T 2549/12 (Composition pour la décoloration et la coloration simultanée des fibres kératiniques comprenant une ortho nitro-aniline meta substituée/L'Oréal) 19-11-2015
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Composition pour la décoloration et la coloration simultanée des fibres kératiniques comprenant une ortho nitro-aniline meta substituée
Henkel AG & Co. KGaA
THE PROCTER & GAMBLE COMPANY
Kao Germany GmbH
Recours recevable (oui)
Moyens produits tardivement - Auraient pu être produits en première instance (oui)
Répartition des frais - (oui)
I. Le brevet européen n° 1 666 095 a été délivré sur la base de 31 revendications.
II. Trois oppositions ont été formées contre le brevet délivré. Le brevet a été opposé aux motifs de l'article 100(a) CBE pour absence de nouveauté et d'activité inventive et de l'article 100(b) CBE pour insuffisance de l'exposé.
III. Par la décision prononcée par écrit, la division d'opposition a décidé de rejeter les oppositions (article 101(2) CBE). La décision était basée sur les revendications telles que délivrées.
L'objet de la revendication 1 telle que délivrée s'énonçait comme suit :
"1. Composition pour la décoloration et la coloration simultanée des fibres kératiniques comprenant :
- au moins un colorant choisi parmi les ortho nitro-anilines méta substituées et leurs sels d'addition ;
- au moins un sel peroxygéné ; et
- au moins un agent alcalin."
IV. Les documents suivants avaient été cités au cours de la procédure d'opposition:
(1) : WO02/074270
(2) : GB2217735
(3) : DE3619228
(4) : DE3141019
(5) : US2002/189034
(6) : GB2176494
V. Dans sa décision, la division d'opposition avait confirmé son opinion préliminaire exprimée dans l'annexe à l'invitation à la procédure orale, qui avait été déclinée par les trois opposantes au brevet.
La division d'opposition avait considéré que l'objet du brevet opposé était suffisamment divulgué, car l'homme du métier était en mesure de réaliser l'invention dans l'intégralité du domaine revendiqué sans déployer d'efforts excessifs.
En ce qui concernait la nouveauté, les documents (1), (5) et (6) n'avaient pas été considérés comme pertinents.
Le document (2) avait été considéré comme l'état de la technique le plus proche, plus particulièrement la composante A de l'exemple 2. L'objet de la revendication 1 du brevet opposé se différenciait en la structure chimique du colorant, du fait que le brevet imposait le choix d'une forme méta-substituée du colorant nitré. Comme les essais fournis par la titulaire confirmaient la supériorité des ortho-anilines méta-substituées en terme de chromaticité, en application directe comme en application différée et qu'aucun des documents de l'art antérieur, en particulier les documents (3) ou (4), n'incitaient l'homme du métier à introduire les composés de l'objet du brevet opposé dans les compositions du document (2), la division d'opposition concluait à l'existence d'une activité inventive.
VI. L'opposante 03 (requérante) a formé un recours contre cette décision. Le mémoire exposant les motifs du recours était accompagné du document (12), à savoir la demande JP2002-205924, et de sa traduction automatique (12a), ainsi que d'arguments quant à la nouveauté et l'activité inventive des revendications telles que délivrés vis-à-vis des seuls documents (12) et (12a). Le mémoire comprenait une requête en procédure orale sous l'article 116 CBE.
VII. Par sa lettre datée du 7 juillet 2015, l'intimée (titulaire) a soumis les requêtes subsidiaires 1 à 4 ainsi que des essais comparatifs.
VIII. Par sa lettre datée du 11 août 2015, l'opposante 01, partie en droit de la présente procédure de recours, a informé la Chambre et les parties de sa non-participation à la procédure orale prévue pour le 19 novembre 2015.
IX. Par sa lettre datée du 18 septembre 2015, la requérante informait de sa non-participation à la procédure orale du 19 novembre 2015. Elle soumettait en outre des arguments quant à la nouveauté et l'activité inventive vis-à-vis du document (12).
