T 0186/16 (Gaine à haute surface spécifique/IFP/) 01-03-2021
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CONDUITE AVEC GAINE A PERMEABILITE REDUITE AUX COMPOSES ACIDES
IFP Energies nouvelles
Technip France
Preuves produites tardivement - recevable (oui),
Modification après signification - circonstances exceptionnelles (oui),
Possibilité d'exécuter l'invention - (oui),
Modifications - admises (oui),
Nouveauté - (oui),
Activité inventive - (oui),
I. Le recours de l'opposante (et requérante) porte sur la décision de la division d'opposition de rejeter l'opposition contre le brevet européen n° 2 296 871.
II. Avec son mémoire de recours, la requérante a soumis les nouveaux documents D23 (brochure "DHT-4A® - Acid scavenger for polymers") et D24 ("Nanocrystals as stoichiometric reagents with unique surface chemistry"; J. Phys. Chem., 1996) et demandé l'annulation de la décision et la révocation du brevet. En outre elle a demandé que les documents D8 (brochure "DHT-4A"), D9 (information tirée d'Internet concernant DHT-4A and DHT-4V) et D17 (E-mail concernant "Ti-Pure**(®) R-960") déposés en cours d'opposition soient admis dans la procédure de recours.
III. En réponse, la propriétaire du brevet (et intimée) a soumis de nouveaux jeux de revendications à titre de requêtes subsidiaires 1-11 et demandé que les documents D23 et D24 ne soient pas admis dans la procédure de recours.
IV. Par lettre du 30 août 2016, la requérante a soumis les nouveaux documents D2a (disponibilité sur le web de D2), D3a (disponibilité sur le web de D3), D25 (Web "Chemical Kinetics") et D25a (disponibilité sur le web de D25).
V. Suite à l'avis préliminaire de la chambre informant les parties que les requêtes principale et subsidiaires 1 et 2 ne satisfaisaient pas aux exigences de l'Article 54 CBE et que la requête subsidiaire 3 n'était pas admissible en vertu de l'Article 56 CBE, la requérante a annoncé qu'elle ne serait pas représentée à la procédure orale.
VI. Au cours celle-ci, qui s'est tenue le 1er mars 2021, l'intimée a remplacé - suite à une objection de la chambre - l'ensemble des requêtes au dossier par deux nouvelles requêtes principale et subsidiaire, la revendication 1 selon la nouvelle requête principale étant libellée comme suit:
"1. Conduite pour transporter un effluent pétrolier comportant au moins l'un des composés acides CO2 et H2S, la conduite comportant au moins un élément métallique et une gaine tubulaire en matériau polymère, l'élément métallique étant disposé à l'extérieur de la gaine, la gaine comportant un mélange d'un matériau polymère avec une quantité déterminée de produits chimiquement actifs avec lesdits composés acides de façon à neutraliser irréversiblement les effets corrosifs desdits composés et de limiter les effets corrosifs sur lesdits éléments métalliques, la conduite étant caractérisée en ce que les produits chimiquement actifs sont introduits dans la gaine sous forme de particules de surface spécifique supérieure à 5 m**(2)/g, et dans laquelle les produits chimiquement actifs sont choisis parmi les oxydes métalliques choisis dans le groupe constitué du PbO, ZnO, NiO, CoO, CdO, CuO, SnO2, MoO3, Fe3O4, Ag2O, CrO2, CrO3, Cr2O3."
VII. Les requêtes finales des parties ont été établies comme suit:
La requérante a demandé par écrit la révocation du brevet.
L'intimée a demandé le maintien du brevet sur la base de la requête principale déposée au cours de la procédure orale.
1. Recevabilité des documents
La chambre a décidé d'admettre dans la procédure de recours les documents D2a, D3a, D8, D9, D17, D23, D24, D25 et D25a.
