G 0006/88 (Agent de régulation de la croissance des plants) 11-12-1989
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Deuxième utilisation ne relevant pas du domaine médical"
Nouveauté d'une deuxième utilisation relevant pas du domaine médical, le mode de réalisation technique restant le même
Rappel de la procédure
I. Dans l'affaire T 208/88, la chambre de recours "Chimie" 3.3.1 a, par sa décision en date du 20 juillet 1988, soumis d'office une question de droit à la Grande Chambre de recours en vertu de l'article 112 (1) a) CBE, à savoir :
Une revendication portant sur l'utilisation d'un composé chimique ou d'une classe de composés dans un but précis, ne relevant pas du domaine médical, est-elle nouvelle, au sens où l'entend l'article 54 CBE, par rapport à un document antérieur qui divulgue la mise en oeuvre de ce même composé ou de cette même classe de composés dans un but différent, ne relevant pas du domaine médical, la réalisation technique des deux "enseignements" étant identique et la nouveauté de la revendication résidant uniquement dans le but dans lequel le composé ou la classe de composés est utilisé ?
Cette question de droit avait déjà été examinée pour le fond dans le mémoire exposant les motifs du recours, présenté le 19 mars 1988. Dans une notification en date du 7 octobre 1988, la chambre a signalé que dans le recours G 2/88, également en instance, une question identique pour le fond avait été soumise à la Grande Chambre, et a invité la requérante à compléter les observations qu'elle avait formulées. La requérante a alors présenté d'autres observations les 7 mars, 1er juin et 9 juin 1989, et ajouté encore d'autres remarques lors de la procédure orale du 26 juin 1989.
II. L'argumentation développée par la requérante en ce qui concerne la question de droit soulevée dans cette affaire peut se résumer comme suit :
1. Dans le cas d'un composé chimique, la découverte de propriétés nouvelles et surprenantes, susceptibles d'application industrielle, peut donner lieu à une invention brevetable. Dans la demande attaquée, l'enseignement technique ne se limite pas par exemple aux modes mécaniques de réalisation et doit être considéré comme un tout : il y a nouveauté lorsque l'enseignement technique dans son ensemble n'est pas compris dans l'état de la technique. A cet égard, il faut reconnaître que les caractéristiques techniques des "inventions portant sur une utilisation" sont différentes de celles des "inventions portant sur un procédé".
2. La décision G 1/83 (JO OEB 1985, 60) ne saurait s'appliquer dans la présente espèce, et il conviendrait de ne pas opposer à la requérante des passages de cette décision coupés de leur contexte. Les exclusions de la brevetabilité prévues par l'article 52 (4) CBE ne pouvant jouer en l'occurrence, la CBE est directement applicable en faveur de la requérante. Il convient d'interpréter la CBE de manière à assurer l'égalité de traitement de tous les inventeurs, quelle que soit la nature de leur invention.
3. Pour l'appréciation de la nouveauté, ce qui compte, ce n'est pas l'information à contenu purement abstrait, mais les indications concrètes en vue de la mise en oeuvre technique. Il n'est pas délivré de brevet d'utilisation pour les modes de réalisation de l'utilisation, mais pour l'utilisation proprement dite, inconnue jusque-là. Il convient d'établir une distinction entre procédés d'utilisation et procédés d'obtention. L'indication d'un nouveau but poursuivi par une utilisation est une indication d'ordre fonctionnel, qui constitue une caractéristique technique de l'invention. Pour l'appréciation de la nouveauté, il s'agit esentiellement de savoir si le contenu des revendications dans son ensemble est compris ou non dans l'état de la technique.
4. Si des revendications d'utilisation comme celles dont il est question ici étaient rejetées, les dispositions de la CBE seraient incompatibles avec celles de la législation de la plupart de ses Etats contractants qui, en règle générale, acceptent de breveter une nouvelle utilisation d'un produit connu.
III. Lors de la procédure orale du 26 juin 1989, la requérante a développé en particulier les arguments suivants :
1. Il n'y a pas lieu de traiter différemment les utilisations ultérieures selon qu'elles relèvent ou non du domaine médical.
