T 1554/18 26-04-2022
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Procédé de réalisation d'une image transparente polychromatique imprimée iridescente
Activité inventive (non: requête principale)
Admission de la requête auxiliaire 1bis (oui)
Exposé des faits et conclusions
I. L'opposante a formé un recours contre la décision de la division d'opposition rejetant l'opposition contre le brevet européen n° 2 547 532 (ci-après « le brevet »).
II. La division d'opposition a notamment pris en considération les documents suivants :
D1 : EP 1 436 762 B1
D2 : EP 0 657 297 A1
D3 : EP 1 624 030 A2
D4 : WO 2004/087437 A1
D5 : EP 0 490 825 A1
D6 : extrait de R. van Renesse, Optical Document
Security, 3**(e) édition, Boston, Artech House,
2005, pp. 222-237
Avec son mémoire exposant les motifs du recours, la requérante a déposé le document suivant :
D8 : Brochure « Irisierende Effekte. Das ideale OVD
für Upgrades » de la société Louisenthal
III. Dans une notification établie en vertu de l'article 15(1) RPCR 2020 du 10 mars 2022, la chambre a informé les parties de son opinion provisoire.
IV. Avec sa lettre en date du 13 avril 2022, l'intimée (titulaire du brevet) a soumis les requêtes auxiliaires 1bis à 8bis et 1ter.
V. La procédure orale devant la chambre a eu lieu le 26 avril 2022.
VI. La requérante (opposante) a demandé l'annulation de la décision objet du recours et la révocation du brevet.
L'intimée (titulaire du brevet) a demandé le rejet du recours. A titre subsidiaire, elle a demandé l'annulation de la décision objet du recours et le maintien du brevet sous une forme modifiée, sur la base des revendications selon les requêtes auxiliaires 1bis à 8bis, ou sur la base de la requête auxiliaire 1ter, toutes déposées avec sa lettre du 13 avril 2022.
VII. Les revendications 1, 11 et 15 du brevet (requête principale) sont rédigées comme suit (les références pour les caractéristiques proposées par la requérante sont indiquées entre crochets) :
« 1. [1.1] Procédé de réalisation d'une image (8) transparente polychromatique imprimée iridescente quelconque [1.2] dont au moins deux couleurs changent simultanément lors d'un changement d'angle de vue de ladite image sous éclairage par au moins une source de lumière visible, caractérisé en ce que :
- [1.3] on imprime séparément, l'une après l'autre, au moins deux images, dites images imprimées monochromatiques,
- [1.4] chaque image imprimée monochromatique est imprimée en utilisant une composition d'impression comprenant une proportion d'une poudre comprenant au moins un pigment interférentiel, ladite poudre étant dispersée dans un milieu liquide d'impression, [1.5] chaque pigment interférentiel et ladite proportion sont choisis de telle sorte que ladite image imprimée monochromatique est transparente,
- [1.6] les pigments interférentiels de chaque composition d'impression sont choisis de façon que les images imprimées monochromatiques soient de couleurs différentes,
- [1.7] les différentes images imprimées monochromatiques forment, selon une première plage angulaire de visualisation, une image polychromatique transparente selon une première composition de couleurs en synthèse additive, et [1.8] selon une deuxième plage angulaire de visualisation, différente de ladite première plage angulaire de visualisation, une deuxième composition de couleurs en synthèse additive. »
« 11. [11.1] Image imprimée iridescente quelconque caractérisée en ce qu' [11.2] elle est transparente et polychromatique et en ce qu' [11.3] au moins deux couleurs de ladite image imprimée iridescente quelconque changent simultanément lors d'un changement d'angle de vue de ladite image sous éclairage par au moins une source de lumière visible. »
« 15. Utilisation d'une image selon l'une des revendications 11 à 14 pour le marquage en vue de l'identification et/ou de l'authentification de produits ou de documents, en particulier de documents -notamment un passeport, une carte d'identité, un permis de conduire, une carte d'immatriculation d'un véhicule, un billet de banque, un chèque, une carte de crédit ou autre titre de paiement, un titre de transport, des tickets d'entrée, des cartes donnant droit à des prestations diverses-. »
