T 0250/15 20-07-2018
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Article polyamide composite
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Suffisance de l'exposé de l'invention (oui)
Saisine de la Grande Chambre de recours - recevabilité (non)
Violation du droit d'être entendu (non)
Renvoi à la première instance (oui)
Exposé des faits et conclusions
I. La titulaire du brevet a formé recours contre la décision de la division d'opposition de révocation du brevet européen n° 2 155 474.
II. Les oppositions des opposantes 1 et 2 avaient été formées contre le brevet dans son ensemble et étaient fondées sur les articles 100 a) CBE 1973, ensemble articles 54 et 56 CBE 1973, et 100 b) CBE 1973.
III. La procédure orale devant la chambre de recours a eu lieu le 20 juillet 2018.
IV. La requérante (titulaire du brevet) a demandé, à titre principal, l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet tel que délivré, ou à titre subsidiaire, l'annulation de la décision contestée et le renvoi de l'affaire à l'instance du premier degré afin de statuer sur la nouveauté et l'activité inventive. Alternativement, elle a requis le maintien du brevet sur la base de la requête subsidiaire 1 déposée par lettre en date du 11 mai 2018. D'autre part, elle a demandé que les documents D17 et D18 ne soient pas admis dans la procédure.
V. L'intimée I (opposante 1) a demandé le rejet du recours. D'autre part, elle a requis, lors de la procédure orale, la saisine de la Grande Chambre de recours sur une question formulée oralement et sur des questions soumises ultérieurement par écrit pendant cette même procédure orale. Enfin, elle a demandé que la requête subsidiaire 1 déposée par la requérante par lettre en date du 11 mai 2018 ne soit pas admise dans la procédure de recours.
VI. L'intimée II (opposante 2) a demandé le rejet du recours et que la requête subsidiaire 1 déposée par la requérante par lettre en date du 11 mai 2018 ne soit pas admise dans la procédure. Par ailleurs, elle a requis la saisine de la Grande Chambre de recours sur des questions soumises par écrit pendant la procédure orale.
VII. Les parties se réfèrent notamment aux documents suivants :
D8 : WO 97/24388 ;
D12 : Opinion du Prof. Dr. M. Antonietti ;
D13 : D.W. van Krevelen, Properties of Polymers, Elsevier Scientific Publishing Company, 1976, pages 17 à 20 ;
D17 : Kirk-Othmer Encyclopedia of Chemical Technology, chapitre 5.1 ;
D18 : Ullmann's Encyclopedia of Industrial Chemisty, chapitre 3.2.
VIII. La revendication 1 du brevet tel que délivré (requête principale) est rédigée de la manière suivante :
"Procédé de fabrication d'un article composite comprenant au moins :
a) une étape d'imprégnation d'une étoffe de renfort avec une composition polyamide à l'état fondu, présentant une viscosité fondue eta comprise entre 1 et 50 Pa.s, le polyamide présentant une masse moléculaire Mn supérieure à 8000 ; ladite étoffe de renfort étant maintenue à une température de plus ou moins 50°C par rapport à la température de fusion dudit polyamide ;
l'imprégnation de l'étoffe par la composition polyamide est réalisée soit :
- par injection de la composition polyamide à l'état fondu sur l'étoffe ; on [sic]
- par mise en présence de l'étoffe avec la composition polyamide sous forme de poudre ou de film, puis mise en fusion de ladite composition polyamide ; et
b) une étape de refroidissement et ensuite de récupération de l'article composite. [sic]
la viscosité en fondue est mesurée à l'aide d'un rhéomètre plan-plan de diamètre 50 mm, sous un balayage en cisaillement par pallier allant de 1 à 160 s-1 [sic], par fusion d'un film de polyamide d'une épaisseur 150 mym à une température de 25 à 30°C au dessus de son point de fusion."
