T 1712/09 (Silice/RHODIA) 05-02-2013
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Silice précipitée utilisable comme charge renforçante pour élastomères
Suffisance d'exposé de l'invention: oui
Activité inventive (requête principale - procédé): non
Nouveauté (requête subsidiaire - produit): oui
Activité inventive (requêtes principale et subsidiaire - produit): oui
I. Les présents recours visent à contester la décision intermédiaire par laquelle la division d'opposition a maintenu le brevet européen 0 917 519 sur la base du jeu de revendications soumis à titre de requête subsidiaire au cours de la procédure orale du 13 mai 2009, la revendication 1 présentant le libellé suivant:
"1. Silice précipitée caractérisée en ce qu'elle possède :
- une surface spécifique BET comprise entre 185 et 250 m**(2)/g,
- une surface spécifique CTAB comprise entre 180 et 240 m**(2)/g,
- une distribution poreuse telle que le volume poreux V2 constitué par les pores dont le diamètre est compris entre 175 et 275 Å représente moins de 50% du volume poreux V1 constitué par les pores de diamètres inférieures ou égaux à 400 Å,
- un volume poreux (Vd1) constitué par les pores de diamètre inférieur à 1 mym supérieur à 1,65 cm**(3)/g,
- un indice de finesse (I.F.) compris entre 70 et 100 Å,
- un taux de fines (tauf), après désagglomération aux ultra-sons, d'au moins 50%."
II. Le brevet contesté avait été délivré sur la base d'un jeu de revendications dont la revendication 13 correspondait à la revendication ci-dessus et dont la revendication 1 présentait le libellé suivant:
"1. Procédé de préparation d'une silice précipitée selon l'une des revendications 13 à 25, du type comprenant la réaction d'un silicate avec un agent acidifiant ce par quoi l'on obtient une suspension de silice précipitée, puis la séparation et le séchage de cette suspension, caractérisé en ce que:
- on réalise la précipitation de la manière suivante:
(i) on forme un pied de cuve initial comportant au moins une partie de la quantité totale du silicate engagé dans la réaction et au moins un électrolyte, la concentration en silicate (exprimée en SiO2) dans ledit pied de cuve initial étant comprise entre 50 et 60 g/l;
(ii) on ajoute l'agent acidifiant audit pied de cuve jusqu'à l'obtention d'une valeur du pH du milieu réactionnel comprise entre 7 et 8,5;
(iii) on ajoute au milieu réactionnel de l'agent acidifiant et, le cas échéant, simultanément la quantité restante du silicate,
- la séparation comprend une filtration et un lavage à l'aide d'un filtre équipé d'un moyen de compactage,
- on sèche par atomisation une suspension présentant un taux de matière sèche inférieure à 17 % en poids."
III. Durant la phase d'opposition, les parties se sont notamment appuyées sur les documents suivants:
D1: WO 95/09127
D2: US 5 403 570
D3: Rapport expérimental établi par Dr. R. Rausch (Degussa AG) et daté du 7 novembre 2003
D7: Déclaration d'Alain Sartre (Rhodia) datée du 27 octobre 2000.
IV. Avec son mémoire exposant les motifs du recours, la titulaire (ci-après "requérante 1") a contesté les conclusions de la division d'opposition relatives au défaut d'exposé de l'invention telle que décrite dans la revendication 1 du brevet tel que délivré (voir point II. ci-avant).
V. Avec son mémoire exposant les motifs du recours, l'opposante (ci-après "requérante 2") a soumis un rapport expérimental daté du 3 novembre 2009 (ci-après D10) et contesté le bien-fondé de la décision incriminée, faisant valoir que l'invention dans sa version telle que maintenue par la division d'opposition présentait non seulement un défaut d'exposé mais en outre, était dénuée d'une part de nouveauté eu égard au document D1 et, d'autre part, d'activité inventive eu égard à l'enseignement combiné des documents D1 et D2.
VI. En réponse au mémoire de recours de la titulaire, la requérante 2 a fait valoir que l'invention objet de la revendication 1 du brevet tel que délivré présentait un défaut d'exposé ainsi qu'un défaut de nouveauté par rapport à l'exemple 7 du document D2.
