T 0756/18 16-12-2019
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Droit d'être entendu - vice substantiel de procédure (oui)
Remboursement de la taxe de recours - équitable en raison d'un vice substantiel de procédure
Renvoi à la première instance - vice majeur dans la procédure de première instance (oui)
I. La requérante (la titulaire du brevet) a formé un recours dans le délai et la forme prescrits contre la décision de la division d'opposition de révoquer le brevet européen N° 2 534 052.
II. Avec la notification du 8 mai 2019 conformément à la règle 100(2) CBE la Chambre a communiqué son opinion préliminaire selon laquelle la procédure d'opposition serait entachée de vices majeurs de telle sorte que la décision contestée devrait être annulée et l'affaire renvoyée à la division d'opposition en vertu de l'article 11 RPCR 2007. Il serait dans ces conditions équitable d'ordonner le remboursement de la taxe de recours conformément à la règle 103(1)a) CBE.
Avec cette notification la Chambre a aussi demandé aux intimées I à IV (respectivement les opposantes 1 à 4) d'indiquer si elles maintenaient leurs requêtes en tenue de procédure orale.
III. Etant donné que seulement l'intimée IV a retiré avec son courrier du 8 juillet 2019 sa requête en tenue de procédure orale, celle-ci a eu lieu comme prévu le 16 décembre 2019.
L'intimée IV qui avait été citée régulièrement à la procédure orale, n'y a pas comparu. La procédure orale s'est donc tenue en son absence conformément à la règle 115(2) CBE et l'article 15(3) RPCR 2007. Pour plus de détails il est fait référence au procès-verbal de la procédure orale.
Le dispositif de la présente décision a été annoncé à la fin de la procédure orale.
IV. La requérante requiert:
l'annulation de la décision de révocation du brevet pour vices substantiels de procédure, le renvoi de l'affaire devant la division d'opposition et le remboursement intégral de la taxe de recours conformément à la règle 103 CBE,
à titre subsidiaire, l'annulation de la décision de révocation du brevet pour erreurs d'appréciation sur le fond et le renvoi de l'affaire à la division d'opposition sur la base de la requête principale de la décision contestée (requête redéposée avec le mémoire de recours comme requête subsidiaire 1),
à titre plus subsidiaire, que le brevet soit maintenu sous forme modifiée selon l'une des requêtes subsidiaires 2 à 8 déposées avec le mémoire de recours.
V. Les intimées I à IV (au vu de ses écritures pour l'intimée IV) requièrent:
le rejet du recours.
VI. Les arguments de la requérante contestant la décision de la division d'opposition et les contre-arguments des intimées I-IV pertinents pour la décision sont traités en détail ci-après dans les motifs de la décision.
1. Absence de l'intimée IV à la procédure orale
Bien que l'intimée IV n'ait pas assisté à la procédure orale, le principe du droit d'être entendu selon l'article 113(1) CBE a bien été respecté puisque cet article dispose uniquement que les parties doivent avoir la possibilité d'être entendues et que, par conséquent, si une partie est absente à la procédure orale, elle renonce à cette possibilité (cf. note explicative de l'article 15(3) RPCR 2007 cité dans
T 1704/06, non publiée au JO OEB, cf. aussi La Jurisprudence des Chambres de recours, 9ème édition 2019, III.B.2.7.3 et V.A.4.5.3).
Les arguments de l'intimée IV présentés par écrit ont été pris en compte par la Chambre conformément à l'article 15(3) RPCR 2007 pour parvenir à sa décision.
2. La requérante considère que la division d'opposition a violé son droit d'être entendue car pendant la procédure orale, alors que la requérante avait l'intention de déposer de nouveaux jeux de revendications subsidiaires correspondants à ceux déjà admis en supprimant les revendications couvrant l'ensemble unitaire jugées non brevetables, la division d'opposition a indiqué que seule une autre requête subsidiaire serait autorisée.
La requérante fait valoir que ses nouvelles requêtes visaient explicitement à répondre à l'objection d'absence de nouveauté de l'ensemble unitaire et qu'il était donc clair qu'elle n'essayait aucunement de retarder la procédure. Les requêtes auraient donc dû être admises selon elle.