VIII. La revendication 1 de la requête auxiliaire 1bis est identique à la revendication 1 de la requête principale.
La revendication 11 de la requête auxiliaire 1bis diffère de la revendication 11 de la requête principale en ce que :
- les mots « caractérisée en ce qu'elle est » ont été supprimés ;
- l'expression « et en ce qu' » a été remplacée par les mots « dans laquelle » ; et
- les caractéristiques suivantes ont été ajoutées : « caractérisée en ce que lors du changement d'angle de vue de ladite image sous éclairage par au moins une source de lumière visible, une première couleur initiale permute en une première couleur finale et une deuxième couleur initiale permute simultanément en une deuxième couleur finale, la première couleur initiale étant sensiblement identique à la deuxième couleur finale, et la deuxième couleur initiale étant sensiblement identique à la première couleur finale ».
La revendication 15 de la requête auxiliaire 1bis est identique à la revendication 15 de la requête principale.
Le libellé des autres requêtes auxiliaires est sans objet pour la présente décision.
IX. Les arguments des parties concernant les points décisifs pour le recours peuvent se résumer comme suit :
a) Questions d'interprétation
i) Intimée (titulaire du brevet)
La caractéristique selon laquelle au moins deux couleurs d'une image changent simultanément lors d'un changement d'angle de vue signifie que le changement de couleur est brutal et non pas continu. Par exemple, le rouge passe au vert brutalement, et inversement, lors d'un changement d'angle de vue. L'image peut être rouge lorsque l'angle de vue est compris entre 0 et 120° et verte pour un angle de vue compris entre 121 et 180°, le changement simultané de couleur ayant lieu lorsque l'angle de vue passe de 120 à 121°.
b) Requête principale, activité inventive, partant du document D2
i) Requérante (opposante)
Revendication 11
Le document D2 décrit dans la revendication 1 un
document de sécurité constitué d'une couche support transparente et d'au moins un pigment d'interférence. Ces pigments présentent un changement de couleur correspondant à une iridescence, la couleur étant différente selon l'angle de vue (page 2, lignes 28 à 31, 43). Les pigments d'interférence sont imprimés sur un support (page 3, lignes 31, 35 et 40, page 3, ligne 54, à page 4, ligne 1). Ainsi, la caractéristique 11.1 est divulguée. À la page 6, lignes 22 et 23, il est précisé que les pigments interférentiels présentent une certaine transparence. La définition de la transparence au paragraphe [0004] du brevet ne correspond pas à une transparence totale ; elle englobe la translucidité. En outre, la revendication 28 du document D2 dit que l'élément de sécurité est constitué d'une stratification de plusieurs motifs imprimés, qui présentent chacun un effet de basculement de couleur différent ou des couleurs différentes sous un angle d'observation donné, les couches extérieures étant plus transparentes que les couches intérieures. Il en résulte un changement de couleur continu et donc simultané pour tous les pigments d'interférence en cas de modification de l'angle d'observation. La revendication 28 du document D2 dépend aussi de la revendication 25, selon laquelle l'effet arc-en-ciel est obtenu par impression d'un vernis transparent chargé d'un pigment fluorescent ou phosphorescent. Selon la page 6, lignes 21 à 23, les pigments d'interférence peuvent être mélangés à des pigments fluorescents ou phosphorescents sans bloquer la lumière qu'ils émettent. Il s'ensuit que non seulement le support, mais aussi les pigments sont transparents, au moins jusqu'à un certain taux. Même en superposition, une partie de la lumière passera. Le document D2 ne divulgue pas que l'ensemble devient opaque. Par conséquent, l'ensemble est transparent au sens du brevet. La revendication 28 doit être lue à cette lumière. Il y est question d'une zone du motif de chevauchement dans laquelle on observe un changement de couleur continu. Cette zone est entourée de zones dans lesquelles les changements de couleur individuels (non superposés) se produisent. Il y a donc au total trois changements de couleur différents : celui de la zone du dessus, celui de la zone en dessous, et celui de la séquence de couches. Cela entraîne un effet de basculement des couleurs, en particulier dans cette zone. À la page 2 du document D2, lignes 27 à 31, des pigments d'interférence de type OVI sont décrits. Les mêmes pigments sont décrits à la page 234 du document D6, voir aussi le Tableau 7.2 qui indique les cinq couches (Cr-MgF2-Al-MgF2-Cr) du pigment. L'effet de couleur obtenu est décrit aux pages 234 et 235 du document D6. De tels pigments sont également décrits au paragraphe [0005] du brevet. Lorsqu'un tel élément selon le document D2 est basculé, il y a un effet de couleur qui a lieu en même temps dans la zone de chevauchement et dans les zones qui l'entourent. Les pigments décrits exhibent un effet de couleur sur une large plage d'angles, allant de la couleur or vers la couleur bleu. Le changement de couleur est massif. La Fig. 7.8 à la page 232 du document D6 illustre ce changement de couleur du vert (60°) au rouge (normal incidence).
