T 0171/84 (Catalyseur redox) 24-10-1985
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Exposé suffisant de l'invention
Reproducibilité d'un exemple
Connaissances générales de base
Exposé des faits et conclusions
I. A la suite du dépôt le 29 janvier 1979 de la demande de brevet européen n° 79 300 136.3, revendiquant la priorité d'une demande déposée aux Etats-Unis le 31 janvier 1978, un brevet européen n° 3870 comportant trois revendications a été délivré le 14 octobre 1981. La revendication 1 s'énonçait comme suit :
"Emulsion aqueuse de résine polymère destinée à être utilisée dans des peintures et enduits à base d'eau, caractérisée en ce qu'elle comprend de la résine polymère formée par polymérisation d'un mélange qui comprend de l'allylurée et/ou de la méthallylurée."
II. Le 5 juillet 1982, l'opposante a formé opposition contre le brevet européen et demandé sa révocation en alléguant que l'objet de celui-ci n'était pas brevetable, pour absence d'activité inventive et insuffisance de l'exposé de l'invention.
III. Le brevet a été révoqué par décision de la Division d'opposition, en date du 16 mai 1984, au motif que l'invention n'avait pas été exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. L'opposante a apporté la preuve que le seul exemple proposé dans le cas présent était impossible à reproduire. Au lieu des 56 % de rendement attendus, la quantité de polymère obtenue n'était que de 17 %, environ 40 % de monomère n'ayant pas réagi. En outre, le produit obtenu ne convenait pas à l'usage indiqué. Bien que la polymérisation en émulsion amorcée par des radicaux libres en présence d'un système catalytique redox fût généralement connue, la preuve apportée par l'opposante ainsi que plusieurs études générales - cf. Encyclopedia of Polymer Science and Technology, vol. 1, p. 757 (document (4)) et Methoden der Organischen Chemie, vol. XIV/1, p. 1133 et 1134 (document (5)) - montraient que la préparation de copolymères contenant des monomères allyliques ou méthallyliques pouvait ne pas être tout à fait simple, compte tenu de la baisse de réactivité. Aucune preuve du contraire n'avait été fournie. Les indications extraites de l'Encyclopédie Ullmann, vol. 14, 1963 (cf. document (6), p. 115) ne mentionnaient pas de tels monomères et étaient en conséquence dépourvues d'intérêt. Puisqu'en fait il aurait fallu, pour obtenir un résultat satisfaisant, une quantité d'agent catalytique réducteur beaucoup plus importante que celle recommandée dans l'exemple, la titulaire du brevet ne s'était pas acquittée de l'obligation de fournir des données suffisantes dans la description. En l'absence de toute indication concernant les réelles proportions nécessaires, on ne pouvait remédier à cette insuffisance et le brevet n'était plus valide. Il était donc superflu de statuer sur la question de l'activité inventive.
IV. Le 6 juillet 1984, la titulaire du brevet a introduit un recours et elle a simultanément acquitté la taxe correspondante ; le 26 septembre 1984, elle a déposé un mémoire exposant les motifs du recours. L'intimée a déposé un mémoire en réponse, et il a été décidé qu'une procédure orale aurait lieu le 24 octobre 1985. Bien qu'ayant été régulièrement citée à la procédure orale, l'intimée a choisi de ne pas y être représentée.
V. La requérante a présenté au cours de la procédure et des débats oraux essentiellement les arguments suivants :
a) La réaction de polymérisation était semblable à celle de l'antériorité la plus proche, à savoir le document BE-A-856 911, exemple 5 (document (1)). L'homme du métier aurait dû n'avoir aucune difficulté à déceler l'anomalie dans le procédé, ce qui l'aurait conduit à effectuer par la même occasion la correction nécessaire. La technique opératoire proprement dite consistait en une méthode de polymérisation bien connue où des radicaux libres sont en présence d'un système catalytique redox. Les publications US-A-4 035 329 (document (7)), 3 954 687 (document 8)), 4 044 197 (document (9)) et 4 073 779 (document 10)) illustraient l'application générale de la méthode aux polymères d'esters vinyliques et acryliques en présence de composés allyliques. De plus, le manuel général (document (6)) recommandait d'utiliser dans le système redox des composants oxydant et réducteur en proportions à peu près équivalentes.