IX. Les arguments de l'intimée I sont les suivants :
Suffisance de l'exposé de l'invention
Le brevet en litige ne précisait pas la méthode à utiliser pour déterminer la masse moléculaire dans le cadre de la présente invention. En principe, les deux méthodes connues par l'homme du métier pour déterminer la masse moléculaire moyenne en nombre d'un polyamide (la chromatographie sur gel perméable, ci-après GPC et l'analyse de groupe terminal) étaient appropriées. Toutefois, ces deux méthodes produisaient des résultats différents, comme l'avaient démontré les résultats des essais introduits dans la procédure le 20 août 2014, bien que les tests avaient été réalisés correctement d'un point de vue scientifique. En raison du manque d'information dans le brevet en litige concernant la méthode à utiliser, son enseignement était insuffisant. On ne savait donc pas si un certain polyamide se trouvait à l'intérieur ou à l'extérieur de l'étendue de la protection. Il pouvait arriver que la masse moléculaire mesurée d'un certain polyamide était supérieure à 8000 lorsque la méthode GPC était utilisée et inférieure à 8000 lorsque l'analyse de groupe terminal était employée. Par ailleurs, la masse moléculaire était un paramètre pertinent. Elle avait par exemple une influence sur la résistance mécanique (voir le brevet contesté, paragraphe [0014]). Sans indication de la méthode pour déterminer la masse moléculaire moyenne en nombre du polyamide dans la spécification du brevet ou à partir des connaissances générales, l'homme du métier pouvait établir les mesures techniques nécessaires pour résoudre le problème sous-jacent au brevet contesté (c'est-à-dire de fabriquer un article composite avec des temps de cycle courts) que par essais et erreurs et, par conséquent, seulement avec des efforts excessifs. Bien qu'il appartenait à la requérante de fournir la preuve que le procédé selon la revendication 1 était suffisamment divulgué, aucun élément de preuve n'avait été présenté. De ce fait, le brevet en litige ne divulguait pas l'invention d'une manière suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter.
Saisine de la Grande Chambre de recours
Comme établi par la décision T 1811/13, un consensus s'était dégagé sur le fait que la question de savoir si l'homme du métier pouvait déterminer si un objet relevait ou non de la portée revendiquée constituait une condition de clarté et non de suffisance de l'exposé de l'invention. Toutefois, comme l'indiquait la décision citée, cette question n'avait pas été traitée par le passé dans le contexte de la clarté, mais comme un aspect de la suffisance de l'exposé de l'invention. A cet égard, la jurisprudence des chambres de recours était incohérente. Afin d'assurer une application uniforme du droit, l'intimée I a demandé de saisir la Grande Chambre de recours sur la question suivante formulée oralement à la fin de la discussion sur la suffisance de l'exposé de l'invention, à savoir
"ob der Fachmann feststellen kann, ob ein Gegenstand in den beanspruchten Bereich hineinfällt und ob dieses ein Erfordernis der Klarheit oder der Ausführbarkeit darstellt?"
Par ailleurs, l'intimée I sollicitait, à la fin de la procédure orale, la saisine de la Grande Chambre de recours sur les questions suivantes sur le même sujet, mais présentées par écrit:
"In view of the controversial positions taken, on the one hand, in decisions T 1811/13, T 646/13, and T 647/15 (and decisions referred to), and, on the other hand, in decisions T 626/14, and T464/05 (and decisions referred to) the following questions are referred to the Enlarged Board of Appeal.
1. Where
(a) the claimed subject-matter, being it a product, a method or a use, is defined by a parameter,
(b) no method for measuring the parameter is indicated in the description of a patent,
(c) several equally appropriate methods are known to the skilled person in the relevant technical field,
(d) these known methods provide significantly different results resulting in an ambiguity of the parameter, and
(e) due to this ambiguity the skilled person being unable to know whether he has arrived at the invention,
is this an issue to be addressed under clarity (Article 84 EPC), i.e. whether the claims clearly define the matter for which protection is sought, or an issue to be addressed under sufficiency of disclosure (Article 83 EPC), i.e. whether the claimed invention is disclosed in a manner sufficiently clear and complete for it to be carried out by a person skilled in the art?
If the answer 1 cannot be decided as such, what are the criteria for deciding whether such an issue is to be addressed under Article 84 EPC or Article 83 EPC?"
Renvoi en première instance
L'intimée I n'avait pas de commentaires à donner sur la question du renvoi.
