T 0170/07 11-11-2009
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Procédé de détermination d'un paramètre significatif du progrès d'un traitement extracorporel de sang
Recevabilité du recours (oui)
Méthode de traitement thérapeutique (oui)
Admission des requêtes auxiliaires (non)
Exposé des faits et conclusions
I. Le présent recours est dirigé contre la décision de révocation du brevet européen Nº0920877 prise par la division d'opposition et postée le 6 décembre 2006.
Le motif essentiel de révocation du brevet était l'objection selon laquelle le procédé selon la revendication 1 du brevet tel que délivré serait une méthode de traitement thérapeutique du corps humain. La revendication 1 selon la requête auxiliaire portant sur un dispositif pour la mise en oeuvre du procédé a été considérée comme contrevenant à l'article 123(3) CBE.
II. La revendication 1 du brevet tel que délivré se lit comme suit :
"1. Procédé de détermination d'un paramètre (D, K, Kt/v, Cbin) significatif de l'efficacité d'un traitement extracorporel du sang consistant à faire circuler de part et d'autre de la membrane semi-perméable (4) d'un échangeur (1) à membrane le sang d'un patient et un liquide de traitement, caractérisé en ce qu'il comporte les étapes de :
faire circuler dans l'échangeur (1) un liquide de traitement ayant une caractéristique (Cd) ayant une valeur nominale (Cd0in) sensiblement constante en amont de l'échangeur (1);
faire varier la valeur de la caractéristique (Cd) en amont de l'échangeur (1) pendant une durée tc - ta, à la fin de laquelle la caractéristique (Cd) est rétablie à sa valeur nominale (Cd0in) en amont de l'échangeur (1);
mesurer et mettre en mémoire une pluralité de valeurs prises par la caractéristique (Cd) du liquide de traitement en aval de l'échangeur (1) en réponse à la variation de la valeur de cette caractéristique (Cd) provoquée en amont de l'échangeur (1);
caractérisé en ce qu'il comporte les étapes de:
- déterminer la superficie (Sout) d'une zone de perturbation aval délimitée par:
une ligne de base passant par deux valeurs prises par la caractéristique (Cd) à deux instants encadrant la perturbation et auxquels la caractéristique (Cd) n'est pas, respectivement plus, influencée par la perturbation, et
une courbe représentative de l'évolution par rapport au temps de la caractéristique (Cd), établie à partir des valeurs de la caractéristique (Cd) mesurées en aval de l'échangeur (1) entre deux instants t1 et t3 encadrant la perturbation et auxquels la caractéristique (Cd) n'est pas, respectivement plus, influencée par la perturbation ; et
- calculer le paramètre (D, K, Kt/v, Cbin) significatif de l'efficacité d'un traitement à partir de la superficie (Sout) de la zone de perturbation aval et de la superficie (Sin) d'une zone de perturbation amont délimitée par:
une ligne de base constituée par la valeur nominale (Cd0in) de la caractéristique (Cd), et
une courbe représentative de l'évolution par rapport au temps, pendant la durée tc - ta, de la caractéristique (Cd) en amont de l'échangeur (1)."
III. Le 31 janvier 2007 la requérante (titulaire du brevet) a formé recours contre cette décision. Le 6 avril 2007 la requérante a déposé son mémoire exposant les motifs du recours.
IV. Une citation à une procédure orale a été envoyée aux parties le 30 juillet 2009.
V. Le 14 septembre 2009 une annexe à la citation présentant l'opinion provisoire de la Chambre a été transmise aux parties en préparation à la procédure orale. Il y était en particulier indiqué que le procédé revendiqué était susceptible d'être considéré comme une méthode de traitement thérapeutique.
VI. Une procédure orale a eu lieu le 11 novembre 2009.
La requérante a demandé l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet tel que délivré (requête principale) ou sur la base d'une des deux requêtes auxiliaires présentées le 5 octobre 2009.
Les revendications 1 des requêtes auxiliaires se lisent respectivement :
"1. Dispositif de détermination d'un paramètre (D, K, Kt/v, Cbin) significatif de l'efficacité d'un traitement extracorporel du sang consistant à faire circuler de part et d'autre de la membrane semi-perméable (4) d'un échangeur (1) à membrane le sang d'un patient et un liquide de traitement, comportant des moyens (19, 22, 23 , 24, 25, 30, 32) pour: etc...".