X. Aux fins de la préparation de la procédure orale, la Chambre a envoyé une notification datée du 12 octobre 2015, dans laquelle elle précisait que le point de discussion durant la procédure orale se rapporterait à la recevabilité du nouveau document (12), et de sa traduction (12a) sous l'article 12(4) RPCR, voire, dans le cas de son admission dans la procédure, à un renvoi en première instance pour discussion du nouveau cas, avec une répartition des frais de recours différente au sens de l'article 104(1) CBE.
XI. La procédure orale s'est tenue le 19 novembre 2015 en présence de la seule intimée.
XII. Les arguments suivants ont été avancés par la requérante :
Un nouveau document pertinent pour la nouveauté avait été soumis avec le mémoire du recours, à savoir le document (12) et sa traduction automatique (12a). Le document japonais divulguait en page 7 une composition comprenant une 4-nitro-metaphenylenediamine, du persulfate d'ammonium et de potassium, et de l'ammoniaque.
Aucun argument quant à la recevabilité des documents (12) et (12a) ou justification quant à leur soumission en seule phase de recours n'a été avancé par la requérante.
XIII. Les arguments suivants ont été avancés par l'intimée :
Recevabilité du recours
Le recours formé par la requérante n'était pas recevable puisque il ne répondait pas à la décision de la division d'opposition, au vu des motifs et des états de la technique de ladite décision de la division d'opposition. Au lieu de cela, le recours se fondait sur un nouveau document qui n'avait pas été discuté en première instance. Comme la décision de la division d'opposition n'avait pas été attaquée, elle restait valable, d'où l'irrecevabilité du recours.
Recevabilité du document (12) et de sa traduction automatique (12a)
Le document (12) et sa traduction automatique (12a) n'étaient pas pertinents. Par ailleurs, ce document était au nom de la requérante, avait été déposé près de trois ans après la procédure d'opposition, et ne disposait que d'une traduction automatique et approximative. L'intimée estimait difficilement explicable que la requérante eût attendu la procédure de recours pour soumettre ce document alors qu'elle en avait connaissance depuis le début. En outre, l'intimée préférait continuer la procédure quant à ce brevet en phase nationale plutôt qu'en phase centralisée.
Selon l'intimée, au vu de ces arguments, une répartition des frais différente au sens de l'article 104(1) CBE s'imposait.
XIV. Aucun argument n'a été avancé par les autres parties de droit à la procédure, à savoir les opposantes 01 et 02.
XV. Les requêtes
La requérante a requis dans ses écritures l'annulation de la décision contestée et la révocation du brevet.
L'intimée a requis:
1. de rejeter le recours comme irrecevable;
2. pour le cas où le recours serait considéré comme recevable, de ne pas admettre le document D12 ainsi que sa traduction automatique D12a dans la procédure;
3. pour le cas où les documents D12 et D12a seraient admis dans la procédure, et que ni le brevet tel que délivré ni les requêtes subsidiaires 1 à 4 déposées par lettre du 7 juillet 2015 ne devaient satisfaire aux exigences de la CBE, de renvoyer l'affaire à la première instance pour suite à donner;
4. d'ordonner une répartition des frais différente, au sens de l'article 104, paragraphe 1, CBE.
Les autres parties de droit à la procédure n'ont pas soumis de requêtes.
1. Recevabilité du recours
1.1 Conformément à l'article 108 CBE, dans les quatre mois après la date de notification de la décision attaquée, un mémoire exposant les motifs du recours doit être déposé. En l'espèce, le requérant n'a pas présenté d'observations sur le bien-fondé des motifs de la décision de la division d'opposition, tant dans le recours en soi que dans le mémoire exposant les motifs du recours. Au lieu de cela, le requérant a introduit pour la première fois dans la procédure de recours de nouveaux moyens, sous la forme d'une nouvelle citation et la traduction automatique de celle-ci.
1.2 La question à trancher est de savoir si ces conditions sont conformes aux exigences de l'article 108 CBE et donc se ramène à la question de savoir si un mémoire de recours qui soulève une question totalement différente de celle sur laquelle était fondée la décision de la première instance peut ou non être considéré à juste titre comme exposant les motifs d'un recours formé à l'encontre de cette décision.
1.3 Il ressort de l'article 106(1) CBE que ce sont les décisions, notamment celles des divisions d'opposition, qui sont susceptibles de recours et non les motifs de ces décisions. Un recours fondé sur des moyens différents de ceux qui ont été invoqués devant la division d'opposition, est néanmoins recevable s'il repose sur le même motif d'opposition (voir la décision T 611/90 JO 1993, 50 et T938/91).
