T 0089/15 (Agent dégraissant/ROQUETTE) 05-05-2017
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Procédé pour le traitement de surface d'une matière métallique
Nouveauté - nouveauté de l'utilisation
Nouveauté - deuxième (ou autre) application non thérapeutique
Activité inventive - alternative non évidente
Possibilité d'exécuter l'invention - exposé de l'invention permettant sa mise en oeuvre (oui)
Modifications - extension au-delà du contenu de la demande telle que déposée (non)
I. Les présents recours font suite à la décision intermédiaire de la division d'opposition de maintenir le brevet européen n° 1 879 687 sur la base d'un jeu de revendications modifié.
II. Avec son mémoire de recours daté du 23 mars 2015, la titulaire du brevet (requérante I) a contesté le bien-fondé de la décision et soumis quatre nouveaux jeux de revendications. En outre, elle a demandé que les documents D8 (US 2002/0192173 A1) et D9 (US 2002/0174596 A1) soient exclus de la procédure de recours.
III. Dans son mémoire de recours, l'opposante (requérante II) a fait valoir que l'objet de l'invention tel que maintenu par la division d'opposition contrevenait aux dispositions des Articles 123(2) et (3), 83, 54 et 56 CBE.
IV. Elle a en particulier soutenu que l'objet revendiqué n'était pas suffisamment divulgué, les conditions nécessaires pour dégraisser un produit faisant défaut.
En outre, l'objet revendiqué présenterait un défaut de nouveauté par rapport au contenu de chacun des documents D1 (GB 2139496 A) et D9, ainsi qu'un défaut d'activité inventive par rapport au contenu de
D3 (US 6 524 604 B1) pris en combinaison avec celui de l'un ou l'autre des documents D2 (US 5 843 194 A),
D4 (US 5 258 070 A), D6 (US 5 609 693 A),
D7 (WO 97/47199 A1), D8, D9 et D10 (US 4 770 871 A).
V. En réponse à l'opinion préliminaire de la chambre, la requérante I a déposé deux nouvelles requêtes principale et auxiliaire en remplacement des requêtes préalablement au dossier.
La requérante II a déclaré qu'elle n'assisterait pas à la procédure orale mais qu'elle maintenait ses arguments produits par écrit.
VI. A l'audience du 5 mai 2017, le débat s'est concentré sur l'admissibilité de l'invention revendiquée au titre des articles 123(2) et (3), 54 et 56 CBE. La requérante I a retiré la requête principale et remplacé celle-ci par la requête auxiliaire, dont la revendication 1 est libellée comme suit:
"1. Utilisation d'un éther de dianhydrohexitol (Composé A), dans une composition de traitement de surface, pour le dégraissage de la surface d'une matière autre que le corps humain choisie parmi les matières métalliques, par la mise en contact de ladite matière avec ladite composition."
Les revendications 2 à 10 sont dépendantes de la revendication 1 et concernent des modes préférés de l'utilisation revendiquée.
VII. A la clôture des débats, les requêtes des parties étaient les suivantes:
La requérante I (titulaire) a demandé l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sur la base de la requête principale soumise en tant que requête auxiliaire en date du 5 avril 2017.
La requérante II (opposante) a demandé par écrit l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
1. Admissibilité de la requête principale
1.1 La requérante I ayant soumis l'actuelle requête principale après fixation de la date de procédure orale, la chambre se doit d'exercer son pouvoir d'appréciation pour décider de son admissibilité dans la procédure de recours (Article 13(1) et (3) du règlement de procédure des chambres de recours (RPCR)).
1.2 Pour la chambre, la restriction de l'utilisation du composé (A) pour le dégraissage des matières métalliques venant en réponse aux objections soulevées par la chambre et les modifications proposées ne présentant aucun degré de complexité, la requête principale est manifestement admissible.
2. Recevabilité des documents D7 à D10
2.1 La division d'opposition ayant fait usage de son pouvoir discrétionnaire en admettant les documents D8 et D9 dans la procédure, la chambre ne peut annuler cette décision que si elle arrive à la conclusion que le pouvoir discrétionnaire a été exercé sur la base de principes erronés ou de manière déraisonnable (G 7/93, JO OEB 1994, 775, point 2.6; T 640/91, JO OEB 1994, 918, point 6.3).
2.2 Dans le cas d'espèce, la division d'opposition ayant fait usage du critère de la pertinence de prime abord imposé par la jurisprudence puisque, tel qu'indiqué en page 11 de sa décision, elle a tenu compte du contenu des documents D8 et D9 dans son analyse de la nouveauté et de l'activité inventive des requêtes sous-tendant la décision, la décision d'admettre D8 et D9 ne résulte par conséquent pas de l'application d'un critère d'appréciation erroné ou d'un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire, si bien que D8 et D9 font partie de la procédure de recours.
2.3 La requérante II n'ayant présenté aucun argument en faveur de la recevabilité des documents D7 et D10, la décision de la division d'opposition de ne pas admettre ces documents fait donc foi et ces deux documents ne font pas partie de la procédure de recours.
