T 0142/97 (Dispositif pour séparer des objets en forme de disque) 02-12-1999
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Dispositif pour séparer des objets en forme de disque, en particulier des pièces de monnaie
Une instance de l'OEB est tenue de s'assurer de la pertinence des mesures d'instruction demandées, avant de les ordonner ou de les refuser. Seule l'existence de circonstances particulières peut rendre inutile un tel examen.
Le refus d'une division d'opposition de prendre en considération les moyens de preuve présentés en temps utile (tels que la preuve par témoins et la descente sur les lieux) constitue donc une violation des droits fondamentaux d'une partie de choisir librement ses moyens de preuve et d'être entendue (article 117(1) et 113(1) CBE).
Usage antérieur public
La division d'opposition n'a pas admis une offre de preuve présentée en temps utile et étayée
Vice substantiel de procédure (oui); renvoi à la première instance et remboursement de la taxe de recours; la procédure orale requise à titre subsidiaire n'est ni utile, ni nécessaire
I. Le requérant (opposant) a formé le 31 janvier 1997 un recours contre la décision de la division d'opposition, remise à la poste le 3 décembre 1996, de rejeter l'opposition formée à l'encontre du brevet européen n 0 293 608, et a acquitté le même jour la taxe de recours. Le mémoire exposant les motifs du recours a quant à lui été déposé le 22 mars 1997.
II. L'opposition, fondée sur l'article 100a) CBE, était dirigée contre le brevet dans son ensemble, au motif que, notamment, son objet était dénué de nouveauté eu égard à l'usage antérieur public qui avait été invoqué. A l'appui de la date, de l'objet et des circonstances de l'usage antérieur public, l'opposant avait cité certains modèles de machines à compter, trier et emballer des pièces de monnaie, et présenté une série de copies de factures et de dessins assortis d'exemples de calculs. En outre, il avait proposé d'entendre des témoins et de procéder à une descente sur les lieux pour prouver les faits invoqués quant au développement, à la fabrication et à la vente des machines ayant fait l'objet de l'usage antérieur.
III. Lors de la procédure orale qui a eu lieu devant la division d'opposition le 6 novembre 1996, le requérant a de nouveau requis l'audition des témoins qu'il avait cités dans le mémoire d'opposition et qui assistaient à la procédure orale, ainsi qu'une descente sur les lieux, afin d'examiner l'objet de l'usage antérieur qu'il avait apporté, et ce aux fins de prouver ledit usage. Il avait en effet annoncé avant la procédure orale qu'il se rendrait à celle-ci accompagné de témoins et qu'il apporterait une machine. Ainsi qu'il ressort d'une note téléphonique de l'agent des formalités en date du 28 octobre 1996, la division d'opposition n'avait pas d'objection à cet égard.
IV. Au cours de la procédure orale, la division d'opposition n'a pas estimé nécessaire d'entendre les témoins, ni de faire procéder à une démonstration de la machine.
Se référant au pouvoir d'appréciation qui lui est conféré par l'article 117(3) et la règle 72(1) CBE, elle a justifié son refus en déclarant que les faits cités au sujet de l'usage antérieur n'auraient pas permis de déceler d'élément plus pertinent pour la procédure que les moyens de preuve écrits. L'opposant avait allégué que les machines faisant l'objet de l'usage antérieur fonctionnaient selon l'enseignement contenu dans les documents de l'état de la technique. Il n'avait fait valoir ni dans ses écritures, ni au cours de la procédure orale, des faits ou arguments qui auraient fait apparaître qu'une mesure d'instruction aurait pu conduire à une décision différente. La division d'opposition a donc estimé qu'il n'y avait aucune raison de décider à un stade très tardif de la procédure, tel que celui de la procédure orale, d'entendre des témoins ou de procéder à une descente sur les lieux (cf. les points 5.1 et 5.2 des motifs de la décision contestée). Elle a également fait observer que lorsqu'une machine a été construite à plus de 1000 exemplaires, il devrait être possible d'apporter une preuve au moyen de dessins représentant leur mode d'assemblage, d'esquisses ou de photos. Le principe de l'examen d'office prévu à l'article 114(1) CBE n'exigeait pas non plus de la division d'opposition qu'elle examine, le cas échéant, au cours de la procédure orale de nouveaux faits susceptibles de s'opposer au maintien d'un brevet, et ce en prenant une mesure d'instruction, dès lors que ces faits n'ont pas été présentés de manière détaillée par l'opposant. Enfin, le prononcé d'une décision fondée sur de nouveaux faits invoqués au stade de la procédure orale aurait défavorisé le titulaire du brevet et l'aurait privé du droit d'être entendu, qui est celui de toute partie. Or, la poursuite de la procédure par écrit aurait indûment prolongé la procédure.
