4.2.3 Deuxième et troisième niveaux de l’approche convergente : modifications des moyens invoqués par une partie dans le cadre du recours – article 13(1) et (2) RPCR
Dans l’affaire T 755/16, la chambre a examiné la question de l’admission de la requête du titulaire du brevet de ne pas admettre dans la procédure un document déposé avec le mémoire exposant les motifs du recours, la requête ayant été présentée pour la première fois pendant la procédure orale. La chambre a fait observer que le titulaire du brevet avait analysé deux expériences figurant dans le document en cause dans sa réponse aux motifs du recours, mais qu’il n’avait soulevé une objection à son admission ni dans sa réponse aux motifs du recours ni dans ses lettres qui ont suivi. La requête visant à ne pas admettre le document représentait ainsi une modification des moyens invoqués par le titulaire du brevet.
De même, dans l'affaire T 18/21, dans laquelle l'opposant n'a également demandé qu'au stade de la procédure de recours orale la non-admission des moyens du titulaire du brevet (en l'occurrence la requête principale), après avoir déjà pris position sur le fond lors de la procédure de recours écrite, la chambre a considéré cette requête tardive d'ordre procédural comme une modification par rapport aux moyens présentés jusqu'alors.
Cependant, dans l’affaire T 1006/21, la chambre a interprété le terme "modification" figurant dans les art. 12 et 13 RPCR de manière plus étroite. Selon la chambre, ces dispositions portaient sur des requêtes ou des (allégations de) faits et des preuves, c.-à-d. sur des questions de fond, des objections et des arguments s'y rapportant (voir l’art. 12(2) et (4), et l’art. 13(1) et (2) RPCR). En revanche, les requêtes d’ordre procédural ne constituaient pas des modifications au sens des art. 12(4) et 13(1) et (2) RPCR. La chambre a précisé que cette conclusion s’appliquait aux requêtes d’ordre procédural portant sur des questions qui devaient être prises en compte d’office ainsi qu’à d’autres requêtes d’ordre procédural. En conséquence, elles pouvaient être présentées à tout moment pendant la procédure de recours.
Ce point de vue a été contesté par la chambre dans la décision T 1774/21. Dans cette affaire, le requérant a soulevé une nouvelle objection au titre de l’art. 123(2) CBE à l’encontre d’une caractéristique de la requête principale dans son mémoire exposant les motifs du recours. L'intimé, après avoir répondu à cette objection par des contre-arguments, a seulement demandé dans sa réponse à la notification de la chambre au titre de l’art. 15(1) RPCR qu’elle ne soit pas admise dans la procédure. La chambre a tout d’abord précisé que, dans le contexte du RPCR, le terme général "requêtes" recouvrait, par exemple, les requêtes en non-admission d’une objection. Lorsque le RPCR s’attachait tout particulièrement à traiter de la question de la modification du texte des demandes de brevet ou des brevets, référence explicite était faite à une "modification apportée à une demande de brevet ou à un brevet" (voir art. 12(4), quatrième phrase, ou art. 13(1), quatrième phrase RPCR). Cette interprétation a également été confirmée dans les remarques explicatives relatives à l’art. 12(2) RPCR (tel qu’en vigueur au 1er janvier 2020, voir publication supplémentaire 2, JO 2020, 82). En conséquence, une requête en non-admission d’une objection représentait une modification des moyens invoqués par la partie si elle n’était pas présentée au stade initial de la procédure de recours.
De même, dans la décision T 1230/22, la chambre a relevé qu'elle ne partageait pas l'opinion selon laquelle les demandes d'irrecevabilité des moyens tardifs doivent toujours être considérées quel que soit le stade de la procédure. Contrairement à l'opinion exprimée dans la décision T 1006/21, la recevabilité de requêtes subsidiaires, de faits ou d'arguments, selon la chambre, n'est pas une question purement procédurale comme l'est la recevabilité d'un recours ou le renvoi d'une affaire à l'instance qui a issu la décision. Au contraire, la question de la recevabilité des moyens est une question relative à l'objet du litige, qui constitue le fondement de la décision à prendre. Ainsi, la chambre a conclu que malgré certains aspects procéduraux, il s'agissait d'une question de fond. Si une telle objection d'irrecevabilité de moyens tardifs est introduite tardivement dans la procédure, il s'agit également d'une modification qui doit satisfaire aux exigences de l'art. 12 RPCR et de l'art. 13 RPCR.