b) Ceci impliquait que la quantité en poids d'agent réducteur devait être supérieure à celle du composant oxydant. La première quantité pouvait atteindre au moins 1,2 fois la seconde. La requérante, en voulant prouver la reproductibilité de la méthode, a utilisé ces composants selon des quantités de 1,6 pour 1. Le produit ainsi préparé conférait à la peinture une bonne adhérence en présence d'humidité, bien qu'aucun résultat d'essai n'ait été présenté à ce sujet dans son rapport.
c) Dans les essais effectués par l'opposante, celle-ci n'agissait pas de bonne foi, du fait qu'elle avait feint d'ignorer tous les indices d'anomalie. L'homme du métier n'aurait pas manqué de s'apercevoir que la quantité d'agent réducteur était trop faible et aurait pris les mesures correctives appropriées, au plus tard au cours de la réalisation de l'essai.
VI. Les arguments avancés par l'intimée (l'opposante) sont essentiellement les suivants :
a) La preuve a été fournie que, malgré des tentatives répétées, menées avec beaucoup de soin, pour reproduire le seul exemple de la demande, loin d'arriver au résultat souhaité on a obtenu une faible quantité de produit solide de qualité inacceptable, le milieu réactionnel contenant encore la majeure partie du monomère qui n'avait pas réagi.
b) Deux années environ se sont écoulées avant que la titulaire du brevet trouve le moyen de corriger l'erreur. La partie introductive de la description ne contenait aucune indication générale sur la façon dont la copolymérisation du composant allylique devait être effectuée. Pour remédier au défaut, il n'était pas évident d'utiliser de trois à cinq fois la quantité de catalyseur prescrite. Ne pouvant s'appuyer sur des connaissances générales, l'homme du métier devait nécessairement exercer une activité inventive pour reproduire le procédé avec succès, ce qui représentait une exigence excessive.
VII. La requérante a demandé l'annulation de la décision attaquée et le maintien du brevet sans modification. A titre subsidiaire, elle a demandé que soit désigné un expert indépendant, chargé de déterminer si oui ou non le procédé selon l'exemple pouvait être exécuté avec succès pour obtenir le produit voulu. L'intimée a conclu au rejet du recours.
Motifs de la décision
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 ainsi qu'à la règle 64 de la CBE ; il est donc recevable.
2. Il concerne la question de l'exposé de l'invention, qui doit être suffisamment clair et complet, conformément à l'article 83 de la CBE, question déjà régulièrement soulevée dans la procédure d'opposition, en application de l'article 100 b) de la CBE. Les preuves fournies par l'intimée (l'opposante) (cf. le rapport en date du 1er juillet 1982) montrent que la stricte observation des quantités prescrites dans le seul exemple contenu dans le brevet n'a pas conduit au résultat souhaité. On a obtenu une quantité nettement inférieure de produit solide, la concentration d'acétate de vinyle monomère n'ayant pas réagi étant de 40 % au lieu de 0,5 % à la fin de la réaction. L'émulsion ne présentait pas non plus les propriétés requises d'adhérence en présence d'humidité.
3. Il est généralement prescrit que l'invention doit être exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter (art. 83 CBE). Dans le cas du présent brevet, l'homme du métier compétent est le spécialiste de chimie appliquée dans le domaine des polymères, qui possède des connaissances théoriques et pratiques sur les polymérisations amorcées par des radicaux libres, par exemple à l'aide de catalyseurs redox. L'invention est caractérisée par l'incorporation d'allylurée ou de méthallylurée comme additif (cf. revendication 1 et page 2, ligne 9) dans un copolymère d'un type connu, de façon à améliorer ses propriétés d'adhérence en présence d'humidité. Cette quantité d'additif devait être très faible ; la valeur de 0,75 % en poids par rapport à la quantité totale de monomères est indiquée dans l'exemple. Si effectivement l'amélioration de l'émulsion copolymère obtenue est importante, comme l'indiquent les pages 3 et 4 de la description en s'appuyant sur des résultats d'essais appropriés, on ne voit guère de raison d'augmenter de façon substantielle la quantité d'additif.
4. Aussi, la Chambre est-elle convaincue que le produit en question est fondamentalement un copolymère typique, par exemple à base d'esters vinyliques ou acryliques, renfermant de petites quantités d'allylurée ou de méthallylurée. Les documents (4) et (5), qui font allusion à des difficultés de copolymérisation lorsque le composant allylique est une partie essentielle du produit, se révèlent donc ici sans intérêt puisqu'on s'attend à ce que la réaction suive le schéma typique pour ces types connus de copolymères. Etant donné que le taux d'incorporation n'était pas critique à ces faibles niveaux tant qu'une partie de l'additif était fixée par le produit, aucun problème important ne devait surgir.
