T 0255/91 (Priorité) 12-09-1991
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Priorité revendiquée (non)
Demande antérieure des prédécesseurs en droit de la demanderesse exposant les mêmes caractéristiques avec un large domaine de valeurs
Limitation (par ex. par un "disclaimer") réduisant l'étendue de la protection, mais ne modifiant en rien la nature de l'invention
Nouveauté (non)
I. La division d'examen a rejeté la demande de brevet européen n° 86 103 489.0 (n° de publication 0 195 388) au motif que l'objet de la revendication 1 était dépourvu de nouveauté, puisque la priorité revendiquée pour cette demande n'était pas valable, du fait de l'existence d'une demande antérieure n° 537 309 (dénommée ci-après P1), que les prédécesseurs en droit de la demanderesse avaient déposée aux USA le 29 septembre 1983, soit plus de douze mois avant le dépôt de la présente demande, et dont la priorité avait été revendiquée pour la demande EP-A- 0 135 936, dénommée ci-après D1), et puisque la demande D1, qui exposait l'objet de la revendication 1 de la présente demande, avait été publiée avant la date de dépôt de la présente demande.
II. La requérante (demanderesse) a formé un recours contre cette décision.
III. - V. ...
Requête principale :
La revendication 1 s'énonce comme suit :
"1. Procédé pour obtenir, à partir de l'air ambiant, un courant d'un produit ayant une concentration en oxygène modérément enrichie, comprenant les étapes suivantes :
(1) introduction de l'air d'alimentation dans un lit d'adsorbant sélectif retenant l'azote, afin d'augmenter la pression dans ce lit en la faisant passer de la pression atmosphérique à une première pression d'un niveau supérieur, mais n'excédant pas environ 10 atmosphères,
(2) puis, réduction de la pression du lit pour obtenir une deuxième pression d'un niveau intermédiaire qui soit supérieure à la pression atmosphérique, mais inférieure à 0,75 fois la valeur de la première pression, les valeurs 0,56 et 0,67 des rapports entre les deuxièmes et premières pressions étant exclus, ...
(3) ensuite, aération du lit pour restaurer la pression atmosphérique à l'intérieur de celui-ci"...
VI. A l'appui de ses requêtes, la requérante a fait valoir essentiellement les arguments suivants :
La présente demande met l'accent sur le fait que la réduction de la pression lors du passage de la première à la deuxième pression s'opère sur la base d'un rapport entre ces deux pressions, et présente cette caractéristique comme essentielle pour la réalisation de l'invention ; il s'agit là d'une première caractéristique qui est nouvelle par rapport au document P1 : en effet, bien que P1 expose un procédé comportant des caractéristiques de l'invention faisant l'objet de la présente demande, il découle directement de ce document que la réduction de la pression est effectuée sur la base de la différence entre la première et la deuxième pression. Même si l'on pouvait considérer que l'homme du métier qui prendrait en compte l'enseignement de P1 aurait le choix entre une différence de pressions et un rapport de pressions, le choix d'un rapport de pressions comme c'est le cas dans la demande en cause signifierait en lui-même que l'objet de la présente demande est nouveau par rapport à celui du document P1. En outre, la présente demande comprend une deuxième caractéristique, à savoir une limite supérieure concernant les valeurs admissibles du rapport de pressions, qui ne peut être déduite de P1 et qui résulte donc également d'une sélection opérée à l'intérieur du domaine des rapports de pressions admissibles que l'on peut déduire de P1. Pour ce qui est de cette deuxième caractéristique, la requérante a également soumis un nouvel exemple correspondant à un essai dans lequel la concentration en air enrichi ainsi obtenue était de 32,6 % lorsque la valeur du rapport de pressions était de 0,45, c'est-à-dire, conformément à la demande, inférieure à 0,56 - et donc à 0,75 - et différente également de 0,67 et 0,56, résultat qu'il convient de comparer aux résultats présentés dans le passage page 9, lignes 6 à 20 de D1, et dans le passage de P1 correspondant, où, avec une valeur du rapport de pressions de 0,67, la concentration en air enrichi ainsi obtenue est de 28,0 %. D'après la requérante, ce résultat surprenant prouve que la présente demande a pour objet une sélection appropriée. Par conséquent, puisque le procédé faisant l'objet de cette demande présente deux caractéristiques distinctives que l'on ne peut déduire de P1, il est nouveau, et P1 ne peut être considéré comme la "première demande" pouvant servir de base pour la revendication du droit de priorité.