Dans la présente espèce, les nouveaux moyens avancés, bien que sans rapport avec les motifs de la décision faisant l'objet du recours, relèvent néanmoins du même motif que celui sur lequel se fondait l'opposition, à savoir le motif visé à l'article 100(a) CBE. Il est en effet clair du mémoire de recours que la requérante attaque le brevet contesté aux motifs de l'article 100(a) CBE, pour absence de nouveauté et d'activité inventive, bien qu'il fonde cette attaque sur un état de la technique mis en avant pour la première fois dans la phase de recours. Ainsi, bien qu'un "nouveau cas" eût été présenté par la requérante devant la chambre de recours, les nouveaux moyens, bien que sans rapport avec les motifs de la décision faisant l'objet du recours, relèvent néanmoins du même motif que celui sur lequel se fondait l'opposition. En cela, lesdits nouveaux moyens peuvent être considérés comme une réponse à la décision de la première instance.
La Chambre estime donc que le recours est conforme aux exigences de l'article 108 CBE et est recevable.
2. Recevabilité des documents (12) et (12a)
2.1 Les documents (12) et (12a) ont été déposés par la requérante avec le mémoire de recours, et constituent de nouveaux moyens ouvrant une nouvelle discussion et un nouveau cas qui n'a pas été l'objet de la décision de première instance. Il s'agit donc de déterminer si ces moyens auraient pu être produits au cours de la procédure de première instance et s'il existe une justification au dépôt de ces documents au stade du recours.
2.1.1 Le document (12) est une demande de brevet japonaise émanant de la compagnie Kao Corporation, donc une demande de la requérante elle-même, qui a été déposée le 9 janvier 2001 et publiée le 23 juillet 2002, avant la date de priorité du brevet contesté. La requérante connaissait ainsi forcément l'existence du document (12) quand elle a formé son opposition au brevet contesté, et avait, de ce fait, une première opportunité de déposer ce document avec son mémoire d'opposition. Le document (12a) est, quant à lui, une traduction automatique du document (12) en langue anglaise.
La requérante a ensuite eu une deuxième opportunité de déposer ces documents durant la procédure d'opposition, puisque la division d'opposition avait, dans son annexe à l'invitation à la procédure orale, donné une opinion préliminaire positive quant à l'insuffisance de divulgation, de la nouveauté par rapport aux documents (1), (5) et (6), ainsi que de l'activité inventive par rapport au document (2). Dans ladite invitation à une procédure orale datée du 30 décembre 2012, la division d'opposition avait fixé la date de tenue de la procédure au 25 septembre 2012, soit environ 9 mois plus tard. La requérante n'a pas exploité ce délai pour déposer de nouveaux moyens en réponse à l'opinion préliminaire de la division d'opposition. Cette deuxième opportunité n'a pas été saisie et la requérante a même décliné l'invitation à la procédure orale devant la division d'opposition, comme les deux autres opposantes.
La décision finale de la division d'opposition correspondait ainsi à l'opinion préliminaire antérieure, et aboutissait au rejet des oppositions et au maintien des revendications telles que délivrées.
2.1.2 Le mémoire de recours déposé par la requérante ne comporte aucun argument ou commentaire sur le bien-fondé de la décision de la division d'opposition et se résume à l'introduction du nouveau document (12) et sa traduction automatique (12a), et ainsi à une discussion quant à la nouveauté et l'activité inventive vis-à-vis de ce document. En particulier, le mémoire de recours ne contient aucune justification quant à l'introduction de ces nouveaux moyens en phase de recours, et quant aux raisons ayant pu empêcher leur soumission en première instance devant la division d'opposition.
Dans une lettre ultérieure, la requérante informait les parties et la Chambre de sa non-assistance à la procédure orale devant la chambre de recours, empêchant ainsi la tenue d'une discussion sur sur la justification du dépôt de ces nouveaux moyens durant la procédure orale.
Une communication de la Chambre envoyée en préparation de la procédure orale et soulevant le point de la recevabilité de ces documents sous l'article 12(4) RPCR est restée également sans réponse.