2. Un revendication d'utilisation n'est pas assimilable à une revendication de procédé ; elle constitue une catégorie de revendication bien distincte.
3. Dans l'intérêt de l'harmonisation des législations à l'échelle internationale, il conviendrait d'admettre les revendications d'utilisation telles que celles dont il est question en l'occurrence.
4. Dans une telle revendication d'utilisation, la caractéristique technique nouvelle est d'ordre fonctionnel.
Au terme de la procédure orale, la Chambre a réservé sa décision.
IV. Par lettre en date du 3 août 1989, le Président de l'Office européen des brevets a présenté par écrit au président de la Grande Chambre de recours une demande motivée en vue d'être invité à présenter ses observations sur des questions d'intérêt général que soulevait la question posée, conformément à l'article 11bis du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours qui est entré en vigueur le 7 juillet 1989 (JO OEB 1989, 362).
Par lettre en date du 13 septembre 1989, le président de la Grande Chambre a répondu au Président de l'Office que la Grande Chambre avait décidé de ne pas l'inviter à présenter ses observations, du fait notamment que le point de droit en question avait été soumis pour la première fois à la Grande Chambre le 26 avril 1988, qu'une procédure orale avait eu lieu le 26 juin 1989, et que la Grande Chambre était déjà parvenue à un stade avancé de ses délibérations en vue d'une prise de décision.
Motifs de la décision
1. Etant donné la finalité assignée par l'article 112 CBE à la saisine de la Grande Chambre de recours, il est bon que la Grande Chambre n'aborde pas de manière trop restrictive la question qui lui a été soumise, mais l'examine et y réponde de façon à clarifier les points de droit qu'elle recouvre.
2. Avant l'entrée en vigueur de la CBE en 1978, le rôle joué par les revendications de brevet pour la détermination de la protection conférée par un brevet a évolué de manière différente au sein des systèmes nationaux de brevets des pays devenus entre temps des Etats contractants. Ces évolutions différentes étaient le reflet en quelque sorte de conceptions nationales différentes en ce qui concerne la protection par brevet.
En particulier, la mesure dans laquelle le texte des revendications déterminait l'étendue de la protection conférée variait considérablement d'un pays à l'autre, ce qui a entraîné des différences non négligeables dans la manière dont les demandeurs rédigeaient leurs revendications.
Dans certains pays, notamment en Allemagne, la protection conférée par un brevet dépendait dans la pratique moins du texte même des revendications que de ce qui était perçu sur la base du concept inventif général comme étant l'apport de l'inventeur en matière technique, tel que divulgué dans le brevet. Dans d'autres pays, en particulier au Royaume-Uni, il était très important de formuler les revendications de manière précise, car elles devaient délimiter ce qui était protégé et ce qui ne l'était pas, afin de préserver la sécurité juridique.
2.1. La manière de rédiger les revendications a bien entendu évolué de façon différente selon les pays, en fonction au rôle plus ou moins important qu'elles jouaient dans chacun. Dans un pays comme le Royaume-Uni, le texte des revendicationsdevait, bien évidemment, donner une définition beaucoup plus précise de l'objet de la protection recherchée que dans des pays tels que l'Allemagne où il était plus approprié d'indiquer en quoi consistait essentiellement le concept inventif.
2.2. Il existe deux types fondamentaux de revendications, à savoir les revendications portant sur une chose (par exemple : produit, dispositif) et les revendications portant sur une activité physique (par exemple : méthode, procédé, utilisation).
Différentes sous-classes de revendications sont possibles (par exemple : composé, composition, machine ; ou méthode de fabrication, procédé d'obtention d'un composé, méthode d'essai, etc.). En outre, il peut également y avoir des revendications comportant des caractéristiques relatives les unes à des activités physiques, et les autres à des choses. Entre les différentes formes possibles de revendications, les lignes de démarcation sont floues.
2.3. La question qui a été soumise à la Grande Chambre de recours concerne les revendications "d'utilisation", c'est-à-dire les revendications définissant l'"utilisation du composé X dans un but précis", ou rédigées de façon similaire.
