T 0365/99 (Lipopolyaminoacides/GIVAUDAN-LAVIROTTE) 23-07-2002
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Lipopolyaminoacides, leur procédé de préparation et leurs applications
Requête principale et requêtes auxiliaires 1 et 2 : activité inventive (non) - solution évidente
Recevabilité du motif d'opposition selon l'article 56 (oui)
Exposé des faits et conclusions
I. La requérante (opposante) a formé recours contre la décision de la Division d'opposition signifiée le 1. mars 1999 rejetant, en vertu de l'article 102(2) CBE, l'opposition formée à l'encontre du brevet européen n° 0 593 506 (numéro de dépôt 92 911 537.6).
II. Le brevet européen a été délivré avec un jeu de dix-neuf revendications, les revendications indépendantes 1, 8, 9, 10, 12 à 14 s'énonçant comme suit :
"1. Lipopolyaminoacides consistant en un mélange d'acides aminés obtenu par hydrolyse totale d'une protéine, lesdits acides aminés étant N-acylés par un radical acyle en C4-C30, caractérisé en ce que la protéine est issue d'un tourteau d'une plante oléagineuse".
"8. Procédé de préparation d'un lipopolyaminoacide selon l'une des revendications 1 à 7 caractérisé en ce qu'on hydrolyse totalement une protéine issue d'un tourteau d'une plante oléagineuse en milieu acide de sorte à obtenir un mélange d'acides aminés, on N-acyle lesdits acides aminés, et le cas échéant, on fait réagir les acides aminés N-acylés avec une base minérale ou organique ou un dérivé métallique en vue de former un sel correspondant".
"9. Composition cosmétique caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides selon l'une des revendications 1 à 7".
"10. Composition alimentaire caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides selon l'une des revendications 1 à 7".
"12. Composition détergente caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides selon l'une des revendications 1 à 7".
"13. Composition destinée à l'agriculture caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides selon l'une des revendications 1 à 7, notamment en tant qu'agent de protection contre les parasites, les bactéries et les champignons et/ou agent de stimulation de la croissance des plantes".
"14. Médicament caractérisé en ce qu'il contient des lipopolyaminoacides selon l'une des revendications 1 à 7".
III. L'opposition tendait à la révocation du brevet dans sa totalité pour les motifs énoncés à l'article 100 a) CBE, c'est-à-dire que son objet n'était pas nouveau au sens de l'article 54(1)(2) CBE et n'impliquait pas d'activité inventive au sens de l'article 56 CBE. Ces objections s'appuyaient sur les documents suivants :
(1) DE-A- 1 695 498
(2) DE-A- 3 637 683
(3) FR-A- 2 403 024
(4) US-A- 3 985 722
IV. Dans sa décision, la Division d'opposition a, en premier lieu, constaté que l'opposition satisfaisait aux conditions de la règle 55 CBE (cf. point 1 des motifs).
L'objet de la revendication 1 était nouveau car ni le document (1), ni le document (3) ne décrivait des lipopolyaminoacides obtenus par un procédé mettant en oeuvre comme source de protéine, une protéine issue d'une plante oléagineuse.
En ce qui concerne l'activité inventive, la Division d'opposition a considéré qu'au vu du document (1) pris comme art antérieur le plus proche, le problème technique à résoudre consistait à obtenir une amélioration du pouvoir mouillant des lipopolyaminoacides. L'exemple N°4 du brevet démontrait qu'un meilleur pouvoir mouillant était obtenu par le mélange B (selon l'invention) par rapport au mélange D (lipopolyaminoacides issus d'une protéine animale). Aucun des documents cités n'aurait suggéré à l'homme du métier d'utiliser des protéines issues d'une plante oléagineuse pour l'obtention d'une telle amélioration du pouvoir mouillant. La solution du problème technique n'était donc pas évidente.
V. Une procédure orale devant la Chambre a eu lieu le 23. juillet 2002. L'intimée (titulaire du brevet) avait au préalable informé la Chambre qu'elle n'y prendrait pas part. La procédure a été en conséquence poursuivie en son absence conformément aux dispositions de la Règle 71(2) CBE.
