence contient une contradiction sur ce point (voir T 73/88; page 2 de l'exergue et point 1.3 de motifs) et d'autre part elle est contraire à l'équilibre entre les parties.
XI. Les arguments des intimés (opposants) présentés par écrit peuvent être résumés comme suit:
- Le recours du titulaire est irrecevable. La division d'opposition en maintenant le brevet sur la base des revendications 1-13, requête principale du titulaire, a fait droit à ses prétentions selon l'Article 107 CBE. Le fait que la priorité n'a pas été reconnue par la division d'opposition n'a pas fait grief au requérant. L'objet revendiqué est considéré inventif au vu de la divulgation du document D3, ce document faisant désormais partie de l'état de la technique selon l'Article 54(2) CBE.
- L'intention réelle du requérant n'est pas de modifier la décision mais de modifier les motifs de cette décision, ce qui rend son recours irrecevable (voir T 84/02 et T 73/88).
- Concernant la non validité de la priorité les intimés font référence aux arguments présentés au cours de la procédure devant la division d'opposition.
XII. Le requérant (titulaire du brevet) a demandé, en conclusion,
- de déclarer le recours recevable;
- de le déclarer fondé ; et
- de réformer la décision de la division d'opposition mais uniquement en ce qu'elle a considéré que la revendication 1 ne revendique pas valablement la priorité de la demande prioritaire.
Les intimés (opposants) ont demandé le rejet du recours comme irrecevable.
Recevabilité du recours - Article 107 CBE
1. Le présent recours a pour objet non pas une modification de la décision contestée en soi, mais uniquement de voir reconnaitre au requérant titulaire du brevet en question le droit de priorité fondé sur la demande de brevet français no 0304203.
2. Par ladite décision la division d'opposition a établi que le brevet en question tel que modifié selon la requête principale du requérant titulaire satisfait aux conditions de la CBE (et peut donc être maintenu, pour autant que les conditions prévues par le règlement d'exécution soient remplies - Article 101(3) (a) CBE). La division d'opposition a motivé sa décision et parmi les motifs relatifs à la nouveauté elle a considéré que le brevet ne pouvait pas se prévaloir de la priorité du 4 avril 2003 du dépôt de la demande française FR 0304203.
3. Toutefois, cette considération de la division d'opposition n'a pas fait obstacle à ce que la décision soit rendue en pleine conformité avec la requête (principale) du titulaire (requérant) et elle ne figure pas dans le dispositif de la décision. Elle constitue simplement un motif qui en soi n'est pas revêtu de l'autorité de la chose jugée et ne lie aucune juridiction nationale. Contrairement à l'argument du requérant (point VIII. i), ci-dessus) il ne s'agit donc pas d'une "décision qui rend opposables tous les documents publiés entre la date de priorité et la date de dépôt effectif, ainsi que les divulgations, utilisations publiques, etc. ayant pu avoir lieu pendant cette même période", mais d'un raisonnement au soutien de la décision qui en elle-même a fait droit, dans le cadre d'une décision intermédiaire, à l'intégralité de la requête (principale) du titulaire du brevet telle qu'elle a été soumise à la division d'opposition.
4. En conformité avec la jurisprudence constante des chambres de recours (parmi de nombreuses décisions, voir T 84/02) un tel motif, même s'il est défavorable au titulaire de brevet, ne lui fait pas grief et, par conséquent ne peut être remis en cause à la base de l'Article 107 CBE.
5. Le requérant a fait référence à la décision T 73/88, où on peut lire:
"Toutefois, dans le cas où un opposant forme un recours, le titulaire du brevet qui souhaite contester le bien-fondé des objections de la division d'opposition [en l'occurrence contre les objections soulevées à l'encontre de sa revendication de priorité, comme dans le cas présent] doit, par voie de recours incident, exposer ses arguments dans les observations qu'il présente en réponse au mémoire de recours".
Il a argué que cette phrase démontre que la question de la validité de la priorité est une prétention du titulaire du brevet, puisqu'elle peut faire l'objet d'un recours incident et que la reconnaissance ou non dudit droit est une décision quant au fond relative à une prétention du titulaire et non pas un simple motif de décision. La décision T 84/02 citée par les opposants et par la chambre de recours et la décision T 73/88 contiennent donc une contradiction et elles sont de plus contraires à l'équilibre entre les paries.
La chambre, en admettant que l'expression "par voie de recours incident" s'insère mal dans le régime des recours de la CBE, observe que la phrase citée vise les moyens de défense du titulaire dans le cas où un recours (recevable) est formé par l'opposant. Elle ne porte pas sur les exigences de l'article 107 CBE quant à un recours formé par le titulaire du brevet et, par conséquent, elle ne conforte pas l'argumentation du titulaire en l'espèce.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est irrecevable.