T 1989/07 28-07-2010
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Pneumatique à performance de bruit de roulement améliorée
I. Les requérantes (titulaires du brevet) ont formé un recours contre la décision de la division d'opposition de révoquer le brevet européen nº 1 075 968.
La division d´opposition a notamment estimé que l'objet de la revendication 1 telle que délivrée (requête subsidiaire 1) s'étendait au-delà du contenu de la demande telle que déposée (article 100 c) de la CBE).
II. Une procédure orale s'est tenue devant la Chambre le 28 juillet 2010.
Les requérantes ont demandé l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet européen tel que délivré (requête principale), ou à titre subsidiaire, sur la base des requêtes 1 à 3, déposées avec le mémoire exposant les motifs du recours. D'autre part, elles ont demandé le renvoi de l'affaire à la première instance pour poursuite de la procédure.
L'intimée (opposante) a sollicité le rejet du recours.
III. Le libellé de la revendication 1 telle que délivrée (requête principale) est le suivant :
"Pneumatique comportant un sommet prolongé par deux flancs et deux bourrelets, une carcasse ancrée dans les deux bourrelets, ledit sommet comprenant :
- au moins une nappe de renforcement composée de renforts parallèles et orientés selon un angle alpha relativement à la direction circonférentielle, et
- au moins une nappe de renforts orientés circonférentiellement enroulés en hélice,
caractérisé en ce que,
extraits du pneumatique vulcanisé, lesdits renforts orientés circonférentiellement possèdent un module initial inférieur à 900 cN/tex et développent une contrainte sous 3 % de déformation supérieure à 12 cN/tex."
IV. Au soutien de son action, les requérantes ont développé pour l'essentiel l'argumentation suivante :
La revendication 1 telle que délivrée (requête principale) est basée sur le libellé de la revendication 4 telle que déposée à l'origine, l'expression "dans ledit pneumatique, à l'état neuf" étant remplacée par "extraits du pneumatique vulcanisé". Cette nouvelle formulation a pour seul but de clarifier plus distinctement que les renforts conservent dans le pneumatique, c'est-à-dire après sa confection et sa vulcanisation, le comportement "bi-module" revendiqué. Elle trouve son support dans le paragraphe [0043] de la demande déposée à l'origine D0 : EP-A-1 075 968. L'objet de la revendication 1 telle que délivrée ne s'étend donc pas au-delà du contenu de la demande telle que déposée à l'origine.
V. L'intimée a réfuté l'argumentation des requérantes en faisant valoir pour l'essentiel ce qui suit :
Bien que la revendication 1 telle que délivrée reprenne en grande partie le libellé de la revendication 4 telle que déposée à l'origine, elle s'en distingue par la suppression de la caractéristique "dans ledit pneumatique, à l'état neuf" et son remplacement par la caractéristique "extraits du pneumatique vulcanisé".
La suppression du terme "dans ledit pneumatique, à l'état neuf" revient à éliminer une caractéristique qui a été présentée comme essentielle dans la demande D0 telle que déposée à l'origine en liaison avec la divulgation de l'invention (voir D0, paragraphe [0016] : "Il en résulte que les renforts mis en oeuvre dans le cadre de l'invention sont, dans le pneumatique vulcanisé, sur l'ensemble de la nappe, dans un état très proche de celui du renfort adhérisé avant sa mise en pneumatique"). La caractéristique "dans ledit pneumatique" est indispensable à la réalisation de l'invention eu égard au problème technique que celle-ci se propose de résoudre (voir D0, [0003]- [0005] et [0008] : réduction du bruit de roulement à basses vitesses) puisque ce n'est que "dans le pneumatique" que l'effet technique peut être obtenu. L'application du triple test d'essentialité mentionné au paragraphe C-IV, 5.3.10 des directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB confirme que la suppression de la caractéristique en question est contraire aux dispositions de l'article 123(2) de la CBE.