VI. Pendant la phase écrite de la procédure de recours, l'intimée a déposé deux requêtes auxiliaires :
En tant que première requête auxiliaire, un nouveau jeu de dix-huit revendications dont la revendication 1 s'énonce comme suit :
"1. Lipopolyaminoacides consistant en un mélange d'acides aminés obtenu par hydrolyse totale d'une protéine, lesdits acides aminés étant N-acylés par un radical acyle en C4-C30, caractérisés en ce que la protéine est issue d'un tourteau d'une plante oléagineuse et en ce que l'hydrolyse totale de la protéine est réalisée sans séparation préalable du dit tourteau".
L'objet des revendications 2 à 18 est respectivement identique à celui des revendications 3 à 19 telles que délivrées.
En tant que seconde requête auxiliaire, un nouveau jeu de dix-sept revendications dont les revendications indépendantes 1, 7, 8, 10 à 12 s'énoncent comme suit :
"1. Procédé de préparation de lipopolyaminoacides caractérisé en ce qu'on hydrolyse totalement une protéine issue d'un tourteau d'une plante oléagineuse en milieu acide de sorte à obtenir un mélange d'acides aminés, on amène le pH à une valeur comprise entre 8 et 11 au moyen d'une base, on N-acyle lesdits acides aminés par un radical acyle en C4-C30 et, le cas échéant, on fait réagir les acides aminés N-acylés avec une base minérale ou organique ou un dérivé métallique en vue de former un sel correspondant, et caractérisé en ce que l'hydrolyse totale de la protéine est réalisée sans séparation préalable dudit tourteau".
"7. Composition cosmétique caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides obtenus par le procédé selon l'une des revendications 1 à 6".
"8. Composition alimentaire caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides obtenus par le procédé selon l'une des revendications 1 à 6".
"10. Composition détergente caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides obtenus par le procédé selon l'une des revendications 1 à 6".
"11. Composition destinée à l'agriculture caractérisée en ce qu'elle contient des lipopolyaminoacides obtenus par le procédé selon l'une des revendications 1 à 6, notamment en tant qu'agent de protection contre les parasites, les bactéries et les champignons et/ou agent de stimulation de la croissance des plantes".
"12. Médicament caractérisé en ce qu'il contient des lipopolyaminoacides obtenus par le procédé selon l'une des revendications 1 à 6".
VII. Les arguments présentés par la requérante lors de la procédure écrite et pendant la procédure orale peuvent se résumer comme suit :
L'expression "plante oléagineuse", utilisée dans la revendication 1, n'est pas une caractéristique distinctive car toutes les plantes contiennent des matières oléagineuses, à savoir des huiles, et sont donc des "plantes oléagineuses". Le document (1), qui mentionne les plantes comme sources de protéines, détruit donc la nouveauté des revendications 1 de la requête principale et de la première requête auxiliaire.
En ce qui concerne l'activité inventive, la requérante a contesté que les résultats obtenus lors des essais décrits dans l'exemple N°4 du brevet révélassent une amélioration quelconque du pouvoir mouillant des lipopolyaminoacides en fonction de l'origine des protéines dont les aminoacides sont issus. En effet, on pouvait observer, de la comparaison des mélanges comparatifs D et C, que le remplacement du cation "sodium" par le cation "triethanolamine" conduisait à une diminution du pouvoir mouillant d'un facteur 2,3. On pouvait en déduire que le remplacement dans le mélange B selon l'invention du cation "sodium" par le cation "triethanolamine" entraînerait une diminution importante du pouvoir mouillant rendant un tel mélange comparable, en termes de pouvoir mouillant, au mélange D. Par ailleurs, de la comparaison des mélanges A et B, selon l'invention, il apparaissait que le remplacement, en tant que groupe acyle, du mélange d'acides gras issu de l'huile de coco qui contient 45 à 51 % en poids d'acide laurique comme l'atteste le document
(5) Römpp Chemie Lexikon, 9. Auflage, 1990, Seite 2294,
par l'acide laurique, entraînait une augmentation de 50% du pouvoir mouillant. On pouvait en déduire que le remplacement dans le mélange D comparatif du mélange de cocoyl par l'acide laurique entraînerait une augmentation importante du pouvoir mouillant rendant un tel mélange comparable, en termes de pouvoir mouillant, aux mélanges revendiqués.
Aucun effet inattendu n'ayant été démontré, le choix d'une protéine issue d'une plante oléagineuse résultait d'expériences de routine. L'objet des trois requêtes était ainsi dénué d'activité inventive au vu des documents (1), (3) et (4).