1.1 Concernant D8, D9 et D17, que la division d'opposition avait jugés non recevables au motif qu'ils ne faisaient pas partie de l'état de la technique relatif au brevet contesté, la chambre se joint à l'avis de la requérante selon lequel la division d'opposition aurait dû admettre ces documents, et ce quelles qu'en soient les raisons, puisque ceux-ci avaient été soumis avec l'acte d'opposition et que le pouvoir discrétionnaire selon l'article 114(2) CBE de ne pas admettre certains éléments de preuve ne s'applique qu'à ceux qui ne sont pas produits en temps utile, si bien que la décision de la division d'opposition de ne pas admettre ces trois documents est annulée.
1.2 Quant aux documents D2a, D3a, D23, D24, D25 et D25a, qui ont été cités pour soit établir la date de publication de certains des documents cités, soit interpréter certains termes de l'état de la technique ou encore pour étayer les connaissances générales de l'homme du métier, il est manifeste qu'ils ont été utilisés pour étayer certaines des objections existantes et non pour en formuler de nouvelles, si bien que la chambre ne voit pas de raison pour les écarter de la procédure de recours au titre de l'Article 12(4) RPCR 2007, Article 25(2) RPCR 2020 (concerne D23 et D24) ou alternativement, pour ne pas les admettre au titre des Articles 13(1) et 25(1) RPCR (concerne D25, D25a, D2a et D3a).
2. Requête principale - Recevabilité
La chambre a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'Article 13(2) RPCR 2020 d'admettre cette nouvelle requête déposée tardivement.
2.1 En effet, en début de procédure orale, elle a fait valoir un défaut de nouveauté de l'objet des requêtes subsidiaires 4 et 5 par rapport à la divulgation du document D4 (WO 2008/113362 A1) alors qu'elle n'y avait pas fait référence dans son avis préliminaire.
2.2 En outre, la division d'opposition avait conclu à la nouveauté de l'objet du brevet tel que délivré (qui équivaut à la requête principale présentée en recours), et la requérante avait maintenu son objection de nouveauté basée sur D4 dans son mémoire de recours, sans toutefois l'opposer aux requêtes subsidiaires 4 et 5, si bien que la nouvelle objection de la chambre représente un changement d'orientation de la procédure assimilable à une circonstance exceptionnelle au sens de l'article 13(2) RPCR 2020 justifiant l'admission de cette requête supplémentaire.
3. Suffisance d'exposé de l'invention
Pour la chambre les exigences de suffisance de divulgation de l'invention en vertu de l'article 83 CBE sont remplies pour les raisons qui suivent.
3.1 La requérante a fait valoir que l'invention telle que définie à la revendication 1, à savoir que les produits chimiquement actifs neutralisent de manière irréversible les composés acides (CO2 et H2S) afin de limiter leur effet corrosif, serait définie de manière contradictoire, en ce sens que si les composés acides sont neutralisés, ils ne pouvaient plus avoir d'effet corrosif. Le brevet ne fournissant aucun exemple spécifique pour expliquer comment cet effet pouvait être obtenu, il présenterait un défaut de description.
Elle a en outre fait valoir que la revendication 2 définissant les particules comme étant de granulométrie supérieure à 0,02 mym, l'homme du métier comprendrait que toutes les particules devaient présenter une telle taille, ce qui est impossible, car les particules présentent toujours une certaine distribution de tailles, de sorte que certaines particules sont obligatoirement plus petites que la valeur revendiquée. En outre, le brevet n'expliquant pas comment la taille de particules devait être mesurée, l'homme du métier ne serait pas mis en mesure de reproduire cette caractéristique.
3.2 La chambre ne peut suivre cette argumentation, car il est manifeste que l'homme du métier interpréterait la caractéristique "de façon à neutraliser irréversiblement les effets corrosifs desdits composes et de limiter les effets corrosifs sur lesdits éléments métalliques" comme exigeant des particules chimiquement actives qu'elles aient un certain pouvoir de neutralisation sur les composés acides CO2 et H2S afin d'en réduire leurs potentiels effets corrosifs. En outre, cette exigence n'est ni contradictoire ni redondante, car l'indication de "limiter les effets corrosifs" n'est qu'une clarification de la caractéristique fonctionnelle précédente. En outre, un homme du métier n'aurait aucun problème à identifier les substances capables de neutraliser lesdits composés acides, si bien que la présence de cette caractéristique ne peut être vue comme impliquant un problème de suffisance de description de l'invention.
