T 0576/92 26-06-1996
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Procédé de lubrification d'une surface telle qu'un moule pour la fabrication d'un objet en verre
I. La requérante (titulaire du brevet) a formé un recours reçu le 23 juin 1992 contre la décision de la Division d'opposition, signifiée le 24 avril 1992 révoquant le brevet européen n 0 238 403.
La taxe de recours a été acquittée le 23 juin 1992 et le mémoire exposant les motifs de recours a été reçu le 25. août 1992.
II. Des oppositions avaient été formées par deux opposantes O1 et O2 contre le brevet dans son ensemble et étaient basées sur les motifs de l'article 100(a) CBE. L'opposante O1 avait retiré son opposition avant la procédure orale devant la Division d'opposition.
La Division d'opposition a motivé sa décision de révoquer le brevet en considérant que l'objet revendiqué n'impliquait pas une activité inventive au regard de l'état de la technique défini par les documents :
E1 = EP-A-0 022 385
E2 = "GAS VERBRENNUNG WÄRME II", GWI-Arbeitsblätter herausgegeben vom Gaswärme-Institut e.V., bearbeitet und zusammengestellt von Dr.-Ing.I. kunca, Vulkan-Verlag Dr. W. Classen Nachf. GmbH & Co KG, Essen, 1973, Blatt 164 bis Blatt 168
E5 = "Lexikon der Physik", herausgegeben von H. Franke-Stuttgart, Franck'sche Verlagshandlung, W.Keller & Co., Stuttgart 1952, page 1369.
III. Une procédure orale s'est tenue le 26 juin 1996, durant laquelle seuls les documents E1, E2, et additionnellement les document US-A-3 076 695 (E7) et US-A-4 250 145 (E8) introduits par l'intimée, ont été pris en compte par les parties.
IV. La revendication 1 du brevet tel que délivré (requête principale) se lit comme suit :
"Procédé de lubrification d'une surface dans lequel on dépose périodiquement sur ladite surface une couche de lubrifiant contenant des particules carbonées créées par craquage d'un hydrocarbure injecté pendant un intervalle de temps déterminé dans la zone chaude créée par une flamme caractérisé en ce que cette couche de lubrifiant est réalisée à l'aide d'une flamme, de température supérieure à 2000 K, dans la zone chaude de laquelle on injecte un hydrocarbure gazeux ou un mélange d'hydrocarbures gazeux comprenant au moins 15% d'un constituant dont le rapport du nombre d'atomes de carbone au nombre d'atomes d'hydrogène C/H est supérieur à 0,75, en ce que la flamme est formée par combustion d'un mélange d'hydrocarbure et d'oxygène et en ce que ladite flamme a un facteur d'oxygène supérieur à 1, la vitesse d'injection de l'hydrocarbure dans la zone chaude créée par ladite flamme et la température de celle-ci étant contrôlées de manière à obtenir une couche poreuse de particules carbonées."
Les revendications 1 selon les requêtes auxiliaires I à IV contenues dans le mémoire de recours se basent sur la revendication 1 ci-dessus avec les modifications suivantes :
- requête auxiliaire I :
- le facteur d'oxygène est supérieur à 1,1 (f>1,1) au lieu de 1 ,
- requête auxiliaire II :
- f>1,1
- température de flamme supérieure à 2200 K (Tf>2200 K) au lieu de 2000 K,
- requête auxiliaire III :
- f>1,1
- Tf>2500 K
- requête auxiliaire IV :
- f>1,1
- Tf>2500 K
- la vitesse d'injection de l'hydrocarbure ou du mélange d'hydrocarbures gazeux est de l'ordre de 170m/s à 240m/s.
V. La requérante a fait valoir par écrit et durant la procédure orale que par rapport au document E1, les trois caractéristiques de la revendication 1 selon la requête principale, considérées comme nouvelles, à savoir : la température de la flamme, le facteur d'oxygène et le pilotage de la vitesse d'injection et de la température de flamme, ne découleraient pas de manière évidente de l'état de la technique ; en particulier le domaine technique des documents E7 et E8 relatifs à la production de noir de carbone pour les pneumatiques serait trop différent de celui du graissage de surfaces selon le brevet en cause, et, dès lors, l'homme du métier ayant à résoudre des problèmes relatifs à la lubrification de surfaces ne considérerait pas ces deux documents. Le document E1 considéré seul ou en combinaison avec les documents E2, E7 ou E8 ne fournirait aucun indice à l'homme du métier vers la combinaison des caractéristiques selon la revendication 1.