VIII. Lors de la phase écrite de la procédure de recours, l'intimée a affirmé que le terme "plante oléagineuse" définissait une catégorie particulière de plantes comme l'indiquait le document
(6) "Dictionnaire de la langue Française", Larousse 1979,
ce qui conférait la nouveauté au brevet en cause.
Par ailleurs, elle a contesté la recevabilité du motif d'opposition selon l'Article 56 CBE, comme déjà lors de la procédure d'opposition. Selon elle, l'opposante se serait contenté d'invoquer succinctement les documents à l'encontre des revendications 12 et 15 à 19 et d'indiquer que les sources de protéines végétales énoncées dans la revendication 3 étaient connues de l'homme du métier. Mais rien n'aurait été avancé à l'encontre des revendications 1, 2, 4 à 11, 13 et 14. Conformément aux décisions T 222/85 (JO OEB 1988, 128, point 4 des motifs), T 925/91 (JO OEB 1995, 469, point 2.2 des motifs) et T 182/89 (JO OEB 1991, 391, point 3.4 des motifs), l'exposé des faits et justifications concernant l'absence d'activité inventive s'avérait ainsi insuffisant pour permettre de comprendre l'argumentation de l'opposante.
Pour le cas où la Chambre admettrait le motif d'opposition selon l'Article 56 CBE, les motifs de la décision de la Division d'opposition devaient être approuvés. De plus, l'argumentation de la requérante relèverait d'un raisonnement a posteriori, en ce sens que l'homme du métier dans le domaine de la cosmétique ne se serait détourné des protéines animales qu'après l'apparition de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine de 1993, soit bien après le dépôt du présent brevet.
IX. La requérante a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
L'intimée a demandé le rejet du recours, ou sinon que l'affaire soit renvoyée à la première instance sur la base de la première requête auxiliaire déposée lors de la procédure écrite, ou encore que le brevet soit maintenu sur le fondement de la seconde requête auxiliaire déposée lors de la procédure écrite.
X. La décision de la Chambre a été prononcée à la fin de la procédure orale.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
Requête principale
2. Recevabilité du motif d'opposition selon l'Article 56 CBE (Règle 55(c) CBE)
2.1. L'intimée a affirmé tant devant la Division d'opposition que devant la Chambre que le motif d'opposition selon lequel le brevet serait dépourvu d'activité inventive n'était pas suffisamment étayé dans l'acte d'opposition et a demandé à la Chambre de conclure à l'irrecevabilité de ce motif.
2.2. En vertu de la Règle 55 c) CBE, l'acte d'opposition doit comprendre trois éléments :
- une déclaration précisant la mesure dans laquelle le brevet européen est mis en cause par l'opposition,
- les motifs sur lesquels l'opposition se fonde,
- les faits et justifications invoqués à l'appui de ces motifs.
2.3. Il n'est en l'espèce pas contesté que la requérante ait dans l'acte d'opposition demandé la révocation du brevet dans sa totalité sur la base de l'Article 100a) CBE tant pour défaut de nouveauté qu'absence d'activité inventive en se référant aux document (1) à (4).
2.4. La Chambre convient avec l'intimée que les motifs tirés du défaut de nouveauté et de l'absence d'activité inventive sont juridiquement distincts (cf. G 1/95, JO OEB 1996, point 7.1 des motifs). Cela n'exclut pour autant pas qu'ils se puissent appuyer sur des faits identiques.
2.5. L'acte d'opposition, après l'indication de ces deux motifs d'opposition, contient une analyse détaillée des documents (1) à (4) citant précisément les passages susceptibles d'être pertinents, suivie d'une argumentation mettant individuellement en cause la nouveauté des revendications 1, 2, 4 à 6, 8 à 11, 13 et 14. par référence aux documents (1) et (3). Suit une argumentation relative à l'absence d'activité inventive qui mentionne, en préambule, que pour autant que l'objet du brevet ne soit pas anticipé, il serait en tout cas dépourvu d'activité inventive et qui, ensuite, fait valoir des arguments susceptibles de remettre en cause l'objet des revendications 3, 12, 15 à 19, c'est-à-dire les revendications non mentionnées dans l'argumentation concernant l'objection de défaut de nouveauté.
