T 0189/18 12-10-2022
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UTILISATION D'UN EXTRAIT NATUREL DE MARC DE RAISIN POUR STIMULER LES DEFENSES NATURELLES DE PLANTES
Centre National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.)
Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II
Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement
Exposé des faits et conclusions
I. Le recours formé par l'opposante (ci-après la requérante) concerne la décision de la division d'opposition de rejeter l'opposition formée à l'égard du brevet européen numéro 2 587 924.
II. Le brevet contient 15 revendications, les revendications indépendantes 1 et 8 s'énonçant comme suit:
"1. Utilisation d'un extrait de marc de raisin pour stimuler les défenses naturelles de plantes."
"8. Procédé pour stimuler les défenses naturelles de plantes, qui comprend l'application d'une composition comprenant un extrait de marc de raisin sur lesdites plantes."
III. Le document suivant, cité au cours de la procédure d'opposition, reste pertinent pour la présente décision:
D1: WO 2010/060528 A2
IV. La division d'opposition est arrivée entre autres à la conclusion que l'objet revendiqué est nouveau par rapport au document D1, qui décrit l'utilisation d'extraits de grains de raisins en tant qu'agent de traitement et de prévention de maladies des plantes causées par des pathogènes. D1 divulguait donc que ces extraits ont une activité fongicide, une activité intrinsèque à l'encontre des pathogènes, qui diffère de l'activité d'éliciteur des défenses naturelles de plantes selon l'invention.
V. La requérante, dans son mémoire exposant les motifs du recours, a contesté la décision de la division d'opposition entre autres en ce qui concerne la nouveauté de la revendication 1.
VI. La titulaire du brevet (ci-après l'intimée), dans sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours, a également soumis des arguments entre autres en ce qui concerne la nouveauté de la revendication 1.
VII. Par lettres du 20 janvier et 2 mars 2022, les deux parties ont informé la chambre qu'elles ne participeraient pas à la procédure orale, fixée pour le 10 mai 2022.
VIII. La procédure orale fixée pour le 10 mai 2022 a donc été annulée par la chambre.
IX. Les requêtes des parties, dans la mesure où elles sont pertinentes pour la présente décision, étaient les suivantes:
- La requérante demandait l'annulation de la décision de la division d'opposition et la révocation du brevet dans son intégralité.
- L'intimée demandait la confirmation de la décision de la division d'opposition, et le maintien du brevet tel que délivré, ce qui impliquait donc le rejet du recours. A titre subsidiaire, elle demandait le maintien du brevet sous forme modifiée selon l'une quelconque des requêtes auxiliaires 1 à 3 présentées devant la division d'opposition (par lettre du 25 octobre 2017).
X. Les moyens avancés par la requérante, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, étaient les suivants:
- L'objet de la revendication 1 de la requête principale était nouveau vis à vis du document D1.
Les moyens avancés par l'intimée, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, étaient les suivants:
- Le but défini dans la revendication 1 de la requête principale était une caractéristique d'ordre fonctionnel qui n'était pas divulguée, que ce soit de manière explicite ou implicite, dans l'état de la technique D1. Dès lors, conformément à la décision G 2/88, l'objet de la revendication 1 de la requête principale était donc nouveau.
Motifs de la décision
Requête principale (revendications telles que délivrées)
1. Le brevet
L'objet de la revendication 1 a trait à un extrait de marc de raisin pour stimuler les défenses naturelles des plantes. Plus précisément, le terme "défense" selon le brevet correspond à la défense contre les pathogènes (paragraphe [0017]). Une seule application avant l'attaque des agents pathogènes peut suffire (paragraphe [0032]). L'utilisation de cet extrait permettra la diminution de la quantité de pesticides utilisés pour protéger les plantes des agents pathogènes (paragraphe [0039]). Les exemples du brevet montrent que l'extrait de marc de raisin infiltré dans des feuilles de tabac induit une accumulation locale de composées fluorescents caractéristique de la LAR ("Local Acquired Resistance") intervenant dans les réactions de défense des végétaux (paragraphe [0058)].
2. Nouveauté (Article 54 CBE)
La requérante estime que l'objet de la revendication 1 est dénué de nouveauté par rapport au document D1.
