4.4.6 Pouvoir d'appréciation en vertu de l'article 13(1) RPCR – nouveaux faits, objections, arguments et preuves
(i) Obligation de la partie à conduire convenablement la procédure
Dans l'affaire T 1014/17, la chambre a estimé que, dans de telles circonstances, le requérant avait eu suffisamment d’occasions de reconsidérer sa position quant à la clarté de la présente revendication 1 et de présenter les objections correspondantes, au plus tard dans le mémoire exposant les motifs du recours. Cela aurait été nécessaire au regard des exigences d'une procédure régulière, qui oblige les parties à présenter tous les faits, preuves, arguments et requêtes le plus tôt possible et de la manière la plus complète possible (art. 12(2) RPCR), et également pour des raisons d'équité vis-à-vis de l'intimé (titulaire du brevet), qui doit savoir le plus tôt possible dans quelle mesure le brevet litigieux est contesté et quels sont les motifs de contestation. La chambre n'a pas admis cette objection dans la procédure en vertu de l'art. 13(1) RPCR et de l'art. 13(1) et (3) RPCR 2007.
(ii) Réponse à de nouvelles preuves soumises par le titulaire du brevet
Dans l'affaire T 23/17, la chambre, exerçant le pouvoir d'appréciation que lui confère l'art. 13(1) RPCR, a jugé plausible et légitime l'argument invoqué par le requérant (opposant) selon lequel les nouveaux documents (produits après le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours, mais avant la signification de la citation à une procédure orale) avaient été soumis en réaction aux données expérimentales présentées par l'intimé (titulaire du brevet) dans sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours, et, ainsi, dans le but de "résoudre les questions […] valablement soulevées par une autre partie dans la procédure de recours" au sens de l'art. 13(1) RPCR. La chambre ne voyait pas de raison pour laquelle ces documents auraient dû être déposés à un stade antérieur de la procédure.
De même, dans l'affaire T 446/16, le compte rendu d'essai D35 avait été déposé par le requérant (l'opposant) après son mémoire exposant les motifs du recours, mais avant la citation à la procédure orale, afin de réfuter les résultats d'essai contenus dans le document D33 de l'intimé (titulaire du brevet) déposés avec la réponse au mémoire exposant les motifs du recours. La justification avancée selon laquelle cette réponse au document D33 n'aurait pas pu être déposée plus tôt a convaincu la chambre. Elle a estimé qu'on ne pouvait pas empêcher le requérant de tenter de mettre en doute les résultats contenus dans le document D33.
Toutefois, voir également l'affaire T 2688/16 comme exemple d'un cas où les comptes rendus d'essai dont la soumission tardive n'était pas suffisamment justifiée n'ont pas été autorisés (voir chapitre V.A.4.4.4b)).
Dans l’affaire T 1759/17, le requérant (opposant) a déposé de nouveaux documents en réaction directe au mémoire exposant les motifs du recours et en particulier aux nouvelles preuves versées par l’intimé. En l’absence d’objections de la part de l’intimé (titulaire du brevet) envers l’admission de ces documents, la chambre a décidé de les admettre dans la procédure.
(iii) Réponse à de nouvelles requêtes (revendications) déposées avec la réponse au mémoire de recours, après rejet de l’opposition
Dans l’affaire T 1038/18, l’intimé (titulaire) a déposé de nouvelles requêtes avec sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours. Dans sa réplique, le requérant (opposant) a fait valoir pour la première fois durant la procédure que la priorité du brevet n’était pas valablement revendiquée et que par conséquent, la revendication 1 de la requête subsidiaire 2 n’impliquait pas d’activité inventive par rapport à D1 et D3, ce dernier document représentant l’état de la technique au sens de l’art. 54(2) CBE, vu la revendication de priorité non valable. La requête subsidiaire 2 correspondait cependant aux revendications d’une requête déjà soumise au cours de la procédure en première instance. L’intimé a avancé que cette nouvelle attaque aurait dû être présentée plus tôt, mais la chambre ne l’a pas suivi, en soulignant que l’opposition avait été rejetée par la division d’opposition et que, de ce fait, l’intimé n’était tenu dans le mémoire exposant les motifs du recours que de justifier pourquoi il considérait comme non convaincantes les raisons avancées par la division d’opposition eu égard au brevet tel que délivré. La question de la validité de la priorité et du statut du document D3 en tant qu’état de la technique ne devenait pertinente qu'ultérieurement quand l’intimé, en réponse au mémoire exposant les motifs du recours, eut déposé les revendications modifiées de la requête subsidiaire 2.