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
Auparavant, il est dit que lorsque l'angle d'observation avec la normale est porté à 60°, le pic rouge passe progressivement de l'or au vert, tandis que le pic violet sort de la gamme spectrale visible vers l'ultraviolet. Cela ne signifie pas qu'il y ait un changement brusque du rouge au vert, car cela n'est pas possible. Par ailleurs, la plage de basculement (90° - 60° = 30°) n'est pas petite. Il est important de noter comment fonctionnent de tels systèmes multicouches. La lumière tombe sur la couche semi-transparente, passe par la couche diélectrique dont l'indice de réfraction est différent de celui de l'air et parvient ainsi au réflecteur. Ce qui importe, ce sont l'épaisseur de la couche diélectrique et l'angle d'incidence de la lumière. On observe une interférence entre les différents rayons lumineux incidents. C'est le pigment lui-même qui change de couleur. Par exemple, si on le regarde sous une direction, il est vert, et sous une autre direction, il est violet. La raison en est que la lumière passe par une couche diélectrique plus ou moins longue. La différence de longueur du trajet fait que la couleur change (interférence constructive et destructive). C'est ce qu'on voit à la figure 7.8. À 60°, on a le pic vert, et en vue verticale, on a le pic rouge, parce que l'épaisseur effective de la couche diélectrique est différente. La longueur de trajet est minimale en cas d'incidence verticale ; en vue horizontale, la longueur de trajet correspond à toute l'épaisseur du pigment. Par ailleurs, les figures 7.4, page 226, et 7.5, page 227, du document D6 illustrent la réflexion spectrale et la couleur des pigments nacrés (pearl luster pigments). La figure 7.4 montre que les couches minces de TiO2 présentent des couleurs différentes en fonction de leur épaisseur, et la figure 7.5 indique qu'une couche de TiO2 d'une épaisseur de 145 nm présente un changement de couleur de bleu-vert à vert en lumière non polarisée lorsqu'elle est inclinée de 45°. Ce changement de couleur est petit et difficile à voir, mais il existe (page 227, second paragraphe). En outre, il est précisé à la page 224, au 5**(e) point miroir, que l'effet de basculement de couleur est indépendant des conditions d'éclairage. En outre, la revendication 24 du document D2 précise que les pigments fluorescents présentent des couleurs différentes lorsqu'ils sont exposés à la lumière UV, qui sont différentes des couleurs présentées par les pigments interférentiels lorsqu'ils sont éclairés par la lumière visible. Pour l'homme du métier, il est donc évident que le changement de couleur des pigments d'interférence du document D2 se produit à la lumière visible. Ainsi, la caractéristique 11.3 découle du document D2 de manière évidente pour un homme du métier. La revendication 11 n'implique donc pas d'activité inventive au vu du document D2.
En réponse à une question de la chambre, la requérante a précisé que la seule différence entre l'objet de la revendication 1 et la divulgation du document D2 résidait dans l'éclairage par une source de lumière visible. Lorsqu'on observe des effets en dehors du domaine visible, il faut des outils pour rendre l'effet détectable par l'½il humain. Si l'effet se produit lorsque l'image est éclairée par une source de lumière visible, l'observation est facilitée. Il y a différents éléments de sécurité sur des billets de banque : (i) les éléments normaux que l'on peut détecter sans équipement, (ii) les éléments qui produisent des effets sous éclairage UV ou infrarouge, et (iii) les éléments qui ne peuvent être examinés qu'avec des machines particulières, réservées aux grandes banques. Les éléments de type (i) se distinguent par leur grande facilité d'utilisation. La requérante a également expliqué que, selon son avis, un changement de la longueur d'onde de la lumière était un changement de couleur. Même un passage du vert foncé au vert clair était un changement de couleur.
