T 0404/95 10-12-1996
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Dispositif de commande individuelle du pas des pales de rotors de giravions par vérins linéaires tournants
Activité inventive (oui)
Interprétation des revendications au cours de la procédure d'opposition
Saisine de la Grande Chambre de recours (non)
I. L'intimée est titulaire du brevet européen n 0 359 624 (n de dépôt : 89 402 417.3).
La revendication 1 du brevet se lit comme suit :
"1. Dispositif de commande individuelle du pas des pales (7) d'un rotor de giravion, comprenant pour chaque pale (7) du rotor, un vérin (29) linéaire, électro-hydraulique, à double effet et au moins un corps pour commander le pas collectif, monocyclique et, éventuellement, multicyclique en repère tournant de ladite pale, ledit vérin (29) étant entraîné en rotation avec le rotor, autour de l'axe (A) de ce dernier, et disposé sensiblement longitudinalement par rapport au mât rotor (1), et à l'extérieur de ce dernier, caractérisé en ce que chaque vérin (29) est implanté, par l'un des deux éléments que constituent son cylindre (30) et sa tige (31), sur un support tournant (25), entourant le mât rotor (1) et entraîné en rotation avec le rotor autour de l'axe (A) de ce dernier, tandis que l'autre élément du vérin (29) est relié au levier de commande de pas (24) de la pale correspondante, ledit support tournant (25) étant disposé sous le plan du rotor."
II. La requérante a fait opposition et requis la révocation complète du brevet européen.
Pour en contester la brevetabilité, elle a notamment opposé les documents :
D1 : FR-A-2 607 465 ;
D3 : JOURNAL OF THE AMERICAN HELICOPTER SOCIETY, Vol. 27, N 3, juillet 1982 ; en particulier page 25, colonne de droite, dernier paragraphe et figure 6 ;
E1 : DE-C-2 757 480 ;
E2 : Bericht zum 4. BMFT-Statusseminar, München, Avril 1986 ;
E3 : US-A-4 519 743.
III. Par décision remise à la poste le 6 mars 1995, la division d'opposition a estimé que l'objet de la revendication 1 telle que délivrée présentait la nouveauté et l'activité inventive requises ; elle a par suite rejeté l'opposition et maintenu le brevet tel que délivré.
IV. Par lettre en date du 24 mars 1995, la requérante (opposante) a formé un recours contre cette décision et réglé simultanément la taxe correspondante.
Le mémoire dûment motivé a été déposé le 29 juin 1995.
V. La requérante ne désirant pas comparaître à l'audience prévue pour le 5 novembre 1996, la chambre a décidé de l'annuler et de poursuivre la procédure par écrit.
VI. La requérante (opposante) sollicite l'annulation de la décision attaquée et la révocation complète du brevet européen en cause.
Au soutien de son action, elle expose pour l'essentiel l'argumentation suivante :
i) La nouveauté et l'activité inventive de l'objet revendiqué ne reposent que sur le terme "implanté", toutes les autres caractéristiques de la revendication étant clairement antériorisées par l'état de la technique opposé.
Ainsi qu'il ressort de la définition qui en est donnée par plusieurs dictionnaires, ce terme signifie, d'une façon générale, "planter", "insérer" ou "fixer à l'intérieur de". Il ne signifie en aucune façon "fixer de façon rigide".
Dans la description du brevet européen en cause, notamment en colonne 15, lignes 5 à 6, il est clair que le collecteur hydraulique 27 "est implanté entre un support tournant 25 et un support fixe 4". Dans ce cas, ce terme a clairement la signification de "disposer" ou "d'insérer". Il s'ensuit que ce terme ne saurait désigner une liaison complète ou rigide.
ii) Compte tenu de la signification qu'il y a lieu de donner à ce terme, l'objet de la revendication 1 ne présente pas la nouveauté exigée par rapport aux documents D1, D3 (figure 6) et E2, puisque les caractéristiques de la revendication 1 se retrouvent dans leur intégralité dans chacun de ces documents.
En particulier, le support tournant est dans le document D1 constitué par un plateau tournant cyclique ; cependant il y est expressément indiqué que ce plateau cyclique peut être supprimé ; dans ce cas, les vérins sont alors directement fixés de façon rigide sur un support tournant ne pouvant pas se déplacer le long du mât rotor.
iii) Même s'il convient de donner au terme litigieux le sens d'une implantation rigide, l'objet de la revendication 1 ne présenterait pas pour autant l'activité inventive requise. En effet la seule différence existant entre le dispositif du document E3 et l'objet revendiqué réside dans le fait que l'actionneur de ce document est électrique et ne consiste donc pas en un vérin linéaire électro-hydraulique.
