T 0074/93 (Méthode contraceptive) 09-11-1994
Download und weitere Informationen:
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n 88 904 588.6 concernant des composés alicycliques et leur utilisation comme contraceptifs et revendiquant la priorité d'une demande de brevet britannique antérieure datée du 2 juin 1987 a été déposée en tant que demande internationale le 27 mai 1988. La division d'examen a rejeté la demande le 2 septembre 1992 dans une décision fondée sur les revendications 1 à 10 telles que déposées par lettre en date du 3 août 1992.
II. La demande a été rejetée au motif que la revendication 5, qui porte sur l'utilisation d'un composé destiné à être appliqué sur le col de l'utérus d'une femelle capable de concevoir, n'est pas susceptible d'application industrielle au sens de l'article 57 CBE, dans la mesure où ledit composé doit être appliqué sur le col de l'utérus d'une femelle de l'espèce humaine. Une telle utilisation est considérée comme une utilisation purement personnelle et privée faite par les femmes elles-mêmes. Il n'existe aucune entreprise industrielle proposant aux femmes d'appliquer les composés à leur place.
III. Un recours, accompagné du paiement de la taxe prévue, a été formé le 15 octobre 1992. Le mémoire exposant les motifs du recours, reçu le 19 décembre 1992, contenait une revendication supplémentaire (revendication 11) présentée en réponse à la suggestion de la division d'examen d'ajouter une revendication du type de celles qui sont normalement utilisées pour la protection d'une deuxième application thérapeutique.
IV. Lors de la procédure orale qui s'est tenue le 9 novembre 1994, la Chambre a émis des doutes quant à la question de savoir si la manière dont la revendication supplémentaire avait été rédigée était appropriée en l'espèce, car au dire même du requérant, l'utilisation contraceptive dans le cas présent n'était pas de nature médicale et le type spécial de revendication d'application admise par la Grande Chambre de recours pour d'autres applications thérapeutiques dans la décision G 6/83 (JO OEB 1985, 67) semblait moins clair en l'espèce que ne l'aurait été une revendication normale portant sur un procédé de fabrication.
V. En réponse à ces objections, le requérant a déposé les revendications suivantes comme requête principale :
"1. Composés de formule générale
FORMULE
où n est un nombre de 1 à 6, et où R1 et R2 représentent chacun un groupe alcoyle de 1 à 4 atomes de carbone, et leurs sels d'addition acides.
2. N-(diméthylaminoéthyl-2)-trioxodécahydronaphthalène-1,3,8- carboxamide-2 et ses sels d'addition acides.
3. Composition comprenant un composé selon la revendication 1 ou 2 et un vecteur non toxique.
4. Composition selon la revendication 3, sous la forme d'une crème ou d'une pommade.
5. Utilisation d'une composition selon les revendications 3 ou 4, destinée à être appliquée sur le col de l'utérus d'un mammifère femelle capable de concevoir.
6. Composés selon les revendications 1 ou 2, où les sels d'addition acides sont pharmaceutiquement acceptables, pour être utilisés en vue d'épaissir le mucus gastro-intestinal, en tant qu'agent anti- ulcéreux.
7. Composés selon la revendication 6, où le mucus gastro-intestinal est oesophagien, stomacal ou duodénal.
8. Composés selon la revendication 1 ou 2, où les sels d'addition acides sont pharmaceutiquement acceptables, pour traiter la colite ou la diverticulite.
9. Composés selon la revendication 1 ou 2, où les sels d'addition acides sont pharmaceutiquement acceptables, pour être appliqués sur l'oeil, en vue de traiter la "sécheresse oculaire".
10. Procédé de préparation d'une composition contraceptive par l'association d'un composé selon la revendication 1 ou 2 avec un vecteur non toxique."
VI. En ce qui concerne la recevabilité de la revendication 5, le requérant a essentiellement développé les arguments suivants :
L'objectif de la CBE est de s'assurer que les demandeurs dispensent un enseignement technique adéquat en échange du monopole qui leur est accordé. Il est de bon sens de considérer que si une composition contraceptive est mise dans le commerce et que sa nouveauté réside dans une utilisation nouvelle, il y a lieu d'admettre une revendication qui permettrait au titulaire du brevet d'engager une action en se fondant sur elle. Les dispositions relatives à la contrefaçon indirecte en vigueur dans de nombreux Etats contractants permettent au titulaire du brevet d'interdire aux tiers de fournir des moyens de mise en oeuvre de l'invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, même si le consommateur final utilise l'invention à titre privé.