(iv) Nécessité de répondre aux motifs détaillés du mémoire de recours du titulaire
Dans l'affaire T 329/16, la chambre a renvoyé à l'art. 12(3) RPCR et a conclu que l'opposant avait l'obligation d'étayer ses objections concernant l'absence d'activité inventive dans sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours, bien que la décision de la division d'opposition eût conclu au défaut de nouveauté de l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1. Selon la chambre, dans ce contexte, il convient de tenir compte du fait que le titulaire du brevet a présenté des arguments détaillés sur la question de la nouveauté de l'objet concerné dans son mémoire exposant les motifs du recours. Au vu de cet exposé, l'opposant ne pouvait pas compter sur ce que la chambre se range à l'avis de la division d'opposition.
(v) Nouvelles lignes d'attaque fondées sur des documents soumis au cours de la procédure de première instance
Dans l'affaire T 256/17, la chambre devait décider d'admettre ou non deux nouvelles lignes d'attaque concernant l'absence d'activité inventive à l'encontre de la revendication 1 du brevet tel que délivré, que le requérant (opposant) avait invoquées en réaction à la réponse de l'intimé au mémoire exposant les motifs du recours. Ces lignes d'attaque étaient toutes les deux fondées sur des documents produits au cours de la procédure devant l'instance du premier degré, mais l'une d'entre elles combinait pour la première fois deux documents examinés précédemment en tant qu'état de la technique le plus proche, tandis que l'autre, partant d'une combinaison connue, reposait sur des arguments fondés sur un problème technique différent. Le requérant n'a pas indiqué pourquoi il avait soulevé ces objections pour la première fois après avoir déposé le mémoire exposant les motifs du recours, et la chambre n'a pas non plus pu identifier de raisons. Elle a fait observer qu'en procédant ainsi, il avait empêché à la fois l'intimé de réagir à l'attaque au cours de la procédure d'opposition et la division d'opposition de trancher la question. Par ce dépôt tardif du requérant, la chambre et l'intimé devaient faire face à de nouveaux moyens ("fresh case"), ce qui est contraire au but même de la procédure de recours (cf. art. 12(2) RPCR). La chambre a donc décidé d'exercer son pouvoir d'appréciation et de ne pas admettre ces nouvelles lignes d'attaque dans la procédure conformément à l'art. 12(2), (4) RPCR 2007, l'art. 25(2) RPCR, l'art. 13(1) RPCR et l'art. 25(1) RPCR.
(vi) Défense qui aurait dû être présentée devant la division d’opposition
Dans la décision T 1303/18, la chambre n’a pas admis dans la procédure la défense du requérant (titulaire) (soulevée pour la première fois après le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours et des réponses) qui s’appuyait sur le droit à une priorité partielle. Le requérant avait avancé que l’objet de la revendication 1 telle que délivrée devait au moins avoir droit à la priorité partielle de D49 conformément à la décision G 1/15. La chambre a fait observer qu’une objection quant à la validité de la priorité revendiquée à partir de D49 avait déjà été soulevée par les intimés dans leurs actes d’opposition. La décision G 1/15 a été publiée au Journal officiel de l’OEB avant que la procédure orale ne se tienne devant la division d’opposition. C’est pourquoi la défense du requérant revendiquant un droit à une priorité partielle aurait pu et aurait dû figurer au moins dans le mémoire exposant les motifs du recours. De plus, la nouvelle défense ne se bornait pas à présenter un nouvel argument relatif à l’interprétation du droit, mais comportait une nouvelle allégation de fait. La chambre a décidé de ne pas l’admettre dans la procédure, du fait que la nouvelle évaluation factuelle requise aurait été complexe et que le requérant n’avait exposé aucune justification pour cette modification tardive.