VII. Par courrier daté du 22 janvier 2013, la requérante 2 a soumis un nouveau document daté de 2002 (ci-après D11) supposé résumer les connaissances générales de l'homme du métier en matière de sonification.
VIII. La requérante 1 a demandé le report de la procédure orale si ce document devait être admis dans la procédure.
IX. Par télécopie datée du 31 janvier 2013, la chambre a annoncé que la procédure orale était maintenue.
X. Au cours de la procédure orale qui s'est tenue le 5 février 2013, la requérante 1 a soumis deux jeux de revendications modifiées à titre de requêtes subsidiaires 2 et 3 et a déclaré ne plus s'opposer à l'introduction du document D11 déposé tardivement. Elle s'est par contre opposée à l'introduction du motif de défaut de nouveauté à l'encontre de la revendication 1 telle que délivrée et, d'autre part, elle a fait valoir que l'activité inventive de cette même revendication ne faisant pas partie de la décision contestée, elle désapprouvait l'introduction tardive de ce point de discussion dans les débats.
XI. Concernant les requêtes au dossier:
La requérante 1/titulaire du brevet a demandé à titre principal l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet tel que délivré. A titre subsidiaire elle a demandé le rejet du recours de l'opposante ou, alternativement, le maintien du brevet sur la base de l'un des jeux de revendications déposés lors de la procédure orale.
La requérante 2/opposante a demandé l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
1. Suffisance d'exposé de l'invention
1.1 Selon la jurisprudence des chambres de recours, une invention est considérée comme suffisamment exposée dès lors que l'homme du métier est mis en mesure d'exécuter celle-ci dans toute sa portée, telle que revendiquée. Si ladite invention fait appel dans sa définition à un ou plusieurs paramètres, l'homme du métier se doit en outre d'être mis en mesure de vérifier si ce(s) dernier(s) est/sont respecté(s) lors de l'exécution de l'invention.
Dans le cas d'espèce, il y a lieu de vérifier chacun de ces deux aspects.
1.2 Concernant le premier aspect, il y a lieu de vérifier si le brevet comporte des lacunes d'information. A ce titre, la chambre observe que les différentes étapes du procédé de fabrication de la silice objet de l'invention sont décrites de manière extensive et détaillée aux paragraphes [0012] à [0057] du fascicule de brevet. Celui-ci contient en outre 3 modes spécifiques de réalisations (voir exemples 3, 4 et 5) de silices conformes à l'objet défini aux revendications 1 (procédé) et 13 (silice) du brevet tel que délivré et à la revendication 1 (silice) du brevet tel que maintenu par la division d'opposition. Dans ce contexte, et la requérante 2 n'ayant pas contesté que ces trois silices fussent conformes à l'objet défini dans ces revendications, il y a lieu de conclure que l'homme du métier est mis en mesure d'exécuter au moins un mode spécifique de réalisation de l'invention. Eu égard à la question de savoir si la présupposée invention peut être exécutée dans toute sa portée, telle que revendiquée, les paragraphes [0012] à [0057] décrivent de multiples variantes du procédé divulgué dans les modes de réalisation spécifiques (Exemples 1 à 3) décrits aux paragraphes [0120] à [0147]. Il est crédible - et ceci n'a pas été contesté - que ces diverses variantes puissent conduire à des silices diverses et variées couvrant toute la portée des revendications en instance. Il y a donc lieu de conclure que l'objet de la présupposée invention peut être exécuté sur toute la portée, telle que revendiquée.
1.3 Concernant le deuxième aspect, à savoir si l'homme du métier est mis en mesure de vérifier à partir des informations fournies par le brevet si les paramètres définissant l'invention sont respectés lors de l'exécution de celle-ci, la chambre observe que pour chacun des paramètres définissant la silice objet des revendications en instance, le brevet (paragraphes [0059] à [0074]) décrit une méthode détaillée.