Le fait de reconnaître ou de découvrir une propriété jusque-là inconnue d'un composé connu, cette propriété produisant un effet technique nouveau, peut à l'évidence constituer un apport utile et inventif en matière technique.
Dans des pays comme l'Allemagne, on a cherché communément pendant de nombreuses années à protéger de telles inventions au moyen de revendications "d'utilisation".
Dans des pays tels que le Royaume-Uni, il était rare avant 1978 que les demandes de brevet et les brevets contiennent de telles revendications d'utilisation ; une revendication de ce type aurait normalement été formulée en termes de principales étapes physiques composant l'"activité" à protéger.
2.4. Même après l'entrée en vigueur de la CBE, les demandes de brevet européen provenant des différents Etats contractants ont continué d'une manière générale à comprendre des revendications rédigées comme il était d'usage dans ces Etats contractants (cf. supra).
Toutefois, la question des conditions exigées pour la rédaction des revendications des demandes européennes de brevet et des brevets européens, ainsi que la question de la brevetabilité des inventions qui font l'objet de ces revendications, ne peuvent être tranchées que dans le cadre du droit institué par la CBE. La question du rôle que doivent jouer les revendications est d'une importance cruciale pour le fonctionnement du système du brevet européen.
2.5. L'article 84 CBE stipule que les revendications d'une demande de brevet européen "définissent l'objet de la protection demandée". La règle 29(1) CBE prévoit en outre que les revendications "doivent définir, en indiquant les caractéristiques techniques de l'invention, l'objet de la demande pour lequel la protection est recherchée". La formulation adoptée dans une revendication doit donc essentiellement viser à satisfaire à ces exigences, compte tenu de la nature particulière de l'invention concernée et également du but que poursuivent ces revendications.
Selon la CBE, les revendications ont pour but de permettre la détermination de l'étendue de la protection conférée par le brevet (ou la demande de brevet) (article 69 CBE), et donc aussi la détermination des droits du titulaire du brevet dans les Etats contractants désignés (article 64 CBE), eu égard aux conditions requises pour la brevetabilité aux articles 52 à 57 CBE. Par conséquent, les caractéristiques techniques de l'invention sont les caractéristiques physiques qui lui sont essentielles.
Si l'on considère les deux types fondamentaux de revendications évoqués ci-dessus au point 2.2, les caractéristiques techniques indiquées dans une revendication portant sur une chose sont les paramètres physiques de cette chose, et les caractéristiques techniques indiquées dans une revendication portant sur une activité sont les étapes physiques qui définissent l'activité en question. Dans un certain nombre de décisions des chambres de recours, il a été constaté que dans certains cas, les caractéristiques techniques peuvent être définies en termes de fonctions (cf. par exemple T 68/85, JO OEB 1987, 228 ; T 139/85 EPOR) 1987, 229). Ndt : EPOR = European Patent Office Reports, ESC Publishing Limited Oxford
3. Pour la détermination des caractéristiques techniques qu'elles indiquent, les revendications doivent être interprétées conformément à l'article 69 (1) CBE et à son protocole interprétatif. Les Etats contractants, qui voyaient dans ce protocole une partie intégrante de la CBE, l'ont adopté pour disposer d'un mécanisme d'harmonisation des différentes approches suivies au niveau national pour la rédaction et l'interprétation des revendications (cf. point 2.1 supra.).
Il est bien évident que le rôle central que jouent les revendications dans le cadre de la CBE serait ébranlé si la protection et, par suite, les droits conférés dans les différents Etats contractants désignés variaient considérablement du fait des traditions purement nationales d'interprétation des revendications : et le protocole, ajouté à la CBE à titre de complément et destiné en premier lieu à offrir une voie moyenne pour l'interprétation des revendications des brevets européens pendant toute leur durée d'existence, constituait un compromis entre les différentes approches suivies au niveau national pour l'interprétation et la détermination de l'étendue de la protection conférée ("... qui assure à la fois une protection équitable au demandeur et un degré raisonnable de certitude aux tiers").