En ce qui concerne les propriétés des renforts, ces dernières présentent des différences importantes selon qu'elles sont mesurées sur des renforts qui sont "dans le pneumatique" ou des renforts "extraits du pneumatique". En effet, lors de la vulcanisation, les composants du pneumatique sont soumis à une température pouvant atteindre 180ºC et les renforts réagissent avec la matrice de caoutchouc par création de liaisons chimiques. Il en résulte que leurs propriétés sont intimement corrélées à celles de la matrice. De plus, lorsque les renforts sont extraits du pneumatique vulcanisé, il subissent un relâchement, ce qui modifie également leurs propriétés. Les valeurs citées dans la revendication 1 ne peuvent donc en aucun cas être les mêmes selon que les renforts sont "dans le pneumatique" ou "extraits du pneumatique".
Le paragraphe [0043] de la demande D0 cité par les requérantes ne peut servir de base à la revendication 1 du brevet car ce paragraphe se réfère uniquement à des mesures du potentiel de contraction à chaud. Concernant les courbes force-déplacement effectuées sur les tronçons extraits d'un pneumatique, l'expression "les résultats obtenus sont similaires à la courbe c de la figure 2" indique simplement qu'il existe une corrélation entre les valeurs après extraction du pneumatique et les valeurs avant la vulcanisation. Cette indication est trop vague pour remplir les standards exigés par l'article 123 (2) CBE et fixés par la jurisprudence. La description de la demande originale ne contient aucune indication précise sur les valeurs du module initial et de la contrainte développée sous 3% de déformation pour des renforts "extraits du pneumatique vulcanisé".
De même, l'argument des requérantes selon lequel il serait pratiquement impossible ou tout le moins extrêmement difficile de mesurer les valeurs revendiquées "dans le pneumatique", n'est pas pertinent. Seuls sont pertinents les critères légaux fixés par les textes et la jurisprudence. Par ailleurs, l'homme du métier est à même de mesurer les valeurs revendiquées par des moyens adéquats et de concevoir par des calculs de simulation un pneu comprenant des renforts dont le comportement serait prévisible et qui présenteraient ces valeurs.
D'autre part, l'introduction dans la revendication 1 de la caractéristique "extraits du pneumatique vulcanisé" conduit à une modification qui s'étend au-delà du contenu de la demande telle que déposée en raison du fait que cette caractéristique n'a pas été divulguée de manière isolée mais en liaison avec d'autres caractéristiques, en particulier la caractéristique selon laquelle "les renforts ne subissent aucune extension significative, liée à une conformation du pneumatique lors de sa confection ou lors de sa vulcanisation" (page 5, lignes 17-19 de la demande telle que déposée). Or, ces caractéristiques n'ont pas été introduites en combinaison alors qu'elles étaient fonctionnellement et structurellement étroitement liées. Ceci est contraire à la jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB.
1. Requête principale
1.1 L'intimée considère que la suppression de l'expression "dans le pneumatique, à l'état neuf" issue de la revendication indépendante 4 telle que déposée à l'origine, cette dernière ayant servi de base à la revendication 1 telle que délivrée, a conduit à la suppression d'une caractéristique essentielle de l'invention et donc à étendre l'objet revendiqué au-delà du contenu de la demande telle que déposée.
1.2 Il faut d'abord noter que le terme "dans le pneumatique, à l'état neuf" n'est pas une caractéristique technique proprement dite mais une expression qui précise les circonstances dans lesquelles les renforts doivent posséder les valeurs du module initial et de la contrainte développée sous 3% de déformation revendiquées dans la revendication 4 telle que déposée à l'origine. Il s'agit donc d'examiner comment l'homme du métier comprend cette expression dans le contexte de l'objet revendiqué et de l'ensemble de l'exposé de l'invention contenue dans la demande initiale D0 : EP-A-1 075 968.
1.3 Selon les paragraphes [0003] à [0005] et [0008] de la demande D0, l'invention se propose de fournir un pneumatique dont les performances de bruit de roulement à basse vitesse et de résistance à haute vitesse de roulage sont améliorées.