1.4 La requérante 2 - s'appuyant sur le contenu des documents D3, D10 et D11 - a contesté cet état de fait et fait valoir que certaines méthodes de mesures étaient insuffisamment décrites et que certains paramètres en devenaient impossibles à mesurer avec précision, en particulier ceux faisant intervenir le rayon de pores, à savoir V2, V1, Vd1, I.F., ou encore ceux mesurés après une étape de désagglomération, à savoir (tauf), FD et Ø50. La chambre ne peut suivre ces allégations pour les raisons qui suivent.
1.5 Concernant les mesures de porosité, la chambre ne partage pas le doute de la requérante 2 quant à la méthode mise en oeuvre pour le calcul du rayon de pores. Le brevet (paragraphe [0064]) décrit en effet que les volumes poreux sont obtenus par porosimétrie au mercure et que les diamètres de pores (et donc les rayons) sont calculés par la relation de Washburn - à savoir l'une des quatre méthodes envisagées par la requérante 2 - avec un angle de contact théta égal à 140º et une tension superficielle gamma égale à 484 dynes/cm (porosimètre MICROMERITICS 9300).
Le paragraphe suivant [0065], qui décrit la formule mathématique permettant d'obtenir l'indice de finesse (I.F.) à partir des résultats obtenus par porosimétrie au mercure, ne mentionne certes pas la méthode de calcul du diamètre ou du rayon de pores, mais ceci ne veut pas dire qu'une autre relation que celle de Washburn décrite au paragraphe précédent aurait pu être utilisée. Pour la chambre, l'absence d'information à ce sujet confirmerait plutôt l'utilisation de la même méthode qu'au paragraphe précédent. De toute façon, si un doute devait persister, l'homme du métier aurait toujours la possibilité d'effectuer une vérification en reproduisant l'un des exemples du brevet contesté. Dans le cas d'espèce, une telle vérification ne peut manifestement être qualifiée d'effort excessif, puisque - tel qu'indiqué par la requérante 2 - le nombre de relations à tester est restreint ("slit method", "ink bottle method", "conical method", "Washburn method").
1.6 Concernant les paramètres tauf, FD et Ø50 , la requérante 2 s'est référé à D11 et a fait valoir que la taille des particules après désagglomération dépendait directement de la fréquence et de l'amplitude de l'appareil de sonification employé, et qu'en l'absence de précision dans le brevet sur ces deux variables, l'homme du métier pouvait obtenir toutes les tailles de particules envisageables, simplement en faisant varier la valeur de ces deux variables.
La chambre ne peut suivre cet argumentaire, car le document D11 - qui est supposé servir de fondement à cette affirmation - émane d'une société privée vendant des appareils de sonification (Heinemann-Branson sonifiers) et présente une date de publication (2002) postérieure à la date de priorité (juin 1997) du brevet. Il y a donc un réel doute quant au fait que le contenu de ce document puisse être retenu comme faisant partie des connaissances générales de l'homme du métier à la date de priorité du brevet. En outre, et même si au bénéfice du doute en faveur de la requérante 2 ceci devait être le cas, D11 ne décrit nullement que les variables critiques "fréquence" et "amplitude" peuvent être modifiées sur le sonificateur spécifique (Vibracell Bioblock (600W) mis en oeuvre dans le brevet pour désagglomérer les échantillons de silice selon l'invention.
1.7 Concernant les autres arguments, basés pour leur part sur les importantes divergences de résultats que font apparaître les documents D3 et D10 lors de l'utilisation des appareils de sonification et de granulométrie mis en oeuvre pour les mesures des paramètres tauf, FD et Ø50, la chambre est pleinement d'accord avec la requérante 2 sur le principe - énoncé par exemple dans la décision T 815/07, point 5. des motifs - selon lequel la méthode spécifiée pour déterminer un paramètre devrait être de nature à produire des valeurs constantes. Toutefois, dans le cas d'espèce, les tests réalisés dans les rapports expérimentaux D3 et D10 n'ont pas été mis en oeuvre conformément aux instructions données par le brevet, puisqu'ils font appel à des appareillages de mesures différents de ceux du brevet. En outre, et surtout, la chambre constate qu'aucun effort n'a été entrepris dans D3 et D10 pour reproduire l'invention, condition première des Articles 100(b) et 83 CBE. En effet, aussi bien dans D3 que D10 les tests y ont été effectués sur des silices commerciales et à aucun moment il n'y a eu de reproduction, à tout le moins tentative de reproduction d'au moins l'une des trois silices exemplifiées dans le brevet, dont les paramètres tauf, FD et Ø50 sont conformes à l'invention.