Au surplus, il est connu en liaison avec un dispositif de commande de pas de pales, d'utiliser des vérins hydrauliques dont le cylindre n'est pas articulé mais au contraire fixé de façon rigide sur un support (voir le document E1). Il est par conséquent à la portée de l'homme du métier de remplacer les actionneurs électriques du document E3 par des vérins hydrauliques tout en conservant leur implantation rigide sur le support tournant.
Il y a lieu d'ajouter que le document D3 montre à la figure 6 des vérins articulés sur le support tournant. Par contre dans le mode de réalisation de la figure 5, les cylindres des vérins sont fixés de façon rigide. Il s'ensuit qu'il est évident pour tout homme du métier d'assujettir les vérins de la figure 6, comme le montre la figure 5, c'est-à-dire de créer entre chaque vérin et le support tournant une liaison compléte sans possibilité de débattement.
VII. L'intimée (titulaire du brevet) a réfuté point par point l'argumentation de la requérante.
Elle sollicite le rejet du recours formé et le maintien du brevet européen tel que délivré.
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106 à 108 ainsi qu'aux règles 1(1) et 64 CBE ; il est recevable.
2. Interprétation de la revendication 1 (article 69 CBE)
2.1. L'invention, telle que définie dans la revendication 1 du brevet européen en cause, se rapporte à un dispositif de commande individuelle du pas des pales d'un rotor de giravion, en particulier d'un hélicoptère, comprenant pour chaque pale du rotor un vérin linéaire, électro- hydraulique à double effet, ledit vérin étant entraîné en rotation avec le rotor, autour de ce dernier et disposé sensiblement longitudinalement par rapport au mât rotor et à l'extérieur de ce dernier.
Le dispositif revendiqué est caractérisé en ce que chaque vérin est "implanté" par l'un des deux éléments qui constituent son cylindre et sa tige sur un support tournant entourant le mât rotor et entraîné en rotation autour de l'axe de ce dernier, tandis que l'autre élément du vérin est relié au levier de commande de pas de la pale correspondante, ledit support tournant étant disposé sous le plan du rotor.
Les deux parties sont en désaccord sur le sens qu'il convient d'attribuer au terme "implanté". En effet, selon la requérante, ce terme signifie aussi bien dans son acceptation courante que technique "inséré" ou "disposé" mais en tout cas pas fixé de façon rigide ; au contraire, selon l'intimée, ce terme signifie dans le cas d'espèce, "intégré" ou "inséré de façon rigide sans possibilité de débattement".
2.2. Pour trancher cette question, il convient de rechercher le sens qu'a voulu lui donner le rédacteur de la demande de brevet d'origine et par suite de se référer à la description et aux dessins. A cet égard, contrairement aux assertions de la requérante, la disposition de l'article 69(1) CBE, selon laquelle la description et les dessins (s'il y en a) servent à interpréter les revendications, s'applique également à la procédure d'opposition ou de recours quand il s'agit de déterminer objectivement la teneur d'une revendication afin d'apprécier la nouveauté et la non-évidence de son objet (voir décision T 16/87, JO OEB 92, 212, point 6 des motifs).
On peut, à cet effet, se référer aux buts poursuivis par l'invention revendiquée qui sont énoncés dans la partie introductive de la description. Le but principal de l'invention (colonne 6, second paragraphe) est de proposer un dispositif de commande du type comprenant des vérins linéaires tournants présentant "l'avantage de garantir une excellente tenue mécanique des organes rotatifs qui sont soumis à la force centrifuge et une reprise des efforts qui les sollicitent".
Un but additionnel de l'invention (colonne 7, premier paragraphe) est un dispositif de commande, "dans lequel la reprise de la quasi-totalité des efforts, notamment centrifuges, est assurée directement par un organe solidaire du mât rotor". Un autre but de l'invention (colonne 7, second paragraphe) est un dispositif "dont la vulnérabilité, l'encombrement et la traînée sont réduits par l'intégration de composants hydrauliques directement dans ledit organe solidaire du mât rotor".
Il est manifeste que les buts ci-dessus ne peuvent être atteints que si les vérins sont intégrés d'une façon rigide à l'intérieur de l'organe solidaire du mât rotor, en l'espèce le support tournant, c'est-à-dire fixés par une liaison complète sans aucune possibilité de débattement. En effet, si les vérins étaient simplement disposés sur l'organe rotatif et reliés par exemple, par une articulation à celui-ci, il est clair que l'organe rotatif en question ne pourrait pas assurer la reprise des efforts centrifuges auxquels seraient soumis les vérins ; au surplus, si les vérins étant disposés à l'extérieur, l'encombrement et la traînée ne pourraient pas non plus être réduits.