Manifestement, le but visé par le protocole est d'éviter que l'on ne mette trop l'accent sur la formulation littérale des revendications, lorsqu'on les considère en les coupant du contexte dans lequel elles apparaissent à l'intérieur du brevet, et également d'éviter à l'inverse que l'on ne mette trop l'accent sur le concept inventif général ressortant du texte du brevet, comparé à l'état de la technique pertinent, sans qu'il soit tenu suffisamment compte par ailleurs de la formulation des revendications qui est elle aussi un moyen de définition.
4. Les problèmes juridiques soulevés par la brevetabilité dans le cas de revendications portant sur l'utilisation nouvelle d'une substance connue ont fait l'objet des sept premières décisions (G 1/83 à G 7/83), qu'a dû rendre la Grande Chambre de recours (les décisions G 1/83, G 5/83 et G 6/83 ont été publiées respectivement en allemand, en anglais et en français dans le JO OEB 1985, 60, 64, 67). Ces décisions portent toutes sur la brevetabilité des indications médicales ultérieures d'une substance ayant déjà une première indication médicale connue, et sur le type de revendication qu'il conviendrait d'adopter pour protéger une telle invention. Ces décisions ont sensiblement la même teneur. Pour la présente décision, il suffira de se référer à la décision correspondante G 1/83, rédigée en allemand.
La Grande Chambre a examiné dans quelle mesure le raisonnement développé dans ladite décision pouvait s'appliquer à la question de droit posée en la présente espèce.
La question de droit dont la Grande Chambre avait été saisie à l'époque avait été posée essentiellement en relation avec les dispositions de l'article 52(4) CBE, première phrase, qui excluent spécialement de la brevetabilité "les méthodes de traitement.... du corps humain ou animal", et de l'article 54(5) CBE, qui prévoit une exception à cette règle d'exclusion. Le raisonnement suivi dans cette décision vise donc avant tout à répondre à la question juridique de l'admissibilité de revendications ayant pour objet un type particulier d'invention dans le domaine de la médecine humaine ou vétérinaire. Dans cette décision, la ratio decidendi (les motifs nécessaires au soutien du dispositif) ne vise pour l'essentiel que la question de l'interprétation qu'il convient de donner des articles 52(4) et 54(5) CBE replacés dans leur contexte.
Dans ce domaine technique, la revendication d'utilisation de type classique est exclue par l'article 52(4) CBE. Cependant, l'article 54(5) CBE prévoit expressément une exception aux dispositions générales relatives à la nouveauté (articles 54(1) à (5) CBE) pour la première indication d'une substance ou d'une composition dans le domaine de la médecine humaine ou vétérinaire, en admettant les revendications relatives à des substances ou compositions faisant l'objet d'une telle indication. Dans la décision G 1/83, il s'agissait d'une exception à apporter aux règles générales régissant la nouveauté dans le cas de la deuxième indication thérapeutique (et des indications ultérieures), mais il a été précisé expressément que le principe spécial ainsi posé pour l'appréciation de la nouveauté ne valait que pour les revendications portant sur l'utilisation d'une substance ou composition dans une méthode visée par l'article 52(4) CBE. La Grande Chambre de recours partage cette opinion dans la présente espèce.
La décision G 1/83 conduit à faire bénéficier l'inventeur d'une nouvelle indication d'un médicament connu d'une protection analogue, mais restreinte comparée à celle qui peut normalement être accordée pour une nouvelle utilisation non thérapeutique. La brevetabilité d'une deuxième utilisation non thérapeutique d'un produit a été clairement admise dans son principe lorsqu'il s'agit d'une utilisation nouvelle, qui implique une activité inventive (cf. point 21 des motifs de ladite décision). La brevetabilité de la deuxième utilisation (ou de l'utilisation ultérieure) d'une substance ou d'une composition pour l'obtention d'un médicament destiné à une utilisation thérapeutique donnée, qui est nouvelle et implique une activité inventive, a elle aussi été admise. En effet, bien que la disposition de l'article 52(4) excluant de la brevetabilité les méthodes thérapeutiques (au motif que ces méthodes ne sont pas susceptibles d'application industrielle) conduise à faire considérer comme inadmissibles les revendications portant sur l'utilisation d'une substance à des fins thérapeutiques (cf. point 13 des motifs de la décision G 1/83), de telles revendications seraient sans nul doute admissibles (car susceptibles d'application industrielle) dans le cas d'une utilisation non thérapeutique. C'est ainsi qu'une revendication portant sur l'"utilisation de X pour le traitement de la maladie A chez les mammifères" ne peut être admise, à la différence d'une revendication portant sur l'"utilisation de X pour le traitement de la maladie B chez les céréales" (revendication admissible).