Une telle reproduction aurait en effet non seulement permis de confirmer (ou non) les résultats obtenus sur la silice commerciale mais surtout de calibrer la méthode de détermination du ou des paramètres litigieux sur les valeurs décrites dans le brevet, car un tel calibrage aurait tout au moins potentiellement pu permettre de lever ou confirmer les incertitudes mises en exergue dans les documents D3 et D10. La chambre cite à cet égard les affaires T 1062/98, points 2.1.2 and 2.1.3 des motifs, et T 485/00, point 1.6 des motifs, dans lesquelles il a été conclu qu'il était possible que l'invention soit exposée de manière suffisante, alors même que les méthodes de détermination des paramètres étaient décrites de manière incomplète, lorsque les conditions de test pouvaient être calibrées à partir des exemples du brevet. Dans le cas présent, où aucune tentative de calibrage n'a été entreprise, la chambre estime que la requérante 2 n'a pas démontré la non-reproductibilité de la méthode de mesure desdits paramètres et donc, a fortiori, le défaut d'exposé de l'invention, alors que cette charge de la preuve lui incombait et qu'elle aurait pu être en mesure de rapporter cette preuve en tentant de reproduire la méthode en cause sur au moins l'une des silices conformes à l'invention revendiquée.
1.8 Dans le cas particulier de la revendication 1 (procédé) du brevet tel que délivré (point II. ci-dessus), la requérante 2 a en outre conclu au défaut d'exposé de l'invention car l'exemple 7 du document D2 décrivait les mêmes étapes de procédé que la revendication 1, alors que la silice obtenue dans l'exemple 7 de D2 ne présentait pas les mêmes caractéristiques que la silice objet de l'invention revendiquée.
La chambre ne peut suivre cette conclusion, car même s'il est avéré que dans le cas d'espèce une ou plusieurs étapes de procédé ont été omises du libellé de la revendication 1, l'absence de caractéristiques essentielles dans le libellé d'une revendication ne nuit pas nécessairement à la suffisance d'exposé de l'invention. Une telle omission se fonde en effet sur le défaut de support des revendications par la description - et donc sur l'Article 84 CBE - et non sur le défaut d'exposé de l'invention, puisque celui-ci présuppose la prise en compte du fascicule de brevet dans son ensemble. Or, comme expliqué aux points 1.2 à 1.7 ci-dessus, il n'a pas été établi que le contenu du fascicule de brevet, et plus particulièrement sa description, présentait une ou plusieurs lacunes d'information qui auraient permis de conclure que l'invention était insuffisamment décrite au regard des Articles 100(b) et 83 CBE.
2. Nouveauté de la silice revendiquée
La chambre ne peut suivre les conclusions de la requérante 2 sur le prétendu défaut de nouveauté de la silice objet de la revendication 1 telle que maintenue (requête subsidiaire 1), également revendication 13 du brevet contesté (requête principale), pour les raisons qui suivent.
2.1 D1 (page 1, lignes 5 à 9; revendications 20 et 21) définit des silices précipitées destinées au même usage que celles du brevet et possédant:
- une surface spécifique BET comprise entre 140 et 300 m**(2)/g
- une surface spécifique CTAB comprise entre 140 et 240 m**(2)/g,
- une distribution poreuse telle que le volume poreux constitué par les pores dont le diamètre est compris entre 175 et 275 Å représente moins de 50% du volume poreux constitué par les pores de diamètre inférieurs ou égaux à 400 Å,
- un facteur de désagglomération aux ultra-sons (FD) supérieur à 5,5 ml,
- un diamètre médian (Ø50), après désagglomération aux ultra-sons, inférieur à 5 mym.
2.2 En dépit de l'absence d'information quant aux valeurs des autres paramètres définissant la silice incriminée, la requérante 2 a fait valoir que celles-ci seraient inhérentes à la silice connue du document D1. Pour la chambre, ces allégations ne sont toutefois étayées d'aucune preuve tangible permettant de conclure de la sorte.