X. Les arguments de l'intimée II sont les suivants :
Suffisance de l'exposé de l'invention et saisine de la Grande Chambre de recours
De nombreuses méthodes différentes étaient connues pour mesurer la masse moléculaire moyenne en nombre. Il n'existait apparemment pas de méthode généralement reconnue ou préférée que l'homme du métier choisirait pour déterminer ce paramètre. L'homme du métier, qui avait l'intention d'utiliser un polyamide spécifique, devrait nécessairement s'appuyer sur l'une des méthodes connues pour déterminer la masse moléculaire moyenne en nombre, sans préférence pour l'une ou l'autre. Cependant, les méthodes différentes donnaient des résultats très différents. Il s'agissait exactement de la même situation que dans les décisions T 225/93, T 466/05 et T 593/09. Dans le cas présent également, différentes méthodes d'essai donnaient des résultats différents pour le même échantillon (voir T 225/93) et la "vraie" masse moléculaire n'était pas détectable(voir T 466/05). La reproduction de l'invention alléguée exigeait que l'homme du métier sache identifier les polyamides présentant la masse moléculaire moyenne en nombre spécifique de la revendication 1 pour résoudre le problème technique. Toutefois, sans indication de la méthode de détermination de la masse moléculaire moyenne en nombre du polyamide dans le fascicule du brevet ou à partir des connaissances générales, l'homme du métier pouvait établir les mesures techniques nécessaires (par exemple, la sélection de polyamides appropriés) pour résoudre le problème sous-jacent au brevet contesté que par essais et erreurs et, par conséquent, seulement avec des efforts excessifs (voir T 466/05 et T 593/09). Par ailleurs, la masse moléculaire était un paramètre pertinent. Elle avait par exemple une influence sur la résistance mécanique (voir le brevet contesté, paragraphe [0014]). En raison du paramètre ambigu, l'homme du métier ne savait pas s'il était parvenu à l'invention ou non. Selon la décision T 464/05 cela impliquait une insuffisance de l'exposé de l'invention revendiquée. De ce fait, le brevet en litige ne divulguait pas l'invention d'une manière suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter.
Sur ce sujet, et à la fin de la discussion sur la requête en saisine de la Grande Chambre de recours présentée oralement par l'intimée I (voir point IX ci-dessus, "Saisine de la Grande Chambre de recours"), l'intimée II demandait à son tour la saisine de la Grande Chambre de recours en présentant par écrit les questions suivantes :
"In view of the controversial positions taken, on the one hand, in decisions T 1811/13, T 646/13, and T 647/15 (and decisions referred to), and, on the other hand, in decisions T 626/14, and T464/05 (and decisions referred to) the following questions are referred to the Enlarged Board of Appeal.
1. Where
(a) the claimed subject-matter, being it a product, a method or a use, is defined by a parameter,
(b) no method for measuring the parameter is indicated in the description of a patent,
(c) several equally appropriate methods are known to the skilled person in the relevant technical field,
(d) these known methods provide significantly different results resulting in an ambiguity of the parameter, and
(e) due to this ambiguity the skilled person being unable to know whether he has arrived at the invention,
is this an issue to be addressed under clarity (Article 84 EPC), i.e. whether the claims clearly define the matter for which protection is sought, or an issue to be addressed under sufficiency of disclosure (Article 83 EPC), i.e. whether the claimed invention is disclosed in a manner sufficiently clear and complete for it to be carried out by a person skilled in the art?
If the answer 1 cannot be decided as such, what are the criteria for deciding whether such an issue is to be addressed under Article 84 EPC or Article 83 EPC?"
Objection selon la règle 106 CBE
Après que le président ait annoncé que les questions en saisine présentées par l'intimée II n'étaient pas admises dans la procédure de recours, conformément à l'article 13 (3) RPCR, elle a soumis par écrit une objection selon la règle 106 CBE libellée comme suit :
"We herewith raise an objection under Rule 106 EPC for rejecting our request for referral to the Enlarged Board of Appeal submitted during the hearing of 20 July 2018 as late filed as contravening our right to be heard of Art 113 EPC."