V. Durant la procédure de recours, le requérant a critiqué le fait que la division d'opposition ait refusé d'ordonner les mesures d'instruction qu'il avait proposées pour prouver l'usage antérieur public. Selon lui, le refus de ces mesures d'instruction, qui représente une atteinte au droit d'être entendu garanti par l'article 113(1) CBE, doit être considéré comme un vice substantiel de procédure. En effet, le requérant a ainsi été privé de toute possibilité de rapporter la preuve des faits allégués quant à l'absence de nouveauté de l'objet du brevet par rapport à l'objet de l'usage antérieur. Dans le mémoire d'opposition, il avait déjà fait des constatations sur l'objet de l'usage antérieur public et cité des témoins. En outre, ces témoins, tout comme l'objet de l'usage antérieur, étaient présents lors de la procédure orale devant la première instance. Le requérant a en particulier critiqué le fait que la première instance ait jugé inconcevable l'absence d'un dessin représentant le mode d'assemblage, sans fournir la moindre indication concrète sur les éléments qui l'incitaient à porter une telle appréciation.
VI. Le requérant a demandé le renvoi de l'affaire à la première instance (cf. page 1 des moyens qu'il a produits le 8 mars 1999). A titre subsidiaire, il a requis la révocation intégrale du brevet en cause, la tenue d'une procédure orale, ainsi qu'une décision ordonnant des mesures d'instructions, qui englobe la descente sur les lieux pour examiner l'objet de l'usage antérieur public et l'audition de témoins.
VII. L'intimé (titulaire du brevet) n'a pas pris position sur la demande de renvoi à la première instance.
Il a demandé que le recours soit rejeté et que le maintien du brevet européen sans modification soit confirmé. A titre subsidiaire, il a également requis la tenue d'une procédure orale.
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108, ainsi qu'à la règle 64 CBE; il est donc recevable.
2. Vice substantiel de procédure
2.1 En application de l'article 117(1) CBE, les parties sont libres dans le choix des mesures d'instruction demandées. Elles peuvent notamment demander chacune des mesures d'instruction énumérées dans cet article, parmi lesquelles figurent l'audition de témoins et la descente sur les lieux qui avaient été proposées par le requérant. Une division d'opposition ne saurait critiquer l'absence d'autres moyens de preuve (cf. la décision T 543/95, point 2 des motifs). Si la partie qui administre la preuve a la charge de rapporter les preuves nécessaires au succès de ses prétentions, c'est à la division d'opposition d'établir la preuve des faits litigieux et pertinents pour la décision, sur la base des moyens de preuve qui ont été produits (cf. la décision T 927/98, notamment le point 2.3 des motifs).
Chaque type de mesure d'instruction remplit des fonctions entièrement différentes. Dans la pratique, l'audition de témoins ou la descente sur les lieux joue un rôle particulier, justement lorsqu'il s'agit de prouver un usage antérieur public, les témoins ayant pour fonction d'exposer des faits dont il ont personnellement connaissance, tandis que la descente sur les lieux permet de prendre directement connaissance de propriétés données d'un objet ou d'un procédé (cf. également à ce sujet les "Directives relatives à l'examen pratiqué à l'Office européen des brevets", chapitre E-IV, 1.2).
En l'espèce toutefois, la Chambre ne peut souscrire à l'argumentation développée par le requérant dans les écritures qu'il a produites le 8 mars 1999 (point 3 de la page 6), selon laquelle, dans sa décision de rejeter l'opposition, la division d'opposition a jugé inconcevable l'absence d'un dessin représentant l'assemblage d'une machine. La Chambre n'est pas non plus en mesure de constater dans les motifs de ladite décision une quelconque critique quant à l'absence d'autres éléments de preuve. Dans la décision contestée, la division d'opposition a uniquement émis l'avis qu'il devait être possible de présenter un dessin de l'assemblage d'une machine qui avait été construite à plus de 1000 exemplaires. Elle n'a cependant pas justifié par l'absence de tels dessins son rejet des mesures d'instruction proposées.
