T 0364/16 (Cuve d'électrolyse/Carbone Savoie) 05-03-2018
Téléchargement et informations complémentaires:
CUVE D'ÉLECTROLYSE D'OBTENTION D'ALUMINIUM
Possibilité d'exécuter l'invention - (oui)
Activité inventive - solution non évidente
I. Le présent recours fait suite à la décision de rejet de l'opposition formée à l'encontre du brevet européen n° 2 013 381, dont la revendication 1 est libellée comme suit:
"1. Cuve d'électrolyse (1) d'obtention d'aluminium comprenant :
- un caisson (2),
- au moins un bloc cathodique (6) disposé au moins en partie dans le caisson (2),
- au moins une anode (11), suspendue au-dessus de la cuve et plongée dans la partie supérieure de la cuve d'électrolyse,
- un isolant (3) recouvrant au moins en partie la surface interne du caisson (2) et situé entre le bloc cathodique (6) et le caisson (2),
- le caisson et les éléments qu'il contient délimitant un creuset (10) destiné à accueillir un bain d'électrolyse en contact avec le bloc cathodique (6), caractérisée en ce que l'isolant (3) est réalisé au moins en partie à l'aide de blocs (14) à base de carbone ayant une conductivité thermique inférieure à 1 W/m/K."
Les revendications dépendantes 2 à 6 ont trait à des modes de réalisations particuliers de l'objet principal revendiqué.
II. Avec son mémoire de recours, l'opposante (ci-après "la requérante") a contesté le bien-fondé de la décision de première instance et fait valoir une insuffisance de description liée à la définition et la détermination de la conductivité thermique ainsi qu'un défaut d'activité inventive eu égard au contenu du document D4 (EP 0 132 647 A2) pris en combinaison avec l'enseignement de l'un des documents D5 (WO 2006/017348 A1) ou D10 (O. VOHLER et al. "Neuartige Hochtemperatur-Wärmedämmstoffe", U.I.E., VII, N. 425, pages 1 à 5, 1972).
III. La propriétaire du brevet (ci-après "l'intimée") a soumis une note d'observations contestant les arguments avancés par la requérante.
IV. Suite à une notification reflétant l'opinion préliminaire de la chambre et les points essentiels supposés être discutés à l'audience, la requérante a déclaré qu'elle n'assisterait pas à cette dernière; celle-ci a donc été annulée par la chambre.
V. Les requêtes des parties, telles qu'elles ressortent de leurs écrits, se résument comme suit:
La requérante demande l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
L'intimée demande le rejet du recours et le maintien du brevet tel que délivré.
1. Article 83 CBE - Suffisance de description
1.1 Il est de jurisprudence constante qu'une invention est considérée comme suffisamment exposée dès lors que l'homme du métier est mis en mesure d'exécuter celle-ci dans toute sa portée, telle que revendiquée. A l'inverse, une invention est considérée comme insuffisamment décrite si le brevet contient une lacune d'information ne permettant pas à l'homme du métier de reproduire l'invention revendiquée.
1.2 Dans le cas d'espèce, l'invention revendiquée faisant appel à un paramètre (la conductivité thermique d'un matériau à base de carbone) et la description n'indiquant pas la méthode utilisée pour déterminer ce dernier, la requérante s'est appuyée sur les décisions T 256/87 et T 815/07 et a fait valoir un défaut de description de l'invention lié à l'existence de plusieurs méthodes de mesure produisant des valeurs différentes de conductivité thermique selon la méthode mise en oeuvre. Elle a en outre fait valoir qu'en l'absence d'indication de la température à laquelle était mesurée la conductivité thermique, il y avait également insuffisance de description de l'invention pour cette dernière raison.
1.3 La chambre note que la décision T 815/07 fait état d'un défaut de description dans une affaire qui de prime abord semble similaire au cas d'espèce. Selon la décision ultérieure T 539/09, il n'est toutefois pas suffisant dans un contexte tel que celui qui a mené à la décision T 815/07 que des valeurs différentes soient mesurées pour conclure à un défaut de description lié à un paramètre. Il est plutôt essentiel de déterminer si le paramètre incriminé est mal défini au point que l'homme du métier, en s'appuyant sur l'ensemble de l'exposé et sur ses connaissances générales, ne peut identifier sans effort excessif les mesures d'ordre technique (par exemple la sélection de composés appropriés) nécessaires pour résoudre le problème sous-jacent au brevet attaqué.
1.4 Dans le cas d'espèce, le problème technique tel que posé au paragraphe [0048] du brevet est résolu par la mise en oeuvre d'un isolant à base de carbone présentant une conductivité thermique inférieure à 1 W/m/K.
1.5 Selon la décision T 815/07, il s'agit dans un tel contexte de vérifier si l'homme du métier est en mesure d'identifier sans effort excessif les "composés appropriés" nécessaires pour résoudre le susdit problème technique, ce qui dans le cas d'espèce revient à identifier les matériaux à base de carbone présentant la conductivité thermique revendiquée.
1.6 Pour la chambre, la réponse à cette question est positive au vu en particulier du document D10 qui divulgue dans son tableau 1 que des matériaux isolants à base de carbone et présentant une conductivité thermique comprise entre 0.03 et 0.08 kcal.m**(-1).h**(-1).°C**(-1) (c'est-à-dire comprise entre 0.0349 et 0.0930 W/m/K) faisaient déjà partie de l'état de la technique à la date de publication dudit document, à savoir en 1972, c'est-à-dire 24 ans avant la date de priorité du brevet.