"1. Utilisation de moyens pour la mise en oeuvre d'un procédé de détermination d'un paramètre (D, K, Kt/v, Cbin) significatif de l'efficacité d'un traitement extracorporel du sang consistant à faire circuler de part et d'autre de la membrane semi-perméable (4) d'un échangeur (1) à membrane le sang d'un patient et un liquide de traitement, comportant les étapes de: etc...".
En outre, elle requiert que les questions suivantes présentées par écrit dans le mémoire daté du 5 octobre 2009 soient posées à la Grande Chambre de recours:
"A - Un procédé qui n'a ni but thérapeutique ni effet thérapeutique, et qui ne comporte aucune étape ayant un tel but ou un tel effet, peut-il tomber sous le coup des exclusions prévues à l'Article 53(c) CBE (le concept de «thérapie» étant à prendre au sens que lui a donné la chambre de recours 3.2.2)?
B - Un procédé qui n'a ni but thérapeutique, ni effet thérapeutique, et qui est prévu pour être mis en oeuvre pendant un traitement du corps animal ou humain par thérapie, tombe-t-il sous le coup des exclusions prévues à l'Article 53(c) CBE pour être mis en oeuvre pendant un traitement du corps animal ou humain par thérapie?"
L'intimée (opposante) a demandé le rejet du recours.
VII. Le document suivant cité par l'intimée dans sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours a joué un rôle dans la procédure de recours :
D1 : EP-A-0652780
VIII. Les arguments de la requérante peuvent être résumés comme suit :
Recevabilité du recours
Dans l'acte de recours, il est spécifié que "Conformément aux articles 106 et 107 CBE, nous formons recours contre cette décision.". Ceci ne peut être compris que comme signifiant que c'est la décision de la division d'opposition dans sa totalité qui est attaquée. Il y a donc dans l'acte de recours non seulement une indication de l'étendue du recours, mais également l'indication que cette étendue est l'ensemble de la décision de la division d'opposition. Les conditions énoncées dans la règle 64 CBE sont donc remplies.
Méthode de traitement thérapeutique
Les divisions d'examen ont déjà délivré de nombreux brevets dont la revendication principale porte sur un procédé de mesure d'un paramètre d'un traitement de dialyse.
De tels brevets ont aussi déjà été maintenus par les chambres de recours.
Le procédé selon la revendication 1 du brevet tel que délivré porte uniquement sur la détermination d'un paramètre et non sur un procédé de traitement thérapeutique. Ceci pour trois raisons :
a) la méthode n'a ni objectif thérapeutique ni effet thérapeutique préventif ou curatif. Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que soient indiqués : une maladie spécifique, un dosage et un moment d'administration. Or aucune de ces indications ne se trouve ni dans la revendication, ni dans la description du brevet attaqué, contrairement au document D1 cité par l'intimée qui précise que c'est lors de l'apparition des symptômes d'hypothension (donc à un moment précis) qu'une quantité de liquide physiologique définie et gérée par l'appareil est délivrée au patient.
De plus, la requérante a consulté un médecin travaillant depuis 1972 dans une clinique d'hémodialyse dans laquelle sont utilisées à la fois des machines de dialyse de la requérante et des machines de l'intimée effectuant automatiquement des mesures de la dialysance à intervalles réguliers en injectant un pic de sodium, comme dans le cas du brevet attaqué. Ce médecin a confirmé que les mesures effectuées n'avaient pas d'influence sur le traitement en cours et en outre expliqué que le pic de sodium injecté pour ces mesures était de l'ordre de 10meq et non de 16meq comme mentionné dans le document D1.
Même si l'injection d'un pic de sodium avait un effet sur le patient, pour que l'effet puisse être considéré comme thérapeutique, il faudrait encore que cet effet soit positif, un effet négatif provoquant un malaise ne pouvant de toute évidence pas être considéré comme une thérapie, et que la dose injectée soit efficace par rapport à une maladie ou une pénibilité donnée.
Autrement dit, même si une influence physiologique sur le patient existait dans le cas de l'exécution du procédé selon l'invention, une influence physiologique quelconque sur le corps n'est pas synonyme d'effet thérapeutique.