En revanche, la question de droit soumise à la Grande Chambre dans la présente espèce ne concerne pas les inventions médicales. Il s'agit d'une question de caractère général, portant essentiellement sur l'interprétation de l'article 54(1) et (2) CBE.
5. La question soumise en l'occurrence implique que la seule caractéristique nouvelle indiquée dans la revendication en cause réside dans le but dans lequel est utilisé le composé. Toutefois, la question de l'interprétation de l'article 54(1) et (2) CBE et celle de l'étendue de la protection qui peut (ou non) être accordée pour des inventions relatives à une utilisation ultérieure non thérapeutique revêtant une importance générale, il conviendrait que la Grande Chambre examine de manière plus générale la question posée, en étudiant en particulier s'il existe d'autres interprétations possibles dans le cas de ces revendications d'utilisation.
6. Comme indiqué ci-dessus aux points 2 à 2.5, les revendications d'un brevet européen doivent clairement définir les caractéristiques techniques de l'invention et, par conséquent, son objet technique, afin de permettre de déterminer la protection conférée par le brevet et d'apprécier par rapport à l'état de la technique si l'invention revendiquée est nouvelle, entre autres. Pour pouvoir être considérée comme nouvelle, l'invention revendiquée doit se distinguer de l'état de la technique par au moins une caractéristique technique essentielle.
Donc, lorsqu'il s'agit de décider si une revendication est nouvelle, il est essentiel d'analyser tout d'abord cette revendication afin de déterminer quelles sont les caractéristiques techniques qu'elle comporte.
7. Dans le cas où le texte d'une revendication définit clairement une nouvelle utilisation d'un composé connu, la revendication, considérée à la lumière de la formulation utilisée dans le reste du brevet, sera interprétée normalement comme comportant comme caractéristique technique l'obtention d'un nouvel effet technique sous-tendant la nouvelle utilisation. A cet égard, et compte tenu des développements figurant ci-dessus aux points 2.1 et 2.2, il conviendra de ne pas perdre de vue les principes posés dans le protocole interprétatif de l'article 69 CBE, ainsi qu'il a été souligné au point 4 ci-dessus. Ainsi, lorsqu'on se trouve en présence d'une telle revendication d'utilisation et qu'il est décrit dans le brevet un effet technique particulier sous-tendant une telle utilisation, l'interprétation correcte de cette revendication, conformément au protocole, voudra que la revendication comporte implicitement comme caractéristique technique une caractéristique d'ordre fonctionnel ; il sera dit, par exemple, que le composé produit réellement l'effet particulier.
7.1. A titre d'exemple de revendications devant être interprétées de cette façon, on peut citer celles dont il est question dans la décision T 231/85 (JO OEB 1989, 74). Les revendications en question définissent l'"utilisation" (de certains composés) "en vue de la lutte contre les champignons et d'un traitement préventif contre les champignons" - et la demande enseigne le mode de traitement permettant d'obtenir cet effet. Le document (1) publié antérieurement décrit l'utilisation de ces mêmes composés en vue d'influencer la croissance des plantes. Dans la demande visée par la décision T 231/85 comme dans le document (1), les traitements ont été exécutés de la même manière (par conséquent, les modes de réalisation étaient les mêmes).
La division d'examen avait conclu que l'invention revendiquée était dépourvue de nouveauté, au motif apparemment que le mode de réalisation était identique à celui indiqué dans le document (1) et que, par conséquent, l'effet revendiqué soustendant l'utilisation en vue de la lutte contre les champignons était nécessairement obtenu par le traitement décrit dans le document (1). En revanche, la chambre de recours avait estimé que l'invention revendiquée était nouvelle, en faisant valoir que l'enseignement technique ("Lehre") divulgué par la demande était différent de celui contenu dans le document (1), et que l'utilisation était inconnue jusque là, même si le mode de réalisation était identique.