VI. L'intimée a argumenté dans ses lettres et pendant la procédure orale que l'objet de la revendication 1 suivant la requête principale ou celui des revendications 1 suivant les quatre requêtes auxiliaires n'impliquerait pas une activité inventive au regard des documents mentionnés au point III.
1) En particulier, au cours de la mise en oeuvre du procédé décrit dans le document E1, c'est-à-dire en brûlant du méthane ou de l'éthane pour obtenir la flamme dans laquelle l'acétylène à craquer est injecté, la température de cette flamme serait nécessairement supérieure à 1400 C (1673 K) et même bien supérieure à 1727 C (2000 K), suivant en cela les valeurs des températures de combustion du méthane ou de l'éthane dans (l'air ou) l'oxygène qui sont mentionnées dans le document E2, pages 164 et 167. Le document E1 décrivant un procédé selon le préambule de la revendication 1, divulguerait de manière implicite une température de flamme supérieure à 2000 K.
Le contrôle ou pilotage de la vitesse d'injection de l'hydrocarbure dans la flamme et de la température de flamme serait aussi une mesure connue du document E1 ainsi que cela ressortirait de la description, page 2, lignes 19 à 24 et page 4, lignes 1 à 6 de ce document.
La seule caractéristique nouvelle de l'objet de la revendication 1 selon la requête principale au regard du document E1 résiderait en ce que le facteur d'oxygène serait supérieur à 1.
2) Quant à l'activité inventive, l'homme du métier ayant à sa disposition le document E8 -selon lequel on obtiendrait du noir de carbone à partir d'hydrocarbure par injection d'hydrocarbure dans une flamme chaude, lequel document appartiendrait alors à un domaine technique très proche de celui du brevet en cause-, appliquerait l'enseignement résultant du tableau montré colonne 16, lignes 28 à 37 de la colonne de droite ("Measure of Porosity") ainsi que le texte colonne 15, lignes 64 à 68, d'après lequel il suffirait d'augmenter le facteur d'oxygène pour obtenir une porosité plus grande de la couche obtenue et ainsi pour résoudre le problème résultant de l'enseignement de E1, à savoir : obtenir une couche de carbone fine et poreuse ayant une granulométrie fine et constante en vue de réaliser la lubrification de surface de moules.
En outre, l'objet des revendications 1 selon les requêtes auxiliaires n'impliquerait également pas une activité inventive au regard de l'enseignement pouvant être tiré des documents cités dans la procédure.
IV. La requérante requiert l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sur la base du brevet tel que délivré (requête principale) ou sur celle d'une des quatre requêtes auxiliaires contenues dans le mémoire de recours.
L'intimée requiert le rejet du recours.
1. Le recours est recevable.
2. Etat de la technique
2.1. Le document E1 concerne un dispositif et un procédé de lubrification de la surface interne d'un moule dans lequel on dépose périodiquement sur cette surface une couche de lubrifiant contenant des particules carbonées créées par craquage d'un jet d'acétylène injecté dans la zone chaude créée par une flamme (voir page 1, lignes 1 à 8). Cette flamme est formée par combustion d'un mélange de méthane ou d'éthane avec de l'oxygène, de façon que la température de la couronne de chauffe soit de l'ordre de 1400 C (1673 K), (voir page 3, lignes 7 à 32). Par ailleurs, l'acétylène est un hydrocarbure gazeux dont le rapport C/H est supérieur à 0,75.
Une application de ce procédé dans le domaine de la verrerie permet de démouler des articles en verre.
Le procédé selon la revendication 1 de la requête principale diffère de celui décrit dans le document E1 en ce que :
- a) la température de la flamme est supérieure à 2000 K
- b) cette flamme a un facteur d'oxygène supérieur à 1
- c) la vitesse d'injection de l'hydrocarbure à craquer dans la zone chaude de la flamme et la température de celle-ci sont contrôlées de manière à obtenir une couche poreuse de particules carbonées.
2.2. Le document E7 concerne des procédés et un four de production de noir de carbone à partir d'hydrocarbures liquides ou gazeux. Tangentiellement à la paroi circulaire du four est introduit un mélange comburant/combustible de manière que, suite à sa combustion, se crée sur la paroi interne du four une couche de flamme et de produits de combustion s'étendant axialement. Au contact de la couche de flamme chaude, l'hydrocarbure injecté au centre du four est craqué et du noir de carbone est obtenu (voir colonne 1, lignes 11 à 13; colonne 4, lignes 27 à 48 ; colonne 6, lignes 10 à 12. et fig.1 à 3).
Un but de l'invention décrite dans le document E7 est de développer un four pour noir de carbone qui minimise le mélange du courant de gaz de combustion avec le courant de gaz à craquer et augmente son efficacité (voir colonne 3, lignes 18 à 21 et 51 à 56).
