T 2045/21 (Produit en alliage aluminium-cuivre-lithium/CONSTELLIUM) 21-12-2023
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PRODUIT EN ALLIAGE ALUMINIUM-CUIVRE-LITHIUM POUR ÉLÉMENT D'INTRADOS A PROPRIÉTÉS AMÉLIORÉES ET PROCÉDÉ DE SA PRODUCTION
Activité inventive - requête principale (non)
Activité inventive - requête subsidiaire (oui)
Renvoi - (non)
Modification après signification - circonstances exceptionnelles (non)
Pouvoir d'appréciation de ne pas admettre les éléments soumis
Pouvoir - élément admis (oui)
I. Le recours a été formé par l'opposante contre la décision de la division d'opposition de rejeter l'opposition contre le brevet Européen EP 3 077 559 B1.
II. Les documents suivants cités dans la décision contestée sont pertinents :
D1|US 2011/0278397 A1|
D2|US 2010/0126637 A1|
D5|US 2007/0181229 A1|
III. Le libellé de la revendication 1 de la requête principale (brevet tel que délivré) s'énonce comme suit :
"1. Procédé de fabrication d'un produit laminé ou forgé dans lequel :
(a) on coule une plaque en alliage de composition, en % en poids,
Cu : 1,8 - 2,6
Li : 1,3 - 1,8
Mg : 0,1 - 0,5
Mn: 0,1 - 0,5 et Zr < 0,05 ou Mn < 0,05 et Zr 0.10 - 0.16
Ag : 0 - 0,5
Zn < 0,20
Ti: 0,01 - 0,15
Fe : < 0,1
Si: < 0,1
autres éléments < 0,05 chacun et < 0,15 au total, reste aluminium
dont la densité est inférieure à 2,670 g/cm3,
(b) on homogénéise ladite plaque à 480 à 540°C pendant 5 à 60 heures,
(c) on déforme à chaud par laminage et/ou forgeage ladite plaque les conditions de déformation à chaud étant telles lorsque la teneur en manganèse est de 0,1 à 0,5 % en poids et la teneur en zirconium est inférieure à 0,05 % en poids la température finale de déformation à chaud est au moins 400 °C ou lorsque la teneur en manganèse est inférieure à 0,05 % en poids et la teneur en zirconium est comprise entre 0,10 et 0,16 % en poids la température finale de déformation à chaud est au plus de 400 °C, pour obtenir un produit laminé et/ou forgé dont l'épaisseur est comprise entre 14 et 100 mm,
(d) on met en solution ledit produit à 490 à 530°C pendant 15 minutes à 8 heures,
(e) on trempe avec de l'eau,
(f) on tractionne de façon contrôlée ledit produit avec une déformation permanente de 1 à 6 %,
(g) on réalise un revenu dudit produit par chauffage à 120 à 170°C pendant 5 à 100 heures."
IV. À la fin de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1, la caractéristique suivante a été ajoutée à la définition de l'étape (g) :
"tel que le temps équivalent t(eq) à 155 °C est compris entre 25 et 35 heures, le temps équivalent t(eq) à 155 °C étant défini par la formule :
t(eq) = INTEGRAL exp(-11400/T) dt / exp(-11400/Tref)
où T (en Kelvin) est la température instantanée de traitement, qui évolue avec le temps t (en heures) et Tref est une température de référence fixée a 428 K. t(eq) est exprimé en heures."