2.2.1 D1 (page 11, lignes 33 et 34) décrit en particulier un volume poreux total d'au moins 2,5 cm**(3)/g, et plus particulièrement compris entre 3 et 5 cm**(3)/g ; il n'a toutefois pas été établi que de telles valeurs de volume poreux total impliquaient directement et sans équivoque un volume Vd1 tel que décrit dans le brevet, à savoir supérieur à 1,65 cm**(3)/g.
2.2.2 Concernant les deux autres paramètres (I.F., tauf), la requérante 2 a réalisé une régression linéaire sur les valeurs des paramètres BET, CTAB et Ø50 relevées sur les sept silices spécifiques décrites dans le brevet (voir les représentations graphiques I.F = f(BET), I.F. = f(CTAB) et tauf = f(Ø50) annexées à la décision contestée), et en a déduit que les valeurs de ces paramètres seraient inhérentes aux silices selon D1.
La chambre ne peut suivre ces allégations, car en particulier pour le paramètre tauf la corrélation est trop faible pour qu'une relation entre tauf et Ø50 puisse être établie avec certitude.
2.3 La chambre rappelle à cet égard qu'il est crucial pour conclure au défaut de nouveauté que les caractéristiques soient décrites directement et sans équivoque dans l'art antérieur; or, dans le cas d'espèce il n'a pas été démontré que tel était le cas pour les silices selon D1.
2.4 La chambre est par ailleurs convaincue que la silice revendiquée dans le brevet n'est divulguée dans aucun des autres documents de l'état de la technique cités dans les procédures d'opposition et de recours.
2.5 Il s'ensuit que l'objet de la revendication 13 de la requête principale, ainsi que celui des revendications 14 à 26 dépendantes de cette même revendication, satisfait aux exigences de nouveauté de l'Article 54(1) et (2) CBE. Il en est de même pour l'objet de la revendication 1 selon la requête subsidiaire 1.
3. Requête principale - Remarques concernant l'activité inventive
En réponse à la réserve émise à la procédure orale par la requérante 1 (voir point X. ci-avant), la chambre observe que le défaut d'activité inventive n'a certes pas motivé le rejet de la revendication 1 du brevet. Il n'en demeure pas moins que cette même revendication a été attaquée dans le mémoire d'opposition sur la base de ce motif ; celui-ci fait donc partie intégrante du cadre des débats. Attendu que l'OEB est tenu en vertu de l'article 114(1) CBE de procéder à l'examen d'office des faits, c'est sous cet aspect et celui du principe d'économie de la procédure que la chambre a décidé de débattre de ce point à la procédure orale.
La revendication 1 de la requête principale - et du brevet contesté - étant relative à la préparation d'une silice selon l'une des revendications 13 à 25, la chambre juge utile, pour la lisibilité de la présente décision, de débuter par l'appréciation de l'activité inventive de ces dernières revendications, qui sont relatives à la silice supposée être préparée par le procédé selon ladite revendication 1 et à son utilisation comme charge renforçante pour élastomères (revendication 26).
4. Requête principale - Revendications 13 à 26 - Activité inventive
S'appuyant sur l'approche problème-solution, la chambre est parvenue à la conclusion que la silice objet de ces revendications satisfaisait aux exigences de l'Article 56 CBE pour les raisons suivantes:
4.1 L'invention telle que décrite dans le brevet contesté (paragraphes [0001] et [0002]) concerne des silices précipitées utilisables comme charge blanche renforçante dans les élastomères.
4.2 S'agissant de définir l'état de la technique le plus proche, les requérantes sont convenues que le document D1 représentait le point de départ le plus adapté pour l'appréciation de l'activité inventive, ce document décrivant (page 1, lignes 5 à 10) des silices précipitées destinées au même usage que dans le brevet et définies (revendications 20 et 21) comme possédant:
- une surface spécifique BET comprise entre 140 et 300 m**(2)/g
- une surface spécifique CTAB comprise entre 140 et 240 m**(2)/g,
- une distribution poreuse telle que le volume poreux constitué par les pores dont le diamètre est compris entre 175 et 275 Å représente moins de 50% du volume poreux constitué par les pores de diamètre inférieurs ou égaux à 400 Å,
- un facteur de désagglomération aux ultra-sons (FD) supérieur à 5,5 ml,
- un diamètre médian (Ø50), après désagglomération aux ultra-sons, inférieur à 5 mym.