Eu égard à l'unique objection, soulevée au titre de l'article 57 CBE, l'utilisation d'un contraceptif est susceptible d'application industrielle, car l'application d'une crème contraceptive pourrait constituer un service rémunéré, par exemple si la crème est appliquée par une prostituée qui demande à son client un prix incluant un contraceptif, ou par une infirmière appliquant le contraceptif à une femme handicapée incapable de l'appliquer elle- même. Peu importe que ces utilisations aient lieu à petite échelle, puisque l'article 57 CBE ne fixe aucune condition quant à l'importance de l'industrie concernée, pas plus qu'il ne stipule que l'utilisation à titre privé ne puisse être commerciale. "Privé" ne signifie pas "non commercial". Ainsi, un réacteur nucléaire peut être considéré comme privé. Aucun problème ne se pose si une personne ne peut être attaquée en justice pour une utilisation privée et non commerciale. Les utilisations privées, non commerciales n'affectent pas l'applicabilité industrielle dès lors qu'il existe des applications industrielles. Maintes inventions se rapportant aux besoins quotidiens sont utilisées à titre privé et il n'y a pas lieu d'en restreindre la brevetabilité. Enfin, il n'est pas nécessaire que l'utilisation industrielle soit déjà connue ; les utilisations industrielles auxquelles la prétendue invention peut donner lieu à l'avenir doivent également être prises en considération.
VII. Le requérant a demandé que la décision attaquée soit annulée et qu'un brevet soit délivré sur la base des revendications 1 à 10 selon la requête principale présentée lors de la procédure orale. A titre subsidiaire, il a demandé qu'un brevet soit délivré sur la base de la requête subsidiaire, dans laquelle la revendication 5 de la requête principale a été supprimée.
VIII. Au terme de la procédure orale, la Chambre a rendu une décision faisant droit à la requête subsidiaire.
Motifs de la décision
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 et à la règle 64 CBE ; il est donc recevable.
2. Requête principale
2.1 L'objet de la revendication 6 actuelle, où est spécifiée l'application thérapeutique, se fonde sur les lignes 25 à 27 de la page 7 de la description telle que déposée à l'origine. La revendication supplémentaire relative à la préparation d'une composition contraceptive (revendication 10 actuelle) se fonde sur le paragraphe qui chevauche les pages 6 et 7 de la description telle que déposée à l'origine et sur lequel s'appuient également les revendications 3 et 4 actuelles présentées lors de la procédure devant l'instance du premier degré. Les revendications sont donc conformes aux exigences de l'article 123(2) CBE.
2.2 La première question qui se pose est de savoir si l'objet de la revendication 5 est susceptible d'application industrielle au sens de l'article 57 CBE.
Le requérant n'a pas réfuté l'objection soulevée par la division d'examen selon laquelle l'application d'un contraceptif sur le col de l'utérus de la femme constitue une utilisation purement personnelle qui ne satisfait pas aux exigences de l'article 57 CBE.
2.2.1 La Chambre se range à l'avis du requérant, qui considère que le principe selon lequel il y a lieu de protéger de façon appropriée les inventions techniques peut être déduit de la CBE. Celles-ci doivent cependant répondre aux critères généraux énoncés à l'article 52(1) CBE, à savoir être nouvelles, impliquer une activité inventive et être susceptibles d'application industrielle, comme l'a notamment rappelé la Grande Chambre de recours dans sa décision G 6/83 (JO OEB 1985, 67). En d'autres termes, le principe général de la brevetabilité n'est applicable que si la prétendue invention est susceptible d'application industrielle.