Cette interprétation du terme "implanté", c'est-à-dire inséré de façon rigide sans possibilité de débattement, est corroborée par les revendications dépendantes et les deux exemples de réalisation décrits en liaison avec les dessins. En effet, la revendication 6 qui dépend de la revendication 1 précise que chaque vérin est "intégré par son cylindre dans ledit support tournant". Sur la figure 1 où est représenté le premier mode de réalisation, on observe que le cylindre (30) du vérin (29) est directement ménagé dans la paroi du support tournant 25. Il est d'ailleurs dit en colonne 14, lignes 19 à 22, que les deux canalisations hydrauliques 37a, 37b sont percées directement "dans la partie du support tournant formant le cylindre 30 du vérin 29 correspondant".
Dans le mode de réalisation de la figure 2, on retrouve également un vérin dont le cylindre est intégré dans le support tournant. Il est expressément indiqué en colonne 18, lignes 28, 29 que le cylindre 80 du vérin "est d'une seule pièce avec le carter annulaire 75a du support tournant 75". Ainsi, dans les deux modes de réalisation, le cylindre du vérin est directement ménagé dans la paroi du support tournant, c'est-à-dire réalisé d'une seule pièce avec celui-ci.
Il ressort des considérations ci-dessus que l'expression "implanté sur le support tournant" signifie bien "inséré dans le support tournant de façon rigide sans aucune possibilité de débattement".
4. Nouveauté :
Compte tenu de l'interprétation ci-dessus du terme "implanté", l'objet de la revendication 1 présente la nouveauté exigée par rapport aux documents D1, D3 (figure 6) et E2 :
Dans le document D1 (figure 5), chacun des vérins de commande 37 agissant sur le levier de commande de pas de la pale correspondante est relié au plateau tournant 18 par une biellette articulée sur ledit plateau. Les vérins de commande ne sont donc pas insérés de façon rigide à l'intérieur du plateau.
Il en est de même des vérins du document D3 (figure 6) et E2 qui sont articulés sur le support tournant.
5. Activité inventive :
5.1. L'invention faisant l'objet du brevet européen en cause concerne un dispositif de commande individuelle du pas des pales du type comprenant des vérins linéaires tournants, disposés longitudinalement à l'extérieur du mât rotor, lesdits vérins étant montés sur un support tournant entourant le mât rotor, chacun desdits vérins agissant sur le levier de commande de pas de la pale correspondante.
Un dispositif de commande de ce genre est connu, cf. le document E2 ou le document D3 (figure 6). Dans chacun de ces documents, les vérins linéaires sont articulés sur le support tournant entourant le mât rotor.
Le rédacteur du brevet européen en cause a considéré que les dispositifs de commande connus de ce type présentaient l'inconvénient de ne pas garantir une bonne tenue mécanique des organes rotatifs, notamment des vérins qui sont soumis à la force centrifuge.
Par conséquent, en partant de cet état de la technique le plus proche, le problème posé est pour l'essentiel celui qui est exposé dans le brevet européen en cause, à savoir de proposer un dispositif de commande du type indiqué dans le préambule de la revendication 1 qui ne présente pas l'inconvénient ci-dessus, c'est-à-dire qui permette de garantir une excellente tenue mécanique des organes rotatifs soumis à la force centrifuge et une reprise des efforts qui les sollicitent, sans compliquer la transmission de fluides hydrauliques et/ou de signaux électriques ou optiques à ces organes.
5.2. Ce problème est résolu conformément à la partie caractérisante de la revendication 1 en ce que chaque vérin est implanté par l'un des deux éléments qui constituent son cylindre et sa tige sur le support tournant entourant le mât rotor, l'autre élément du vérin étant relié au levier de commande de pas de la pale correspondante.
5.3. Contrairement à ce que soutient la requérante, la solution revendiquée n'est ni décrite, ni suggérée par le mode de réalisation de la figure 5 du document D3 :
En effet, la figure 5 montre un mode de réalisation qui n'est pas du type indiqué dans le préambule de la revendication 1 puisque les vérins de commande ne sont pas disposés à l'extérieur mais à l'intérieur du mât rotor. Un tel mode de réalisation présente l'inconvénient d'imposer un mât rotor tubulaire de grand diamètre interne, au moins dans sa partie inférieure, pour loger non seulement les vérins mais également leur alimentation hydraulique et électrique. Au surplus, ainsi que l'expose l'auteur du document D3, il soulève des difficultés sur le plan de l'échauffement et c'est pour remédier à cet inconvénient que, dans le mode de réalisation de la figure 6, les vérins de commande ont été disposés à l'extérieur du mât rotor et assujettis par une articulation sur le support tournant afin d'obtenir un effet de ventilation améliorant leur refroidissement.