4.3 Selon le brevet contesté (paragraphe [0008]), le problème à résoudre réside en la mise au point de charges possédant une surface spécifique relativement élevée et présentant une aptitude satisfaisante à la dispersion dans les élastomères et de bonnes propriétés renforçantes.
4.4 La solution proposée par le brevet contesté, à savoir la silice précipitée selon la revendication 13, est en particulier caractérisée en ce qu'elle possède:
- un volume poreux (Vd1) constitué par les pores de diamètre inférieur à 1 mym supérieur à 1,65 cm**(3)/g,
- un indice de finesse (I.F.) compris entre 70 et 100 Å,
- un taux de fines (tauf), après désagglomération aux ultra-sons, d'au moins 50%.
4.5 A la question de savoir si le problème tel que défini dans le brevet (voir point 4.3 ci-dessus) a été résolu, la chambre constate que les silices selon D1 sont décrites (page 2, lignes 6 à 16) comme étant supposées être utilisées comme charges renforçantes dans les élastomères et comme devant présenter une aptitude à la dispersion très satisfaisante et des propriétés renforçantes globalement améliorées. En outre, à l'instar des silices du brevet contesté, elles présentent des surfaces spécifiques importantes (D1, revendications 20 et 21). Les silices de D1 sont par conséquent présentées comme résolvant le même problème que celles du brevet en cause.
Dans ce contexte et en l'absence de comparaison directe avec ces silices de l'art antérieur, le problème doit être reformulé. En l'espèce, pour la chambre, celui-ci consiste en la mise au point d'une silice alternative à celle de D1. La chambre n'a pas de doute que ce problème moins ambitieux a été résolu, le brevet décrivant pas moins de trois silices spécifiques (Tableau I, silices P1, P2 et P3) conformes à l'objet de la revendication 13 du brevet.
4.6 Sur la question de savoir si la solution proposée par le brevet contesté découle ou non de l'état de la technique, la chambre constate que ni D1, ni aucun des autres documents connus de l'état de la technique, ne décrit une silice présentant simultanément des valeurs de volume poreux (Vd1), d'indice de finesse (I.F.) et de taux de fines (tauf) telles que définies dans la revendication 13 du brevet. Il s'ensuit que l'homme du métier chargé de mettre au point une silice alternative à celle de D1 ne serait nullement incité par l'état de la technique à préparer une silice présentant ces caractéristiques et donc, déjà rien que pour cette seule raison, il ne saurait être conclu que l'objet de la revendication 13 du brevet découle de manière évidente de l'état de la technique.
Sur la remarque de la requérante 2, basée sur le tableau comparatif ci-après, selon laquelle le libellé de la
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
revendication 13 serait trop large et ne résoudrait aucun problème, la chambre observe que la silice choisie à titre de comparaison par la requérante 2 - à savoir la silice P9 décrite au paragraphe [0203] du document D1 - présente non seulement une surface CTAB (157 m2/g) inférieure mais aussi un rapport de volumes V2/V1 (64%) supérieur à ceux définis à la revendication 13 du brevet. Et donc même si cette silice présente des propriétés de renforcement des élastomères similaires à celles des silices revendiquées, l'homme du métier ne dispose d'aucune incitation à modifier la surface CTAB et le rapport V2/V1 de cette silice particulière en supplément des autres caractéristiques (Vd1, I.F. et tauf) non apparentes du document D1.
4.7 Les revendications 14 à 26 étant dépendantes de la revendication 13 et relatives - pour ce qui concerne les revendications 14 à 25 - à des modes de réalisations spécifiques de la silice objet de la revendication 1, ou à une utilisation particulière de cette même silice - pour ce qui concerne la revendication 26, celles-ci dérivent leur brevetabilité de l'objet de la revendication 13, dont elles dépendent, et satisfont par conséquent également aux exigences de l'Article 56 CBE.