2.3. Le document E8 concerne également un procédé d'obtention de noir de carbone par injection d'un hydrocarbure gazeux dans la flamme chaude obtenue par combustion d'un hydrocarbure. Le brûleur comprend un stabilisateur de flamme formé d'éléments allongés non profilés pour avoir des caractéristiques de combustion optimum (voir colonne 8, ligne 31 à colonne 9, ligne 15).
Un but de l'invention est d'améliorer la forme et la stabilité de la flamme du brûleur et d'obtenir un brûleur capable de fonctionner pour de grandes variations des caractéristiques du mélange de combustion (voir colonne 2, lignes 46 à 52 ; colonne 6, lignes 60 à 66).
2.4. Le document E2 concerne un catalogue des caractéristiques physiques et chimiques des gaz naturels ; en particulier, la feuille 164 donne les températures de combustion du méthane avec l'oxygène ou l'air selon différentes valeurs du rapport stoechiométrique a (avec a < 1 pour un excès d'oxygène). Aucune information quant au craquage d'hydrocarbure ni à la lubrification d'une surface n'est divulguée dans ce document.
3. Nouveauté
Il résulte du point précédent, qu'aucun des documents cités ne divulgue un procédé de lubrification présentant toutes les caractéristiques de la revendication indépendante 1, de sorte que l'objet de la revendication 1. est nouveau au sens de l'article 54(1) CBE. La nouveauté n'a d'ailleurs pas été contestée.
4. Etat de la technique le plus proche
Il résulte du point 2 ci-dessus que l'état de la technique le plus proche est représenté par le document E1, puisqu'il est le seul à se rapporter à une utilisation identique - à savoir : le graissage d'une surface- et requiert le minimum de modifications structurelles ou fonctionnelles pour s'identifier à l'invention (voir décision T 823/91, non publiée).
5. Activité inventive
5.1. Ainsi qu'il est indiqué dans la description du brevet en cause, la couche de noir de carbone déposée sur la surface à lubrifier selon le procédé décrit dans le document E1 permet généralement une bonne lubrification, mais présente l'inconvénient d'encrasser rapidement la surface à lubrifier et, dans le cas d'une utilisation dans le domaine de la verrerie, celui de former des dépôts gras à la surface de l'article obtenu (voir colonne 3, linges 13 à 22).
Le problème technique à résoudre consiste alors à éviter la formation de dépôts gras sur la surface à lubrifier et par ailleurs à améliorer l'état de surface de l'article en verre.
Ce problème est résolu par les caractéristiques mentionnées dans le procédé selon la revendication 1 du brevet en cause, c'est-à-dire en modifiant la conduite du procédé de craquage selon le document E1 par les caractéristiques a),b) et c) mentionnées ci-dessus au point 2.1.
Selon les exemples 1 et 2 présentés dans la description du brevet en cause, la comparaison entre les bouteilles réalisées et celles obtenues dans les mêmes conditions, mais en utilisant de l'huile graphitée selon la technique habituelle, fait ressortir une nette amélioration de la qualité de peau de la bouteille obtenue selon le procédé revendiqué. De même, l'exemple 3. montre une absence quasi totale de dépôt gras à la surface des bouteilles (voir colonne 6, lignes 25 et 26, 44. à 47 ; colonne 7, lignes 10 à 12). Tenant compte de ces exemples ainsi que de l'explication, également donnée dans la description, selon laquelle l'utilisation d'une flamme comportant un excès d'oxygène par rapport à la stoechiométrie permet d'éviter le craquage du combustible responsable de la présence de particules grasses, la chambre conclut que la solution revendiquée répond effectivement au problème posé (voir colonne 3, lignes 54 à 60).
5.2. D'après la description du document E1, "le mélange comburant/combustible est réglé dans le rapport stoechiométrique de façon que la température de la couronne de chauffe dans laquelle le gaz à craquer est injecté, soit de l'ordre de 1400 C" (1673 K) (voir page 3, lignes 27 à 32 et la revendication 5). La phrase suivant ce texte débute par les mots : "A cette température". Dès lors, le document E1 montre que ce qui est recherché est effectivement une température de l'ordre de 1673 K et non pas une température résultant d'un mélange réglé dans le rapport stoechiométrique. En conséquence, sur la base de ces informations sur les conditions déterminant la valeur de température de la flamme, les deux conclusions suivantes peuvent être tirées :
a) l'évaluation du document ne permet pas de déduire une valeur autre que celle qui y est indiquée, et
b) étant donné le caractère très restreint des conditions de craquage enseignées dans ce document, la chambre de recours ne voit pas les raisons pour lesquelles l'homme du métier devrait s'écarter de la valeur recommandée pour résoudre le problème posé.