A ce propos, la requérante s'est référée à l'opinion exprimée dans la doctrine en matière de droit des brevets, à savoir qu'une demande qui ajoute des caractéristiques à une demande antérieure donnant naissance à un droit de priorité peut servir de base pour la revendication du droit de priorité afférent à une deuxième demande de brevet, différente de ladite demande antérieure (cf. notamment Schulte "Patentgesetz", paragraphe 41, n° 4, Carl Heymanns Verlag KG, Cologne, Berlin, Bonn, Munich, 4e édition, 1987, et Benkard, "Patentgesetz", "Einleitung", n°s 13, 16 et 18, C.H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, Munich 1981).
1. Le recours est recevable.
2. Requête principale :
2.1 Priorité
2.1.1 La présente demande de brevet européen revendique la priorité de la demande de brevet n° 713 503, déposée aux USA le 19 mars 1985, soit moins de douze mois avant le 14 mars 1986, date à laquelle avait été déposée la demande de brevet européen en cause. Toutefois, les prédécesseurs en droit de la requérante, c'est-à-dire les inventeurs, avaient pour leur part déposé aux USA la demande de brevet P1, et ce le 29 septembre 1983, soit plus de douze mois avant la date de dépôt de la présente demande de brevet européen. Il est à remarquer que la priorité de cette demande de brevet US (P1) avait été revendiquée dans une demande D1, et qu'elle ne peut donc être considérée comme n'ayant laissé subsister aucun droit (article 87(4) CBE).
2.1.2 Afin de juger si la demande dont la priorité est revendiquée pour la présente demande constitue ou non la "première demande" au sens de l'article 87(1) et (3) CBE, il convient donc de déterminer si la demande de brevet US antérieure (P1) expose la même invention que la présente demande, autrement dit si elle détruit sa nouveauté (cf. par exemple la décision non publiée T 116/84 du 28 novembre 1984).
2.1.3 Or, pour juger si l'objet d'une demande de brevet est nouveau par rapport à un document antérieur, il faut, comme l'a constaté la chambre de recours dans sa décision T 26/85 (JO OEB 1990, 22), déterminer si les renseignements donnés à l'homme du métier dans le document antérieur sont suffisants pour lui permettre de mettre en pratique l'enseignement technique qui fait l'objet de cette demande ; c'est pourquoi, pour apprécier la nouveauté de l'invention par rapport à l'exposé d'un document antérieur dans le cas d'un recoupement entre les plages de valeurs d'un certain paramètre, l'on doit se demander si l'homme du métier, connaissant les données techniques, aurait envisagé sérieusement de mettre en application l'enseignement technique du document antérieur dans la plage de valeurs commune ; si l'on peut raisonnablement supposer que ce serait le cas, il faut conclure qu'il n'y a pas de nouveauté.
2.1.4 Le procédé exposé dans la revendication 1 de la présente demande comprend les trois étapes exposées dans le document P1 (cf. de la page 4, ligne 20, à la page 8, ligne 19 ; dessins 1 et 2 du document D1 correspondant). Toutefois, dans cette revendication 1, il est précisé en outre que dans l'étape (2) du procédé, la valeur de la deuxième pression d'un niveau intermédiaire se situe dans la plage comprise entre la pression atmosphérique et une valeur inférieure à 0,75 fois la première pression, les valeurs 0,56 et 0,67 du rapport de pressions étant exclues, alors que le document P1 ne prévoit pas une telle limite supérieure et qu'il n'exclut pas non plus ces deux dernières valeurs. Par conséquent, le domaine des valeurs de la pression exposé par P1 recouvre totalement celui divulgué par la revendication 1 de la présente demande.
2.1.5 La requérante a fait valoir que dans la présente demande, la réduction de la pression opérée lors du passage de la première à la deuxième pression s'effectue sur la base d'un rapport entre ces deux pressions : elle souligne qu'il s'agit là d'une caractéristique essentielle pour la réalisation de l'invention, caractéristique qui, à son avis, ne peut être déduite directement du document P1. D'ailleurs, même si l'enseignement de P1 permettait à l'homme du métier de conclure que cette réduction peut s'effectuer sur la base soit d'une différence, soit d'un rapport de pressions, cet enseignement consisterait en un ensemble de deux éléments (différence, rapport) et différerait donc de celui de la présente demande (où il n'est question que d'un rapport) ; partant du document P1, l'homme du métier devrait choisir entre ces deux possibilités pour parvenir à l'objet revendiqué dans la présente demande, lequel serait de ce fait nouveau par rapport à P1. Cet argument n'est toutefois pas pertinent. La première pression et la deuxième pression "réduite" sont mises en relation, et cette relation entre ces deux pressions peut être définie soit en termes de "différence", soit en termes de "rapport". Il se peut que l'une de ces relations, par exemple le "rapport", puisse constituer un mode d'expression mathématique plus simple et plus commode. Néanmoins, il n'a pu être décelé d'effet technique imputable à l'utilisation de l'un de ces modes d'expression pris en particulier. Autrement dit, l'homme du métier qui mettra en pratique le procédé selon P1 passera de la première pression à la deuxième pression réduite par rapport à la première, en se servant, par exemple, de l'appareil approprié ; le résultat technique obtenu ne changera pas selon que le cadran de cet appareil indiquera des différences (valeurs linéaires) ou des rapports (valeurs logarithmiques). Dans les deux cas, l'homme du métier pourra déterminer des domaines de valeurs admissibles correspondant soit à des différences, soit à des rapports de pressions, et regraduer en conséquence le cadran en question. Par conséquent, la Chambre ne considère pas cette première caractéristique comme une caractéristique distinctive.