Le procédé revendiqué n'a donc pas non plus immanquablement un effet thérapeutique.
Ceci ressort d'ailleurs de la description du brevet, dans laquelle il est mentionné (voir par exemple [0010]) que la finalité du procédé selon l'invention consiste en la mesure d'un paramètre et que cette mesure est faite de sorte qu'elle modifie le moins possible le traitement en cours. Dans la description du brevet il est ainsi indiqué à plusieurs reprises que le patient n'était exposé à un liquide de dialyse ayant une conductivité différente de la conductivité nominale que pendant un temps très court de sorte que le patient n'était exposé que pendant un très court à un liquide de traitement différent du liquide de traitement prescrit. Le paragraphe [0027] donne un ordre de grandeur de durée de 2,3 minutes sur un traitement de 4 heures.
Le circuit sang n'étant pas revendiqué, la revendication ne peut tomber sous le coup de l'exclusion pour la seule raison que le sang traité retourne au patient.
b) L'objectif législatif de l'article 53c) CBE est de protéger le corps médical de possibles restrictions relatives à la dispense de traitements en raison de la présence d'un droit de brevet.
Ceci a pour conséquence que seul ce qui est revendiqué peut entraver l'activité médicale et que du point de vue de la contrefaçon, seul peut être contrefacteur celui qui reproduit tous les éléments de la revendication. Dans le cas présent, seule la deuxième étape pourrait être de nature thérapeutique de sorte que la revendication attaquée ne pourrait empêcher un médecin d'exercer son art puisque pour être contrefacteur, il devrait reproduire l'ensemble des étapes du procédé.
Une approche « dure » consistant à baser le minimum nécessaire pour tomber sous l'exception sur une seule étape thérapeutique ne permet donc pas au titulaire d'attaquer un contrefacteur de l'invention revendiquée.
Même si la CBE ne dit rien sur la contrefaçon, un brevet est un droit d'interdire et on ne peut pas ne pas en tenir compte lors de la définition des exceptions à la brevetabilité.
c) Un principe général de droit veut que toute exception à une règle soit interprétée de façon restrictive.
La Grande Chambre, dans son avis G 1/04, a expliqué en relation avec les méthodes de diagnostic que l'article 52(4) CBE 1973 (article 53c) CBE 2000) ne contenait pas de formulation telle que "relatives à un diagnostique" ou "qui sont utiles aux fins d'un diagnostique". De la même manière, seules les méthodes strictement thérapeutiques devraient être exclues de la brevetabilité.
Admissibilité des requêtes auxiliaires
Bien que ces revendications auraient pu être présentées plus tôt, elles ont, d'une part, été déposées en réponse au dépôt par l'intimée du document D1, et d'autre part elles ne contiennent que des changements formels tel que le changement d'une revendication de procédé en une revendication de dispositif, changement de catégorie autorisé par la décision G 2/88. En outre, ces requêtes auxiliaires reprennent l'ensemble des caractéristiques du procédé, de sorte que ni la Chambre, ni l'intimée ne peuvent être surprises par leur objet.
Les dispositifs n'étant pas exclus de la brevetabilité par l'article 53 c) CBE, il va de soi que les revendications selon les requêtes auxiliaires lèvent les objections soulevées à ce titre à l'encontre de la revendication de procédé, et par conséquent un argumentaire à l'appui de ces revendications de dispositif n'est pas nécessaire.
Le jeu de revendications auxiliaire no. 1 concerne un dispositif, définit des moyens pour mettre en oeuvre le procédé initialement revendiqué. Ces moyens sont décrits en détail dans le brevet opposé.
Ce nouveau jeu de revendications n'étend pas la protection conférée par le brevet délivré.
Le jeu de revendications auxiliaire no. 2 définit l'utilisation de moyens pour mettre en oeuvre le procédé initialement revendiqué.
Questions à la Grande Chambre de recours
La requérante est convaincue que le procédé revendiqué n'implique pas d'effet thérapeutique, les questions telles que libellées sont donc justifiées.