Le document E1 ne dit rien sur le rapport stoechiométrique du mélange utilisé pour obtenir cette température de flamme.
L'intimée considère au regard de la caractéristique a), c'est- à-dire une température de flamme supérieure à 2000 K, que l'homme du métier mettant en pratique le procédé selon le document E1 mesurerait nécessairement une température supérieure à 2000 K du fait que selon les données du document E2 la température d'une flamme obtenue avec du méthane ne pourrait être inférieure à cette valeur. Ce raisonnement n'est cependant pas fondé pour les raisons qui suivent :
- dire que la température de flamme selon le document E1 est supérieure à 2000 C est contraire à l'enseignement de ce document,
- dans le document E2, les tableaux de température de combustion adiabatique du méthane avec de l'air montrent que la valeur de 1673 K est atteinte pour un rapport stoechiométrique qui, selon la page 164, est une valeur "a" légèrement supérieure à 0,6 ; toute valeur "a" inférieure à 1 correspondant à un excès d'oxygène. En conséquence, il n'est donc pas inéluctable d'avoir une température de flamme supérieure à 2000 K dans le dispositif selon le document E1. De plus, rien dans le document E2 ne suggère à l'homme du métier de modifier la température divulguée dans le procédé du document E1 dans le sens d'une augmentation, en particulier de travailler au delà de 2000 K, tout en contrôlant deux paramètres permettant l'obtention d'une couche poreuse, à savoir la vitesse d'injection et la température de la flamme.
D'autre part, les moyens de pilotage de la délivrance du jet d'acétylène dans le procédé selon le document E1 permettent de former des couches de noir de carbone à des instants et endroits désirés et en quantité souhaitée, (voir page 2, lignes 19 à 24). Ils ne sont donc pas des moyens de pilotage ou de contrôle de la qualité du noir de carbone. Leur seule mention dans le document E1 ne suggère nullement un moyen de contrôle de la qualité du noir de carbone dans le procédé selon ce document et encore moins un moyen pour résoudre le problème consistant à éviter les dépôts de matière grasses sur les surfaces.
5.3. Selon le document E8, le noir de carbone obtenu sert à la fabrication de pneumatiques dans l'industrie automobile et est utilisé dans la fabrication des carcasses et des bandes de roulement. Or, les bandes de roulement doivent résister bien plus à l'abrasion que les carcasses, de sorte que la finesse du noir de carbone pour les bandes de roulement est plus élevée que pour les carcasses. Le stabilisateur de flamme selon ce document participe à la réalisation de conditions opératoires variables exigées pour les diverses qualités de ces noirs de carbone. Outre les adaptations de la structure du stabilisateur, les paramètres de combustion tels que pour le préchauffage, le type d'hydrocarbure, la richesse du mélange, la quantité d'oxygène peuvent être modifiés, mais des valeurs de températures de flammes et de rapports stoechiométriques ne sont pas mentionnées (voir colonne 2, lignes 60 à 66, colonne 12, lignes 1 à 13).
Le document E7 est aussi relatif à la production de noir de carbone, exactement comme dans le document E8, pour le domaine de la fabrication de pneumatiques. La disposition de l'injection des gaz pour la flamme est tangentielle par rapport à la paroi interne du four cylindrique et cela permet d'augmenter le rendement du transfert de chaleur de cette flamme vers l'hydrocarbure à craquer et de réduire le mélange du noir de carbone avec la flamme ou les gaz de combustion.
L'enseignement des documents E8 et E7 est donc visiblement éloigné du domaine et du problème technique selon l'invention revendiquée.
5.4. Dès lors, l'homme du métier au regard du problème mentionné au point 5.1 en partant du procédé selon le document E1, n'aurait pu considérer les documents E7 et E8 ou l'un quelconque des autres documents cités dans la procédure pour trouver une solution au problème de lubrification de surface et de suppression des dépôts de matière grasse sur ces surfaces.
5.5. Il résulte de ce qui précède qu'il n'était pas évident pour l'homme du métier de parvenir au procédé revendiqué en vue de l'état de la technique. L'objet de la revendication 1 selon la requête principale implique en conséquence une activité inventive au sens des articles 52(1) et 56 CBE.
5.6. Les revendications dépendantes 2 à 14, ainsi que la revendication 15 relative au procédé de fabrication et la revendication 16 portant sur l'utilisation du procédé selon, entre autres, la revendication 1, comprenant toutes les caractéristiques de cette dernière trouvent leur brevetabilité dans celle de la revendication 1.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision entreprise est annulée
2. Le brevet est maintenu tel que délivré.