Conformément à la partie caractérisante de la revendication 4 telle que déposée, cet objectif est atteint par des renforts orientés circonférentiellement qui possèdent, dans le pneumatique, un module initial relativement faible, inférieur à 900 cN/tex, mais développent une contrainte supérieure à 12 cN/tex sous 3 % de déformation. Comme décrits dans D0, ces renforts, qui sont aussi appelés renforts "bi-modules", ont un comportement mécanique différent aux faibles déformations où ils présentent un module élastique relativement bas (module initial) et aux déformations plus grandes où ils développent des contraintes d'extension comparables à celles de renforts de haut module d'élasticité tels les renforts aramides ou métalliques. La demande telle que déposée D0 explique également comment de tels renforts permettent d'obtenir une diminution marquée du bruit de roulement à basse vitesse tout en ayant un haut niveau de résistance à haute vitesse (voir plus particulièrement page 3, lignes 5 à 11).
1.4 La divulgation D0 ne s'arrête pas là mais précise plus particulièrement en quoi l'invention se distingue de l'état de la technique. Ainsi, les paragraphes [0035] et [0036] précisent qu'il "est connu d'utiliser de tels renforts [renforts "bi-modules"] dans le pneumatique pour assurer une fonction de frettage du sommet par enroulement circonférentiel en spirale parce que leur faible module initial leur permet de supporter les déformations de conformation des pneumatiques lors de leur confection ou de leur vulcanisation. Cependant, l'usage et la mise en oeuvre qui en sont faits ici sont tout autres. Pour conserver le bénéfice du faible module initial dans le pneumatique vulcanisé, il convient de maîtriser la confection à cru de façon à éviter ou à contenir dans des limites faibles tout allongement provoqué par une conformation due au procédé de fabrication". Un fil conducteur que l'on retrouve tout au long de la demande D0 est que les renforts selon l'invention conservent leur faible module initial et leur capacité à développer la contrainte revendiquée après les étapes de confection du pneumatique comportant la vulcanisation à chaud (voir aussi, par exemple, le paragraphe [0016] : "Il en résulte que les renforts mis en oeuvre dans le cadre de l'invention sont, dans le pneumatique vulcanisé, sur l'ensemble de la nappe, dans un état très proche de celui du renfort adhérisé avant sa mise en pneumatique".
Pour l'homme du métier, il ressort de manière implicite du contenu de D0, en particulier des passages cités plus haut, que dans les pneumatiques selon l'état de la technique la propriété qu'avaient les renforts "bi-modules" connus à présenter un faible module initial est perdue lors de la confection de ces pneumatiques et ne se retrouve plus après leur vulcanisation. Dans le pneumatique selon l'invention, cette propriété est encore présente. C'est dans ces circonstances que l'expression "dans le pneumatique, à l'état neuf" de la revendication 4 initiale doit être comprise.
1.5 Afin de vérifier que l'intégralité des propriétés mécaniques des renforts "bi-modules", en particulier le faible module initial, se retrouvent dans les renforts du pneumatique selon l'invention après sa fabrication et donc après vulcanisation, la demande indique qu'il faut extraire les renforts du pneumatique vulcanisé pour mesurer leurs propriétés mécaniques, comme cela est décrit de manière exhaustive au paragraphe [0043] de la demande originale D0. Selon ce paragraphe [0043], "des courbes force-déplacement ont aussi été effectuées sur ces tronçons extraits d'un pneumatique. Les résultats obtenus sont similaires à la courbe c de la figure 2". Or la courbe c de la figure 2 est décrite dans D0 comme une courbe typique d'un renfort bi-module (voir paragraphe [0057] de D0).