2.1.6 En ce qui concerne la limite supérieure de 0,75, la requérante a en outre fait valoir que dans la description de la présente demande et dans son document de priorité, il est précisé que "un élément essentiel de la présente invention est la limitation de la valeur maximum de la seconde pression à 0,75 fois la valeur de la première", et que cette indication constitue une caractéristique nouvelle d'une invention nouvelle par rapport au document P1, qui n'exposait pas une telle limitation. Toutefois, P1 expose sans équivoque que la première pression (entre 10 et 4 atmosphères) est amenée au niveau d'une pression intermédiaire (0,67 % et 0,57 % de la première pression, d'après les exemples), puis de la pression atmosphérique. C'est pourquoi le domaine théorique "première pression > pression intermédiaire > pression atmosphérique" est couvert par P1, et il apparaît que la présente demande expose et revendique la même invention, sauf pour ce qui est de l'exclusion arbitraire de la partie supérieure de ce domaine et de deux valeurs bien précises du rapport de pressions. Si cette exclusion limite l'étendue des revendications de la demande de brevet européen en question, elle ne modifie pas pour autant la nature de l'invention.
2.1.7 La requérante a allégué que les valeurs particulières de la pression indiquées dans les revendications 6 et 11 du document P1, valeurs exclues par un disclaimer de l'ensemble de valeurs couvertes par la revendication 1 de la présente demande, ne devraient pas détruire la nouveauté de l'objet de cette revendication 1, qui concerne un domaine de valeurs de la pression. Cependant, comme cela a été mentionné ci-avant, l'enseignement de P1 ne se limite pas aux deux valeurs particulières précitées, de sorte qu'il faut également tenir compte des autres valeurs des rapports de pressions couvertes par l'exposé de P1 pour apprécier la nouveauté dudit objet.
2.1.8 La requérante a fait valoir que l'invention faisant l'objet de la présente demande diffère de celle visée par P1 en ce sens que si dans le cas de D1, le demandeur avait essayé d'ajouter à sa demande telle que déposée les caractéristiques exposées de la page 4, ligne 6, à la page 5, ligne 3 de la présente demande, l'Office européen des brevets aurait émis une objection pour extension du contenu (art. 123(2) CBE) ; elle a ajouté que les mêmes critères doivent s'appliquer lorsqu'il s'agit d'apprécier s'il y a extension du contenu au sens de l'article 123(2) CBE et si, le cas échéant, l'invention est nouvelle par rapport à une première demande au sens de l'article 87(1) CBE qui aurait pu être déposée. La Chambre ne saurait souscrire à cette argumentation fondée sur de simples hypothèses. A ce propos, il est à remarquer que selon la jurisprudence constante des chambres de recours, il est permis d'exclure de l'invention revendiquée, au moyen d'un disclaimer, non seulement un état de la technique particulier, même si les pièces initiales de la demande ne paraissent pas conduire à une telle exclusion (cf. décision T 4/80, JO OEB 1982, 149), mais aussi une petite fraction de l'objet de la demande défini en termes généraux, et ce non pas parce qu'elle n'est pas nouvelle par rapport à l'état de la technique, mais parce qu'elle ne résoud pas ce problème technique (cf. décision non publiée T 313/86 en date du 12 janvier 1988, point 3.5 des motifs). C'est pourquoi, selon cette jurisprudence, l'on pourrait admettre l'exclusion de la partie supérieure de ce domaine de rapports de pressions, si c'était justifié.