2.2.2 Le requérant a invoqué certaines dispositions régissant la contrefaçon dans plusieurs Etats contractants et permettant, conformément à l'article 26 de la Convention sur le brevet communautaire, de se protéger contre la contrefaçon indirecte. Tout tiers fournissant des moyens de mise en oeuvre d'une invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci accomplit un acte commercial et n'est pas habilité à exploiter l'invention, même si l'utilisateur final agit dans un cadre privé et à des fins non commerciales (art. 26(3), 27(a) CBC). Par conséquent, la dérogation accordée à l'utilisateur privé final ne s'étend pas à l'utilisateur indirect qui vend des moyens permettant d'utiliser l'invention. Toutefois, ce n'est pas parce que l'utilisateur indirect est soumis aux effets du brevet que l'utilisateur final agit forcément à des fins commerciales.
2.2.3 La Chambre estime avec le requérant qu'une méthode de contraception n'est pas en soi exclue de la brevetabilité en vertu des dispositions relatives à l'application industrielle énoncées aux articles 57 et 52(4), première phrase CBE. La grossesse n'étant pas une maladie, sa prévention ne constitue en général pas un traitement thérapeutique au sens de l'article 52(4) CBE (cf. décision T 820/92, JO OEB 1995,113). Il semble être largement admis dans les Etats contractants que de telles méthodes sont susceptibles d'application industrielle (demande Schering AG (1971) R.P.C. 337 (P.A.T) ; Bruchhausen in Benkard, 9e édition 1993, § 5 PatG, point 13 ; Cour d'appel de Paris, 24 septembre 1984, PIBD 1984 III, 251). Il ne suffit cependant pas que de telles méthodes soient susceptibles d'application industrielle en général. Il faut que l'invention telle que revendiquée en l'espèce satisfasse aux conditions énoncées à l'article 57 CBE.
2.2.4 La méthode selon la revendication 5 est destinée à être appliquée par la femme elle-même. Le requérant lui-même n'a pas contesté le fait qu'une telle application n'est pas normalement liée à une industrie au sens de l'article 57 CBE. Néanmoins, il estime que l'applicabilité industrielle est établie dans les deux exemples qu'il cite, dans lesquels la méthode serait mise en oeuvre dans le cadre d'une industrie.
2.2.5 Ces exemples ne sont pas convaincants.
2.2.5.1 Dans le cas de la prostituée, le requérant évoque "la plus vieille industrie au monde". Comme dans le domaine de la propriété industrielle, le terme "industrie" s'entend généralement dans l'acception la plus large (article premier (3) Convention de Paris), une interprétation aussi libérale est également applicable à l'article 57 CBE. Cependant, la question décisive n'est pas de savoir si le métier de prostituée est une industrie, mais si l'application sur le col de l'utérus d'une composition contraceptive par une prostituée relève d'une industrie. Ce n'est pas le cas. L'application sur le col de l'utérus d'une composition contraceptive telle que revendiquée ne fait pas partie de la relation d'affaires entre la prostituée et son client, et le contrat qui les lie ne couvre pas la question de savoir quel moyen contraceptif elle utilise. Elle est libre de choisir, en toute responsabilité, le moyen qui lui convient, compte tenu de critères tels que la tolérance ou la fiabilité. Cela est vrai au moins tant que le client n'est pas directement concerné ; si la prostituée appliquait des moyens contraceptifs à son client, leur utilisation pourrait relever de la relation d'affaires. Tant qu'elle les applique à elle-même et qu'elle se protège indépendamment du contact avec le client, ce dernier n'est nullement concerné et l'application reste dans le cadre privé et personnel de la prostituée.
Une prostituée peut avoir un intérêt professionnel à ne pas tomber enceinte afin de pouvoir poursuivre son activité. Ce n'est toutefois ni la raison unique, ni la raison principale pour laquelle elle utilise un contraceptif. Elle a sérieusement intérêt à ne pas tomber enceinte d'un client, pour des raisons purement privées et personnelles, sa vie ultérieure pouvant en être affectée bien plus que par une incapacité temporaire d'exercer. De même, ses perspectives professionnelles peuvent être compromises par une grossesse résultant d'une relation non professionnelle. Néanmoins, l'on peut difficilement considérer que l'utilisation d'un contraceptif dans une relation privée revêt un caractère industriel. Cela montre que le simple motif à la base de l'utilisation d'un contraceptif est d'une importance secondaire lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a application industrielle.