1.6 Le paragraphe [0043] de D0 précise de plus que le potentiel de contraction à chaud (CS) des renforts dans le pneumatique vulcanisé est égal ou inférieur à leur potentiel de contraction à chaud (CS) avant leur incorporation dans le pneumatique. Cela veut dire que pendant toutes les opérations de confection du pneumatique, ces renforts ne subissent aucune extension significative, liée à une conformation du pneumatique lors de sa confection ou lors de sa vulcanisation (paragraphe [0042] de D0). Il n'existe donc pas de tendance au relâchement des renforts après leur extraction du pneumatique vulcanisé, relâchement qui se manifesterait par une plus grande contraction à chaud de ces derniers que leur contraction à chaud (CS) avant leur incorporation dans le pneumatique.
1.7 La Chambre ne partage pas l'opinion de l'intimée lorsqu'elle exclut la possibilité d'interpréter l'expression "dans le pneumatique, à l'état neuf" comme signifiant simplement que les valeurs du module initial et de la contrainte développée sous 3 % de déformation sont celles des renforts après la confection et la vulcanisation du pneumatique, par opposition aux valeurs des renforts avant leur incorporation dans le pneumatique et avant vulcanisation.
Il faut noter ici que le module initial et la contrainte développée sous 3 % de déformation, tous deux exprimés en cN/tex, sont des paramètres issus de l'industrie textile et spécifiquement développés pour définir les propriétés d'articles tels que des fils, tissus, cordage, tresses et autres... Dans le contexte de la demande D0, ils sont intrinsèques aux seuls renforts et, pour l'homme du métier, n'ont de sens que dans ce seul contexte. La demande initiale D0 ne divulgue, ni n'envisage aucun autre moyen de mesurer ces valeurs que par extraction des renforts du pneumatique vulcanisé. L'affirmation de l'intimée selon laquelle il serait possible pour le spécialiste du domaine des pneumatiques de mesurer le module initial et la contrainte développée sous 3 % de déformation des renforts lorsqu'ils sont intégrés dans la structure du pneumatique n'a absolument aucun fondement car l'existence d'une méthode permettant de dissocier les propriétés imputables aux renforts, des propriétés imputables à la matrice de caoutchouc ne ressort pas de l'état de la technique disponible.
1.8 D'après la Chambre, l'expression "extraits du pneumatique vulcanisé" dans la revendication 1 telle que délivrée ne fait que préciser comment s'obtiennent les valeurs revendiquées du module initial et de la contrainte développée sous 3 % de déformation des renforts dans le pneumatique vulcanisé, une précision qui, comme mentionné plus haut, a été divulguée dans la demande originale (paragraphe [0043]). La Chambre ne voit dans une telle précision qu'une clarification et une limitation de l'objet revendiqué par rapport à l'objet revendiqué dans la revendication 4 initiale. Une telle précision se rapporte au pneumatique en tant que produit fini et n'a pas de lien direct avec la confection ou la vulcanisation du pneumatique. Peut importe, dans ce contexte, que l'expression de la revendication originale 4 "dans ledit pneumatique à l'état neuf" pourrait en principe également impliquer d'autres méthodes de mesure desdites propriétés des renforts car le paragraphe [0043] de la demande originale divulgue de manière indubitable la mesure desdites propriétés par extraction des renforts.
1.9 La Chambre conclut de ce qui précède que l'objet de la revendication 1 telle que délivrée ne s'étend pas au-delà du contenu de la demande telle que déposée à l'origine (article 100 c) de la CBE 1973).
2. Renvoi devant la première instance
La division d'opposition ne s'est pas prononcée sur les autres motifs d'opposition (question de la brevetabilité selon l'article 100 a) de la CBE 1973 des objets revendiqués et question de la suffisance de l'exposé de l'invention selon l'article 100 b) de la CBE 1973). Compte-tenu de la requête présentée par les requérantes de renvoyer l'affaire à la division d'opposition, la Chambre, pour ne pas priver les requérantes de la possibilité de bénéficier de deux instances pour apprécier les questions en suspens, juge approprié dans ces circonstances, de faire usage du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 111 (1) de la CBE 1973 et de renvoyer l'affaire devant l'instance du premier degré.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée;
2. L'affaire est renvoyée à l'instance de premier degré afin de poursuivre la procédure sur la base de la requête principale.