2.1.3 Il ressort de l'historique de la procédure devant la division d'opposition que plusieurs opportunités se sont présentées, lors desquelles les nouveaux moyens (12) et (12a) auraient pus être déposés.
La requérante a disposé également de plusieurs opportunités pendant la procédure de recours pour apporter des explications ou des justifications au dépôt de ces documents. Ces explications n'ont pas été fournies par la requérante, qui n'a en outre pas pris part à la procédure orale qu'elle avait elle-même requise devant la chambre de recours.
2.2 La Chambre rappelle qu'il n'est pas laissé au gré d'une partie de décider d'attendre le stade de la seconde instance pour présenter son cas, une telle stratégie procédurale mettant en danger la distribution normale des fonctions entre les départements de première instance et des chambres de recours.
Si la Chambre devait admettre ces documents, elle aurait ainsi à se prononcer sur leur pertinence pour la première fois, ce qui est n'est pas en ligne avec son rôle d'organe de révision, puisque le présent recours ramène une nouvelle discussion et un nouveau cas qui n'a pas été l'objet de la décision de première instance. Or, la fonction des chambres de recours est la révision des décisions de première instance.
Du reste, la Chambre ne dispose d'aucun argument de la requérante portant sur la recevabilité de ces documents.
L'alternative serait d'admettre ces documents et de renvoyer l'affaire devant la première instance. Cette alternative contrevient cependant au principe d'économie de procédure. Un renvoi devant la première instance retarderait en effet considérablement la procédure et augmenterait les coûts supportés par la partie adverse, en l'occurrence l'intimée.
A ceci, il faut ajouter que, quoique l'enseignement du document (12) semble de prima facie plus pertinent que les documents qui ont été utilisés dans la décision de la division d'opposition, cette pertinence a été contestée par l'intimée. L'intimée a en outre exprimé sa satisfaction quant au fait d'avoir éventuellement à défendre son brevet en phase nationale plutôt qu'en phase centralisée devant l'OEB.
2.3 Le pouvoir discrétionnaire conféré aux chambres de recours en vertu de l'article 12(4) RPCR sert à assurer une conduite juste et fiable de la procédure. Il est ainsi exigé des parties de compléter leurs soumissions pertinentes pendant la procédure d'opposition, et non de les compléter ultérieurement selon une stratégie procédurale choisie par les parties. L'article 12(4) RPCR a pour but d'éviter précisément ce type de situation.
La Chambre exerce donc son pouvoir discrétionnaire et n'admet pas les documents (12) et (12a) dans la procédure.
3. La requérante n'a avancé aucun argument contestant la décision de la division d'opposition, à part les arguments portant sur la nouveauté et l'activité inventive vis-à-vis des nouveaux documents (12) et (12a) introduits dans la procédure.
En l'absence d'argumentation à l'encontre de la décision de la première instance, la Chambre n'a pas d'éléments pour remettre en question sa validité.
4. Répartition des frais différente
Chacune des parties à la procédure d'opposition ou de recours est normalement supposée supporter les frais qu'elle a exposés.
Dans le cas présent, l'intimée s'est rendue à la procédure orale devant la Chambre de recours défendre un cas nouvellement constitué en phase de recours par la requérante, et ladite procédure orale s'est tenue en l'absence de la requérante. La requérante n'a avancé, en l'espèce, aucun motif d'excuse ou début d'explications quel qu'il soit pour expliquer la constitution du nouveau cas au stade tardif du recours.
Lorsqu'un cas totalement nouveau est constitué pour la première fois en procédure de recours, en l'occurrence par le dépôt de nouveaux moyens, et en l'absence de circonstances atténuantes permettant d'expliquer cette constitution tardive, tant au niveau des possibilités avortées de constitution dudit cas en première instance qu'au niveau de l'absence de justification ou d'explication, il y lieu d'arrêter une répartition différente des frais au sens de l'article 104(1) CBE.
Par conséquent, la Chambre décide que la requérante devra supporter tous les frais supplémentaires encourus par l'intimée pour la procédure orale du 19 novembre 2015.
Par ces motifs, il est statué comme suit
- Le recours est rejeté.
- Les frais occasionnés par la procédure orale du 19 novembre 2015 sont mis à la charge de la requérante.