- T 0458/22
Dans l'affaire T 458/22, l'intimée a fait valoir pour la première fois après notification de la communication en vertu de l'art. 15(1) RPCR, que le recours était irrecevable.
La requérante a fait valoir que les faits contestés étaient présents dans la procédure depuis le début et qu'aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait l'admission de cette nouvelle objection à ce stade de la procédure.
La chambre était consciente de l'existence d'une jurisprudence qui considère que la question de la recevabilité d'une opposition ou d'un recours peut et doit être soulevée d'office à tous les stades de la procédure, même au cours de la procédure orale dans le cadre d'un recours (Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen de brevets, 10e édition, juillet 2022, V.A.2.7). Les chambres dans les affaires T 289/91, T 15/01, T 522/94, T 1668/07, T 2223/10 et T 198/15 ont interprété ce principe initialement formulé dans la décision T 289/91 en ce sens qu'elles n'ont pas le pouvoir d'appréciation de ne pas prendre en considération une objection tardive à la recevabilité, même si elle a été soulevée par une partie pour la première fois lors de la procédure orale devant la chambre.
La présente chambre a considéré qu'elle possède un pouvoir d'appréciation pour ne pas prendre en compte l'objection à la recevabilité du recours soulevée par l'intimée.
Une objection à la recevabilité d'un recours ou d'une opposition soulevée par une partie constitue un moyen invoqué au sens de l'art. 114(1) CBE. Le libellé de l'art. 114 CBE ne fait pas d'exception pour des faits tardifs relatifs à la question de la recevabilité d'une opposition ou d'un recours. La question de savoir si le mémoire de recours est conforme aux exigences de la règle 99(2) CBE peut comprendre des faits ainsi que des arguments, par exemple la question de savoir s'il contient ou non des motifs pour lesquels il y a lieu d'annuler la décision attaquée.
Le libellé des art. 101(1) et 110 CBE et des règles 77(1) et 101(2) CBE ne fait apparaître aucune nécessité d'une requête par une partie pour l'examen de la recevabilité, ni une quelconque restriction quant au moment où la chambre examine la recevabilité d'une opposition ou d'un recours. Il s'ensuit que la chambre de recours peut statuer sans requête, c'est-à-dire ex officio, sur la question de la recevabilité du recours ou l'opposition, et ce à tout moment de la procédure. En cela la chambre est en accord avec la ligne de jurisprudence précitée.
Toutefois, la chambre a considéré qu'il ne découle pas des dispositions précitées que les faits invoqués tardivement par une partie concernant la question de la recevabilité doivent toujours être pris en considération par une chambre de recours. Le libellé des art. 12 et 13 RPCR ne limite pas le pouvoir d'appréciation d'une chambre de recours de manière à en exclure la question de la recevabilité d'un recours ou d'une opposition.
La chambre ne partage pas le point de vue exprimé aux points 25 et 26 de la décision T 1006/21, selon lequel les dispositions des art. 12 et 13 du RPCR limitent uniquement les modifications des faits et du fond d'un recours, mais que les requêtes procédurales ne constituent pas des modifications au sens de ces dispositions.
Elle partage en revanche l'avis contraire exprimé au point 1.3.2 de la décision T 1774/21, selon lequel le libellé du RPCR a été délibérément choisi pour faire la distinction entre les "requêtes" générales (voir l'art. 12(2) et (3) RPCR) et les "modifications d'une demande de brevet ou d'un brevet" (voir l'art. 12(4), deuxième phrase, RPCR, l'art. 13(1), troisième phrase, RPCR). Ce point de vue est supporté également par le tableau présentant les modifications du RPCR avec remarques explicatives (publication supplémentaire 2, JO 2020, 17), selon lesquelles "Dans ce contexte [de l'art. 12(2) RPCR], le terme 'requêtes' n'est pas limité aux textes modifiés de demandes de brevet ou de brevets".
En l'espèce, l'objection à la recevabilité du recours par l'intimée n'est pas prise en compte en vertu de l'art. 13(2) RPCR, car il n'y a pas de circonstances exceptionnelles justifiant l'admission.