2.2 La division d'opposition s'est fondée sur l'article 117(3) et la règle 72(1) CBE, selon lesquels il lui appartient de décider si elle "estime nécessaire" de procéder à une audition de témoins ou à une descente sur les lieux.
Les instances de l'OEB disposent en effet d'une certaine latitude pour apprécier s'il convient d'ordonner les mesures d'instruction proposées (cf. par ex. les décisions T 232/89, T 674/91, T 953/90 et T 230/92), par exemple dans les cas suivants : la mesure d'instruction proposée n'est plus nécessaire parce que le fait à prouver n'est pas contesté par la partie adverse, il est statué dans le sens de la partie proposant cette mesure, la mesure d'instruction est proposée à un stade très tardif de la procédure et n'est pas jugée pertinente pour la décision, ou encore elle ne peut, pour d'autres raisons, influer en aucune manière sur le résultat de la décision à rendre, parce que l'offre de preuve a par exemple été présentée dans le cadre d'une opposition formée trop tard et donc irrecevable.
Conformément à la jurisprudence constante (cf. par ex. les décisions G 7/93, JO OEB 1994, 775, points 2.5 et 2.6, T 182/88, JO OEB 1990, 287 et T 640/91, JO OEB 1994, 918, point 6.3), si la CBE prévoit que l'instance du premier degré doit exercer son pouvoir d'appréciation dans des circonstances déterminées sur des questions de procédure, cette instance devrait disposer d'une certaine liberté pour exercer ce pouvoir, que les chambres de recours n'ont pas à vérifier. Une chambre de recours ne peut alors critiquer l'exercice de ce pouvoir par la première instance que lorsqu'elle conclut que celle-ci l'a exercé selon des critères erronés, sans respecter les critères applicables ou de manière arbitraire.
2.3 Dans la présente espèce, où la division d'opposition a estimé que les documents de l'état de la technique ne s'opposaient pas au maintien du brevet, une objection tirée d'un usage antérieur public prétendument destructeur de nouveauté présente de l'importance pour la décision. De l'avis de la Chambre, les circonstances suivantes jouent un rôle particulier lorsqu'il s'agit d'apprécier si, dans le cadre de cette objection, il convient d'examiner plus avant l'offre de preuve de l'opposant.
2.3.1 L'offre de preuve figurait déjà dans le mémoire d'opposition et avait donc été présentée en temps utile. C'est pourquoi les réserves émises par la division d'opposition ne sont pas pertinentes, lorsque celle-ci déclare que s'il y avait eu lieu de tenir compte de faits nouveaux, la prise d'une mesure d'instruction au stade tardif de la procédure orale aurait privé le titulaire du brevet de son droit d'être entendu ou aurait indûment allongé la procédure au cas où il aurait fallu la poursuivre par écrit (cf. point 5.3 des motifs de la décision contestée). Finalement, c'est la division d'opposition qui est responsable de ce que l'offre de preuve n'ait pas été retenue avant la procédure orale.
2.3.2 L'offre de preuve était suffisamment étayée. S'agissant de la preuve par témoins, les personnes susceptibles de renseigner sur le développement, la fabrication et la vente des machines ayant fait l'objet de l'usage antérieur avaient été citées concrètement. En ce qui concerne la descente sur les lieux, le type et le numéro de fabrication de la machine concernée avaient été clairement indiqués. Des factures avaient également été produites pour prouver la date et les circonstances de l'usage antérieur. Une analyse détaillée des caractéristiques, complétée de calculs et d'épures, avait été fournie, avec référence aux documents de l'état de la technique relatifs à l'usage antérieur public. Vu la façon dont l'usage antérieur public prétendument destructeur de nouveauté avait été présenté, la Chambre estime que le titulaire du brevet et la division d'opposition étaient en mesure de vérifier la pertinence de l'offre de preuve.