(vii) Connaissances générales de base
Dans l’affaire T 2741/19, la chambre n’a pas jugé convaincante la justification du requérant (opposant) selon laquelle le document n’avait été découvert que durant la préparation de l’opposition contre un brevet émanant d’une demande divisionnelle déposée en rapport avec le brevet en cause. La chambre a souligné que le document faisait partie du domaine public. La chambre n’a pas non plus accepté l’argument du requérant selon lequel le document était soumis comme preuve des connaissances générales de la personne du métier à l’époque. Même si tel était le cas, cela ne signifiait pas qu’il pouvait être déposé à tout moment de la procédure. La preuve de connaissances générales de base ne peut être déposée à un stade ultérieur que si elle sert à étayer une argumentation déjà avancée.
Dans l’affaire T 1333/20, la chambre a estimé que l’intimé (opposant) aurait pu et aurait dû soumettre l’intégralité de ses moyens, y compris la prétendue preuve des connaissances générales de base à l’appui de ses objections d’insuffisance de l’exposé contre le brevet tel que délivré, au moins au moment de déposer ses moyens de recours avec sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours. Le requérant s’était déjà focalisé sur l’insuffisance de preuve en ce qui concerne l’art. 100(b) CBE dans la procédure d’opposition et dans le mémoire exposant les motifs du recours.
Dans l’affaire T 1417/18 en revanche, D10, un manuel sur lequel s’appuyait le requérant dans le délai imparti par la chambre dans sa notification au titre de la règle 100(2) CBE a été pris en considération. D10 avait déjà été introduit dans la procédure d’opposition par l’opposant (ultérieurement requérant), mais n’avait pas été admis. La chambre a été d’avis que D10 était pertinent pour évaluer les connaissances générales de la personne du métier. En outre, elle a tenu compte du fait que D10 était déjà connu des deux parties, et a estimé qu’il était négligeable dans ce contexte que D10 n’ait pas été admis dans la procédure en première instance.
(viii) Développements dans des procédures parallèles
Dans l’affaire T 1038/19, la chambre, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation selon l’art. 13(1) RPCR, a admis une nouvelle objection d’extension inadmissible de l’objet de la revendication 1 de la requête principale. Le requérant (opposant) avait avancé cette objection peu après que des circonstances analogues avaient été tranchées en sa faveur dans une procédure parallèle (T 1773/18). La chambre a vu dans les objections une réaction adéquate, surtout dans l’optique des développements survenus dans le recours parallèle. Elle a également tenu compte du fait que les autres parties à la procédure avaient eu suffisamment de temps pour étudier l’objection.
La décision T 1808/21 présente un contre-exemple. Dans cette affaire, des diapositives de présentation (D26) et une compilation de faits allégués (D27), qui faisaient l’objet de procédures parallèles en instance au Royaume-Uni, avaient été soumises par les requérants 2 et 3 uniquement après le dépôt de leurs motifs de recours respectifs. Les requérants affirmaient que, puisque cette preuve n’avait pas encore été mentionnée dans la procédure judiciaire britannique, il n’était pas possible de la déposer plus tôt dans la procédure de recours. La chambre a toutefois indiqué la possibilité d’obtenir le consentement du titulaire du brevet ou la permission du tribunal britannique. Au vu de ce constat, la chambre a été convaincue qu’aucun obstacle juridique n’empêchait de soumettre ces documents plus tôt et que la situation relevait plutôt du choix des requérants. C’est pourquoi la chambre n’a pas admis D26 et D27 dans la procédure de recours.
(ix) Découverte tardive de documents
Dans l’affaire T 603/21, le requérant (opposant) avait lancé de nouvelles attaques contre l’activité inventive après le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours (mais avant la notification de la citation à la procédure orale), en s’appuyant notamment sur deux nouveaux documents. Il argumentait que ces documents n’avait fait surface que peu avant et par hasard dans le cadre d’une recherche sur une autre affaire, et étaient pertinents de prime abord. La chambre a toutefois souligné qu’une découverte par hasard ne suffisait pas pour justifier le dépôt tardif, étant donné que l’admission de principe de telles modifications offrirait la possibilité d’étendre arbitrairement l’objet de la procédure par rapport à la procédure d'opposition, ce qui était contraire à l’objectif primordial de la procédure de recours conformément à l’art. 12(2) RPCR. En particulier, cela viderait l’art. 12(6) RPCR et ferait porter les éventuels manquements d’une partie sur la seule partie adverse. À l’instar des décisions T 1684/17 (résumée au chapitre V.A.4.4.6d)) et T 2741/19 (le fait que le document ne pouvait pas être trouvé aisément n’a pas été considéré comme une justification d’un dépôt tardif).