IX. Les arguments de l'intimée peuvent être résumés comme suit :
Recevabilité du recours
La décision de révocation de la division d'opposition porte sur une requête principale et une requête auxiliaire. La règle 64 b) CBE dispose que l'acte de recours doit contenir une requête identifiant la décision attaquée et indiquant la mesure dans laquelle sa modification est demandée. Or l'acte de recours mentionne uniquement que le recours est formé contre la décision de la division d'opposition, sans autre précision. Le recours n'est donc pas recevable.
Méthode de traitement thérapeutique
Comme l'exécution du procédé revendiqué exige l'extraction, la circulation et le retour du sang vers le patient la méthode contrevient, déjà pour cette raison, aux exigences de l'article 53c) CBE (voir T 35/99).
Par ailleurs dans l'avis G 1/04, la Grande Chambre de recours a confirmé qu'une seule étape thérapeutique dans une méthode de traitement suffisait pour que la méthode soit exclue de la brevetabilité.
Le procédé revendiqué implique de faire varier une caractéristique du liquide de traitement, comme par exemple la concentration de sodium, et donc entraine une modification de la composition du sang du patient, modification qui sera mesurée et qui aura indubitablement une influence sur le traitement en cours et donc sur le patient. Il s'agit donc d'une étape de thérapie exigeant une surveillance médicale.
Le degré d'efficacité thérapeutique ne peut être pris en compte puisqu'il dépend directement du patient, un patient réagissant avec une faible dose, l'autre seulement avec une forte dose. Quoi qu'il en soit, la revendication ne précise pas la quantité injectée pour initier la variation et couvre donc une dose quelconque.
En conséquence, il est impossible de distinguer le procédé selon la revendication 1 de celui décrit dans D1.
D'ailleurs l'exemple de réalisation du procédé décrit dans D1 utilise une quantité (16meq) comparable à celle (10meq) indiquée par la requérante utilisée pour la mesure du paramètre.
Il doit exister une sécurité juridique sur la question de savoir ce qui tombe sous le libellé de la revendication et ce qui ne tombe pas dessous.
Le but de l'exclusion au titre de l'article 53c) CBE n'est pas seulement d'exclure la possibilité d'obtenir des brevets pour des revendications de méthode lorsque celles-ci ne contiennent que des étapes produisant un effet thérapeutique. Autrement, il serait facile d'ajouter artificiellement une ou plusieurs étapes non thérapeutiques pour obtenir un brevet.
Admissibilité des requêtes auxiliaires
Non seulement ces requêtes auxiliaires auraient dû être déposées plus tôt en vertu de l'article 12(2) RPCR qui exige que l'ensemble des moyens invoqués par la requérante doivent être présentés dans le mémoire exposant les motifs du recours, mais aussi, les changements proposés par la requérante dans ses requêtes auxiliaires ne peuvent être considérés, ni comme minimaux, ni comme clairement admissibles. La requérante n'a pas non plus présenté de justification ou d'explications à l'appui de leur dépôt, alors que des requêtes basées sur un dispositif avaient déjà été rejetées par la division d'opposition au titre de l'article 123(3) CBE.
De plus, puisque des revendications de dispositif sont absentes du mémoire exposant les motifs de recours de la requérante, les tiers ne pouvaient s'attendre à un dépôt tardif de revendications basées sur un changement de catégorie.
Les requêtes auxiliaires doivent donc être rejetées déjà pour des raisons formelles.
Questions à la Grande Chambre de recours
Les questions de la requérante à poser à la Grande Chambre de recours sont sans intérêt, puisqu'il est clair à la simple lecture de l'article 53c) CBE qu'un procédé qui n'a ni effet, ni but thérapeutique n'est pas exclu de la brevetabilité.
Motifs de la décision
1. Recevabilité du recours
Comme les délais concernant la recevabilité du recours ont expiré avant l'entrée en vigueur de la nouvelle version de la CBE, c'est la CBE de 1973 qui est applicable, voir la décision J 10/07 (JO OEB 2008, 567).
La règle 64b) exige que l'acte de recours comporte une requête identifiant la décision attaquée et indiquant la mesure dans laquelle sa modification ou sa révocation est demandée.
Dans le cas présent, la seule indication existant dans l'acte de recours est une mention selon laquelle la requérante forme recours contre cette décision, (sous-entendu la décision de la division d'opposition de révoquer le brevet mentionnée plus en avant dans l'acte de recours).