V. Le libellé de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2 s'énonce comme suit:
"1. Produit laminé et/ou forgé susceptible d'être obtenu par un procédé dont l'épaisseur est comprise entre 20 mm et 50 mm et dont la limite d'élasticité à mi-épaisseur Rp0,2(L) est au moins 390 MPa, la ténacité KappL-T (W= 406mm) est au moins 105 MPaSQRTm même après vieillissement de 3000 heures à 85 °C et le nombre de cycles dans la condition 6,5 MPaSQRTm
(a) on coule une plaque en alliage de composition, en % en poids,
Cu : 1,8 - 2,6
Li:1,3-1,8
Mg: 0,1 - 0,5
Mn: 0,1 - 0,5 et Zr< 0,05 ou Mn< 0,05 et Zr 0.10 - 0.16
Ag: 0 - 0,5
Zn< 0,20
Ti: 0,01 - 0,15
Fe: < 0,1
Si:< 0,1
autres éléments < 0,05 chacun et < 0,15 au total, reste aluminium
dont la densité est inférieure a 2,670 g/cm3,
(b) on homogénéise ladite plaque a 480 a 540°C pendant 5 à 60 heures,
(c) on déforme a chaud par laminage et/ou forgeage ladite plaque les conditions de déformation à chaud étant telles lorsque la teneur en manganèse est de 0,1 à 0,5 % en poids et la teneur en zirconium est inférieure à 0,05 % en poids la température finale de déformation à chaud est au moins 400 °C ou lorsque la teneur en manganèse est inférieure à 0,05 % en poids et la teneur en zirconium est comprise entre 0,10 et 0,16 % en poids la température finale de déformation à chaud est au plus de 400 °C, pour obtenir un produit laminé et/ou forgé dont l'épaisseur est comprise entre 20 et 50 mm,
(d) on met en solution ledit produit à 490 à 530°C pendant 15 minutes à 8 heures,
(e) on trempe avec de l'eau,
(f) on tractionne de façon contrôlée ledit produit avec une déformation permanente de 1 a 6 %,
(g) on réalise un revenu dudit produit par chauffage à 120 à 170°C pendant 5 à 100 heures tel que le temps équivalent t(eq) à 155 °C est compris entre 25 et 35 heures, le temps équivalent t(eq) à 155 °C étant défini par la formule :
t(eq) = INTEGRAL exp(-11400/T) dt / exp(-11400/Tref)
où T (en Kelvin) est la température instantanée de traitement, qui évolue avec le temps t (en heures) et Tref est une température de référence fixée à 428 K. t(eq) est exprimé en heures."
VI. Dans la revendication 1 de la requête subsidiaire 3, l'alternative "ou Mn < 0,05 et Zr 0,10 - 0,16" et "ou lorsque la teneur en manganèse est inférieure à 0,05 % en poids et la teneur en zirconium est comprise entre 0,10 et 0,16 % en poids la température finale de déformation à chaud est au plus de 400°C" a été omise, en comparaison avec la requête principale.
VII. Dans la revendication 1 de la requête subsidiaire 4, la plage de la teneur en cuivre a été limitée à 1,9 - 2,3 % en poids, en comparaison avec la requête principale.
VIII. Dans la revendication 1 de la requête subsidiaire 5, l'alternative "Mn: 0,1-0,5 et Zr<0,05 ou" et "lorsque la teneur en manganèse est de 0,1 à 0,5 % en poids et la teneur en zirconium est inférieure à 0,05 % en poids la température finale de déformation à chaud est au moins 400 °C ou" a été omise par rapport à la requête principale.
Le libellé des revendications 9 et 10 s'énonce comme suit :
"9. Produit laminé et/ou forgé susceptible d'être obtenu par le procédé selon une quelconque des revendications 1 à 8 dont l'épaisseur est comprise entre 20 mm et 50 mm et dont la limite d'élasticité à mi-épaisseur Rp0,2(L) est au moins 390 MPa, la ténacité KappL-T (W= 406mm) est au moins 105 MPaSQRTm même après vieillissement de 3000 heures à 85 °C et le nombre de cycles dans la condition 6,5 MPaSQRTm
"10. Utilisation d'un produit selon la revendication 9 comme élément de structure dans la construction aéronautique et de préférence comme élément d'intrados d'aile d'avion."
Les revendications dépendantes 2 à 8 concernent des modes de réalisation spécifiques.
IX. La procédure orale a eu lieu le 21 décembre 2023 en présentiel.
X. Les arguments de la requérante qui sont pertinents pour la présente décision peuvent être résumés comme suit :
L'objet de la revendication 1 de la requête principale ne satisfait pas aux exigences de l'article 56 CBE au regard de D5.
L'allégation de faits présentée par l'intimée en rapport avec le lien entre la température finale de déformation à chaud et l'anisotropie du produit fabriqué, par exemple basée sur le paragraphe [0065] de D5, ne doit pas être prise en considération. Il en est de même pour la comparaison de la résistance à la propagation de fissures entre la figure 4 de D5 et la figure 1 du brevet contesté.
Les requêtes subsidiaires 1 à 5 ne doivent pas être prises en considération.