2.1 D1 divulgue l'utilisation d'un extrait de pépins de raisin pour la prévention et le traitement des maladies des plantes causées par un pathogène (page 1, lignes 2-4) et décrit la mise à disposition de compositions fongicides comprenant lesdits extraits destinées à une application sur des plantes affectées ou susceptibles d'être affectées par un pathogène (page 1, lignes 4-6; page 3, lignes 5-7). L'exemple 2 de D1 divulgue l'activité desdits extraits contre deux agents pathogènes.
2.2 Il n'a pas été contesté par l'intimée que l'extrait de pépins de raisin selon D1 correspondait à l'extrait de marc de raisin selon la revendication 1.
2.3 La requérante a fait valoir que l'utilisation selon la revendication 1 du brevet ne se distinguait pas de l'utilisation divulguée dans D1. Indépendamment du fait que l'effet de l'extrait soit dû à une action directe contre les organismes pathogènes (selon D1) ou à la stimulation des défenses naturelles des plantes (selon le brevet), la prévention et/ou le traitement des pathogènes est obtenu.
2.4 La chambre partage l'avis de la requérante. Dans leurs arguments, les deux parties ont fait référence à la décision G 2/88 de la Grande Chambre de recours. Cette décision concerne la nouveauté des deuxièmes utilisations non médicales.
2.4.1 Selon G 2/88 (point 7 des motifs):
"[L]es revendications d'un brevet européen doivent clairement définir les caractéristiques techniques de l'invention et, par conséquent, son objet technique, afin de permettre de déterminer la protection conférée par le brevet et d'apprécier par rapport à l'état de la technique si l'invention revendiquée est nouvelle, entre autres. Pour pouvoir être considérée comme nouvelle, l'invention revendiquée doit se distinguer de l'état de la technique par au moins une caractéristique technique essentielle.
Donc, lorsqu'il s'agit de décider si une revendication est nouvelle, il est essentiel d'analyser tout d'abord cette revendication afin de déterminer quelles sont les caractéristiques techniques qu'elle comporte.
Et au point 9 des motifs :
"Dans le cas où le texte d'une revendication définit clairement une nouvelle utilisation d'un composé connu, la revendication, considérée à la lumière de la formulation utilisée dans le reste du brevet, sera interprétée normalement comme comportant comme caractéristique technique l'obtention d'un nouvel effet technique sous-tendant la nouvelle utilisation. ... Ainsi, lorsqu'on se trouve en présence d'une telle revendication d'utilisation et qu'il est décrit dans le brevet un effet technique particulier sous-tendant une telle utilisation, l'interprétation correcte de cette revendication, conformément au protocole, voudra que la revendication comporte implicitement comme caractéristique technique une caractéristique d'ordre fonctionnel ; il sera dit, par exemple, que le composé produit réellement l'effet particulier." (mise en relief par la chambre)
Il en découle que, en ce qui concerne la revendication 1 du brevet, la question est de savoir quelles sont les caractéristiques techniques de la revendication et, par conséquent, quel est l'effet technique qui sous-tend l'utilisation revendiquée.
2.4.2 Comme indiqué ci-dessus, le brevet a pour objet de stimuler la défense naturelle des plantes. Cet objectif ne peut toutefois être interprété que dans le contexte de son effet technique, à savoir la stimulation de "leur système de défense contre les pathogènes" (brevet, paragraphe [0017]). La défense des plantes n'est donc pertinente que dans le contexte direct de la nécessité pour la plante de se défendre, et l'effet technique ne doit donc pas être considéré comme étant la stimulation des défenses naturelles de la plante (revendication 1), mais plutôt la prévention et/ou le traitement des infections par des agents pathogènes. Par conséquent, comme le fait valoir la requérante (mémoire exposant les motifs du recours, paragraphes 36 et 40), l'effet technique divulgué dans D1 est le même que celui divulgué dans le brevet.
2.4.3 C'est cet effet et non, comme le fait valoir l'intimée, la stimulation des défenses naturelles de plantes, qui correspond à la caractéristique d'ordre fonctionnel de la revendication 1 mentionnée dans la décision G 2/88 ci-dessus. Cependant, puisque cet effet est déjà connu du document D1, comme indiqué ci-dessus, il n'y a pas de caractéristique technique distinguant la revendication 1 du document D1.