2.3.3 L'offre de preuves portait sur l'aspect litigieux de l'usage antérieur invoqué, à savoir l'objet de l'utilisation (c'est-à-dire ce qui a été rendu accessible au public). A cet égard, les dépositions de témoins et la descente sur les lieux doivent être considérés comme des mesures d'instruction autonomes distinctes des preuves écrites. Cette raison suffit à la Chambre pour juger erronée la position de la division d'opposition, selon laquelle l'exposé écrit de l'opposant sur l'usage antérieur public ne faisait apparaître aucun élément plus pertinent que les moyens de preuve écrits et selon lequel l'opposant s'était borné à faire valoir que les machines faisant l'objet de l'usage antérieur fonctionnaient conformément à l'enseignement des documents de l'état de la technique. La division d'opposition ayant en l'espèce considéré les moyens de preuve écrits comme dépourvus de pertinence, elle aurait dû vérifier l'usage antérieur public prétendument destructeur de nouveauté en admettant les mesures d'instruction proposées à cet effet, et ce d'autant plus que le contenu des documents de l'état de la technique était litigieux. Pour cette raison et parce que l'opposant avait exposé de façon suffisamment étayée que l'objet de l'usage antérieur permettait de reconnaître toutes les caractéristiques du brevet, la division d'opposition aurait dû retenir et examiner plus avant l'offre de preuves supplémentaires présentée pour clarifier les faits. Le rejet des mesures d'instruction proposées n'aurait été justifié que dans le seul cas où le contenu des preuves proposées (et, le cas échéant, leur absence de pertinence) ne faisait aucun doute ou à la suite de circonstances nouvelles qui auraient remis en question l'usage antérieur. Or, en l'espèce, les arguments développés au point 5.3 de la décision contestée, qui portent sur les conséquences possibles de l'apparition de nouveaux faits, indiquent que la division d'opposition n'était elle-même pas absolument convaincue de l'absence de pertinence des mesures d'instruction rejetées. Il n'est donc pas exclu que l'admission de cette offre de preuve et donc la prise de connaissance du contenu des mesures proposées eussent conduit à une décision différente.
2.4 La Chambre est d'avis qu'une instance de l'OEB est tenue de s'assurer de la pertinence d'une mesure d'instruction proposée, avant de l'ordonner ou la refuser. Or, dans la présente espèce, la division d'opposition a rejeté l'offre de preuve en se fondant sur de simples suppositions quant à son contenu, et a omis de prendre connaissance des preuves proposées ainsi que de leur lien avec les circonstances de l'usage antérieur, et ce en l'absence de circonstances qui, comme indiqué plus haut, auraient rendu inutile tout examen de leur pertinence. Le refus de prendre en considération les mesures d'instruction proposées en temps utile constitue donc une violation des droits fondamentaux d'une partie de choisir librement ses moyens de preuve et d'être entendue (articles 117(1) et 113(1) CBE). Par conséquent, la décision contestée n'est pas fondée sur une simple interprétation erronée d'une disposition de la CBE, mais elle est entachée d'un vice substantiel de procédure.
3. L'article 10 du règlement de procédure des chambres de recours prévoit que lorsque la procédure de première instance est entachée de vices majeurs, la chambre renvoie l'affaire à la première instance, à moins que des raisons particulières ne s'y opposent.
Etant donné qu'en l'espèce le requérant a demandé un tel renvoi et que la Chambre ne voit aucune raison de procéder autrement, elle renvoie l'affaire à la première instance, en application de l'article 10 du règlement de procédure, pour suite à donner, afin que celle-ci examine l'usage antérieur public qui a été invoqué, compte tenu de l'offre de preuve présentée par le requérant dans son mémoire exposant les motifs du recours (point 5, pages 13 à 24). A cet égard, il y a lieu d'examiner les circonstances de l'usage antérieur public invoqué. Ceci est lié aux mesures d'instruction proposées (quand? quoi? comment? où?), ainsi que, le cas échéant, à leur contenu.
4. L'affaire étant renvoyée à la première instance pour suite à donner, sans qu'il soit statué sur le fond, il n'est ni utile, ni nécessaire de tenir une procédure orale devant la Chambre, comme l'ont requis les deux parties à titre subsidiaire (cf. à ce sujet les décisions T 47/94 et T 394/96).
5. Etant donné qu'il est fait droit au recours et que la décision contestée de la première instance est entachée d'un vice substantiel de procédure, la Chambre juge équitable de rembourser la taxe de recours conformément à la règle 67 CBE.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision de la division d'opposition est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition avec l'ordre de poursuivre la procédure d'opposition et d'examiner au fond l'offre de preuves du requérant (cf. point 3 des motifs de la décision).
3. La taxe de recours est remboursée.