Voir cependant la décision T 1213/19 date: 2022-09-23 (résumée au chapitre V.A.4.4.6c)(ii)) et la décision T 463/19 (où la chambre a admis même au troisième niveau de convergence un document déposé tardivement qui était objectivement difficile à découvrir et n’avait assurément pas été retenu intentionnellement, qui faisait de prime abord partie de l’état de la technique et qui était de prime abord très pertinent; résumée au chapitre V.A.4.5.5m).
(x) Nouveau document émanant du titulaire du brevet déposé par le requérant-opposant
Dans l'affaire T 533/17, le requérant (opposant) a fait valoir qu'un poster (D19) ainsi que deux documents connexes, déposés après son mémoire exposant les motifs du recours, devaient être pris en compte étant donné que l'intimé (titulaire du brevet) avait apparemment dissimulé cette publication antérieure de lui. Néanmoins, la chambre a relevé que la règle 42(1)(b) CBE ne faisait pas peser sur le demandeur une obligation stricte de reconnaître l'état antérieur de la technique au moment de déposer la demande. Par conséquent, le fait de ne pas reconnaître le document D19 dans le brevet en cause ne représentait pas une justification suffisante afin d'admettre le document dans la procédure de recours. De plus, le requérant n'avait pas justifié de façon convaincante pourquoi il n'était pas possible de trouver le document D19 lors de la préparation de l'affaire au stade de la procédure d'opposition. Par conséquent, les nouveaux documents n'ont pas été pris en compte, conformément à l'art. 13(1) RPCR et l'art. 25(3) RPCR.
(xi) Usage antérieur public
Dans l'affaire T 552/18, la chambre n'a pas admis des moyens de preuve supplémentaires d'usage antérieur public déposés en réponse à sa notification en vertu de l'art. 15(1) RPCR 2007 en raison des motifs suivants : ces documents avaient été soumis à un stade très tardif de la procédure et soulevaient de nouvelles questions. Bien que le requérant 2 (opposant) avait expliqué pourquoi les documents n’avaient pu être récupérés qu’à ce moment-là, la chambre a considéré que rien ne pouvait justifier l’impossibilité de les récupérer plus tôt si des efforts suffisants avaient été entrepris. La chambre a également estimé que l'admission de ces documents porterait atteinte au principe d'économie de la procédure exposé à l'art. 13(1) RPCR. De plus, les documents présentés ne permettaient pas de résoudre les problèmes soulevés, comme l’exige l'art. 13(1) RPCR. La chambre a également souligné que la pertinence de ces problèmes était déjà connue au stade de la procédure d'opposition.
Dans l’affaire T 1117/16 aussi, la chambre a considéré qu’il n’importait pas de savoir si le requérant avait bel et bien eu connaissance de l’usage antérieur public allégué – en l’occurrence par un tiers – seulement quelques mois après le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours. Elle a souligné que la recherche d’antériorités possibles est du ressort de l’opposant. Le fait que celui-ci ne découvre pas une antériorité à temps ne justifie pas de bafouer la règle de l’économie de la procédure ou le principe de l’équité vis-à-vis d’autres participants. De même, de l’avis de la chambre, d’autres critères relatifs à l’exercice du pouvoir d’appréciation cités à l’art. 13(1), quatrième phrase RPCR plaidaient contre l’admission dans la procédure (voir le résumé au chapitre V.A.4.4.6b).
En revanche, dans l’affaire T 34/18, la chambre a jugé admissible selon l’art. 13(1) RPCR le dépôt de nouveaux moyens de preuve relatifs à un usage antérieur (procès-verbal rédigé par une division technique de l’office autrichien des brevets et déclarations écrites d’un témoin) qui visaient à attester de l’existence d’un devoir de confidentialité. La chambre a notamment tenu compte du fait que la division d’opposition s’était appuyée sur l’absence d’un tel accord, et donc que les moyens de preuve étaient pertinents de prime abord, que l’admission ne semblait pas préjudiciable à l’économie de la procédure et que les nouveaux moyens de preuve, selon l’exposé convaincant du requérant (titulaire du brevet), n’auraient pas pu être soumis plus tôt.