ii) Intimée (titulaire du brevet)
Différences
L'invention ne réside pas dans l'utilisation de
pigments iridescents, qui sont connus. L'invention est d'avoir une image polychromatique avec des couleurs qui changent simultanément. Le document D2 ne décrit pas une image polychromatique dont au moins deux couleurs changent simultanément lors d'un changement d'angle de vue. Même si on utilisait un pigment qui change de couleur pour des longueurs d'onde entre 400 et 500 nm et un autre pigment qui change de couleur entre 500 et 600 nm, cela ne correspondrait pas à un changement de couleur simultané. C'est une analyse a posteriori que de dire que l'homme du métier aurait choisi, parmi tout ce qui existe, des pigments qui ont cette simultanéité. Contrairement à l'avis provisoire de la chambre, la caractéristique de la transparence n'est pas divulguée par la figure 4 du document D2. Le brevet définit la transparence au paragraphe [0004]. A la figure 4 du document D2, le support TS est transparent, mais l'image en elle-même ne l'est pas. Les pigments R2 et B réfléchissent la lumière, et il n'est pas indiqué qu'ils sont utilisés dans les proportions permettant à l'image d'être transparente. Selon la revendication 28 du document D2, les motifs imprimés se chevauchent et les motifs situés au-dessus sont plus transparents que les motifs situés dessous. Pour autant, même si on parle de transparence des motifs, cela ne veut pas dire que l'image en elle-même soit nécessairement transparente. La caractéristique 11.2 n'est donc pas divulguée. Selon la page 6, lignes 21 à 23, du document D2, ce sont les pigments qui sont transparents. La superposition de couches comportant de tels pigments ne conduit pas forcément à une image transparente. La revendication 28 ne divulgue pas non plus la caractéristique 11.3. Sa première partie décrit des motifs imprimés qui se chevauchent. Les motifs contiennent des pigments d'interférence lumineuse différents. Les pigments ont une construction et une composition telles qu'ils présentent un color shift différent sous un même angle de vue. La question est de savoir ce que signifie ce color shift. Dans son avis provisoire, la chambre a utilisé le document D6 pour interpréter des notions utilisées dans le domaine technique. A la page 224 de ce document, il est indiqué que la réflectivité de la couche mince augmente avec son indice de réfraction, tandis que son iridescence (changement de couleur angulaire; angular color shift) diminue avec l'indice de réfraction. Cela montre que le color shift est simplement l'aspect d'iridescence. Par conséquent, la première partie de la revendication 28 du document D2 ne parle pas de variation de couleur ; elle précise seulement que les pigments sont des pigments interférentiels qui permettent d'avoir, pour un angle d'observation donné, un aspect iridescent. La seconde partie de la revendication 28 fait référence à un color shift. Ce changement a lieu uniquement dans la zone de chevauchement. Il ne s'agit pas d'un changement de couleur, mais un changement de l'aspect iridescent. L'iridescence change de manière continue en modifiant l'angle d'observation. L'iridescence est un terme assez générique ; elle ne peut concerner qu'une nuance de couleur et n'implique donc pas forcément plusieurs couleurs (à titre d'exemple, il peut s'agir du passage d'un bleu ciel au bleu foncé). La revendication 28 ne comporte aucune indication d'une pluralité de couleurs. L'expression color shift est utilisée au singulier. La revendication 28 ne divulgue donc pas l'existence de plusieurs couleurs, ni d'une variation de ces couleurs, et encore moins un changement simultané de ces couleurs. À la figure 7.8 du document D6, on voit bien qu'il y a un pigment qui a une longueur d'onde de 550 nm. Ce pigment ne va pas changer de couleur, mais il va passer du vert clair au vert foncé, avec un pic à 550 nm. L'autre pigment, qui passe du bleu violet au rouge, change de couleur, mais pas en même temps : les changements ne sont pas synchrones.
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
Ce serait une analyse a posteriori que de dire que dans le document D2, parmi toutes les combinaisons de pigments possibles, on choisit les pigments qui ont un changement de couleur, alors qu'il y a une multitude de possibilités. Le changement de couleur n'est ni explicite, ni suggéré dans le document D2 (on parle de « variation d'iridescence »).