A l'appui de cette objection, l'intimée II indique qu'il ne lui était pas possible à de soumettre les questions de saisine à la Grande Chambre avant la procédure orale, du fait
- qu'elle avait dû consulter très tardivement le mandant domicilié aux Etats-Unis en raison de l'envoi tardif de la notification de la chambre,
- qu'une concertation au sein du cabinet était nécessaire et
- qu'une traduction de la notification de la chambre devait être préparée pour les partenaires du cabinet.
De plus, la requête en saisine n'avait pas été présentée avec les requêtes initiales au début de la procédure orale parce que l'intimée II n'y voyait aucune nécessité vu qu'une requête en saisine portant sur le même sujet avait déjà été annoncée, puis présentée oralement par l'intimée I. Pour ces raisons, sa requête en saisine n'était pas tardive. Elle devait donc être admise dans la procédure de recours.
Renvoi en première instance
L'intimée II n'avait pas de commentaires à donner sur la question du renvoi.
XI. La requérante a développé les arguments suivants :
Suffisance de l'exposé de l'invention
L'objet de la revendication 1 visait un procédé par lequel l'homme du métier devait utiliser un polyamide, généralement disponible et caractérisé par un paramètre usuel. Le paragraphe [0055] du brevet contesté contenait, par renvoi au document D8, des exemples pour un polyamide approprié. En particulier, la masse moléculaire moyenne en nombre (Mn) était définie comme la masse totale du polymère divisée par le nombre total de molécules présentes dans le polymère. Ainsi, ce paramètre n'était pas une valeur qui dépendait de la méthode de mesure, mais une valeur inhérente à chaque échantillon de polymère. Ceci était confirmé par le document D12. Des polyamides présentant une masse moléculaire Mn supérieure à 8000 pouvaient être produits et étaient disponibles dans le commerce, comme l'avait montré l'intimée I avec ses essais. La masse moléculaire Mn d'un certain type de polymère était spécifiée par le fournisseur de matières premières sur une fiche technique. La masse moléculaire moyenne en nombre d'un polymère était donc un paramètre bien défini et clair qui n'avait qu'une seule valeur correcte. Si la valeur obtenue par GPC différait du résultat obtenu par l'analyse de groupe terminal (comme ce fut le cas dans les expériences de l'intimée I), alors l'une de ces méthodes n'avait pas produit la valeur correcte. En effet, l'homme du métier était bien conscient que la méthode GPC ne donnait pas une valeur absolue pour la masse moléculaire moyenne en nombre, mais une valeur relative (voir également le document D13, pages 19 à 20). Elle nécessitait donc un calibrage correct. Contrairement à cela, l'analyse de groupe terminal était une méthode absolue qui mesurait directement la masse moléculaire moyenne en nombre. Ainsi, l'homme du métier saurait exactement comment déterminer la masse moléculaire moyenne en nombre du polyamide à utiliser dans le procédé selon le brevet contesté. Il choisirait une méthode absolue, comme l'analyse de groupe terminal ou l'osmométrie; la méthode GPC ne serait appliquée que si elle était calibrée de façon appropriée. Si les différentes méthodes connues pour déterminer la masse moléculaire moyenne en nombre d'un polyamide étaient correctement effectuées, elles ne donneraient pas de valeurs différentes. En outre, rien n'indiquait que le procédé selon la revendication 1 ne résoudrait pas la problème technique du brevet en utilisant un polyamide ayant une masse moléculaire supérieure à 8000 selon la méthode GPC et inférieure à 8000 selon l'analyse de groupe terminal. Pour cette raison, la décision de la division d'opposition de révoquer le brevet contesté était incorrecte et devait être annulée. Le paramètre de la masse moléculaire moyenne en nombre mentionnée dans la revendication 1 du brevet en litige était clair et ne conduisait pas à une situation dans laquelle l'homme du métier ne pouvait pas exécuter l'invention revendiquée.