Par suite, l'homme du métier qui chercherait à perfectionner le mode de réalisation de la figure 6, ne serait nullement incité à chercher ce perfectionnement dans le mode de réalisation de la figure 5 jugé désavantageux. Il y a lieu d'ajouter que le document D3 ne donne aucune indication sur la fixation des vérins à l'intérieur du mât rotor ; cette caractéristique n'est en aucune façon montrée sur la figure 5 ; elle ne peut donc se déduire que par un raisonnement qui, en l'absence de toute indication, ne peut être qu'à posteriori, c'est-à-dire en ayant la connaissance préalable de l'invention revendiquée.
5.4. Le document D1 a pour objet un dispositif de commande du type énoncé dans le préambule de la revendication 1, dans lequel les vérins sont articulés sur le support tournant. Rien par conséquent ne suggère dans ce document d'insérer les vérins de manière rigide dans le support tournant de façon que la totalité des efforts centrifuges auxquels sont soumis les vérins soit encaissée par le support tournant de façon à garantir une bonne tenue mécanique desdits vérins.
5.5. Il est indéniable que dans le document E3, le dispositif de commande individuelle du pas des pales comprend un actionneur fixé sur un support rotatif à l'extérieur du mât rotor. Mais il convient d'observer que l'actionneur en question comporte non seulement un moteur électrique produisant un mouvement circulaire, mais également un mécanisme de transformation de ce mouvement circulaire en mouvement rectiligne alternatif. Ainsi qu'il est bien visible sur la figure 3 de ce document, l'actionneur ainsi défini est fixé sur deux supports rotatifs 48 et 50. écartés l'un de l'autre. Il ne s'agit donc pas d'un actionneur qui serait inséré de manière rigide à l'intérieur d'un seul support rotatif.
Il est également vrai que le document D1 précise que les vérins peuvent être de type hydraulique, pneumatique, électrique ou électro hydraulique (page 11, lignes 10 et 11). Toutefois, ce document ne précise pas que l'on puisse remplacer un élément d'actionnement formé par un moteur électrique et un mécanisme de transformation du mouvement circulaire en rectiligne alternatif par un vérin de type hydraulique, pneumatique, électrique ou électro hydraulique.
En supposant même qu'il soit à la portée de l'homme du métier de remplacer l'actionneur à moteur électrique et mécanisme de transformation du mouvement par un vérin, ce dernier ne pourrait pas pour autant aboutir à l'invention revendiquée à savoir à un vérin qui serait inséré à l'intérieur d'un support tournant unique, sans possibilité de débattement de manière à garantir une bonne tenue mécanique desdits organes aux efforts centrifuges, ces efforts étant encaissés par le support tournant.
5.6. Dans le document E1, il est certes proposé de remplacer des moteurs électriques de commande mais ces moteurs de commande ne sont pas montés sur un support tournant, le support décrit n'étant mobile que verticalement pour la commande du pas collectif des pales. Il s'ensuit que des vérins qui seraient rapportés sur ce support ne seraient en aucune façon soumis à des efforts centrifuges. Un tel document ne saurait donc suggérer la solution revendiquée qui repose sur l'idée de trouver justement une structure apte à améliorer la tenue mécanique de vérins soumis à des efforts centrifuges.
5.7. Pour les motifs ci-dessus exposés, l'objet de la revendication 1 présente l'activité inventive requise au sens de l'article 56 CBE.
Cette conclusion s'étend également aux revendications 2 à 24 qui sont rattachées à la revendication 1 et qui ont pour objet des modes préférés de réalisation du dispositif de commande selon la revendication 1.
6. Force est donc de constater que le motif d'opposition invoqué ne s'oppose pas au maintien du brevet européen tel que délivré.
7. La requérante a également demandé par écrit de poser à la Grande Chambre de recours la question de savoir si, pour l'examen de la nouveauté d'une revendication indépendante, une caractéristique revendiquée (dans le cas d'espèce le terme "implanté") pouvait être interprétée à la lumière de la description des dessins et des sous-revendications, dès lors que la revendication telle que rédigée ne présente pas la nouveauté requise.
Il y a lieu d'observer que la jurisprudence des chambres de recours a déjà tranché cette question. En effet, ainsi qu'il a été déjà exposé, la disposition de l'article 69(1) CBE s'applique, selon la décision T 16/87 précitée, également dans la procédure d'opposition quant il s'agit de déterminer la nouveauté et l'activité inventive de l'objet d'une revendication (point 6 des motifs). Il est également fait référence à la décision T 565/89 (non publiée), point 4.2 des motifs.
La requête en saisine de la Grande Chambre de recours est donc rejetée.
DISPOSITIF
Par ces motifs il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.