5. La question était donc de savoir quel type de système redox devait être utilisé pour la copolymérisation de l'acétate de vinyle et de l'acrylate de n-butyle dans l'exemple. La requérante se réfère tout d'abord à l'état de la technique le plus proche (document (1)), qui donne le modèle de la réaction. Ce document n'est toutefois ni cité dans la description du brevet pour servir à exposer l'invention (cf. également la décision T 6/84 "Modification de revendications/MOBIL", JO n° 8/1985, p. 238), ni entré dans le cadre des connaissances générales de base, par exemple dans un ouvrage de référence qui y ferait allusion. A moins d'avoir été portés à la connaissance du spécialiste qui lit le brevet en question, d'autres documents de brevets ne peuvent normalement pas rendre l'exposé de l'invention suffisant, et ceci vaut aussi, précisément, pour les documents cités par la requérante dans son mémoire exposant les motifs du recours, dont il convient par conséquent de ne pas tenir compte.
6. Il en va tout autrement de l'encyclopédie Ullmann (document (6)), ouvrage de référence faisant autorité en matière de technologie, qui recommande, pour ce genre de polymérisations, des systèmes catalytiques redox comprenant par exemple des dérivés de l'acide sulfureux comme composants réducteurs et des peroxydes comme agents oxydants en proportions à peu près équivalentes pour le but fixé (cf. p. 115). Cet ouvrage mentionne également de façon précise les deux agents utilisés dans le cas présent. La Division d'opposition a rejeté ce fait comme étant sans intérêt, car, selon elle, les monomères allyliques et méthallyliques n'étaient pas spécifiquement concernés. Toutefois, eu égard à ce qui précède, c'est justement le caractère général de la divulgation qui devrait rendre l'information pertinente pour le cas présent, étant donné que, pour l'homme du métier, une addition de monomères allyliques inférieure à 1 % ne serait pas censée modifier de façon notable l'applicabilité générale des techniques courantes.
7. Il est indiqué dans l'exemple que l'on utilise 1,4 partie d'un peroxyde t-butylique à 70 %, c'est-à-dire environ 1 partie de ce composé comme agent oxydant, et 0,4 partie de Discolite PEA, c'est-à-dire de formaldéhyde sulfoxylate de sodium (cf. page 5, ligne 9), comme composant réducteur. La requérante a déclaré, et ceci n'a pas été contesté, que la quantité d'agent réducteur devait être supérieure à celle de l'agent oxydant dans cette paire particulière (cf. exposé des motifs du recours, page 13). Par exemple, ces deux composants étaient utilisés selon un rapport en poids de 1,6 pour 1, ainsi qu'il a été indiqué comme moyen de preuve au nom de la requérante (cf. conclusions en date du 11 janvier 1985, page 4, paragraphe du haut). La requérante a déclaré que ceci était conforme aux recommandations de l'ouvrage (document (6)), selon lesquelles des proportions à peu près équivalentes devaient être utilisées.
8. Vu ce qui précède, tout lecteur attentif de la description pouvait immédiatement se rendre compte que, contrairement à ce qu'enseignent les connaissances générales de base, la quantité prescrite d'agent réducteur n'était qu'une fraction de celle de l'agent oxydant, au lieu de la dépasser. Bien que le rapport réel de quantités puisse en pratique varier de part et d'autre d'une valeur moyenne approximative recommandée, correspondant à des proportions équivalentes des composés, en aucun cas ledit lecteur n'aurait eu un motif de considérer 0,4 partie seulement d'agent réducteur pour 1 partie de composant oxydant comme un rapport proche de ce qui est normalement requis. Cet écart entre la quantité proposée et la quantité usuelle aurait dû l'amener à corriger le rapport ou encore, à un stade ultérieur, lorsque la réaction se serait mal déroulée, à savoir exactement ce qui manquait dans le mélange.