Pour la chambre, il est en outre implicite de la caractéristique de granulométrie définie à la revendication 2 que c'est la taille moyenne des particules qui est visée et que celle-ci doit donc être supérieure à la valeur indiquée. Il s'ensuit que l'homme du métier n'aurait eu aucun problème à reproduire cette caractéristique, même s'il est exact que le brevet ne donne aucune précision particulière concernant la définition de la granulométrie et la manière dont la taille des particules est mesurée, mais pour la chambre ces omissions ne conduisent pas pour autant à une insuffisance de divulgation au titre de l'Article 83 CBE - puisque qu'elle qu'en soit la définition et la manière dont elle est mesurée, une valeur de granulométrie peut toujours être déterminée - mais plutôt à un problème de délimitation du domaine de protection et donc à un problème de clarté au titre de l'Article 84 CBE.
3.3 De ce qui précède, la chambre conclut que la requérante n'a pas été en mesure d'identifier de lacune d'information s'opposant à l'exécution par l'homme du métier de l'invention revendiquée. Il s'ensuit que le brevet pris dans son ensemble ne peut être jugé comme non conforme aux dispositions de l'article 83 CBE.
4. Requête principale - Article 123(2) CBE
La chambre est d'avis que l'objet de cette requête répond aux exigences de l'Article 123(2) CBE.
4.1 En effet, l'objet de la revendication 1 correspond à la combinaison de celui-des revendications 1 et 3 telles que déposées, duquel les composés Fe2O3, TiO, TiO2, Ti2O3, ainsi que les oxydes alcalins et alcalino-terreux choisis parmi le CaO, le Ca(OH)2 et le MgO ont été supprimés.
La suppression de ces éléments conduisant toutefois à restreindre la portée des revendications d'origine, sans pour autant définir de nouveaux modes opératoires non décrits à l'origine, et cette suppression n'incluant pas le ou le mode préféré exemplifié, à savoir ZnO, l'objet ainsi revendiqué ne saurait s'étendre au-delà de celui de la demande telle que déposée.
4.2 Il en est de même de l'objet des revendications 2-11, qui correspond à celui des revendications 2 et 5-13 telles que déposées.
5. Requête principale - Nouveauté
Pour la chambre, cette requête est conforme aux exigences de l'Article 54 CBE.
5.1 La requérante a fait valoir que l'objet de la revendication 1 telle que délivrée n'était pas nouveau au regard du contenu de chacun des D1 (US 2006/0229395 A1), D4, D7 (US 2004/0142135 A1) ou D10 (US 6 110 550).
5.2 La chambre constate toutefois qu'aucun de ces documents n'anticipe l'une quelconque des substances chimiquement actives définies dans la liste selon la revendication 1, qui n'inclut ni les oxydes de titane divulgués dans le document D1 (exemple 1), ni les silicates d'argiles cationiques de grande surface spécifique divulgués dans le document D4 (page 4, lignes 1 à 10), ni les hydrotalcites décrites dans le document D7 (par. [0001] et [0015]) et encore moins la chaux éteinte (Ca(OH)2) décrite au document D10.
5.3 Il s'ensuit que l'objet de l'actuelle revendication 1 ne découle directement et sans équivoque d'aucun des susdits documents; il est donc nouveau au sens de l'Article 54 CBE.
6. Requête principale - Activité inventive
Pour la chambre, cette requête est également conforme aux exigences de l'article 56 CBE pour les raisons qui suivent.
6.1 Le document D10, qui résout le même problème technique que l'invention et divulgue en outre certains des additifs chimiquement actifs définis dans la revendication 1, est considéré comme représentant l'état de la technique le plus proche. Celui-ci divulgue en effet (revendications 1 et 2) une conduite pour le transport d'hydrocarbures contenant du CO2 et du H2S, ladite conduite comprenant une gaine polymère incluant un matériau chimiquement actif choisi parmi PbO, ZnO, CuO, CdO, NiO, CoO, SnO2 et MoO3.