1.7 Concernant le silence du brevet quant à la méthode de mesure de la conductivité thermique, celui-ci n'a rien d'une lacune d'information puisqu'aussi bien que D4 (voir revendication 1), que D5 (voir paragraphe [0016]), ou encore les documents post-publiés D1 (S. AMESÖDER et al., "Gerichteter Wärmetransport - eine besondere Bedeutung im Thermal Management", congrès "Wärmeleitende Kunststoffe", Erlangen, 2007) et D6 ("Schunk - Innovative Isolationswerkstoffe", 2009) font l'impasse sur ce point.
1.8 L'homme du métier sait toutefois (voir D3 "Wärmeleitfähigkeit", page 3, premier paragraphe d'un extrait de 5 pages de Wikipedia) que la conductivité thermique est une constante qui dépend des conditions de température et d'humidité, et qu'en l'absence d'indication des ces données, sa mesure est la plupart du temps effectuée à 0°C (voir D3, page 3, deuxième paragraphe).
1.9 D'autres documents, comme D8 ("Wärmeleitfähigkeit", Römpp Chemie Lexikon, 1995), D9 (Schunk Kohlenstofftechnik GmbH, "Kohlenstoffschaum FU4640", post-publié en 2007) ou encore D10 font état de mesures effectuées à température ambiante.
1.10 De ce qui précède, la chambre conclut que la mesure de la conductivité thermique d'un matériau est bien connue de l'homme du métier, et que la question de savoir sous quelles conditions ont été effectuées les mesures de conductivité thermique dans le brevet se réduit à identifier les bornes de l'intervalle de conductivité thermique revendiquée, ce qui ne relève pas de l'Article 83 CBE, puisque l'homme du métier sait parfaitement reproduire l'invention et en particulier sélectionner le matériau à mettre en oeuvre pour résoudre le problème sous-tendant l'invention revendiquée.
1.11 Pour ce qui concerne les conclusions de la décision T 256/87, la chambre estime que l'absence d'indication de la méthode de mesure dudit paramètre relève de la portée des revendications et donc de l'Article 84 CBE car reposant sur la question de savoir si l'homme du métier travaille ou non dans le domaine interdit des revendications (voir à cet égard en particulier les décisions T 960/98, point 3.8.6; T 452/04, point 5.7.1; T 1250/08, point 2.6 ou encore T 2331/11, point 2.2.7).
1.12 Il découle de ce qui précède que la chambre n'a pas été en mesure d'identifier une quelconque lacune d'information permettant de conclure que l'homme du métier ne serait pas en mesure de reproduire l'invention, tel que requis par l'Article 83 CBE.
2. Article 56 CBE - Activité inventive
Par application de l'approche-problème solution, la chambre est parvenue à la conclusion que l'objet des revendications telles que délivrées satisfaisait aux dispositions de l'Article 56 CBE pour les raisons qui suivent:
2.1 L'art antérieur le plus proche est représenté, tel qu'admis par les parties, par le document D4 dont le contenu diffère de l'objet revendiqué en ce que l'isolant de conductivité thermique inférieure à 1 W/m/K est de la chamotte alors que selon l'invention celui-ci est à base de carbone.
2.2 Selon les paragraphes [0037], [0040] et [0048] du brevet contesté, l'utilisation de briques ou de carreaux réfractaires - tel que la chamotte - ne protégerait pas contre la diffusion des fluorures et soulèverait un problème de poids important. Le problème que se propose de résoudre l'invention est donc de pallier à ces inconvénients et de mettre à disposition de l'homme du métier un isolant plus léger et permettant d'éviter ou de réduire la migration des fluorures tout en remplissant les conditions d'isolation thermique requises par un procédé d'électrolyse d'aluminium.
2.3 La solution proposée par la revendication 1 du brevet est caractérisée par le fait que l'isolant est à base de carbone.
Pour la chambre, il est crédible que le carbone résolve les problèmes susmentionnés, celui-ci étant un matériau léger et isolant, et la requérante n'ayant pas prouvé qu'il ne réduisait pas la migration des fluorures, la chambre ne peut suivre l'argument de cette dernière selon lequel le problème sous-tendant l'invention devait être reformulé de manière moins ambitieuse.
2.4 Il reste à déterminer si la solution proposée découle ou non à l'évidence des documents de l'état de la technique, en particulier des documents D5, D6 ou D10, que la requérante a jugé pertinents au sens de suggérer la solution au problème mentionné ci-avant.
La chambre observe toutefois que D6 présente une date de publication (2009) postérieure à la date de priorité du brevet (3 mai 2006) et son contenu ne peut donc être opposé au brevet au sens de l'Article 56 CBE.
En outre, et tout comme D5 et D10, qui décrivent des matériaux à base de carbone de conductivité thermique telle que revendiquée, aucun de ces documents ne divulgue ou suggère leur utilisation comme isolant résistant aux fluorures, et encore moins comme isolant susceptible d'être mis en oeuvre dans une cuve d'électrolyse d'aluminium.
De ce qui précède, il s'ensuit que la solution telle que proposée à la revendication 1 du brevet au problème indiqué au point 2.2 ci-dessus ne découle pas à l'évidence de l'état de la technique connu de l'homme du métier. La revendication 1 du brevet, ainsi que les revendications 2 à 6 qui dépendent de cette dernière, remplissent par conséquent les conditions d'activité inventive énoncées à l'Article 56 CBE.
3. Il s'ensuit qu'aucun des griefs avancés par la requérante ne s'oppose au maintien du brevet tel que délivré.
Par ces motifs, il est statué comme suit
Le recours est rejeté.