9. A supposer même que l'homme du métier n'ait pas remarqué le rapport anormal dans l'exemple et ait commencé l'expérience sans essayer de corriger la quantité de composant réducteur, il aurait selon toute vraisemblance observé que ses efforts pour maintenir la température du milieu réactionnel à la valeur donnée, par addition du mélange 3, restaient vains (cf. page 3, lignes 9 et 10 de la description). En fait, ce mélange aurait été ajouté et consommé alors que les récipients fournissant simultanément les deux autres mélanges auraient été encore pleins aux deux tiers. En d'autres termes, il aurait été visible que la réaction exothermique cessait.
10. Si, là encore, l'homme du métier n'avait pas remarqué ce phénomène, il aurait pu s'apercevoir, indépendamment de ce qui précède, que le niveau de monomère dans le réacteur augmentait considérablement, pour dépasser le niveau recommandé, soit 3 à 5 %. Enfin, même s'il n'avait pas cru bon de surveiller la réaction à ce sujet, méthode usuelle dans ce domaine, la soudaine absence d'un quelconque besoin de refroidir, c'est-à-dire la baisse des températures internes par rapport aux températures de l'enveloppe, aurait dû être un signe évident de l'arrêt de la réaction.
11. La Chambre est également convaincue que les connaissances générales de base de l'homme du métier auraient dans tous les cas amené celui-ci à la conclusion que le mauvais fonctionnement de la réaction ne pouvait provenir que de ce qui a été dit précédemment. Rien ne laisse supposer que les proportions des autres partenaires de la réaction puissent ne pas être correctes ou que les conditions mentionnées pour la réaction puissent être inhabituelles. La vitesse des réactions catalytiques dépend principalement de la présence et de la disponibilité du catalyseur. Ceci est particulièrement vrai dans les cas o" le catalyseur ne se régénère pas complètement. Les proportions indiquées pour le système redox dans l'exemple ne peuvent pas être comprises autrement que comme en traînant un défaut d'alimentation continue en agent réducteur ; une simple addition d'une quantité de ce dernier aurait donc remédié à ce défaut sans qu'il soit nécessaire d'effectuer des essais supplémentaires.
12. Dans ces circonstances, rien ne retenait l'homme du métier d'appliquer les connaissances générales de base dans le choix des proportions approximatives désirées des composants du catalyseur, et il n'aurait pas eu à surmonter d'obstacle ou à prendre de décision difficile pour ramener la réaction à des conditions normales. En outre, aucun effort excessif de recherche ou d'expérimentation, encore moins aucune activité inventive n'étaient en l'occurrence attendus de l'homme du métier. En dehors de l'anomalie évidente que recélait une caractéristique dans l'exemple, l'expérience aurait fourni trois indices flagrants forçant l'homme du métier à prendre des mesures correctives. L'attitude de l'opposante, qui aborde le problème aveuglément, n'est pas celle qui correspond à la démarche de l'homme du métier ; celui-ci, par définition, doit mener les essais avec l'habilité d'un spécialiste, en étant entre autres capable de déceler les écarts évidents par rapport aux conditions normales et d'y remédier.
13. Considérant ce qui précède, la Chambre a conclu que l'erreur existant dans le seul exemple proposé ne constituait pas une insuffisance dans la présente espèce, malgré l'impossibilité de reproduire le résultat recherché à partir des renseignements fournis.
En conséquence, la Chambre estime que l'exposé de l'invention demeure suffisant quoique la description comporte une erreur, si l'homme du métier peut la déceler et la corriger grâce à ses connaissances générales de base.
Etant donné que le remède à un défaut de cette nature dépend des faits particuliers de la cause, la Chambre estime qu'une mise en garde est justifiée. Les demandeurs veilleront à ne pas se laisser abusivement influencer par leur grande expérience dans le domaine dont relève l'invention, en vue de dûment fournir dans la des cription toutes les instructions détaillées permettant d'exécuter l'invention sans difficultés et de ne pas s'en remettre inconsidément à la possibilité d'utiliser les connaissances générales de base pour combler les insuffisances et rectifier toute erreur qu'ils commettraient dans l'exposé de l'invention.
14. La Division d'opposition s'était délibérément abstenue d'aborder la question de l'activité inventive. La Chambre estime qu'il n'est pas opportun de statuer elle-même à ce sujet et décide, conformément à l'article 111(1) de la CBE, de renvoyer l'affaire à la Division d'opposition pour la poursuite de la procédure.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la Division d'opposition pour la poursuite de la procédure sur la base des revendications qui ont donné lieu à la délivrance du brevet.