3. Modifications - Article 123(2)(3)CBE
3.1 L'objet de la revendication 1 découle directement et sans équivoque de la revendication 1 telle que déposée, qui décrit un procédé de traitement de surface d'une matière métallique ou fibreuse avec une composition comprenant au moins un éther de dianhydrohexitol, et de l'exemple 1, qui décrit spécifiquement l'utilisation de tels éthers pour le dégraissage de tôles d'acier. Le dégraissage d'une matière métallique ou fibreuse est en outre décrit en page 5, lignes 26 à 31 de la demande telle que déposée.
La chambre ne partage, à cet égard, pas l'avis de la requérante II selon lequel deux choix parmi deux listes auraient été nécessaires pour parvenir à l'objet revendiqué, car le seul exemple de la demande telle que déposée traitant du dégraissage - à savoir l'exemple 1 - se limite au dégraissage de tôles d'acier, c'est-à-dire de surfaces métalliques, et donc deux choix pour arriver à l'objet revendiqué ne sont pas nécessaires, puisque les surfaces métalliques sont préférées pour ce type de traitement.
3.2 L'objet des revendications dépendantes 2 à 10 découle pour sa part directement et sans équivoque des revendications dépendantes 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 13 et 14, ce qui n'a pas été contesté.
3.3 La caractéristique "de la surface", omise des revendications sous-tendant la décision de première instance, ayant été réincorporée dans l'objet revendiqué, et la revendication 1 contenant tous les caractéristiques de la revendication 15 telle que délivrée, la protection conférée par la revendication 1 de la requête principale ne s'étend plus au-delà de celle conférée par le brevet, tel qu'objecté par la requérante II.
3.4 De ce qui précède, il s'ensuit que l'objet revendiqué satisfait aux exigences des l'Article 123(2) et (3) CBE.
4. Exposé de l'invention - Article 83 CBE
4.1 Il est de jurisprudence constante qu'une invention est considérée comme suffisamment exposée dès lors que l'homme du métier est mis en mesure de l'exécuter dans toute sa portée telle que revendiquée.
4.2 À cet égard, le fascicule de brevet décrit, en particulier dans son exemple 1, différentes compositions de dégraissage de tôles d'acier conformes au libellé de la revendication 1.
En outre, et contrairement à l'avis de la requérante II, l'homme du métier sait parfaitement mettre en oeuvre une telle composition de dégraissage par simple mise en contact de la matière métallique avec la composition. Une telle opération faisant partie des opérations courantes de la vie quotidienne de chaque individu, il ne saurait être question de mettre en doute la mise en application de l'invention revendiquée.
4.3 La chambre ne peut en outre suivre l'argument de la requérante II, selon lequel la description ne décrirait aucune méthode de détermination du taux de dégraissage des surfaces traitées. Les paragraphes [0073] à [0076] décrivent en effet une telle méthode, et plus particulièrement qu'une tôle est considérée comme dégraissée en l'"absence visible de corps gras". La détermination de l'absence visible de corps gras fait également partie des compétences de l'homme du métier.
4.4 De ce qui précède, il s'ensuit qu'il n'a pas été prouvé que le brevet présente un défaut d'information d'une telle ampleur que l'homme du métier ne soit en mesure d'exécuter l'invention dans toute sa portée telle que revendiquée, et que son contenu soit par conséquent contraire aux exigences de l'Article 83 CBE.
5. Nouveauté - Article 54 CBE
La requérante II a cité D1 et D9 comme détruisant la nouveauté de l'objet de la revendication 1.
5.1 Le document D1 décrit une composition anti-perspirante comprenant le composé (A). Une utilisation de celle-ci ou du composé (A) pour le dégraissage d'une matière métallique n'y est pas divulguée.
Contrairement à l'argument avancé par la requérante II, le fait que cette composition soit préparée dans un récipient en acier inoxydable ne peut être assimilé à une opération de dégraissage, le document D1 étant muet aussi bien sur la présence d'une couche graisseuse en surface que sur l'état de surface dudit récipient après sa vidange.
5.2 D9 décrit certes un composé (A) et son utilisation comme additif détergent pour l'essence, mais pas son utilisation dans une opération de dégraissage, comme argumenté par la requérante II. En effet, lors de la mise en oeuvre du composé (A) selon D9, celui-ci est supposé réduire les dépôts sur les parties métalliques d'un moteur, tels que les injecteurs, mais ces dépôts ne sont pas décrits comme étant huileux ou gras (le paragraphe 2 de D9 décrit des dépôts liés à l'oxydation et la polymérisation des hydrocarbures du carburant), et il est connu de l'homme du métier que de tels dépôts sont plutôt solides.
5.3 Il découle de ce qui précède qu'il n'a pas été démontré que l'objet revendiqué présente un défaut de nouveauté contraire aux exigences de l'Article 54(1)(2) CBE.