L'objet de la revendication 1 diffère donc du contenu de D10 en ce que la surface spécifique des additifs est définie comme étant supérieure à 5 m**(2)/g.
6.2 Problème résolu
Selon le brevet (exemples 4-6, par. [0044]), les substances chimiquement actives de surface spécifique élevée améliorent la protection de la gaine contre les substances corrosives.
Il n'est pas contesté que l'apport de particules de surface spécifique élevée a pour effet d'améliorer la neutralisation des acides, si bien que le problème sous-tendu par l'invention peut être formulé comme résidant dans l'amélioration de l'effet barrière de la gaine à l'égard des agents corrosifs.
6.3 (Non-)évidence de la solution
6.3.1 La requérante, se référant en particulier aux documents D24 et D25, a fait valoir que la sélection de substances chimiquement actives ayant une surface spécifique élevée était une solution évidente, car il était bien connu que le taux de réaction augmentait avec la surface spécifique. La solution proposée par le brevet était en outre évidente au vu du contenu des documents D12 (US 2006/0121224 A1) ou D13 (US 2006/0013973 A1).
6.3.2 La chambre n'est pas convaincue par cette argumentation car aucun de ces documents propres au domaine de l'invention ne fait référence à la surface spécifique des matériaux utilisés, si bien que l'homme du métier n'y trouvera aucune incitation à prospecter dans cette direction. En outre, la solution la plus évidente pour améliorer l'effet barrière de la gaine étant suggérée en colonne 4, lignes 50-59 du document D10, à savoir augmenter la quantité de substance réactive introduite dans la gaine, l'homme du métier partant de cet art antérieur n'aurait aucune incitation à chercher dans une autre direction. Et même, si aux fins d'argumentation et en faveur de la requérante, l'homme du métier choisissait des particules de surface spécifique relativement élevée pour améliorer l'effet barrière, il ne trouverait toujours pas d'incitation dans l'état de la technique cité (D10, D12, D13, D24 ou D25) pour choisir une surface spécifique supérieure à 5 m**(2)/g, telle que définie dans la revendication 1.
Pour la chambre, la valeur choisie de 5 m**(2)/g ne peut en outre pas être considérée comme arbitraire, car l'amélioration observée entre des surfaces spécifiques de 4 m**(2)/g et de 8 m**(2)/g (échantillons 7 et 8 à la page 17 de la réponse au recours) montre déjà une nette amélioration de l'effet de barrière de 21%.
6.3.3 Au demeurant, il est à noter que pour arriver à l'objet de la revendication 1, l'homme du métier devrait aller à l'encontre de la solution la plus évidente décrite dans D10 - à savoir mettre en oeuvre une quantité plus élevée de substance chimiquement active - puis il devrait sélectionner une gamme de surface spécifique (supérieure à 5 m**(2)/g) pour laquelle il n'y a par ailleurs aucune indication dans l'art antérieur cité.
Pour la chambre, il s'ensuit de ce qui précède que l'homme du métier cherchant à améliorer les propriétés anti-corrosives de la conduite selon D10 ne peut parvenir à l'objet de la revendication 1 en instance sauf à avoir recours à une analyse ex post facto qui suppose une connaissance préalable de la solution revendiquée.
6.4 La chambre en conclut que la combinaison de faits invoqués par la requérante est insuffisante pour prouver que l'objet selon la revendication 1 (et a fortiori celui des revendications 2 à 11 qui en dépendent) découle de manière évidente de l'enseignement des documents cités, si bien que la requête principale déposée au cours de la procédure orale devant la chambre satisfait aux exigences de la CBE.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la première instance avec l'ordre de maintenir le brevet sous forme modifiée sur la base des revendications 1 à 11 selon la nouvelle requête principale datée du 1er mars 2021, la description devant être adaptée.