2.6. La Chambre ne partage pas l'avis de l'intimée selon lequel le motif d'absence d'activité inventive n'aurait été étayé, et encore de manière succincte, que pour les seules revendications 12 et 15 à 19. En effet, l'opposante a souligné dans son analyse des documents, et dans son argumentation sur la nouveauté, que l'invention revendiquée était anticipée dans ses caractéristiques structurelles comme dans les différents objectifs qu'elle visait. De ce fait, on en pouvait déduire sans la moindre équivoque le motif d'absence d'activité inventive des revendications 1, 2, 4 à 6, 8 à 11, 13 et 14. Dans le cas présent où l'analyse des documents est parfaitement compréhensible, le seul fait de mentionner que pour autant que l'objet du brevet ne soit pas anticipé, il serait néanmoins dépourvu d'activité inventive est suffisant pour rendre l'objection d'absence d'activité inventive motivée et par tant admissible.
2.7. Dans le cas d'espèce, une argumentation insuffisante ou même une absence d'argumentation vis-à-vis de certaines des revendications serait seulement susceptible de remettre en cause le bien-fondé du motif d'opposition et non pas sa recevabilité.
2.8. Cette situation diffère de celle ayant conduit à la décision T 222/85 (JO OEB 1988, 128) reprise dans la décision T 925/91 (JO OEB 1995, 469) car dans celle-ci l'opposante avait cité seize documents sans indiquer les passages portant atteinte à la nouveauté ou à l'activité inventive. Dans la présente affaire, la requérante a au contraire analysé en détail les documents cités (cf. point 2.5 ci-dessus). La décision T 182/89 (JO OEB 1991, 391) quant à elle concerne la recevabilité du motif selon l'Article 100 b) CBE et ne saurait par tant s'appliquer au cas de l'espèce.
3. Nouveauté - Article 54 (1)(2) CBE
3.1. Le document (1) concerne des acylats d'hydrolysats de protéines, exempts de peptides, utiles pour la réalisation de compositions thérapeutiques, dermatologiques ou cosmétiques. Le groupe acyle répond à la formule RCO- dans laquelle R est un reste aliphatique comprenant 6 à 29 atomes de carbone (cf.page 1 et revendication 1). Parmi les protéines sont citées les protéines issues de plantes (cf. page 1 et revendication 2) de même que les protéines d'origine animale (cf. page 1 et revendication 3). Les exemples concernent uniquement les dérivés acylés des hydrolysats de caséine, de collagène et de kératine.
3.2. Le document (3) concerne des compositions destinées à l'agriculture contenant comme agent de traitement au moins un sel de métal non alcalin d'un lipoaminoacide de formule :
(R-COHN-CH-COO) M || R'
dans laquelle :
- R est un radical d'acides gras,
- R' est un atome d'hydrogène ou un radical d'aminoacide.
(cf. revendication 1)
L'acide aminé peut être un seul acide aminé ou un mélange d'acides aminés issu de l'hydrolyse totale ou partielle de protéines de toutes origines (cf. page 2, lignes 23-26). Parmi les hydrolysats de protéines sont cités les hydrolysats issus de l'hydrolyse du collagène et de la kératine (cf. page 4, lignes 11-12 et 15).
3.3. Le mélange de lipopolyaminoacides revendiqué (cf. revendication 1, point II ci-dessus) est défini par son procédé d'obtention. La revendication en cause est une revendication dans laquelle le produit est défini par référence à un procédé permettant de le fabriquer ; conformément à la jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB, elle doit être interprétée comme une revendication portant sur le produit en tant que tel puisque la référence au procédé n'est qu'un moyen destiné à caractériser l'objet revendiqué qui est un produit.
3.4. Le seul argument présenté par la requérante consiste à soutenir que l'expression "plante oléagineuse", utilisée dans la revendication 1, ne serait pas une caractéristique distinctive car toutes les plantes contiendraient des huiles et seraient ainsi des "plantes oléagineuses", ce qui rendrait le document (1), qui mentionne les plantes comme sources de protéines, destructeur de nouveauté.
3.5. Cependant au vu du document (6) soumis par l'intimée, la Chambre estime que dans le domaine technique considéré l'expression "plantes oléagineuses" a une signification précise définissant un sous-groupe de plantes dont on tire les matières grasses alimentaires ou industrielles. Il s'agit donc bien d'une caractéristique distinctive qui n'est pas équivalente au terme "plante". Le document (1), pas plus d'ailleurs que le document (3), ne désigne expressément un tel groupe de plantes.