En réponse à une question de la chambre, l'intimée a expliqué que le vert foncé et le vert clair étaient des nuances différentes de la même couleur. Pour avoir un changement de couleur, il faut passer du jaune au vert ou du bleu au rouge. L'homme du métier aurait considéré qu'une pluralité de nuances de vert ne fait pas une image polychromatique.
Problème technique objectif
Le problème technique objectif est de proposer une image imprimée iridescente comportant un effet visuel particulier lors d'un changement d'angle de vue.
Evidence pour l'homme du métier
Le document D1 ne conduit pas l'homme du métier à obtenir un changement simultané de deux couleurs d'une image polychromatique. Considérant le document D2 seul, le seul effet visuel évoqué dans le document D2 est le changement continu de couleur (page 7, lignes 37 et 38, revendication 28). Ainsi, dans le document D2, par opposition au principe de l'invention, un effet visuel par changement continu ou graduel de couleur est recherché. Il n'est pas possible de considérer qu'un homme du métier interpréterait ceci comme une incitation à un changement simultané de couleur. L'homme du métier n'aurait donc pas été amené à reproduire l'objet de la revendication 11 en tenant compte de la description et de l'enseignement du document D2 ; l'objet de la revendication 11 implique une activité inventive par rapport au document D2.
c) Requête auxiliaire 1bis
i) Requérante (opposante)
Les revendications constituent l'essence d'un brevet. Par conséquent, un mandataire doit être particulièrement vigilant par rapport à la formulation des revendications, y compris l'orthographe. Lorsque des revendications sont numérisées, il faut s'attendre à des erreurs. La numérisation elle-même et la reconnaissance de caractères sont fréquemment sources d'erreurs. Le mandataire se doit d'en vérifier le résultat, en particulier pour la revendication principale, et de les rectifier. Il ne peut pas attendre jusqu'à une semaine avant la procédure orale. En l'espèce, l'intimée aurait dû effectuer la correction au plus tard quelques jours après que les erreurs ont été signalées par la chambre. Le comportement de l'intimée a privé la requérante de la possibilité de disposer d'une traduction réalisée avec soin.
En réponse à une question de la chambre, la requérante a confirmé qu'elle n'avait pas soulevé des objections substantielles contre les requêtes auxiliaires et qu'elle se contentait donc d'en contester l'admission.
ii) Intimée (titulaire du brevet)
Admission
La demande de brevet a été rédigée à l'origine par un cabinet différent du cabinet ayant géré l'opposition. Le texte au format Word n'était pas disponible et un nouveau texte des revendications au format Word a donc dû être préparé pour la préparation des requêtes auxiliaires. C'est lors de cette préparation que des coquilles se sont glissées dans les revendications. Les coquilles identifiées par la chambre ne sont donc pas des tentatives de la titulaire et de l'intimée pour modifier les revendications sans répondre aux motifs d'opposition. On constate en effet qu'elles sont dues à une mauvaise reconnaissance de caractères. Ce ne sont pas des modifications volontaires. L'intimée a donc soumis une requête auxiliaires 1bis sans ces coquilles. Ces requêtes ne sont pas nouvelles. Elles sont au dossier depuis l'origine de la procédure d'opposition et de recours. La soumission des requêtes corrigées à ce stade de la procédure n'est pas de nature à retarder ou complexifier la procédure orale. L'existence des coquilles n'avait pas été constatée avant la notification de la chambre. Le dépôt tardif des requêtes auxiliaires est donc justifié.
En réponse à une question de la chambre, l'intimée a expliqué que les nouvelles requêtes n'ont pas été déposées immédiatement après la notification de la chambre à cause d'un changement de représentant à la procédure orale. Après avoir pris connaissance des pièces du dossier, le nouveau représentant a proposé de déposer les requêtes corrigées.