5. Requête principale - Revendication 1 - activité inventive
5.1 Dès lors que la requérante 1 s'est opposée à l'introduction dans la procédure de recours du motif de défaut de nouveauté eu égard à la revendication 1 de cette requête, la suite concerne par conséquent l'activité inventive de celle-ci.
5.2 La revendication 1 en cause ayant pour objet un procédé supposé mener à la silice selon la revendication 13 jugée inventive ci-avant, la requérante 1 a fait valoir que l'activité inventive dudit procédé de préparation découlait directement de celle de ladite silice.
La chambre observe que cette conclusion n'est valable que dans le cas précis où le procédé conduirait inévitablement au produit inventif, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque - tel qu'expliqué aux points 5.3 et 5.4 ci-après - le procédé selon la revendication 1 en cause peut mener à une silice différente de celle considérée inventive ci-avant.
5.3 A cet égard, D2 (colonne 2, lignes 27 et suivantes) décrit un procédé de préparation de silice précipitée ayant une aptitude à la dispersion et des propriétés renforçantes améliorées du type comprenant la réaction d'un silicate avec un agent acidifiant ce par quoi l'on obtient une suspension de silice précipitée, puis la séparation et le séchage de cette suspension, caractérisé en ce qu'on réalise la précipitation de la manière suivante :
(i) on forme un pied de cuve initial comportant au moins une partie de la quantité totale du silicate engagé dans la réaction et un électrolyte, la concentration en silice dans ledit pied de cuve initial étant inférieure à 100 g/l et la concentration en électrolyte dans ledit pied de cuve initial étant inférieure à 17 g/l,
(ii) on ajoute l'agent acidifiant audit pied de cuve jusqu'à l'obtention d'une valeur du pH du milieu réactionnel d'au moins environ 7,
(iii) on ajoute au milieu réactionnel de l'agent acidifiant et, le cas échéant, simultanément la quantité restante du silicate,
et en ce qu'on sèche une suspension présentant un taux de matière sèche d'au plus 24 % en poids.
Dans le mode de préparation spécifique selon l'exemple 7, D2 décrit la formation d'un pied de cuve de concentration en SiO2 de 50 g/l par mélange de Na2SO4, d'eau et de silicate de sodium. Le mélange est ensuite porté à 90ºC et maintenu à cette température sous agitation, puis est introduit de l'acide sulfurique jusqu'à obtention d'un pH égal à 7,5. Sont ensuite conjointement introduits du silicate de sodium aqueux et de l'acide sulfurique de sorte que le pH du milieu de réaction soit maintenu à 7,5 ± 0,1. Après introduction de la totalité du silicate, le pH du milieu réactionnel est amené à une valeur égale à 5,0 par apport d'acide dilué. La bouillie de silice précipitée ainsi obtenue est filtrée et lavée au moyen d'un filtre rotatif sous vide de sorte à récupérer un gâteau de silice présentant un taux de matière sèche de 12 % en poids. Celui-ci est fluidifié par simple action mécanique, et la bouillie résultante est atomisée au moyen d'un atomiseur à turbines.
La requérante 1 a fait valoir que le filtre rotatif sous vide mis en oeuvre dans le susdit procédé ne comportait pas de moyen de compactage.
La chambre ne peut se joindre à cette conclusion, car le vide appliqué audit filtre rotatif a inévitablement pour effet de compacter le gâteau de filtration sous l'effet de la pression atmosphérique s'exerçant sur le gâteau de silice. Il s'ensuit que le moyen utilisé pour produire ledit vide est assimilable à un "moyen de compactage" au sens de l'objet revendiqué.
De ce qui précède, il en découle que l'exemple 7 du document D2 décrit toutes les étapes du procédé selon la revendication 1 de cette requête.
5.4 Attendu que les caractéristiques de la silice issue du susdit procédé diffèrent - en particulier les surfaces spécifiques BET (155 m**(2)/g) et CTAB (149 m**(2)/g) - de celles des silices jugées inventives précédemment, il y lieu de conclure que l'homme du métier n'aboutit pas inévitablement à l'invention en appliquant les étapes du procédé objet de la revendication 1 en cause. Il s'ensuit que l'activité inventive de ce dernier est à juger indépendamment de celle de la silice objet de l'invention du brevet contesté.