3.6. De plus, force est de constater que la requérante n'a fourni à la Chambre aucun élément permettant de comparer les mélanges de lipopolyaminoacides obtenus par les procédé décrits dans les documents (1) et (3) et le mélange de lipopolyaminoacides revendiqué.
3.7. Ainsi, pour ces raisons, l'objet de la revendication 1 est-il nouveau vis-à-vis de l'état de la technique cité. Et dès lors que l'objet des revendications 2 à 19 comprend en tant que caractéristique les lipopolyaminoacides définis à la revendication 1, il s'ensuit que l'objet du brevet est nouveau vis-à-vis de l'état de la technique cité.
4. Article 56 CBE - Activité inventive
4.1. L'invention revendiquée concerne de nouveaux lipopolyaminoacides ainsi que leurs applications dans des domaines aussi variés que la cosmétique (revendication 9), l'alimentaire (revendication 10), les détergents (revendication 12), l'agriculture (revendication 13) et la médecine (revendication 14).
4.2. Selon l'approche "problème-solution" utilisée par les Chambres de recours, l'état de la technique le plus proche est normalement un document qui divulgue un objet conçu dans le même but ou visant à atteindre le même objectif que l'invention revendiquée (cf. La Jurisprudence des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, 4ème édition 2001, I.D.3.1). Il est vrai que le document (1) comme le document (3) peuvent satisfaire à cette condition puisque le premier (1) décrit des lipopolyaminoacides pour leur application dans le domaine thérapeutique, dermatologique et cosmétique, alors que le second (3) décrit des lipopolyaminoacides pour leur application dans le domaine agricole. Cependant, la Division d'opposition tout comme l'intimée et la requérante ont considéré le document (1) comme constituant l'état de la technique le plus proche. Il apparaît, par ailleurs, que la fonction en tant qu'agents tensio-actif des lipopolyaminoacides revendiqués, reflétée en particulier par leur pouvoir mouillant, trouve une application notable dans le domaine cosmétique (cf. brevet, page 2, lignes 27-28; page 3, lignes 44-49, 52-53 et 55-57; page 5, exemple N°. 4; page 7, exemples N°. 6, 9 et 10; page 8, exemple 11). La Chambre considère donc que le document (1) constitue l'état de la technique le plus proche et qu'il s'agit d'examiner en particulier l'activité inventive des lipopolyaminoacides revendiqués pour leur application dans le domaine cosmétique, c'est-à-dire l'activité inventive des revendications 1 et 9 (cf. point II ci-dessus).
4.3. L'intimée s'est référé dans ses conclusions aux motivations de la Division d'opposition (cf. point IV ci-dessus), à savoir que les lipopolyaminoacides revendiqués présentaient un pouvoir mouillant supérieur aux lipopolyaminoacides issus de protéines animales. Une telle amélioration était déjà mentionnée dans la demande de brevet telle que déposée et le brevet (cf. page 2, ligne 27 et exemple N°. 4). Selon l'exemple N°. 4, le pouvoir mouillant des lipopolyaminoacides suivants étaient mesurés selon le test AFNOR NFT 73406 sur des solutions aqueuses à 0.1% en poids de matière active :
- sel de sodium du lauroylpolyaminoacide de soja (A)
- sel de sodium du cocoylpolyaminoacide de soja (B) et à titre comparatif :
- sel de triethanolamine du cocoylpolyaminoacide de collagène (C)
- sel de sodium du cocoylpolyaminoacide de collagène (D).
Le temps mesuré, indicatif du pouvoir mouillant, est respectivement de 28 s pour (A), 43 s pour (B), 230 s pour (C) et 100 s pour (D). Ainsi plus le temps mesuré (en secondes) est faible, plus le pouvoir mouillant est élevé (cf. page 5, ligne 25 du brevet contesté).