Cette conclusion était conforme à la jurisprudence des chambres de recours : dans l'affaire T 593/09 le paramètre revendiqué n'était ni clair ni suffisamment divulgué, ce qui n'était pas le cas pour la masse moléculaire moyenne en nombre. De plus, la présente affaire différait de la décision T 466/05, car il était clairement défini dans la revendication contestée de quelle masse moléculaire particulière il s'agissait, c'est-à-dire de la masse moléculaire moyenne en nombre Mn et non de la masse moléculaire moyenne en masse Mw ou de la masse moléculaire moyenne de centrifugation Mz. De ce point de vue aussi, le brevet contesté divulguait l'invention d'une manière suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter.
Saisine de la Grande Chambre de recours
La requête en saisine de la Grande Chambre de recours formulée oralement par l'intimée I lors de la procédure orale (voir le libellé de la question au point IX ci-dessus) devait être rejetée parce que la jurisprudence des chambres de recours sur ce sujet était bien établie, comme l'a expliqué en détail la décision T 1811/13. En outre, en l'espèce, l'objet de la revendication 1 n'était ni entaché d'un manque de clarté ni insuffisamment divulgué. Les questions écrites en vue de la saisine de la Grande Chambre de recours et déposées pendant la procédure orale (voir le libellé des questions aux points IX et X ci-dessus) s'appuyaient essentiellement sur des décisions citées pour la première fois dans la présente procédure de recours. Comme la requérante n'en avait pas pu prendre connaissance plutôt, elle ne pouvait pas s'y préparer et ne peut donc prendre position à leur sujet. Les questions soumises par la requête en saisine n'étaient pas seulement pas nécessaire pour décider sur le recours, mais aussi tardives. Elles devaient, par conséquent, être rejetées.
Renvoi en première instance
La requérante demande qu'en l'espèce, l'affaire soit renvoyée à la division d'opposition pour l'examen de la nouveauté et de l'activité inventive.
Motifs de la décision
1. Suffisance de l'exposé de l'invention
1.1 La revendication 1 du brevet contesté concerne un procédé de fabrication comprenant au moins
"une étape d'imprégnation d'une étoffe de renfort avec une composition polyamide à l'état fondu, présentant une viscosité fondu eta comprise entre 1 et 50 Pa.s, le polyamide présentant une masse moléculaire Mn supérieure à 8000 ; [...]".
1.2 Il n'est pas contesté que la masse moléculaire moyenne en nombre est une grandeur courante pour caractériser un polymère tel que le polyamide. En effet, il s'agit de la moyenne des masses molaires pondérée par le nombre de chaînes de chaque longueur. C'est donc une valeur inhérente à chaque échantillon de polymère. Ce paramètre est largement utilisé et clairement défini. En outre, il n'est pas contesté que l'homme du métier connaît au moins deux méthodes généralement employées pour déterminer ce paramètre, à savoir la chromatographie sur gel perméable (GPC) et l'analyse de groupe terminal. A cet égard, le paramètre de la masse moléculaire moyenne en nombre supérieur à 8000, qui, en tant que tel, n'est ni vague ni imprécis, ne s'oppose pas à l'exécution de l'invention par l'homme du métier. Les incertitudes possibles concernant d'éventuelles déviations des résultats de mesure obtenus par les différentes méthodes connues n'affectent pas la capacité de l'homme du métier à choisir un polyamide approprié sur la base de ses connaissances et des informations données dans le brevet.
1.3 La chambre ajoute que cette conclusion est conforme à la jurisprudence actuelle des chambres de recours (voir La Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, Huitième édition, 2016, II.C.7.2. et en particulier T 1811/13, point 5.1 des motifs). Dans un souci d'exhaustivité, il est noté que, contrairement à l'affaire T 593/09, le paramètre revendiqué dans la présente affaire n'est pas obscur. De plus, et d'une manière différente par rapport à la décision T 466/05, la revendication en cause définit clairement de quelle masse moléculaire il s'agit, à savoir la masse moléculaire moyenne en nombre Mn. Au regard de la décision T 225/93, force est de constater que trouver un polyamide d'une masse moléculaire moyenne en nombre supérieure à 8000 ne nécessite ni des efforts excessifs ni une activité inventive pour l'homme du métier.