La requérante soutient en outre que la division d'opposition n'a pas motivé suffisamment la décision de révocation du brevet conformément à la règle 111(2) CBE, car elle n'a pas indiqué les motifs de son refus d'admettre de nouvelles requêtes subsidiaires sur la base de celles admises sans les revendications couvrant l'ensemble unitaire. Pour cette raison également son droit d'être entendue a été violé selon elle.
3. La Chambre partage en substance l'opinion de la requérante pour les raisons suivantes.
3.1 Le procès-verbal de la procédure orale devant la division d'opposition se lit comme suit (voir page 4, points 6.1 - 6.3 du procès-verbal) :
"6.1 Le président demande au Titulaire du brevet s'il veut soumettre une dernière requête auxiliaire.
6.2 Le Titulaire demande de soumettre un nouveau jeu avec plusieurs requêtes auxiliaires.
6.3 Le président présente les raisons pour lesquelles une seule requête auxiliaire sera autorisée."
La chambre considère que l'indication de la division d'opposition qu'une seule requête subsidiaire serait a priori recevable revient à ne pas admettre d'autres requêtes de la requérante avant même qu'elles aient effectivement été soumises, restreignant de facto, sans aucune justification dérivable du dossier, les moyens d'action laissés à la disposition de la requérante.
Il n'est d'ailleurs à ce titre pas équitable de reprocher a posteriori à la requérante de ne pas avoir déposé de requêtes subsidiaires supplémentaires lors de la procédure orale, comme le fait par exemple l'intimée I, étant donné que le président de la division d'opposition a présenté, de façon préalable, les raisons (point 6.3 du procès-verbal), d'ailleurs non fournies dans la décision contestée (cf. point 5 ci-dessous), pour lesquelles une seule requête subsidiaire serait autorisée, c'est-à-dire qu'aucune autre supplémentaire ne serait recevable.
A ce titre la Chambre est d'avis, au vu du déroulement de la procédure orale décrit dans le procès-verbal, points 4.3.6 à 6.3, que les raisons présentées oralement ne reflétaient pas la simple opinion du Président de la division d'opposition comme le suggèrent les intimées mais bien le résultat d'une délibération de la division d'opposition, cf. point 4.3.6. Il est donc crédible de penser qu'il était illusoire d'espérer pour la requérante de pouvoir passer outre et ainsi forcer la main à la division d'opposition en déposant plus d'une requête subsidiaire.
Dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation la division d'opposition peut ne pas admettre de nouvelles requêtes produites pendant la procédure orale, en particulier si elles n'écartent pas, au moins de prime abord, les objections soulevées qui avaient été considérées antérieurement comme valables.
La Chambre est d'avis qu'en règle générale la question de savoir si une modification est utile est une question qui ne peut être tranchée que sur la base du contenu de cette modification, c'est à dire après que cette modification a effectivement été produite (voir La Jurisprudence des Chambres de recours, supra,
IV.C.5.1.3).
Des raisons pour n'"autoriser" qu'une seule requête subsidiaire et donc pour considérer toute autre requête supplémentaire de la requérante comme irrecevable avant même qu'elle ait effectivement été soumise n'apparaissent pas de façon évidente du dossier. En plus du fait qu'aucune base légale pour ce faire n'est disponible dans la CBE, un abus de procédure ou une man½uvre dilatoire de la part de la requérante n'est ici pas apparent.
3.2 Contrairement à l'avis de l'intimée III, le dépôt d'une requête subsidiaire ne constitue pas en soi un abus de procédure pour la simple raison qu'un avis préliminaire négatif sur certaines objections a été émis par la division d'opposition à l'encontre d'une ou de plusieurs de ses revendications.