Par ailleurs, il convient de renvoyer l'affaire devant le département de première instance si l'intimée maintient les requêtes subsidiaires 4 et 5.
L'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 5 n'implique aucune activité inventive au regard de l'alliage 1 de D2.
L'expert technique de l'intimée n'est pas autorisé à s'exprimer pendant la procédure orale devant la chambre de recours.
XI. Les arguments de l'intimée qui sont pertinents pour la présente décision peuvent être résumés comme suit :
Les objections relatives à une absence d'activité inventive au regard de D2 et de D5 ne doivent pas être prises en considération. Si ces objections étaient toutefois prises en considération, elles ne sauraient aboutir.
Toutes les requêtes subsidiaires doivent être prises en considération et satisfont aux exigences de la CBE.
Plus particulièrement, les requêtes subsidiaires 1 et 2 sont une réaction à la notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020.
XII. L'opposante (requérante) demande que la décision contestée soit annulée et que le brevet soit révoqué.
La titulaire (intimée) demande que le recours soit rejeté. À titre subsidiaire, elle demande le maintien du brevet tel que modifié selon l'une des cinq requêtes subsidiaires déposées le 20 novembre 2023.
Requête principale
La requête principale correspond au brevet tel que délivré.
1. Activité inventive
Pour les raisons suivantes, la requête principale ne satisfait pas aux exigences de l'article 56 CBE.
1.1 La requérante présente, entre autres, une objection relative à l'activité inventive de la première alternative de la revendication 1 (présence de Mn et faible teneur en Zr) en partant du document D5.
1.2 L'intimée demande que cette objection ne soit pas prise en considération.
Or, elle avait été soulevée en phase d'opposition et examinée lors de la procédure orale (cf. points 4 et 5 du procès-verbal). La décision contestée est également fondée sur cette objection. D'après les points 3 et 5.2.1 de la décision contestée, D5 avait été pris en considération mais n'avait pas été retenu comme état de la technique le plus proche.
L'objection doit donc être prise en considération (article 12(2) RPCR 2020).
1.3 L'invention porte sur des produits en alliages d'aluminium, leurs procédés de fabrication et leur utilisation dans l'industrie aérospatiale (paragraphe [0001]).
1.4 D5 porte également sur des produits en alliages d'aluminium, leurs procédés de fabrication et leur utilisation dans l'industrie aérospatiale (paragraphe [0003]).
De l'avis de l'intimée, D5 ne peut pas être considéré comme état de la technique le plus proche puisque, tandis que le brevet contesté concerne des éléments de voilure intrados (paragraphe [0014]) qui sont de faible épaisseur, D5 a surtout trait à des éléments de fuselage (paragraphe [0014]) qui sont beaucoup plus épais. Les contraintes respectives sont très différentes. Le choix de D5 comme état de la technique le plus proche relève d'une analyse ex post facto.
Cet argument n'est pas convaincant. La question d'analyse ex post facto est sans importance pour le choix de l'état de la technique le plus proche. Étant donné que l'état de la technique le plus proche est sélectionné sur la base de sa proximité avec l'invention, sa sélection nécessite nécessairement la connaissance de l'invention (T 1443/16, point 4.3.2 des motifs).
Dans le cas d'espèce, le brevet contesté n'est pas limité aux éléments de voilure, pas plus que D5 ne concerne exclusivement des éléments de fuselage. En effet, la nature du "produit laminé ou forgé" de la revendication 1 du brevet contesté n'est pas limitée et peut donc être de tout type. De manière similaire, les éléments de D5 concernent de manière générale l'industrie aéronautique (paragraphe [0003]). Une utilisation spécifique comme élément de fuselage n'apparaît que dans les revendications dépendantes de D5 (par exemple les revendications 13 et 18).
De manière cohérente, les problèmes techniques traités dans le brevet contesté et dans D5 se recouvrent en grande partie. Ainsi, D5 traite également de la ténacité, de la résistance mécanique et de la densité (paragraphe [0014]). Contrairement à l'affirmation de l'intimée, D5 mentionne également le problème de fatigue (cf. paragraphes [0011], [0022] et [0023] ainsi que les figures 3 et 4). Par ailleurs, l'épaisseur des produits de la revendication 1 du brevet contesté, comprise entre 14 et 100 mm, et celle de D5 (paragraphe [0029]: au maximum 12,7 mm) sont proches.