Or la division d'opposition a basé sa décision à la fois sur une requête principale (maintien du brevet tel que délivré) et sur une requête auxiliaire (maintien du brevet dans une version modifiée).
La Chambre considère cependant qu'une déclaration d'un titulaire de former un recours contre la décision de la division d'opposition signifie, dans le cas d'une décision de révocation du brevet, que le titulaire requiert l'annulation de la décision dans sa totalité (voir aussi la décision T 407/02). Il ne peut donc exister de doute quant à la mesure dans laquelle la modification de la décision attaquée est demandée.
Il s'ensuit que l'acte de recours contient une indication de la mesure dans laquelle la modification de la décision attaquée est demandée, conformément à l'article 108 CBE 1973 et à la règle 64b) CBE 1973.
Le recours est donc recevable.
2. Méthode de traitement thérapeutique - Requête principale
Selon l'article 1 de la Décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001 relative aux dispositions transitoires au titre de l'article 7 de l'acte de révision de la Convention sur le brevet européen du 26 novembre 2000, l'article 53 de la nouvelle version est applicable aux brevets européens déjà délivrés à la date de son entrée en vigueur.
2.1 L'article 53 CBE énumère des exceptions à la brevetabilité. Son paragraphe c) précise que des brevets européens ne sont pas délivrés pour les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal ni pour les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal.
Dans son avis G 1/04 (JO OEB 2006, 334) la Grande Chambre de recours s'est penchée sur la question de savoir à partir de quel moment une méthode était à considérer comme une méthode de diagnostic appliquée au corps humain. Elle a, dans ce contexte, également rappelé que les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain appliquées au corps humain étaient des méthodes différentes d'une méthode de diagnostic et qu'une méthode pouvait tomber sous l'exclusion selon l'article 53 c) CBE lorsqu'une seule de ses étapes était à considérer comme chirurgicale ou thérapeutique (voir point 6.2.1).
2.2 La question fondamentale en l'espèce est donc de savoir si le procédé de détermination d'un paramètre tel que revendiqué dans le brevet attaqué inclut une étape qui doit être considérée comme étant de nature thérapeutique ou chirurgicale.
Le libellé de la revendication 1 telle que délivrée ne comporte pas explicitement d'étape chirurgicale. La Chambre s'est donc concentrée sur la question de savoir si l'une des étapes explicitement revendiquées devait être considérée comme étant de nature thérapeutique.
2.3 Le procédé revendiqué est un procédé de détermination d'un paramètre significatif de l'efficacité d'un traitement extracorporel du sang. Un procédé de traitement extracorporel du sang consiste à faire circuler de part et d'autre d'une membrane semi-perméable d'un échangeur à membrane le sang d'un patient et un liquide de traitement de telle sorte qu'à travers la membrane s'opère un échange de liquides et de substances entre le sang du patient et le liquide de traitement. Le liquide de traitement a une composition choisie qui permet d'obtenir une modification déterminée de la composition du sang du patient.
Un traitement par hémodialyse permettant de traiter le sang de patients ayant une fonction rénale déficiente est un tel traitement extracorporel du sang. C'est aussi sur un traitement par hémodialyse qu'est basé l'unique exemple de la réalisation de l'invention décrit dans la description du brevet attaqué.
Le liquide de dialyse utilisé a plusieurs caractéristiques, notamment une certaine concentration en sodium pour une conductivité donnée.
L'idée à la base de l'invention est de faire varier l'une des caractéristiques du liquide de dialyse, telle que la concentration en sodium, en amont de l'échangeur, de mesurer la perturbation induite en aval de l'échangeur pour pouvoir déduire mathématiquement des deux perturbations mesurées en amont et en aval un paramètre significatif de l'efficacité du traitement. En fonction de la valeur de ce paramètre le praticien ou le médecin modifiera ou non le traitement en cours en vue d'un objectif thérapeutique déterminé (voir paragraphe [0004] du brevet).