2.2.5.2 L'exemple de l'infirmière qui applique la crème contraceptive à une personne handicapée est différent dans la mesure où une autre personne participe à l'application. Le fait que cette dernière agisse à titre professionnel ne suffit pas à faire de l'application du contraceptif une activité industrielle. L'infirmière met un moyen contraceptif à la disposition de la personne handicapée non pas dans le cadre d'une industrie, mais pour l'aider à satisfaire ses besoins strictement personnels. Il s'ensuit que la nature de l'activité n'est pas modifiée par le fait qu'elle n'est pas exercée par la femme handicapée, mais par une personne lui prêtant assistance selon ses instructions. C'est en cela que la présente affaire se distingue des cas de traitement esthétique, pour lesquels la Chambre a considéré qu'il est satisfait aux exigences de l'article 57 CBE au motif qu'il existe des entreprises dont l'objet consiste à embellir le corps humain (T 144/83, JO OEB 1986, 301).
2.2.6 Dans le souci de départager les activités industrielles, où les effets produits par les brevets doivent être respectés, et les activités privées et personnelles, qui ne doivent pas pâtir de l'exercice de ces droits, la Chambre a tenu compte du fait que l'article 57 CBE pouvait être considéré comme l'expression du principe général selon lequel toute personne physique a droit au respect de sa vie privée. Nul ne peut être privé de ce droit. Par conséquent, le fait que pour certaines femmes, la contraception est liée à des activités professionnelles ne confère pas un caractère industriel à un acte qui, dans son essence, revêt un caractère privé et personnel. Il est à noter que ceci ne s'applique pas à la contraception en général, mais au cas bien précis de l'application d'une composition selon la revendication 5.
Il est sans importance en l'espèce que les droits attachés au brevet soient destinés à n'être opposés qu'aux utilisateurs indirects. La Chambre n'a pu relever aucun domaine d'application industrielle se prêtant à l'utilisation directe définie à la revendication 5, pour laquelle il doit être satisfait aux exigences de l'article 57 CBE.
Il n'est pas nécessaire de répondre à la question de savoir s'il suffirait qu'une application industrielle soit escomptée pour l'avenir. Même si la Chambre se rangeait à l'avis du requérant en la matière, une simple allégation non motivée ne suffirait pas. En l'absence d'indication précise, la Chambre ne peut considérer que les conditions énoncées à l'article 57 CBE sont remplies.
Par conséquent, il ne peut être délivré de brevet sur la base de la revendication principale.
3. Revendication subsidiaire
3.1 Les revendications initiales 1 à 8 n'ont suscité aucune objection dans le rapport d'examen préliminaire international. Dans sa notification en date du 24 juillet 1992, la division d'examen a déclaré qu'un brevet pouvait être délivré sur la base de ces revendications si la revendication d'utilisation (revendication 3 initiale) était reformulée. Cette revendication ne fait pas partie de la requête subsidiaire. Dans sa décision, la division d'examen n'a soulevé aucune objection à l'encontre des revendications 3 et 4 telles que déposées par lettre en date du 3 août 1992, qui portaient sur des compositions contenant les composés selon les revendications 1 et 2.
3.2 La Chambre a examiné ces revendications telles que modifiées lors de la procédure de recours. La revendication 5 selon la requête principale ne figurant pas dans cette requête, la Chambre n'a trouvé aucun motif d'objection. Il n'y a pas non plus d'objection en ce qui concerne la seule nouvelle revendication qui a été présentée lors de la procédure de recours, revendication portant sur la préparation d'une composition contraceptive (revendication 5 de la requête subsidiaire), et qui doit être appréciée eu égard aux conditions de fond de la même manière que les revendications de produit portant sur les compositions. En ce qui concerne les revendications 6 et 7, la page 7 de la description a été modifiée afin d'étayer formellement un élément initialement divulgué dans les revendications.
3.3 En conclusion, la Chambre estime que la demande selon la requête subsidiaire et l'invention sur laquelle elle porte remplissent les conditions de la CBE.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré afin de délivrer un brevet dans la version suivante :
Description :
Pages 1 à 6, 8 à 17 telles que déposées à l'origine
Page 7 telle que déposée lors de la procédure orale
Les revendications 1 à 9 telles que présentées lors de la procédure orale à titre de requête subsidiaire.