5.5 S'agissant à présent d'apprécier l'activité inventive du procédé selon la revendication 1 de la requête principale, la chambre - par application de l'approche problème-solution - est parvenue à la conclusion que son objet découle de manière évidente de l'art antérieur pour les raisons qui suivent.
5.5.1 La supposée invention objet de ladite revendication 1 concerne un procédé de préparation de silice précipitée.
5.5.2 D2, que les parties ont reconnu comme représentant l'état de la technique le plus proche dudit procédé revendiqué, décrit - tel qu'expliqué au point 5.3 ci-dessus - un procédé de préparation de silice précipitée présentant des propriétés similaires à celles de la silice du brevet contesté.
5.5.3 Selon le brevet contesté (voir paragraphes [0008] et [0010]), le problème à résoudre consisterait en la mise au point d'un nouveau procédé de préparation de silice possédant une surface spécifique relativement élevée ainsi qu'une aptitude satisfaisante à la dispersion et de bonnes propriétés renforçantes dans les élastomères.
5.5.4 La solution proposée, à savoir le procédé selon la revendication 1 en cause, est en particulier caractérisée en ce que l'étape de séparation comporte un filtre équipé d'un moyen de compactage.
5.5.5 A la question de savoir si le susdit problème a été résolu, force est de constater qu'il ne l'est pas car, comme expliqué au point 5.3, les étapes du procédé revendiqué sont couvertes par le procédé selon l'exemple 7 du document D2, en particulier du fait que le filtre rotatif sous vide mis en oeuvre dans ledit exemple de D2 soit assimilable à "un filtre équipé d'un moyen de compactage". Si toutefois, tel qu'avancé par la requérante 1, ledit filtre rotatif sous vide n'était pas assimilable comme tel, la réponse à ladite question serait inverse car le procédé revendiqué représenterait alors une alternative au procédé selon l'exemple 7 de D2.
5.5.6 S'agissant à présent d'apprécier si cette alternative découle de manière évidente de l'état de la technique, le document D2 décrit expressément le filtre presse ou le filtre à bandes comme moyens alternatifs au filtre rotatif sous vide mis en oeuvre lors de l'étape de séparation de la silice précipitée (D2, colonne 4, lignes 17 à 22), sans marquer de préférence particulière pour l'une ou l'autre de ces trois alternatives. Dans ce contexte, la chambre n'a pas de doute à conclure que l'homme du métier considèrerait ces trois moyens comme techniquement équivalents au sens du document D2. Il s'ensuit que dans l'hypothèse où il se trouverait confronté au problème de trouver une alternative au procédé de l'exemple 7 du document D2, l'homme du métier pourrait exercer un choix totalement libre de toute préférence, et donc totalement arbitraire, dans la liste de moyens équivalents qui lui sont proposés. Attendu que dans ladite liste figure en particulier le filtre presse - qui n'est autre qu'un "filtre équipé d'un moyen de compactage" au sens de la revendication 1 - en opérant ce choix particulier de moyen de filtration, l'homme du métier arriverait ainsi à partir des seules informations divulguées par le document D2 - et donc de manière évidente et sans impliquer d'activité inventive - à l'objet de la revendication 1 en cause, contrairement aux exigences de l'Article 56 CBE.
5.6 Attendu que l'une des revendications de la requête principale ne satisfait pas aux exigences de la CBE, la requête doit être rejetée dans son intégralité.
6. Requête subsidiaire 1
Les revendications 1 à 14 de cette requête correspondent aux revendications 13 à 26 de la requête principale pour lesquelles il n'a pas pu être établi qu'elles contrevenaient aux dispositions de la CBE. Ces conclusions s'appliquent par conséquent et pour les mêmes raisons (voir points 1 à 4 ci-dessus) aux revendications 1 à 14 de la requête subsidiaire 1.
Attendu que ces revendications correspondent à celles maintenues par la division dopposition, le brevet contesté est par conséquent maintenu sous cette forme.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les recours sont rejetés.