4.4. La requérante n'a pas contesté la validité des résultats mais leur pertinence, c'est-à-dire que les résultats obtenus ne démontreraient aucun avantage lié aux lipopolyaminoacides revendiqués (cf. point VII ci-dessus). La Chambre considère que l'argumentation de la requérante est suffisamment étayée. En effet, on peut noter, de la comparaison des mélanges comparatifs D et C que le remplacement du cation "sodium" par le cation "triethanolamine" (cation explicitement mentionné dans la revendication dépendante 6) conduit à une diminution du pouvoir mouillant d'un facteur 2,3. On peut en déduire raisonnablement que le remplacement dans le mélange B selon l'invention du cation sodium par le cation triethanolamine entraînerait une diminution importante du pouvoir mouillant rendant en termes de pouvoir mouillant un tel mélange comparable au mélange D. Par ailleurs, de la comparaison des mélanges A et B selon l'invention, il apparaît que le remplacement, en tant que groupe acyle, du mélange d'acides gras issu de l'huile de coco qui contient 45 à 51% en poids d'acide laurique comme l'atteste le document (5) par l'acide laurique entraîne une augmentation de 50% du pouvoir mouillant. On peut en déduire que le remplacement dans le mélange D comparatif du mélange de cocoyl par l'acide laurique entraînera une augmentation importante du pouvoir mouillant rendant en termes de pouvoir mouillant un tel mélange comparable aux mélanges revendiqués. Dans ces conditions, la Chambre ne peut accepter que les résultats expérimentaux permettent d'établir, pour les lipopolyaminoacides conformes à l'invention en cause, un pouvoir mouillant supérieur à ceux de l'état de la technique le plus proche.
4.5. Bien que la requérante ait analysé en détail les pouvoirs mouillants relatifs des différents mélanges dans son mémoire d'appel, son argumentation n'a été complétée de manière convaincante qu'au cours de la procédure orale à laquelle l'intimée a choisi de ne pas participer (cf. point V ci-dessus). La Chambre est cependant en droit de prendre en compte l'ensemble de cette argumentation car il s'agit d'arguments et non pas de faits ou de moyens de preuve nouveaux non soumis aux débats contradictoires (cf. G 4/92, JO OEB 1994, Conclusion).
4.6. Contrairement aux conclusions de la Division d'opposition auxquelles l'intimée s'est référée, la Chambre estime donc qu'aucune amélioration du pouvoir mouillant n'a été démontrée pour l'ensemble des formes de lipopolyaminoacides revendiqués.
4.7. Une reformulation du problème technique à résoudre est donc nécessaire. Comme l'intimée n'a fait valoir aucun autre effet technique susceptible d'être pris en considération, le problème technique à résoudre au vu du document (1) est de proposer d'autres lipopolyaminoacides pour leur utilisation notamment dans le domaine cosmétique.
4.8. Au vu des exemples présents dans la description du brevet, la Chambre estime que le problème a été résolu pour tout le domaine revendiqué. Ceci ne fut pas contesté par la requérante.
4.9. Il s'agit donc de décider s'il aurait été évident pour un homme du métier de concevoir et de réaliser les lipopolyaminoacides revendiqués pour résoudre le problème technique formulé ci-dessus.
4.10. La Chambre ne peut suivre l'argumentation de l'intimée selon laquelle l'argumentation de la requérante relèverait d'un raisonnement a posteriori, en ce sens que l'homme du métier dans le domaine de la cosmétique ne se serait détourné des protéines animales qu'après l'apparition de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine de 1993, soit bien après le dépôt du présent brevet. En effet, l'examen de l'activité inventive doit s'appuyer sur l'état de la technique dont la définition est indiquée à l'article 54 (2) CBE. Les événements postérieurs à la date de dépôt du brevet ne sauraient être pris en considération.
4.11. Le document (1) enseigne que des lipopolyaminoacides consistant en un mélange d'acides aminés obtenu par hydrolyse totale d'une protéine végétale, lesdits acides aminés étant N-acylés par un radical acyle en C6-C29, peuvent être utilisés en cosmétique (cf. point 3.1 ci-dessus). Il existe donc pour un homme du métier une forte présomption qu'une classe ou catégorie particulière d'hydrolysats totaux de protéines végétales permette d'obtenir des lipopolyaminoacides ayant des propriétés cosmétiques comparables. Aucune information contenue dans l'état de la technique ne va à l'encontre de cette observation. L'homme du métier aurait donc été conduit sans effort inventif à choisir parmi les protéines végétales un sous groupe tel celui des protéines issues de plantes oléagineuses, comme matériau de départ pour l'obtention de lipopolyaminoacides, en vue de résoudre le problème technique défini ci-dessus (cf. point 4.7). Il s'ensuit que l'invention revendiquée dans la forme définie aux revendications 1 et 9 découle de manière évidente de l'état de la technique.