La chambre n'a aucune raison de douter que la requérante avait réellement indiqué à la procédure orale son intention de supprimer les revendications des requêtes présentes dans le dossier (cf. point 1.2 du procès-verbal) dont les objets avaient été considérés comme n'étant pas nouveaux par la division d'opposition, cf. demande de correction du point 6.2 du procès-verbal soumise par la requérante avec sa lettre du 20 Mars 2018. Dans sa notification du 26 mars 2018, la division d'opposition n'aborde d'ailleurs pas spécifiquement cette demande de correction et les intimées, en particulier les intimées I à III lors de la procédure orale devant la Chambre, ne contestent pas que la requérante souhaitait déposer effectivement plusieurs jeux de revendications, sans toutefois confirmer ou infirmer l'exactitude de la correction requise. Les objets restants à discuter dans les requêtes auraient donc été a priori de toute évidence déjà étudiés par les parties et la division d'opposition lors de leur préparation à la procédure orale, ce que les intimées I à III ont d'ailleurs confirmé lors de la procédure orale devant la Chambre. Ils ne pouvaient donc pas constituer une surprise à leur égard. Les modifications envisagées semblaient ainsi utiles pour le bon déroulement de la procédure et, pour ces raisons, la Chambre ne partage pas l'avis des intimées que la requérante aurait dû déposer les requêtes en question préalablement lors de la phase écrite pour éviter cet écueil. Dans le cas où la requérante aurait déposé, contrairement à son affirmation, des requêtes différentes de celles mentionnées, c'est-à-dire comprenant encore des revendications relatives aux objets non brevetables, la division d'opposition aurait eu alors tout loisir d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de justifier leur irrecevabilité. Elle a au contraire choisi d'empêcher par anticipation la requérante dans ses moyens d'action en procédure d'opposition et, par la même, en procédure de recours, étant donné le traitement éventuel à l'aulne du pouvoir discrétionnaire des Chambres de recours en vertu de l'article 12(4) RPCR 2007 des requêtes qui auraient dû être déposées en première instance.
3.3 Il semble donc ressortir du déroulement de la procédure orale devant la division d'opposition que la requérante essayait effectivement à la fois de réagir aux objections de la division d'opposition et d'avoir une discussion, et une décision en final, sur les autres revendications indépendantes déjà présentes, qui étaient aussi objets du brevet.
3.4 La Chambre ne peut pas suivre l'argument de l'intimée II selon lequel la requérante, par analogie avec la règle 106 CBE, aurait dû soulever déjà pendant la procédure orale l'objection que son droit d'être entendu n'était pas respecté. Comme l'a indiqué la requérante, une telle exigence n'est pas prévue par la CBE pour la procédure d'opposition.
4. Une fois qu'une division d'opposition a exercé son pouvoir d'appréciation, une Chambre de recours ne devrait statuer dans un sens différent, que si elle parvient à la conclusion que la division d'opposition ne l'a pas exercé conformément aux principes corrects ou qu'elle l'a exercé de manière déraisonnable, outrepassant ainsi les limites appropriées de ce pouvoir (voir G 7/93, JO OEB 1994, 775, point 2.6 des motifs; La Jurisprudence des Chambres de recours, supra, V.A.3.5.1.b).
La Chambre est d'avis qu'en l'espèce, en déclarant n'admettre qu'une seule requête subsidiaire et donc en écartant d'emblée d'autres requêtes supplémentaires sans même avoir examiné si les modifications envisagées auraient permis d'écarter toutes les objections valablement soulevées jusque là sans donner lieu à de nouvelles, les rendant ainsi potentiellement recevables, la division d'opposition a outrepassé les limites appropriées de son pouvoir d'appréciation et a violé le droit d'être entendu de la requérante.
Tel qu'indiqué précédemment, une raison valable pour limiter dans le cas présent la requérante à ne déposer a priori qu'une seule requête subsidiaire n'est pas apparente.
5. La Chambre considère que le droit d'être entendu de la requérante a également été violé par la division d'opposition, car cette dernière n'a motivé en aucune façon dans sa décision écrite au sens de la règle 111(2) CBE les raisons fournies oralement de restreindre la requérante à ne déposer qu'une seule requête subsidiaire supplémentaire pendant la procédure orale, raisons qui constituent une décision de la division d'opposition au vu du déroulement de la procédure orale (cf. point 3.1 ci-avant).
6. La Chambre est donc d'avis que la procédure d'opposition est entachée de vices majeurs de telle sorte que la décision contestée doit être annulée et l'affaire renvoyée à la division d'opposition en vertu de l'article 11 RPCR 2007.
7. Dans ces circonstances la Chambre considère aussi équitable d'ordonner le remboursement de la taxe de recours en vertu de la règle 103(1)a) CBE en raison des vices substantiels de procédure commis par la division d'opposition explicités ci-avant.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition afin de poursuivre la procédure.
3. La taxe de recours est remboursée.