Remarques substantielles
La revendication 11 de la requête auxiliaire 1bis reprend les caractéristiques de la revendication 11 du brevet tel que délivré et précise que lors du changement d'angle de vue de ladite image sous éclairage par au moins une source de lumière visible, une première couleur initiale permute en une première couleur finale et une deuxième couleur initiale permute simultanément en une deuxième couleur finale, la première couleur initiale étant sensiblement identique à la deuxième couleur finale, et vice versa. Cet aménagement de la nouvelle revendication 11 est fondé sur le texte de la demande de brevet européen telle que déposée (page 7, lignes 23 à 28) et satisfait aux dispositions de l'article 123(2) et (3) CBE. Aucun des documents cités par la requérante ne décrit ni ne suggère la caractéristique nouvelle, de sorte que les revendications de la requête auxiliaire 1bis satisfont aux dispositions de l'article 52(1) CBE.
Motifs de la décision
1. Requête principale
1.1 Interprétation des revendications
Le brevet ne contient que deux définitions, à savoir celles des expressions « lumière visible » et « image transparente » (voir paragraphe [0004]). Par conséquent, la chambre interprète les autres termes et expressions selon leur sens ordinaire.
1.1.1 « image polychromatique »
La chambre comprend l'expression « image polychromatique » comme désignant une image multicolore, contrairement à une image monochromatique, qui est formée d'éléments d'une seule couleur.
1.1.2 « image iridescente »
L'expression « image iridescente » est comprise comme désignant une image présentant des couleurs comme celles de l'arc-en-ciel, ou celles réfléchies par les bulles de savon etc., et qui changent selon la position d'où on les regarde.
1.1.3 « au moins deux couleurs ... changent simultanément lors d'un changement d'angle de vue... »
La chambre comprend cette caractéristique de telle
sorte que, lors d'un changement d'angle de vue, l'observateur constate qu'au moins deux couleurs différentes de l'image multicolore changent en même temps. Par exemple, un élément de l'image qui apparaissait rouge sous le premier angle de vue apparaît bleu sous le second angle de vue, alors qu'un élément originalement vert devient jaune. Ni l'apparition, lors du changement d'angle de vue, d'un élément invisible sous le premier angle, ni la disparition d'un élément visible sous le premier angle lors du changement d'angle de vue ne correspondent au changement revendiqué, car il ne s'agit pas d'un changement de couleur proprement dit.
Il a été fait valoir que le changement devait être « brutal » et non continu. Or, cette caractéristique prétendue de l'invention ne ressort pas du libellé de la revendication 11. Le fait que des couleurs changent « simultanément » (Larousse : « d'une façon simultanée, en même temps ») ne signifie pas nécessairement que le changement est discontinu ; il est aisé d'imaginer un changement continu simultané. Par conséquent, l'interprétation étroite de la caractéristique est injustifiée.
1.2 Activité inventive, partant du document D2
Le document D2 divulgue des documents de sécurité transparents ou translucides dont l'authenticité peut être vérifiée et qui sont protégés contre la contrefaçon par photocopie.
1.2.1 Revendication 11
a) Différences
Au point 3.3 des motifs de la décision objet du recours, la division d'opposition a conclu que le document D2 ne divulguait pas de changement de couleur simultané (caractéristique 11.3). Par ailleurs, les parties n'étaient pas d'accord sur la question de savoir si la caractéristique 11.2 était divulguée.
i) Caractéristique 11.2
Cette caractéristique requiert que l'image imprimée iridescente est à la fois transparente et polychromatique.
La figure 4 montre un mode de réalisation particulier d'un document de sécurité selon le document D2 et qui est décrit à la page 3, lignes 33 à 44.
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
Des pigments B d'interférence lumineuse sont imprimés sur (i) un motif opaque contenant des pigments métalliques M, (ii) un motif comprenant des pigments métalliques M mélangés avec des pigments R2 réflecteurs de lumière « communs » ayant une couleur complémentaire à la couleur des pigments B en réflexion, et (iii) un motif comprenant uniquement des pigments R2 ayant une couleur complémentaire à la couleur des pigments B en réflexion. La présence de ces deux couleurs a pour effet que l'image est polychromatique.
Le document D2 ne divulgue pas explicitement que l'image est transparente. Néanmoins, ce document divulgue :
- que le support est transparent ou du moins translucide (cf. page 2, lignes 52 et 53) ;
- que les pigments d'interférence ont toujours une certaine transparence (page 6, lignes 22 et 23) ;
- que ces pigments peuvent être imprimés sous la forme d'un vernis transparent chargé de pigments (page 7, lignes 17 à 20 ; revendication 25).