Il n'a pas été contesté que la composition chimique de l'alliage inventif "C" (tableau 2) et les paramètres de procédé du tableau 4 - hormis la température finale de déformation à chaud et l'épaisseur du produit - sont couverts par la revendication 1. Effectivement, dans D5 la température finale après le laminage à chaud est inférieure à 280°C (tableau 4) et l'épaisseur de l'essai "C" est de 5 mm (tableau 5).
Étant donné que D5 concerne le même domaine que l'invention et que D5 divulgue plusieurs caractéristiques de la revendication 1, l'essai "C" est un point de départ approprié pour évaluer l'activité inventive.
1.5 D'après le brevet contesté, le problème à résoudre est de mettre à disposition un procédé de fabrication d'un alliage d'aluminium de faible densité, de ténacité élevée, avec une résistance mécanique suffisante et des propriétés de fatigue avantageuses (paragraphes [0013], [0014] et [0024]).
1.6 Il est proposé de résoudre ce problème par le procédé de fabrication selon la première alternative de la revendication 1 caractérisé en ce que :
(a) la température finale de déformation à chaud est d'au moins 400°C
(b) l'épaisseur du produit est comprise entre 14 et 100 mm
Les caractéristiques distinctives n'ont pas été contestées.
1.7 Or, aucun effet surprenant lié à ces différences n'a été démontré.
(a) En ce qui concerne la température finale de déformation à chaud, un effet ne peut pas être reconnu sur toute l'étendue de la revendication 1, comme le montre la comparaison des essais 3A (essai inventif) et 3B (essai comparatif) dans le tableau 3.
Effectivement, tandis que les essais 3A et 3B sont basés sur le même alliage 3 (tableau 1), l'essai 3B du brevet contesté a une température finale de déformation à chaud de 317°C (tableau 2), c'est-à-dire en dessous de la plage de l'alternative pertinente de la revendication 1. A 80h de revenu, cet essai 3B donne de meilleurs résultats quant aux propriétés mécaniques que l'essai 3A - ayant une température finale de 410°C couverte par la revendication 1 - à 20h de revenu. Le tableau 3 indique en effet que la résistance à la rupture ultime Rm, la limite d'élasticité en traction Rp0,2 et le facteur d'intensité de contrainte Kq de l'essai 3B à 80h de revenu sont meilleurs que ceux de l'essai 3A à 20h de revenu.
La température finale de déformation à chaud de l'essai 3B de 317°C est suffisamment proche de la température de 280°C divulguée dans D5 pour considérer que les essais 3B du brevet contesté et "C" de D5 donnent des résultats similaires à cet égard. Cela a été contesté par l'intimée, sans qu'aucune preuve n'ait toutefois été apportée.
De l'avis de l'intimée, les tableaux 3, 4 et 5 du brevet contesté prouvent en revanche que l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive. Elle estime que l'essai à prendre en considération pour la comparaison avec l'essai de l'alliage 3B à 80h de revenu n'est pas que l'essai 3A avec un revenu de 20h mais celui avec un revenu optimisé de 80h.
Or le brevet contesté précise que c'est "la combinaison de certaines compositions d'alliages Al-Cu-Li avec des conditions précises de transformation thermo-mécaniques" (caractères italiques ajoutés par la chambre) qui permet d'obtenir les propriétés souhaitées (paragraphe [0024]). Les caractéristiques de la revendication 1 permettent explicitement de larges plages quant à la température et la durée du revenu. Ces paramètres définissent ainsi un domaine dans lequel un effet technique doit être présent. L'intimée a d'ailleurs confirmé que la personne du métier n'exclurait d'office aucune des combinaisons de température et de durée couvertes par la revendication 1. Plus particulièrement, la revendication 1 couvre bien une durée de revenu de 20h et n'exige pas une optimisation de la durée du revenu en fonction de sa température.
L'objet de la revendication 1 en tant que tel doit être inventif. Il ne suffit pas que la revendication 1 contienne le potentiel d'arriver par une optimisation des conditions de revenu à un objet inventif, même quand il s'agit d'une optimisation de routine pour la personne du métier connaissant la cinétique du revenu. En d'autres termes, puisque dans le cas d'espèce seulement certains couples de température et de durée de revenu à l'intérieur des plages de la revendication 1 permettent d'obtenir les avantages techniques recherchés, la portée de la revendication 1 aurait dû être limitée à une plage de valeurs de ces couples (afin d'exclure par exemple l'essai 3A à une température de revenu de 140°C et une durée de 20h). L'intimée avait fait le choix d'inclure une limitation relative au revenu dans une revendication dépendante uniquement (revendication 8).