1.4 Pour ces raisons, et contrairement à la décision de la division d'opposition, le brevet contesté divulgue cet aspect de l'invention d'une manière suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter. La décision attaquée doit donc être annulée.
2. Requête en saisine de la Grande Chambre de recours déposée oralement par l'intimée I
2.1 L'intimée I a demandé la saisine de la Grande Chambre de recours essentiellement pour savoir si la difficulté que peut avoir l'homme du métier pour déterminer si un objet tombe sous l'étendue de la protection couverte par la revendication concerne la clarté de la revendication ou plutôt la suffisance de l'exposé de l'invention.
2.2 Selon l'article 112 (1) a) CBE 1973, une chambre de recours peut saisir la Grande Chambre de recours, soit d'office, soit à la demande d'une partie au recours, lorsqu'elle estime qu'une décision est nécessaire afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose.
2.3 Dans la décision T 1811/13 du 8 novembre 2016 (voir point 5.1 des motifs), la présente chambre, dans une composition différente, a examiné la jurisprudence des chambres de recours sur la question de savoir si l'impossibilité pour l'homme du métier de déterminer s'il travaillait dans le domaine interdit par la revendication entraînait l'impossibilité de réaliser l'invention. Elle a conclu qu'"il existe aujourd'hui [...] une opinion clairement prédominante parmi les chambres que la définition du "domaine interdit" d'une revendication ne devrait pas être considérée comme une question liée à l'article 83 CBE". La chambre a ajouté que "[c]ela ne veut pas dire qu'un manque de clarté ne peut pas entraîner une divulgation insuffisante de l'invention. Toutefois, dans un tel cas, il ne suffit pas d'établir qu'une revendication manque de clarté, mais il est nécessaire d'établir que la demande ou le brevet, selon le cas, ne divulgue pas l'invention d'une manière suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter. En d'autres termes, il ne suffit pas d'établir un manque de clarté des revendications pour établir le non-respect de l'article 83 CBE 1973 ; il faut démontrer que ce manque de clarté affecte le brevet dans son ensemble (c'est-à-dire pas seulement les revendications) et qu'il est tel que l'homme du métier - qui peut se servir de la description et de ses connaissances générales communes - ne peut réaliser l'invention."
L'intimée I n'a pas cité de jurisprudence à l'appui de sa requête en saisine qui pourrait remettre en cause les conclusions exposées dans la décision T 1811/13.
2.4 Compte tenu de ce qui précède, la présente chambre estime qu'il existe une opinion largement prédominante selon laquelle une définition imprécise de l'étendue de la protection de la revendication relève d'abord et avant tout de l'article 84 CBE 1973. Dans la présente affaire, la caractéristique visant la masse moléculaire en nombre Mn était contenue dans la revendication 1 telle que délivrée et ne découle donc pas d'une modification des revendications. A cet égard, selon la décision G 3/14 (JO OEB 2015, A102), la caractéristique contestée ne peut être examinée dans la procédure de recours sur opposition au regard des exigences de la clarté. La question de savoir si elle satisfait aux exigences de l'article 84 CBE 1973 ne se pose donc pas.
2.5 Pour ces raisons, la chambre considère qu'une décision de la Grande Chambre de recours n'est pas nécessaire pour statuer sur la présente affaire. La requête en saisine de la Grande Chambre de recours déposée oralement par l'intimée I doit donc être rejetée conformément à l'article 112 (1) a) CBE 1973.
2.6 Par souci d'exhaustivité et de manière superfétatoire, la chambre renvoie à la décision plus récente T 626/14 (points 1.1 à 1.4.1 des motifs). Cette décision ne remet pas en cause, vu la décision T 1811/13, le fait qu'un flou quant à l'étendue de la protection ne constitue pas un défaut d'exposé de l'invention. Toutefois, dans cette affaire T 626/14 il pouvait être relevé une insuffisance de divulgation, dans la mesure où le paramètre revendiqué de l'épaisseur d'un matériau fibreux moelleux n'était pas clairement défini dans le sens qu'une mesure significative n'était pas possible sans spécification des conditions de mesure. En raison de l'absence de toute information dans le brevet permettant à l'homme du métier de mesurer de façon fiable l'épaisseur revendiquée et que par conséquent, des efforts excessifs étaient nécessaires, la chambre en a conclu que l'invention n'était pas divulguée d'une manière suffisamment claire et complète pour permettre à un homme du métier de l'exécuter. Si, dans de telles circonstances, l'homme du métier ne savait pas si effectivement il avait réalisé l'invention, il pouvait y avoir une violation des dispositions de l'article 83 CBE 1973.