Rien dans le document D2 ne suggère que le vernis contenant les pigments soit chargé à tel point que la couche imprimée devienne opaque, et une telle configuration irait à l'encontre de l'objectif du document qui est de proposer des améliorations de documents de sécurité transparents ou translucides (cf. page 2, lignes 3 et 4). S'il est correct que le document D2 ne divulgue pas explicitement que les pigments sont utilisés dans les proportions permettant à l'image d'être transparente, cela est donc divulgué de manière implicite.
La chambre est donc parvenue à la conclusion que le document D2 divulgue la caractéristique 11.2.
ii) Caractéristique 11.3
Selon cette caractéristique, au moins deux couleurs de l'image changent simultanément lors d'un changement d'angle de vue sous éclairage par une source de lumière visible.
Selon la revendication 28 du document D2 (voir aussi la page 7, lignes 32 à 38), le document de sécurité contient des motifs imprimés se recouvrant au moins partiellement les uns les autres. Ces motifs contiennent chacun un ou plusieurs pigments d'interférence lumineuse différents dont la construction et la composition sont telles qu'ils présentent un changement de couleur (color shift) différent lorsqu'ils sont vus sous le même angle d'observation. Le motif imprimé le plus éloigné de l'observateur a un pouvoir couvrant plus élevé que le motif imprimé par-dessus, qui est plus transparent. Ainsi, on obtient un document qui présente dans la zone de chevauchement des motifs un changement de couleur (color shift) continu en changeant progressivement l'angle d'observation.
L'argument selon lequel ce changement de couleur est continu, par opposition au principe de l'invention, à savoir un changement brusque de couleur, ne peut prospérer, car il s'appuie sur une interprétation de la caractéristique 11.3 que la chambre ne partage pas (cf. le point 1.1.3 ci-dessus).
Il a également été fait valoir que le color shift selon le document D2 n'était qu'un effet d'iridescence qui pourrait reposer sur un simple changement de nuance (par exemple, un passage du vert clair au vert foncé) et ne constituerait par conséquent pas un changement de couleur au sens de la revendication 11. Cet argument n'a pas convaincu la chambre, car il repose sur une confusion. Il faut en effet distinguer le langage courant de celui utilisé dans les revendications de brevet, qui vise une plus grande précision technique. La « couleur » d'un objet au sens physique est déterminée par la ou les longueurs d'onde de la lumière visible que réfléchit ou laisse passer cet objet. Par contre, ce que le langage courant entend par « couleur » correspond en général à tout un champ chromatique regroupant différentes couleurs. A titre d'exemple, on désigne couramment par « vert » le champ chromatique regroupant des couleurs situées sur le cercle chromatique entre le jaune et le bleu. Sauf exception, un effet d'iridescence à l'intérieur de ce champ chromatique impliquera donc des couleurs différentes. Par conséquent, le color shift qu'évoque le document D2 implique plusieurs couleurs au sens de la revendication 11.
Dans ce contexte, la figure 7.8 du document D6 a été invoquée. Elle a été interprétée différemment par les parties. Cette figure montre la réponse spectrale mesurée de la lumière non polarisée d'un empilement
Al-MgF2-Cr avec un espaceur MgF2 de 500 nm, produisant un décalage du magenta (incidence normale) au vert (incidence de 60°).
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
Contrairement à l'avis de l'intimée, il ne s'agit pas de deux pigments différents dont l'un passe du vert clair au vert foncé, avec un pic d'intensité à 532 nm, et l'autre passe du rouge au violet. Il s'agit plutôt du même pigment vu sous différents angles : lorsqu'il est illuminé par une source de lumière visible (la plage de longueurs d'onde de l'abscisse de la figure 7.8 correspond plus ou moins au spectre visible) et regardé à 90°, le pigment présente un mélange de rouge et de bleu-violet (d'où la référence au magenta) ; lorsque l'angle d'observation est de 60°, il apparaît comme vert.