4.12. Pour cette raison, la requête principale est rejetée.
Première requête auxiliaire
5. Modifications - Article 123(2) (3) CBE
5.1. Le libellé de la revendication 1 de cette requête diffère de celui de la revendication 1 de la requête principale par la caractéristique selon laquelle "l'hydrolyse totale de la protéine est réalisée sans séparation préalable du dit tourteau". Cette modification est supportée par la demande de brevet telle que déposée (cf. page 2, ligne 19-20).
5.2. Il résulte de la description du brevet en cause que "lesdites protéines peuvent être hydrolysées alors qu'elles sont encore contenues dans le tourteau, ou préalablement à leur hydrolyse, être séparées dudit tourteau par des méthodes classiques" (page 2, lignes 36-37). Il s'ensuit que les revendications 1 de la requête principale et de la première requête auxiliaire, respectivement, définissent le même produit. La modification n'étend donc pas la protection du brevet.
6. Renvoi - Article 111(1) CBE
Comme les faits de la cause sont les mêmes, il n'y a aucune raison de renvoyer l'affaire à la Division d'opposition, contrairement à la requête de l'intimée (cf. point 5.2 ci-dessus).
7. Nouveauté - Article 54(1)(2)
L'objet de la première requête auxiliaire étant identique à celui de la requête principale, il est donc nouveau pour les mêmes raisons que celles déjà indiquées pour la requête principale (cf. point 3 ci-dessus).
8. Activité inventive - Article 56 CBE
8.1. Pour les raisons mêmes indiquées à l'occasion de l'examen de l'activité inventive de la requête principale, la Chambre conclut que l'objet des revendications 1 et 8 de la présente requête ne satisfait pas aux dispositions de l'article 56 CBE car il était évident pour un homme du métier au vu de l'enseignement du document (1) de concevoir des lipopolyaminoacides obtenus par hydrolyse totale de protéines issues de plantes oléagineuses en vue d'une application en cosmétique.
8.2. La première requête auxiliaire est rejetée.
Deuxième requête auxiliaire
9. Article 123(2) (3) CBE - Modifications
9.1. Les revendications 1 à 7 du brevet tel que délivré et concernant les lipopolyaminoacides ont été supprimées et remplacées par des revendications 1 à 6 concernant un procédé de préparation de lipopolyaminoacides, s'appuyant sur la revendication 8 du brevet (cf. point II ci-dessus), sur le contenu des revendications 3 à 7 avec, en outre, la mention que le pH est amené à une valeur comprise entre 8 et 11 au moyen d'une base avant acylation (cf. demande de brevet, page 3, lignes 21-22). Il n'y a donc pas d'objection selon l'article 123(2) CBE.
9.2. Par ailleurs, aucune caractéristique ne permet de distinguer le mélange de lipopolyaminoacides obtenu selon ce procédé des lipopolyaminoacides tels que définis à la revendication 1 de la requête principale. En effet, le brevet indique que "l'invention concerne un procédé de préparation de lipopolyaminoacides décrits ci-dessus", suivi précisément du procédé revendiqué dans cette requête. Il s'ensuit que le produit obtenu par le procédé de la revendication 1 de la deuxième requête auxiliaire est identique à l'objet de la revendication 1 de la requête principale et, de ce fait, la présente revendication 1 ne constitue pas une extension de la protection du brevet.
10. Nouveauté - Article 54(1)(2)
La nouveauté de l'objet de cette requête n'a pas été contestée par la requérante. La Chambre ne voit aucune raison de soulever ex officio un tel motif.
11. Activité inventive - Article 56 CBE
11.1. La revendication 7 a le même objet que la revendication 9 de la requête principale, du fait que les lipopolyaminoacides obtenus par le procédé revendiqué ne se distinguent pas des lipopolyaminoacides définis à la revendication 1 de la requête principale (cf. point 9.2 ci-dessus).
11.2. Pour les raisons mêmes indiquées à l'occasion de l'examen de l'activité inventive de la requête principale, la Chambre conclut que l'objet de la revendication 7 de la présente requête ne satisfait pas aux dispositions de l'article 56 CBE car il était évident pour un homme du métier au vu de l'enseignement du document (1) de concevoir des lipopolyaminoacides obtenus selon le procédé défini à la revendication 1 en vue d'une application en cosmétique.
11.3. La deuxième requête auxiliaire est rejetée.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. Le brevet est révoqué.