Dans la revendication 1 en litige l'étape déterminante est donc la suivante :
"faire varier la valeur de la caractéristique (Cd) en amont de l'échangeur (1) pendant une durée tc - ta, à la fin de laquelle la caractéristique (Cd) est rétablie à sa valeur nominale (CdOin) en amont de l'échangeur (1)"
2.4 Il y a lieu tout d'abord de noter que le libellé de cette étape ne donne aucune précision quant à l'amplitude, la durée, ou la fréquence de la variation induite. En d'autres termes, toutes les amplitudes, durées et fréquences aptes à servir à la détermination du paramètre donné sont couverts par l'étendue de la revendication.
Il est ensuite utile de considérer l'enseignement de D1 publié en décembre 1994, soit 3 années avant la date de priorité du brevet attaqué. Ce document concerne un dispositif qui permet d'éviter les problèmes liés à l'hypotension qui apparaissent chez certains patients pendant la séance de dialyse. Plus précisément, ce dispositif permet de délivrer automatiquement une dose appropriée de sodium aux patients lors de l'apparition des premiers symptômes d'hypotension, de sorte que l'hypotension soit évitée. Pour cela le patient appuie sur un bouton lors de l'apparition des symptômes et la machine de dialyse augmente automatiquement la concentration en sodium du dialysat (par exemple de 16 meq/l) pendant une durée déterminée, (par exemple de 10 minutes, voir page 4, lignes 37 à 41). L'augmentation de la concentration en sodium ainsi que la durée d'application sont variables et adaptées aux besoins des patients (voir par exemple, page 4, lignes 42,43; page 6, lignes 36 à 46; revendications 6 et 7).
La requérante a d'ailleurs reconnu que l'injection de sodium était un moyen courant de lutter contre les problèmes d'hypotension apparaissant chez certains patients pendant une séance de dialyse.
Le document D1 démontre ainsi que pour au moins certaines durées et variations de la concentration en sodium (qui est une caractéristique du liquide de traitement), il existe un effet thérapeutique certain et reconnu sur certains patients.
Comme le libellé de l'étape litigieuse du procédé revendiqué ne précise aucune plage de valeurs, la mise en oeuvre de cette étape aura donc immanquablement un effet thérapeutique sur les patients sujets à l'hypotension, lorsque la caractéristique variera dans les proportions et pendant les durées indiquées dans D1.
Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour conférer au procédé revendiqué une étape thérapeutique au sens de l'article 53c) CBE et ainsi l'exclure de la brevetabilité.
2.5 La requérante a reconnu que l'exécution de la méthode revendiquée pouvait avoir un effet physiologique sur le patient. Cependant, selon elle, pour que la méthode puisse être considérée comme thérapeutique, il faudrait qu'il y ait un but thérapeutique et un effet thérapeutique, autrement dit, que soient indiqués une maladie ou un malaise à prévenir ou guérir et un traitement précis c'est-à-dire un composant précis à injecter à un moment précis pendant une durée précise.
Une telle interprétation serait contraire au principe selon lequel, dans une revendication, à moins qu'il n'en soit disposé autrement, le général couvre le particulier.
La revendication dans sa généralité couvre une multitude de liquides de traitement, de doses, et de temps d'injection. Elle couvre donc aussi le cas dans lequel le liquide de traitement, la dose, le temps d'injection choisis auront un effet bénéfique sur un patient présentant des symptômes d'hypotension. Autrement dit, le procédé de détermination d'un paramètre tel que revendiqué dans la revendication 1, c'est-à-dire. définissant une valeur indéterminée de la variation d'une caractéristique du liquide de traitement pendant une durée indéterminée, inclut nécessairement le cas dans lequel il aura un effet bénéfique sur un patient présentant des symptômes d'hypotension, comme décrit dans D1.
La requérante n'a pas su convaincre la Chambre que les doses et durées d'application préconisées par D1 ne pourraient pas être utilisées dans la méthode revendiquée. Au contraire les doses et les durées indiquées par la requérante sont du même ordre de grandeur que celles nécessaires au traitement de l'hypotension.
2.6 La requérante a insisté sur le fait que les doses nécessaires pour les mesures ne produisaient pas d'effet sur le traitement thérapeutique en cours sur le patient.
Par ailleurs, le médecin d'un hôpital, dans lequel sont utilisées plusieurs machines de dialyses équipées d'un système de mesure de la dialysance basé sur l'injection d'un pic de sodium du même type que celui revendiqué, lui avait confirmé que ces pics de sodium étaient sans influence thérapeutique.