La présente chambre note que la décision T 626/14, comme l'affaire T 464/05, concerne une constellation particulière dans un certain domaine technique. Le cas en l'espèce est toutefois différent en ce sens que le paramètre de la masse moléculaire en nombre Mn vise une propriété clairement définie et inhérente au matériau. En outre, il n'a pas été contesté que l'homme du métier dispose d'un nombre limité de méthodes de mesure appropriées et généralement connues. Par conséquent, la décision T 626/14 ne saurait remettre en cause les conclusions exposées ci-dessus en ce qui concerne la suffisance de l'exposé de l'invention et la requête en saisine de la Grande Chambre de recours présentée oralement par l'intimée I doit être rejetée.
3. Admission des requêtes en saisine de la Grande Chambre de recours déposées par écrit par les intimées
3.1 Au cours de la procédure orale et à la fin des débats sur les questions, à la fois, de la suffisance de la divulgation et de la clarté ainsi que de la question de la saisine de la Grande Chambre de recours déposée oralement par l'intimée I, l'intimée II a elle-aussi, immédiatement sollicité, mais par écrit, que la Grande Chambre de recours soit saisie sur des questions sur le même sujet.
Cette requête constitue une modification des moyens invoqués par l'intimée II, dont l'admission en vertu de l'article 13 (1) et (3) RPCR est laissée à l'appréciation de la chambre. En particulier, le paragraphe 3 de l'article 13 prévoit que les modifications demandées après que la date de la procédure orale a été fixée ne seront pas admises si elles soulèvent des questions que la chambre ou les autres parties ne peuvent raisonnablement traiter sans que la procédure orale soit renvoyée.
3.2 A cet égard, la chambre constate que la décision attaquée, elle seule, ne porte que sur la question de la clarté des revendications ou de la suffisance de la divulgation du brevet, à savoir si les méthodes de mesure utilisées pour mesurer le paramètre de la masse moléculaire en nombre Mn donnent des résultats différents doivent être traitées sous l'angle de la clarté ou de l'insuffisance de l'exposé de l'invention (voir point 2.1 des motifs). Dans le cadre de la procédure de recours, la requérante avait abordé cette question dans son courrier du 11 mai 2018 (voir point II, 1.1). Dans l'avis préliminaire en vue de la procédure orale (voir point 6.5), le rapporteur a discuté la décision T 1811/13 et a estimé que les incertitudes possibles concernant d'éventuelles déviations des résultats de mesure obtenus par les différentes méthodes connues paraissaient affecter la clarté de la définition de l'étendue de la protection plutôt que la capacité de l'homme du métier à choisir un polyamide approprié sur la base de ses connaissances et des informations données dans le brevet.
3.3 A partir de ces faits, il apparaît clairement que la question de la distinction entre la clarté et la suffisance de la divulgation n'est pas seulement devenue pertinente pour la première fois dans la discussion au cours de la procédure orale, mais qu'elle a constitué un aspect essentiel de l'ensemble de la procédure de recours. Dans ces circonstances, l'intimée II avait des raisons suffisantes pour présenter sa requête en saisine, si elle la jugeait nécessaire, en temps opportun, à savoir bien avant la procédure orale, ou, en tout cas, au plus tard au moment où le président a établi les requêtes au début de l'audience, et non à la fin des débats. Les raisons données par l'intimée II selon lesquelles une traduction de la notification devait être préparée et que le mandant domicilié aux Etats-Unis et les partenaires du cabinet devaient être consultés ne peuvent de quelque manière justifier la présentation de la requête en saisine à la procédure orale et a fortiori à la fin des débats. Pareille conclusion s'applique également à l'argument de l'intimée II selon lequel elle n'avait pas trouvé le dépôt de la requête nécessaire au début de l'audience parce qu'une autre requête en saisine sur le même sujet avait été annoncée et présentée oralement par l'intimée I.