(b) Le brevet ne contient pas non plus d'élément qui puisse démontrer un effet quant à l'épaisseur du produit.
L'intimée elle-même estime dans sa réponse aux motifs du recours (cf. point 32) qu'il n'est pas pertinent de comparer les propriétés mécaniques de l'essai "C" de D5 et celles de l'essai 3A du brevet en raison des épaisseurs très différentes qui sont respectivement de 5 mm et de 35 mm (tableau 2 du brevet contesté). Elle considère néanmoins que les limites d'élasticité en traction Rp0,2 sens L de 411 MPa (essai 3A du brevet contesté d'après le tableau 4) et de 414 MPa (essai "C" de D5 d'après le tableau 5) prouvent l'intérêt de l'invention. Elle est d'avis que ces valeurs sont proches mais que l'essai 3A est défavorisé par son épaisseur plus importante. En effet, la trempe est par conséquent moins rapide, ce qui a un effet négatif sur les propriétés statiques et de ténacité. Si les deux échantillons avaient eu la même épaisseur, les résultats de l'essai 3A auraient bien été supérieurs à ceux de l'essai "C".
Or, cet argument ne convainc pas. Même si l'on acceptait qu'une trempe rapide a des effets positifs sur les propriétés du produit, il faudrait tenir compte du fait que les résultats du tableau 4 du brevet contesté ont été obtenus en appliquant des conditions de revenu optimisées (par exemple une durée de revenu de 80h). Il n'est pas crédible que l'effet puisse être extrapolé à l'ensemble du domaine couvert par la revendication 1 (par exemple à une durée de revenu de 20h ; cf. discussion ci-dessus sous le point a)).
Ce raisonnement s'applique également aux résultats de la propagation de fissures de la figure 1 du brevet contesté ("da/dN"). Ces résultats ont uniquement été obtenus avec des conditions de revenu optimisées. Pour cette raison, une comparaison avec la figure 4 de D5, nonobstant la question de la prise en considération de cette comparaison, n'est pas pertinente.
1.8 Le problème à résoudre doit donc être reformulé d'une manière moins ambitieuse, à savoir comme la mise à disposition d'un procédé de fabrication alternatif.
1.9 Il convient d'abord de noter qu'une suggestion n'est pas nécessaire lorsque le problème à résoudre est seulement la mise à disposition d'une alternative (cf. par exemple T 1102/00, point 14 des motifs).
Le document D5 lui-même indique que l'épaisseur des produits peut aller jusqu'à près de 12,7 mm au maximum (paragraphe [0029] ou revendication 8 "thickness ... does not exceed about 0.5 inch"), ce qui ne constitue pas une valeur limite stricte ("about") et qui est très proche de l'épaisseur minimum de 14 mm de la revendication 1.
La personne du métier modifierait la température finale de déformation à chaud parce que celle-ci n'est pas une caractéristique essentielle du procédé de D5 (la revendication 9 de D5 ne mentionnant que la température initiale de la déformation à chaud), et parce que la température finale revendiquée est compatible avec la température initiale connue de D5, comme cela découle du brevet même. En effet, la revendication 1 de D5 requiert une température initiale d'environ 450°C à environ 490° et le tableau 2 du brevet contesté indique des valeurs du même ordre.
L'intimée a également invoqué le fait que D5 cherche à produire des produits à faible anisotropie (paragraphe [0014]). Lors de la procédure orale devant la chambre de recours, elle a soutenu que la personne du métier n'augmenterait pas la température finale de déformation à chaud de moins de 280°C (tableau 4) à au moins 400°C pour l'essai "C", comme exigé par la revendication 1 du brevet contesté, puisqu'elle savait que la température finale a une influence sur la microstructure et donc sur le dégrée d'anisotropie.