2.4.4 La caractéristique de la revendication 1 relative à la stimulation des défenses naturelles des plantes ne fait donc que contribuer à l'effet technique de l'extrait de marc de raisins, ou l'expliquer. Bien que l'explication, ou la découverte, du fait que le marc de raisin stimule les défenses naturelles des plantes n'ait pas été mis à la disposition du public par le document D1, la nouveauté ne peut être reconnue que si la propriété ou la capacité nouvellement découverte a été appliquée dans une nouvelle utilisation qui peut être clairement distinguée de l'ancienne. Dans le cas présent, la nouvelle et l'ancienne utilisation sont les mêmes, à savoir le traitement/la prévention des infections par des agents pathogènes.
2.4.5 Cette conclusion et l'interprétation de la décision G 2/88 sont confirmées par la décision T 892/94, dans laquelle la situation était similaire à celle de la présente espèce (point 3.4 des motifs, deux derniers paragraphes; traduction de l'anglais par la chambre):
"Il découle de la décision G 2/88 ... que la nouveauté ... peut être reconnue dans les cas où la découverte d'un nouvel effet technique d'une substance connue conduit à une invention qui est définie dans la revendication en termes d'utilisation de cette substance pour un but non médical nouveau, jusqu'alors inconnu, reflétant ledit effet (c'est-à-dire une nouvelle caractéristique technique fonctionnelle), même si la seule caractéristique nouvelle dans cette revendication est le but pour lequel la substance est utilisée.
Inversement, on peut déduire de la décision G 2/88 qu'il n'y a pas de nouveauté si la revendication en question vise l'utilisation d'une substance connue dans un but non médical connu, même si un effet technique nouvellement découvert à la base de ladite utilisation connue est indiqué dans la revendication." (mise en relief par la chambre)
2.4.6 C'est également cette situation qui sous-tend la présente revendication 1. Plus précisément, comme expliqué ci-dessus, l'effet, ou selon les termes de la décision T 892/94, le but, est le même dans le brevet et dans D1, à savoir le traitement/la prévention des infections par des agents pathogènes.
2.5 Par conséquent, l'objet de la revendication 1 telle que délivrée n'est pas nouveau vis à vis du document D1 (Article 54 CBE).
Requête auxiliaire 1
3. La revendication 1 de cette requête diffère de celle de la requête principale par l'ajout du texte suivant:
"l'extrait de marc de raisin n'ayant pas subi de compostage".
Avec sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours, l'intimée n'a fourni aucune raison expliquant pourquoi cette caractéristique ajoutée établirait la nouveauté par rapport à D1.
D1 ne divulgue pas le compostage de l'extrait de marc de raisin. De plus, en l'absence d'arguments contraires, il doit être supposé que la caractéristique "n'ayant pas subi de compostage", qui définit l'extrait de marc de raisin au moyen du procédé par lequel il a été obtenu, ne différencie pas cet extrait d'un extrait obtenu après avoir subi un compostage. Pour ces raisons, la nouvelle caractéristique de la revendication 1 ne constitue pas une caractéristique distinctive.
Par conséquent, les raisons données en ce qui concerne la revendication 1 de la requête principale s'appliquent également à la revendication 1 de la requête auxiliaire 1. L'objet de cette revendication ne remplit donc pas les conditions énoncées à l'article 54 CBE.
Requête auxiliaire 2
4. La revendication 1 de la requête auxiliaire 2 est identique à la revendication 1 de la requête principale. Par conséquent, pour les mêmes raisons, l'objet de la revendication 1 selon la requête auxiliaire 2 ne remplit pas les conditions énoncées à l'article 54 CBE.
Requête auxiliaire 3
5. La revendication 1 selon la requête auxiliaire 3 est identique à la revendication 1 de la requête auxiliaire 1.
Par conséquent, pour les mêmes raisons, l'objet de la revendication 1 selon la requête auxiliaire 3 ne remplit pas les conditions énoncées à l'article 54 CBE.
Par conséquent, la requête auxiliaire 3 doit également être rejetée.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. Le brevet est révoqué.