Compte tenu de ce qui vient d'être exposé au sujet de l'interprétation des revendications (cf. point 7 ci-dessus), la Grande Chambre estime que la revendication en question devrait normalement être interprétée, en vertu du protocole interprétatif de l'article 69 CBE, comme comprenant implicitement la caractéristique technique fonctionnelle suivante : les composés indiqués ont effectivement pour effet (c'est-à-dire pour fonction) de lutter contre les champignons lorsqu'ils sont utilisés conformément au mode de réalisation décrit. Cette caractéristique fonctionnelle est une caractéristique technique qui qualifie l'invention ; et il convient de considérer que la revendication d'utilisation est une revendication qui comporte des caractéristiques techniques concernant à la fois une chose (le composé et sa nature) et une activité physique (le mode de réalisation). Autrement dit, si l'on suit la méthode indiquée dans le protocole pour l'interprétation des revendications, une revendication portant sur "l'utilisation d'un composé A dans le but B" ne doit pas être interprétée littéralement comme comportant pour seules caractéristiques techniques "le composé" et "le mode de réalisation permettant de parvenir au but B" ; il convient de l'interpréter (le cas échéant) comme comportant également comme caractéristique technique la fonction qui consiste dans la réalisation du but B (ce qui constitue le résultat technique). La Grande Chambre juge que cette interprétation est conforme à l'objectif poursuivi par le protocole interprétatif de l'article 69 CBE.
Si dans un brevet donné, une telle revendication a été correctement interprétée comme comportant une telle caractéristique technique fonctionnelle, il reste encore une question à trancher, celle de la nouveauté de l'invention revendiquée.
8. Aux termes de l'article 54(2) CBE, l'état de la technique est constitué par "tout ce qui a été rendu accessible au public... par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen". Ainsi, quels que soient les moyens physiques utilisés pour rendre l'information accessible au public (par exemple : description écrite ou orale, usage, description par image à l'aide d'un film ou d'une photographie, etc., ou combinaison de ces différents moyens), la question de savoir ce qui a été rendu accessible au public est une question de fait qui se pose à chaque fois.
Le terme "accessible" donne à penser que, pour que l'absence de nouveauté puisse être constatée, toutes les caractéristiques techniques combinées dans l'invention revendiquée doivent avoir été communiquées au public ou ouvertes à l'inspection publique.
Dans le cas d'une "description écrite" ouverte à l'inspection publique, c'est notamment l'information contenue dans cette description qui est rendue accessible. Dans certains cas, en outre, l'information qui est en fait contenue dans la description écrite, l'enseignement par exemple des modes d'exécution d'un procédé, donne également accès à d'autres informations qui résultent nécessairement de l'application de cet enseignement (cf. décision T 12/81 Diastéréoisomères, JO OEB 1982, 296, points 7 à 10 des motifs ; décision T 124/87, Copolymers EPOR 1989, 33 ; et décision T 303/86 Flavour Concentrates, EPOR 1989, 95, par exemple).
Toutefois, dans chacun de ces cas, il convient d'établir une distinction entre ce qui est effectivement rendu accessible, et ce qui reste ignoré ou n'est pas rendu accessible d'une autre manière. A cet égard, il convient également de souligner la différence qui existe entre l'absence de nouveauté et l'absence d'activité inventive : une information équivalant à l'invention revendiquée peut avoir été "rendue accessible" (absence de nouveauté), ou peut ne pas l'avoir été, mais être évidente (nouveauté, mais absence d'activité inventive), ou encore ne pas avoir été rendue accessible et ne pas être évidente (nouveauté et existence d'une activité inventive). Il en découle donc en particulier que ce qui est resté ignoré peut néanmoins être évident.