6. Activité inventive - Article 56 CBE
Par application de l'approche problème-solution, l'objet des revendications incriminées satisfait aux dispositions de l'Article 56 CBE pour les raisons qui suivent:
6.1 Concernant l'état de la technique le plus proche, la requérante II a fait valoir que celui-ci serait représenté par le document D3 qui, dans sa revendication 1, décrit un gel pour détacher les lentes de poux de cheveux humains, ledit gel comprenant de 5 à 25% de dimethylisosorbide (DMI) ainsi qu'un acide choisi parmi les acides acétique, citrique, lactique, malique, phosphorique et trichloracétique.
La chambre ne partage pas l'avis de la requérante II, car même si dans son exemple 2, D3 décrit un shampoing pour détacher les lentes de poux comprenant un détergent ("ammonium laureth sulfate") et qu'il est connu de l'homme du métier que les détergents présentent implicitement un effet dégraissant, D3 ne représente pas l'état de la technique le plus proche pour l'invention revendiquée, car l'homme du métier ne prendra pas en considération une composition pour détacher les lentes de poux de cheveux humains pour développer une composition dégraissante pour matières métalliques.
Selon la jurisprudence des chambres de recours, l'état de la technique le plus proche est plutôt un document qui divulgue un objet conçu dans le même but ou visant à atteindre le même objectif que l'invention revendiquée et présentant pour l'essentiel des caractéristiques techniques semblables, à savoir qui appellent peu de modifications structurelles (Jurisprudence des chambres de recours, 8**(e) éd. 2016, I.D.3.1). Attendu que l'invention concerne le dégraissage de la surface d'une matière métallique, l'art antérieur le plus proche est un agent dégraissant pour matière métallique, tel que ceux couramment utilisés dans l'industrie du traitement des métaux, par exemple le trichloroéthylène ou le dichlorométhane décrits par ailleurs dans l'exemple 1 du brevet et utilisés à titre comparatif dans ce dernier.
6.2 Partant de cet état de la technique le plus proche, le problème technique à résoudre consiste par conséquent en la mise à disposition d'une alternative aux compositions couramment utilisées pour le dégraissage de surfaces métalliques.
6.3 Comme solution audit problème, le brevet propose l'utilisation d'un éther de dianhydrohexitol.
6.4 L'exemple 1 du brevet montre que l'éther de dianhydrohexitol peut avantageusement être utilisé comme alternative aux dégraissants courants, tels que le trichloroéthylène, le dichlorométhane, le pentène ou encore le lactate d'éthyle, car tel qu'il ressort du tableau en page 11 du brevet, la composition à base de DMI permet d'éliminer, sans traces résiduelles visibles, des corps gras de nature aussi différente que les huiles paraffiniques, les mélanges d'huiles minérales pétrolières, la graisse au bisulfure de molybdène, un mélange huileux polycoupe ou un lubrifiant spécial non chloré (respectivement identifiés CG1, CG2, CG4, CG7 et CG9 dans le tableau). En outre, les compositions selon l'invention peuvent avantageusement remplacer les solvants chlorés toxiques et dangereux pour la santé, ou encore les composés terpéniques dont les points éclairs sont généralement considérés comme insuffisamment élevés pour éviter les risques d'explosion.
Le problème sous-tendant l'invention est donc effectivement résolu.
6.5 Il reste à vérifier si la solution proposée découle ou non à l'évidence des documents cités comme état de la technique, et à ce titre, aucun de ces documents ne fait état d'une opération de dégraissage.
6.5.1 En effet, les documents D1, D2, D4, D6, D8 et D9 décrivent respectivement un stick antiperspirant comprenant du DMI, une composition transparente pour bougies pouvant contenir du DMI, une composition à base de DMI pour retirer le vernis à ongles, une composition pouvant contenir du DMI pour retirer une couche polymérique acrylique d'une surface et l'utilisation d'un éther de diisosorbide comme détergent dans les combustibles à base d'essence.
6.5.2 Les documents D7 et D10 ne sont pas dans la procédure de recours.
6.5.3 Le document D3 décrit une composition à base de DMI pouvant être utilisée comme shampoing détergent pour décoller les lentes de poux sur cheveux humains.
La requérante II a argumenté qu'il serait évident d'utiliser ce shampoing pour dégraisser des métaux, car la surface d'une matière métallique est lisse et donc plus simple à dégraisser que celles des cheveux, qui sont absorbants et poreux.
La chambre ne peut suivre cet argument car l'homme du métier cherchant une alternative aux compositions courantes de dégraissage des surfaces métalliques ne parviendrait à l'objet de la revendication 1 en instance qu'en ayant recours à une analyse ex post facto qui suppose une connaissance préalable de la solution revendiquée, puisque D3 - à l'instar des autres documents - est silencieux quant à l'effet dégraissant du DMI.
Il s'ensuit qu'aucun des documents cités n'oriente l'homme du métier vers la solution revendiquée, si bien que l'objet de la revendication 1 et, par conséquent, celui des revendications 2 à 10 qui en dépendent, ne découle pas de manière évidente de l'état de la technique et repose sur une activité inventive (Article 56 CBE).
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la première instance avec l'ordre de maintenir le brevet sous forme modifiée sur la base des revendications 1 à 10 selon la requête principale, soumise comme requête auxiliaire en date du 5 avril 2017, et la description devant être adaptée.