D'une part, la requérante n'a fourni aucun test ou preuve précis permettant d'appuyer ses dires.
D'autre part, il ne s'agit pas de savoir si des machines de l'état de la technique envoyant un pic de sodium aux patients à des fins de mesure produisent ainsi un effet thérapeutique ou non, ni de savoir s'il existe des valeurs dans la plage de valeurs revendiquée pour lesquelles aucun effet thérapeutique, voire même un effet négatif se produirait sur le patient, mais la question est uniquement de savoir si les valeurs ou les plages de valeurs qui conduisent sans le moindre doute à un effet thérapeutique sont couvertes par le libellé de la revendication.
Quant à la mention dans la description du brevet attaqué selon laquelle le patient n'est exposé que pendant un temps très court à un liquide de traitement différent du liquide de traitement prescrit, elle ne permet pas d'affirmer qu'un effet thérapeutique n'est pas obtenu. Elle semble plutôt indiquer que si le temps d'exposition (cumulé ou non) est mal choisi, il aura nécessairement une influence sur le traitement par hémodialyse en cours. En outre la durée n'est pas précisée dans la revendication en litige.
2.7 La requérante considère qu'il ne lui devrait pas être interdit d'obtenir un brevet pour une méthode incluant une seule étape pouvant être thérapeutique, puisque cela l'empêcherait de poursuivre un éventuel contrefacteur alors qu'un médecin qui ne reproduirait que l'étape critique ne pourrait, lui, de toute façon pas être poursuivi pour contrefaçon puisqu'il ne reproduirait pas l'ensemble des étapes du procédé.
Même s'il est admis que le but de l'exclusion selon l'article 53c) CBE est de garantir que le corps médical ne puisse être gêné dans l'exercice de ses fonctions, la Chambre est liée par le texte de la CBE et force est de constater que dans le texte de l'article 53c) CBE le législateur n'a pas choisi d'exclure uniquement les méthodes qui seraient susceptibles d'être prescrites par un médecin dans un but strictement thérapeutique, mais plus généralement les méthodes de traitement thérapeutique du corps humain ou animal appliquées au corps humain ou animal.
Dans ce but, ainsi que stipulé par la Grande Chambre de recours dans l'avis G 1/04 une seule étape thérapeutique suffit à exclure de la brevetabilité une méthode appliquée au corps humain. Ainsi un procédé appliqué au corps humain ou animal, revendiqué en termes généraux, comme c'est le cas en la présente espèce, et qui n'a, à l'origine, pas de but thérapeutique affiché, mais qui, dans des conditions particulières, génère inévitablement un effet thérapeutique lors de sa mise en oeuvre, tombe sous l'exclusion selon l'article 53c) CBE.
2.8 La requérante soutient que l'article 53 c) CBE ne contient pas de formulation comme "relative à un traitement thérapeutique" ou "qui sont utiles aux fins d'un traitement thérapeutique" de sorte que le procédé revendiqué ne devrait pas être exclu de la brevetabilité.
Le procédé revendiqué dans le brevet attaqué ne saurait être considéré seulement comme "relatif à un traitement thérapeutique" puisqu'il produit immanquablement un effet thérapeutique sur les patients présentant des symptômes d'hypotension. Un procédé "relatif à un traitement thérapeutique" serait par exemple un procédé de fabrication de l'un des composants du liquide de dialyse. Mais rien de tel n'est revendiqué ici.
2.9 La requérante a par ailleurs relevé que l'Office Européen des Brevets avait déjà délivré nombre de brevets portant sur la détermination d'un paramètre pendant le déroulement d'un traitement thérapeutique et que l'office devait rester cohérent et ainsi lui maintenir un brevet.
Ainsi qu'en dispose l'article 23 CBE les membres des chambres sont indépendants dans l'exercice de leurs fonctions. En particulier, le paragraphe 3 de l'article 23 CBE précise clairement que dans leurs décisions, les membres des chambres ne sont liés par aucune instruction et ne doivent se conformer qu'aux seules dispositions de la présente Convention.