Or, l'intimée n'a pas fourni de preuve au soutien de cet argument tardif. De plus, tandis qu'elle avait brièvement mentionné le terme anisotropie pendant la phase écrite (par exemple au point 29 de sa réponse aux motifs de recours), elle n'avait pas établi de lien entre l'anisotropie et la température finale de déformation à chaud avant la procédure orale devant la chambre de recours. Comme elle n'a pas indiqué de circonstances exceptionnelles justifiant cette modification des moyens présentés, celle-ci n'est pas prise en compte (article 13(2) CBE).
1.10 Pour ces raisons, le choix des plages de l'épaisseur et de la température finale de déformation à chaud de la revendication 1 est arbitraire et l'objet de la revendication 1 n'est pas inventif (article 56 CBE).
Requêtes subsidiaires 1 à 2
2. Prise en considération
L'intimée a présenté les requêtes subsidiaires 1 et 2 après la convocation à la procédure orale et la notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020. La revendication 1 de ces requêtes spécifie une plage de temps équivalent t(eq) du revenu ainsi qu'une formule pour déterminer le temps équivalent en fonction de la température du revenu.
Selon l'intimée, ces nouvelles requêtes subsidiaires doivent être admises, car l'intimée ne pouvait pas s'attendre à ce que la chambre considère l'objection partant de D5 comme convaincante. Par ailleurs, la requérante aurait déclaré en première instance que D1 était l'état de la technique le plus proche.
Or, cet avis n'est pas partagé. La requérante a présenté l'objection partant de D5 deux mois avant la procédure orale devant la division d'opposition (cf. page 4 de la lettre de la requérante du 28 juin 2021) et ne l'a jamais abandonnée. La requérante a depuis également contesté la présence d'un effet technique lié à la température finale de déformation à chaud sur la base d'une comparaison des essais 3A et 3B (même lettre, premier au troisième paragraphes complets de la page 5).
Lors de la procédure orale devant la division d'opposition, l'objection partant de D5 ainsi que la présence d'un effet ont bien été examinées (point 5 du procès verbal).
Par ailleurs, la requérante a réitéré cette objection dans son mémoire exposant les motifs du recours (points 71 à 81). Au point 77 de ses motifs, la requérante a contesté la présence d'un effet technique en faisant plus spécifiquement référence à la comparaison des essais 3A et 3B examinée dans le cadre de D1. Au point 56, la requérante a spécifiquement comparé l'essai 3B à 80h de revenu et l'essai 3A à 20h de revenu. En caractères soulignés, la requérante a conclu que les résultats de l'exemple inventif ne sont pas systématiquement meilleurs que ceux de l'exemple comparatif.
Contrairement à l'affirmation de l'intimée, la requérante n'a pas non plus déclaré que D1 est plus proche de l'objet de la revendication 1 que D5 (points 4 et 5 du procès-verbal; premier et dernier paragraphe du point II.5.1 de la décision contestée). Seule la division d'opposition avait estimé que D5 était plus éloigné que D1 (dernier paragraphe du point II.5.2.1).
Par conséquent, il n'y a rien de surprenant dans la notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020 et il n'existe aucune circonstance exceptionnelle au sens de l'article 13(2) RPCR 2020.
Par ailleurs, cette modification introduit une formule mathématique, ce qui demanderait une analyse plus approfondie des données du brevet contesté et de l'état de la technique.
Pour ces raisons, la requérante aurait pu et dû présenter les requêtes subsidiaires 1 et 2 avec sa réponse aux motifs du recours.
Ces requêtes subsidiaires ne sont donc pas prises en considération (article 13(2) RPCR 2020).
Requêtes subsidiaires 3 à 5
3. Remarques préliminaires
Initialement, l'intimée avait présenté ces requêtes comme requêtes subsidiaires 1 à 3 en phase d'opposition. Elle les a présentées à nouveau avec sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours.
Malgré les objections soulevées par la requérante dans ses motifs de recours, l'intimée n'avait pas étayées ces requêtes subsidiaires de manière explicite.
Avec sa lettre du 20 novembre 2023, l'intimée a de nouveau présenté ces requêtes en tant que requêtes subsidiaires 3 à 5 ensemble avec quelques arguments.
La requérante demande que ces requêtes ne soient pas prises en considération.
4. Requête subsidiaire 3 : Activité inventive
La revendication 1 de la requête subsidiaire 3 a été limitée à la première alternative (présence de Mn et seulement une faible teneur en Zr).