2.1.9 Pour ce qui est des deux valeurs particulières du rapport de pressions qui ont été exclues, à savoir 0,56 et 0,67, la présente demande, qui indique expressément lesdites valeurs dans ses exemples, ne donne aucune raison technique pour justifier leur exclusion. Un domaine n'est pas rendu nouveau par le fait que les valeurs calculées à partir d'un exemple donné dans un document appartenant à l'état de la technique sont exclues par un disclaimer, du moins lorsque ces valeurs ne peuvent être considérées comme ponctuelles (cf. décision T 188/83, JO OEB 1984, 555).
2.1.10 Il est à noter que dans le texte figurant de la page 4, ligne 6 à la page 5, ligne 3, de la présente demande, où est mentionnnée l'importance de la limite revendiquée dans cette demande, à savoir 0,75 fois la première pression, il est simplement précisé par ailleurs que a) le domaine des valeurs de la pression devrait être compris entre la pression atmosphérique et 10 atmosphères, ce qui a déjà été exposé dans P1 à propos des deux modes de réalisation précités, et que b) certaines valeurs inférieures à l'intérieur de ce domaine sont à choisir de préférence. Ce passage comporte également des remarques concernant les étapes du procédé (purge intermédiaire), qui ne sont ni revendiquées, ni expliquées.
2.1.11 Par conséquent, l'on ne peut trouver dans P1 d'élément pouvant être considéré comme étant de nature telle que l'homme du métier, connaissant les données techniques, n'aurait pas envisagé sérieusement d'appliquer l'enseignement technique du document antérieur dans le domaine de recouvrement, c'est-à-dire le domaine qui est compris entre la pression atmosphérique et moins de 0,75 fois la première pression, les valeurs 0,56 et 0,67 du rapport de pressions étant exclues. Au contraire, pour ce qui est de la première limite (0,75), deux modes de réalisation de P1 (cf. point 1.3.1) font intervenir expressément des rapports de pressions de valeur inférieure à 0,75.
2.1.12 C'est pourquoi la Chambre considère que la caractéristique figurant à l'étape 2) du procédé, à savoir que la deuxième pression, de niveau intermédiaire, est supérieure à la pression atmosphérique tout en restant inférieure à 0,75 fois la première pression - les valeurs de 0,56 et 0,67 du rapport de pressions étant exclues -, a déjà été divulguée dans le document P1.
2.1.13 Il n'est pas contesté qu'une "demande qui ajoute des caractéristiques à une demande donnant naissance à un droit de priorité qui lui est antérieure peut servir de base pour la revendication d'un droit de priorité pour une deuxième demande de brevet, différente de ladite demande antérieure. Toutefois, il convient d'observer qu'en l'espèce, l'invention sur laquelle porte la deuxième "demande donnant naissance à un droit de priorité" (la demande ultérieure, dont la priorité est revendiquée pour la présente demande de brevet européen) est la même que celle sur laquelle porte la première "demande donnant naissance à un droit de priorité", pour les raisons exposées ci- avant.
2.1.14 Dès lors, puisque la demande de brevet ultérieure ne se distingue de la précédente que par la limitation apportée à l'étendue de la protection du fait de l'exclusion d'une partie d'un domaine de valeurs (notamment grâce à un disclaimer), ce qui ne modifie pas la nature de l'invention, et puisque les conditions requises à l'article 87(4) CBE ne sont pas remplies, cette demande de brevet ultérieure ne constitue pas une première demande au sens de l'article 87(1) CBE, et elle ne peut servir de base pour la revendication d'un droit de priorité (cf. décision T 73/88, JO OEB 1992, 557).
2.1.15 En conséquence, la demande de brevet n° 713 503, déposée aux USA le 19 mars 1985, dont la présente demande revendique la priorité, ne constitue pas une première demande au sens de l'article 87(1) CBE ; il s'ensuit que les personnes qui l'ont valablement déposée ne peuvent bénéficier d'un droit de priorité pour le dépôt par la suite d'une demande de brevet européen.
2.2 Nouveauté
2.2.1 Etant donné que le bénéfice du droit de priorité ne peut être accordé, la date effective de la présente demande de brevet européen est celle de son dépôt à l'Office européen des brevets, à savoir le 14 mars 1986. Toutefois, puisque le document D1 a été publié le 3 avril 1985, c'est-à-dire avant la date de dépôt effective de la présente demande, et que l'objet de la revendication 1 découle du document D1 (voir points précédents), cet objet de la revendication 1 n'est pas nouveau au sens de l'article 54 CBE.
2.2.2 En conséquence, la requête principale n'est pas admissible (art. 54(1) et (2) et 97(1) CBE).
3. ...
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.