L'existence éventuelle de brevets délivrés pour des procédés similaires à celui revendiqué dans le cas présent ne saurait donc lier la Chambre, ceci même dans le cas où la Chambre s'écarterait de l'interprétation ou de l'explication de la Convention figurant dans une décision antérieure de l'une des chambres (voir article 20 RPCR).
3. Requêtes auxiliaires
L'article 12(2) RPCR prévoit que le mémoire exposant les motifs du recours et la réponse à ce mémoire doivent contenir l'ensemble des moyens invoqués par une partie.
Les deux requêtes auxiliaires introduites par la requérante ont été déposées avec la lettre du 5 octobre 2009, soit environ 1 mois avant la procédure orale, donc bien après le dépôt du mémoire.
Ces requêtes ne peuvent être considérées comme une réponse en réaction au dépôt du document D1 par l'intimée, comme suggéré par la requérante, puisque celui-ci a été déposé par lettre du 30 août 2007.
Il s'agit donc d'une modification tardive des moyens invoqués par la requérante, dont l'admission et l'examen sont laissés à l'appréciation de la chambre conformément à l'article 13 RPCR. Cet article précise que la chambre exerce son pouvoir d'appréciation en tenant compte, entre autres, de la complexité du nouvel objet, de l'état de la procédure et du principe de l'économie de la procédure.
Dans le cas présent, la Chambre considère que l'admission des requêtes auxiliaires serait contraire au principe de l'économie de procédure, au regard de la complexité des problèmes additionnels soulevés par ces requêtes. En effet, ces requêtes posent la question de savoir si le changement de catégorie d'une revendication de procédé en une revendication de dispositif apte à exécuter ledit procédé ou en une revendication d'utilisation de moyens permettant de mettre en oeuvre ledit procédé serait compatible avec les exigences de l'article 123(3) CBE, question qui n'a joué aucun rôle jusque-là dans la procédure de recours. La requérante n'a pas fourni non plus d'explication précise ou de justification à ce sujet dans sa lettre du 5 octobre 2009, de sorte que ni la Chambre, ni la partie adverse n'ont pu se préparer à un quelconque argumentaire de la requérante. Le simple rappel du fait que la Grande Chambre de recours a précisé dans la décision G 2/88 qu'il était possible dans certaines circonstances de changer la catégorie d'une revendication sans enfreindre l'article 123(3) CBE ne suffit pas à rendre admissible une telle modification.
Des éclaircissements sur les raisons pour lesquelles la requérante considérait ces requêtes recevables au titre de l'article 123(3) CBE étaient d'autant plus nécessaires qu'au cours de la procédure d'opposition la division d'opposition avait rejeté la requête auxiliaire portant sur un dispositif précisément au titre de l'article 123(3) CBE 1973.
4. Questions à la Grande Chambre de recours
La Chambre partage l'avis de l'intimée et considère également que la réponse aux questions formulées par la requérante se trouve déjà dans la formulation de l'article 53c) CBE. En effet une méthode qui n'aurait ni but ni effet thérapeutique ne peut, par définition, être considérée comme une méthode thérapeutique au sens de l'article 53c) CBE et de ce fait ne pourrait être exclue de la brevetabilité sur la base de cet article.
Concernant la seconde question de savoir si un procédé appliqué au corps humain tomberait sous le coup de l'exclusion selon l'article 53c) CBE du seul fait qu'il est appliqué pendant un traitement thérapeutique, cette question ne se pose pas dans le cas présent puisque la Chambre est arrivée à la conclusion que le procédé revendiqué en l'espèce devait être considéré comme une méthode thérapeutique. Dans ce cas, il importe peu de savoir si le procédé revendiqué s'inscrit ou non dans un traitement thérapeutique plus général.
Comme la Chambre peut décider elle-même sur les questions posées et ne voit pas de contradiction avec la jurisprudence existante en la matière, il n'y a pas lieu de saisir la Grande Chambre de recours.
Par ailleurs, la Chambre observe que les questions posées présupposent que le procédé revendiqué "n'a ni but thérapeutique, ni effet thérapeutique" contrairement aux conclusions de la Chambre dans la présente affaire. Dans un tel cas les questions posées sont purement théoriques et ne correspondent pas au cas à trancher. Pour cette raison également, il n'y a pas non plus lieu de les soumettre à la Grande Chambre de recours.
La requête est donc rejetée.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.