Étant donné que la première alternative de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 reste inchangée, l'objection contre la requête principale au titre de l'article 56 CBE au regard de D5 s'applique également à la requête subsidiaire 3. Cela n'a pas été contesté.
La question de la recevabilité de la requête mise à part, l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 3 n'est donc pas inventif (article 56 CBE).
5. Requête subsidiaire 4: Prise en considération
La plage de la teneur en cuivre de la revendication 1 de la requête subsidiaire 4 a été limitée à 1,9 - 2,3 % en poids.
Dans sa réponse aux motifs du recours, l'intimée n'a pas expliqué pourquoi l'objection de la requérante au titre de l'article 56 CBE dans les motifs du recours n'était pas pertinente.
Cela est contraire aux exigences de l'article 12(3) RPCR 2020 selon lequel les parties doivent présenter l'ensemble des moyens invoqués.
Même dans sa réponse à la notification de la chambre au titre de l'article 15(1) RPCR 2020, l'intimée s'est limitée à constater que l'essai "C" de D5 contient 2,4% de cuivre.
La requête subsidiaire 4 n'est donc pas prise en considération (article 12(5) RPCR 2020).
6. Requête subsidiaire 5: Prise en considération
La requête subsidiaire 5 a été limitée à la deuxième alternative de la revendication 1 de la requête principale (présence de Zr et faible teneur en Mn).
La requérante demande que cette requête ne soit pas prise en considération notamment parce qu'elle n'a pas été étayée et pour manque de convergence avec les autres requêtes subsidiaires.
Or, l'intimée a étayé l'activité inventive, au regard de D2, de la requête subsidiaire 5 dès sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours, même si elle ne l'a pas fait explicitement. Dans le cas d'espèce, il est en effet évident que le raisonnement à l'égard de la deuxième alternative dans la réponse aux motifs du recours (cf. points 34 à 46) s'applique également à la requête subsidiaire 5.
La requête subsidiaire 5 doit donc être prise en considération (article 12(2) RPCR 2020).
7. Requête subsidiaire 5: Activité inventive
7.1 De l'avis de la requérante, l'objet de la revendication 1 n'implique pas une activité inventive au regard de l'alliage 1 de D2 (tableau 1).
Nonobstant la question de la prise en considération de cette objection, une activité inventive est reconnue.
7.2 D2 porte également sur des produits en alliages d'aluminium, leurs procédés de fabrication et leur utilisation dans l'industrie aérospatiale (paragraphes [0003], [0016] et [0028]).
D2 vise à obtenir un alliage de faible densité, avec une résistance mécanique et une ténacité élevées (cf. paragraphe [0015]).
Pour cette raison, D2 est un point de départ approprié pour évaluer l'activité inventive.
Les teneurs en Li, Mg, Mn, Zr, Ag, Zn, Ti, Fe et Si de l'alliage 1 de D2 (tableau 1) sont comprises dans les plages de la revendication 1. En revanche, la teneur en cuivre est de 2,94 % en poids. Notamment en raison de la seule présence de Zr sans Mn, l'alliage 1 est un exemple comparatif dans D2.
La division d'opposition avait considéré à juste titre que la personne du métier ne partirait normalement pas d'un alliage comparatif.
Même si elle le faisait dans le cas d'espèce, elle n'arriverait pas à l'objet de la revendication 1 pour les raisons suivantes.
7.3 En effet, le problème à résoudre du brevet contesté est de mettre à disposition un procédé de fabrication d'un alliage d'aluminium de faible densité et de ténacité élevée, avec une résistance mécanique suffisante et des propriétés de fatigue avantageuses ainsi qu'une bonne stabilité thermique (paragraphes [0013], [0014] et [0024]).
7.4 Il est proposé de résoudre ce problème par le procédé de fabrication selon la revendication 1 caractérisé au moins en ce que :
(a) la teneur en cuivre est comprise entre 1,8 et 2,6 % en poids
(b) la température finale de déformation à chaud est au plus de 400°C
La requérante n'a pas contesté ces caractéristiques distinctives.
7.5 La requérante conteste que le problème du brevet contesté soit résolu.
Or, d'après le brevet contesté, c'est "la combinaison de certaines compositions d'alliages Al-Cu-Li avec des conditions précises de transformation thermo-mécaniques" (caractères italiques ajoutés par la chambre) qui permet d'obtenir les propriétés souhaitées (paragraphe [0024]). Il est également précisé que cet effet est obtenu pour une teneur en cuivre comprise entre 1,8 et 2,6% (ibid.), une telle teneur en cuivre étant liée à une bonne stabilité thermique (paragraphe [0046], tableau 5).