3.4 En ce qui concerne les questions posées proprement dites, la requête en saisine, entre autres, renvoie à un certain nombre de décisions qui n'avaient jusqu'à présent pas été mentionnées dans la procédure de recours. La requérante a donc été confronté à une question centrale de la procédure de recours à laquelle elle n'a pas pu se préparer adéquatement et pour laquelle l'audience aurait donc dû être reportée pour des raisons d'équité. En outre, et dans ces conditions, il n'aurait guère été possible d'avoir une discussion approfondie sur les questions soumises par la saisine et sur la jurisprudence citée.
Dans une telle situation, l'article 13 (3) RPCR s'oppose à l'admission de la requête en saisine de l'intimée II. Ceci s'applique a fortiori à la requête en saisine, ayant un contenu identique à celle de l'intimée II et déposée par écrit par l'intimée I à un moment ultérieur et ce à la fin de la procédure orale peu de temps avant la clôture des débats.
3.5 La chambre ajoute, de façon superfétatoire, que, pour les raisons exposées au points 2.3 à 2.6 ci-dessus, elle ne voit pas de raisons suffisantes pour saisir d'office la Grande Chambre de recours sur ce sujet dans le cadre de la présente procédure.
4. Objection selon la règle 106 CBE
4.1 L'intimée II considère que la décision de la chambre de ne pas admettre sa requête tardive en saisine de la Grande Chambre de recours constitue une violation du droit d'être entendu selon l'article 113 CBE 1973.
4.2 La chambre ne partage pas ce point de vue. Il ressort du procès-verbal en date du 20 juillet 2018 et signifiée aux parties le 3 août 2018 que la question de la recevabilité de la requête en saisine déposée par l'intimée II avait été discutée au cours de la procédure orale et que l'intimée II ne s'était pas vu refuser la possibilité de faire des observations à ce sujet. De plus, la décision de la chambre de ne pas admettre la requête dans la procédure de recours n'était ni arbitraire ni fondée sur des critères non pertinents. Les considérations de la chambre relèvent du pouvoir d'appréciation de la chambre telle que prévue à l'article 13 (3) RPCR. La décision de la chambre de ne pas admettre la requête tardive en saisine de la Grande Chambre de recours est conforme aux principes définis dans la décision R 9/11 du 7 décembre 2012 et la jurisprudence postérieure.
Il ne peut donc être conclu que la chambre ait injustement privé l'intimée II de son droit d'être entendu inscrit à l'article 113 (1) CBE 1973.
5. Renvoi en première instance
5.1 La requérante demande qu'en l'espèce, l'affaire soit renvoyée à la division d'opposition pour l'examen de la nouveauté et de l'activité inventive. Les intimées ne se sont pas opposées à cette requête.
5.2 En vertu de l'article 111 (1) CBE 1973, la chambre de recours peut soit statuer elle-même sur le recours, soit renvoyer l'affaire à l'organe en charge de la décision annulée. Même s'il n'existe pas de droit absolu à ce que chaque question soit tranchée par deux instances, la fonction première d'un recours est de donner à la partie déboutée la possibilité d'un contrôle judiciaire de la décision de première instance. Les autres critères qui peuvent également être pris en compte pour décider d'un renvoi sont les demandes des parties, l'intérêt général à ce que la procédure soit close dans un délai approprié et la question de savoir s'il y a eu ou non une évaluation complète de l'affaire au cours de la procédure de première instance.
5.3 En l'espèce, la division d'opposition n'a statué que sur la question de la suffisance de l'exposé de l'invention sans examiner la nouveauté et l'activité inventive.
Compte tenu de ce qui précède, la chambre décide de renvoyer l'affaire à l'instance du premier degré pour trancher sur les motifs d'opposition selon l'article 100 a) CBE 1973.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré pour suite à donner.
3. Les requêtes en saisine de la Grande Chambre de recours sont rejetées.