Comme cela a été dit plus haut, le document de sécurité représenté à la figure 4 du document D2 comporte des zones de chevauchement entre la couche comportant les pigments B d'interférence lumineuse et la couche comportant des pigments R2 ayant une couleur complémentaire à la couleur des pigments B. Il s'ensuit que l'observateur peut discerner au moins deux couleurs de l'image imprimée iridescente qui changent simultanément lors d'un changement d'angle de vue de l'image. Le reproche d'une analyse a posteriori n'est pas fondé.
Néanmoins, le document D2 ne divulgue pas que le changement se produit sous éclairage par au moins une source visible. La caractéristique 11.3 n'est donc pas divulguée dans sa totalité.
iii) Conclusion concernant les différences
L'objet de la revendication 11 diffère de la divulgation du document D2 en ce que l'effet optique est obtenu sous éclairage par au moins une source de lumière visible.
b) Evidence pour l'homme du métier
Le fait que le document D2 ne divulgue pas directement et sans ambiguïté que l'effet optique est obtenu sous éclairage par au moins une source de lumière visible ne saurait fonder une activité inventive. L'homme du métier dans le domaine des documents de sécurité est familier d'effets optiques obtenus lors de l'illumination à l'intérieur et en dehors du spectre visible. Comme cela est apparent, par exemple, des figures 7.4 et 7.8 du document D6, les pigments d'interférence lumineuse utilisés dans le contexte du document D2 sont susceptibles de produire un effet optique à la fois à l'intérieur et en dehors du spectre visible. L'homme du métier est également conscient qu'un effet optique obtenu sous éclairage par une source de lumière visible comporte l'avantage de pouvoir être examiné sans appareillage particulier. Une limitation à ce domaine spectral est donc manifestement avantageuse pour certains types d'application et ne saurait fonder à elle seule une activité inventive.
c) Conclusion concernant l'activité inventive de l'objet de la revendication 11
L'objet de la revendication 11 n'implique pas d'activité inventive au vu du document D2, en combinaison avec les connaissances générales de l'homme du métier, telles qu'elles sont établies par le document D6.
1.3 Conclusion concernant la requête principale
L'objet de la revendication 11 de la requête principale n'impliquant pas d'activité inventive, le motif d'opposition selon l'article 100 a) ensemble l'article 56 CBE s'oppose au maintien du brevet tel que délivré.
Par conséquent, la requête principale est rejetée.
2. Requête auxiliaire 1bis
2.1 Admission
La requête auxiliaire 1bis déposée par lettre en date
du 13 avril 2022 correspond à la requête auxiliaire 1 déposée le 22 novembre 2018, à l'exception d'une correction : désormais, la revendication 15 ne fait plus référence à une « image selon l'une des revendications 10 à 14 » mais se réfère aux revendications 11 à 14. L'erreur avait été identifiée pour la première fois dans la notification de la chambre en date du 10 mars 2022.
La chambre est satisfaite que cette correction constitue une réaction légitime à une objection soulevée pour la première fois dans la notification de la chambre. En outre, le seul changement correspond à la correction d'une erreur manifeste (la revendication 10 concerne une méthode et non pas une image) qui ne soulève pas de nouveaux problèmes de fond.
La chambre est donc parvenu à la conclusion qu'il existe des circonstances exceptionnelles au sens de l'article 13(2) RPCR 2020. Par conséquent, elle a décidé d'admettre la requête auxiliaire 1bis dans la procédure en application du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 13(2) RPCR 2020.
2.2 Conformité de l'objet des revendications avec les exigences de la CBE
La requérante n'a pas soulevé d'objection substantielle contre la requête auxiliaire 1bis. En outre, une non-conformité avec les exigences de la CBE n'est pas manifeste pour la chambre.
2.3 Conclusion
Il n'y a pas d'obstacle au maintien du brevet sous une forme modifiée, sur la base des revendications de la requête auxiliaire 1bis.
3. Renvoi pour adaptation de la description
En l'espèce, la chambre estime qu'il convient de renvoyer l'affaire à la division d'opposition pour l'adaptation de la description, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation qui lui est conféré par l'article 111(1) CBE. Les parties n'ont pas soulevé d'objections au renvoi.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision objet du recours est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'opposition afin de maintenir le brevet sur la base des revendications suivantes et une description à adapter:
Revendications n° 1 à 15 produites avec la lettre du 13 avril 2022 en tant que requête auxiliaire 1bis.