8.1. Dans les cas o" par exemple l'utilisation d'un composé a été décrite antérieurement, même si le but poursuivi est différent de celui poursuivi par l'utilisation revendiquée, et o" cette utilisation a eu intrinsèquement le même effet technique que celui produit par l'utilisation revendiquée, la question se pose de savoir s'il y a ou non nouveauté. A cet égard , il peut surgir des problèmes de contrefaçon au cas où il ne serait pas conclu à l'absence de nouveauté, la personne procédant à l'utilisation décrite antérieurement risquant d'être poursuivie pour atteinte à un brevet déposé ultérieurement.
En réponse à ces allégations, la Grande Chambre voudrait souligner qu'en vertu de l'article 54(2) CBE, la question est de savoir ce qui a été "rendu accessible" au public, et non pas ce qui pouvait être "contenu intrinsèquement" dans ce qui a été rendu accessible (par une description écrite antérieure, ou dans l'utilisation antérieure, par exemple). Selon la CBE, l'utilisation non révélée du fait qu'elle n'a pas été mise à la disposition du public ne constitue pas un motif de récusation de la validité d'un brevet européen. A cet égard, les dispositions de la CBE peuvent différer de celles des législations nationales antérieures de certains Etats contractants et même des législations nationales actuelles de certains Etats non-contractants. En conséquence, la question du "contenu intrinsèque" ne se pose pas en tant que telle dans le cadre de l'article 54 CBE. La question des droits fondés sur l'utilisation antérieure d'une invention relève du droit national (cf. article 38 de la Convention sur le brevet communautaire, qui n'est pas encore entrée en vigueur).
Par ailleurs, en ce qui concerne les problèmes de contrefaçon évoqués ci-dessus, il convient de noter que la décision G 1/83 poserait des problèmes analogues dans le domaine médical.
8.2. A titre d'exemple, on peut citer une nouvelle fois à cet égard la décision T 231/85. Si les revendications sont interprétées comme indiqué au point 9.1 ci-dessus, la question qui se pose pour l'appréciation de la nouveauté est de savoir si le document (1) a rendu accessible au public la caractéristique technique résidant dans le fait qu'utilisés conformément à la description, les composés avaient pour effet de permettre de lutter contre les champignons.
Dans cette décision, la chambre de recours avait fait référence à l'utilisation "inconnue jusqu'ici" de ces composés en vue de lutter contre les champignons, ainsi qu'à l'enseignement entraînant "sans... qu'on le sache un effet de protection" (le procédé de traitement des plantes à l'aide de ces composés ("le mode de réalisation") étant toutefois le même). Ainsi, bien que le document (1) ait décrit le traitement de plantes par les composés en vue d'en influencer la croissance, lequel traitement, une fois mis en oeuvre, aurait nécessairement et intrinsèquement constitué une utilisation de ces composés en vue de lutter contre les champignons, il apparaît que dans la revendication la caractéristique technique mentionnée ci-dessus sous-tendant une telle utilisation n'a pas été rendue accessible au public par la description écrite antérieure contenue dans le document (1).
9. La réponse à apporter à la question soulevée dans la présente affaire peut donc se résumer comme suit : dans le cas d'une revendication portant sur une nouvelle utilisation d'un composé connu, cette nouvelle utilisation peut correspondre à l'obtention d'un effet technique qui vient d'être découvert et qui est décrit dans le brevet. Il convient alors de considérer l'obtention de cet effet technique comme étant une caractéristique technique fonctionnelle indiquée dans la revendication (par exemple, l'obtention de cet effet technique dans un contexte particulier). Si cette caractéristique technique n'a pas été rendue accessible au public antérieurement par les moyens indiqués à l'article 54(2) CBE, l'invention revendiquée est nouvelle, bien qu'en soi cet effet technique ait déjà pu être obtenu au cours de la mise en oeuvre de ce qui a été précédemment rendu accessible au public.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La Grande Chambre de recours apporte la réponse suivante à la question de droit qui lui a été soumise :
Une revendication portant sur l'utilisation d'un composé connu dans un but précis, reposant sur un effet technique décrit dans le brevet, doit être interprétée comme comportant du fait de cet effet technique une caractéristique technique d'ordre fonctionnel. Elle n'appelle donc pas d'objection au titre de l'article 54(1) CBE, à condition que cette caractéristique technique n'ait pas été rendue accessible au public auparavant.