Par ailleurs, au vu du problème technique à résoudre par l'invention de D2 (cf. point 7.2 ci-dessus) - ce problème étant très similaire au problème du brevet contesté - et comme l'alliage 1 de D2 est un exemple comparatif, il est crédible que le compromis entre les propriétés mentionnées ci-dessus de l'alliage 1 soit effectivement moins favorable et que le problème du brevet contesté soit résolu. Par ailleurs, il n'y a aucun moyen de preuve tendant à démontrer que la teneur en cuivre et la température finale de déformation à chaud ne permettent pas de résoudre le problème technique posé.
7.6 Pour résoudre ce problème technique, la personne du métier, en partant de l'alliage 1 de D2, suivrait directement l'enseignement du document D2 en tant que tel car ce document vise également à obtenir un alliage de faible densité et de ténacité élevée (cf. paragraphe [0015] de D2).
Ainsi, la personne du métier suivrait l'enseignement du paragraphe [0050] de D2 et ajouterait des quantités significatives de Mn et de Zr à l'alliage, contrairement à la revendication 1 du brevet contesté. Elle choisirait par exemple l'alliage inventif 2 de D2 qui contient des quantités significatives de Mn et de Zr (tableau 1).
Par ailleurs, bien que D2 enseigne une teneur en cuivre comprise entre 2,0 et 3,5%, de préférence entre 2,45 ou 2,5 et 3,3% et plus préférablement entre 2,7 et 3,1% (paragraphe [0046]), la personne du métier ne trouverait aucune incitation à réduire la quantité en cuivre dans un alliage non-conforme à l'enseignement de D2, c'est-à-dire dans un alliage quasiment sans Mn (comme exigé par la revendication 1 de la requête subsidiaire 5), surtout quand la quantité en cuivre de l'alliage 1 (2,94%, tableau 1) se situe déjà dans la plage préférée de D2. Elle ne trouverait pas non plus une incitation à effectuer la déformation à chaud dans des conditions telles que la température finale soit au plus de 400°C. En effet, D2 ne s'intéresse pas à la température finale, et la personne du métier n'aurait aucune raison d'appliquer la température finale du laminage à chaud du procédé exemplifié dans D5, à savoir moins de 280°C (tableau 4), à l'étape d'extrusion à chaud de D2, D5 concernant encore une autre composition de l'alliage.
L'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 5 implique donc une activité inventive (article 56 CBE).
7.7 Cela vaut également pour les revendications dépendantes 2 à 8.
7.8 Les mêmes considérations s'appliquent à la revendication 9 et, par conséquent, à la revendication 10.
Renvoi à la première instance
8. La requérante demande que l'affaire soit renvoyée à la première instance si l'intimée maintient les requêtes subsidiaires 4 et 5.
Or, dans la mesure où l'activité inventive par rapport à l'alliage 1 de D2 a déjà fait l'objet de la décision contestée (cf. points II.5.1 et II.5.2.1) - même si la division d'opposition a considéré que D1 constituait l'état de la technique le plus proche - et en tenant compte de l'article 11 RPCR 2020, qui exige l'existence de raisons particulières pour un renvoi de l'affaire à la première instance, un tel renvoi n'est pas nécessaire.
Droit de l'expert technique de l'intimée de s'exprimer
9. La requérante demande que l'expert technique de l'intimée ne soit pas autorisé à s'exprimer lors de la procédure orale devant la chambre de recours.
Or, l'intimée avait demandé un mois avant la procédure orale que l'expert puisse s'exprimer. Elle a également indiqué le nom et la qualification de l'expert, et précisé le sujet sur lequel l'expert avait l'intention de s'exprimer.
La chambre a donc exercé son pouvoir d'appréciation en s'appuyant sur les critères énoncés dans la décision G 4/95 (cf. sommaire) et a autorisé l'expert à s'exprimer.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition afin de maintenir le brevet tel qu'il a été modifié sur la base de la requête subsidiaire 5 déposée le 20 novembre 2023 et d'une description à adapter.