T 0456/97 16-03-2000
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Procédé et dispositif pour l'ancrage des écailles d'un mur en terre armée
Accessibilité au public d'un document (oui)
Abus évident (non prouvé)
Nouveauté (non)
Revendication dépendante (non pertinent)
I. Le présent recours des requérants, titulaires du brevet européen EP-B1-0 377 541 (date de priorité : 3. janvier 1989), vise à contester la décision datée du 18. février 1997 d'une division d'opposition de l'Office européen des brevets qui a révoqué ce brevet pour défaut de nouveauté de l'objet de ses revendications 1 et 3 au regard du contenu du document D7 suivant, lequel a été considéré comme rendu accessible au public sur la base des documents D8, D9 et D14 qui suivent, le document D13, qui est une lettre, devant être écarté en raison de l'absence de preuve de sa réception :
D7 : "Le renforcement des ouvrages en terre armée à armature en acier inoxydable", document polycopié avec le tampon "Document provisoire" et la date du 5 décembre 1988, document provenant du SETRA-CTOA (Centre des Techniques d'Ouvrages d'Art du Service d'Etudes Techniques des Routes et Autoroutes), organisme attaché au ministère français du logement et des transports.
D8 : Attestation datée du 8 mars 1994 de M. HANTZO, chef du service Viabilité à la SANEF (Société des Autoroutes du Nord et de l'Est de la France, Direction de Reims), attestant la réception de D7 à la date du 12 décembre 1988.
D9 : Copie du bordereau d'envoi du document D7 par M. HEURTEBIS du SETRA-CTOA, co-auteur de ce document, à M. HANTZO, le bordereau portant la date du 7 décembre 1988.
D13 : Copie d'une lettre datée du 28 octobre 1989 des titulaires du brevet à M. le Préfet, Directeur régional de l'Equipement d'Ile de France s/c M. le directeur de la D.I.T., indiquant leur intention de déposer un brevet, et accompagnée de pages descriptives de l'invention ainsi que de photos de parois de voies publiques françaises munies de plaques étoilées (ouvrages Charenton-Martinets et de la rocade Est de Lille).
D14 : Attestation de M. HANTZO datée du 6 février 1996, attestant toute absence d'obligation de confidentialité.
II. La revendication 1 du brevet a le libellé suivant :
"Procédé de réparation des murs en terre armée composés d'écailles en béton non armé, lesquelles écailles sont maintenues par des plaques d'appui en forme d'étoile, au moyen de tirants convenablement ancrés dans le terrain, dont la tête traverse, un trou préalablement foré sensiblement au centre de l'écaille, caractérisé en ce que :
- on donne aux dites plaques d'appui (18) une forme telle que chacune prenne appui sur l'écaille (11) qu'elle retient au moyen de plusieurs patins ou pieds (19) équidistants du centre de l'écaille (40) et situés sur les axes de symétrie ou les diagonales de l'écaille,
- le nombre de patins est supérieur ou égal à 4,
- les patins sont les seuls points de contact entre l'écaille et la plaque d'appui,
- la plaque d'appui est solidarisée à la tête du tirant (14) par un écrou (15)."
La revendication 3 est rédigée comme suit:
"Plaque d'appui pour la mise en oeuvre du procédé selon l'une quelconque des revendications précédentes, ladite plaque d'appui présentant la forme générale d'une étoile à quatre branches (34 à 37) convenablement nervurées et dirigées sensiblement chacune à 90 de la suivante, issues d'une zone centrale percée d'un trou pour le passage de la tête (14) d'un tirant (13) et pour l'appui d'un écrou de serrage (15) solidarisant la plaque au tirant, la zone centrale de la plaque d'appui comportant du côté du plan d'appui de ladite plaque une couronne (20) en saillie et du côté opposé un moyeu (41) constituant avec la couronne un manchon central,
caractérisé en ce que :
- chaque branche de l'étoile comporte respectivement, à son extrémité, un patin (19) en relief (lesdits patins définissant le plan d'appui de la plaque sur l'écaille),
- la couronne en saillie présente une section de diamètre extérieur sensiblement inférieur au diamètre du trou foré dans ladite écaille, - ladite plaque d'appui est obtenue par moulage."
La revendication 5 :
"Plaque d'appui selon l'une des revendications 3 à 4, caractérisé en ce que le moyeu comporte au moins un orifice (29) dirigé sensiblement radialement, et communiquant avec l'intérieur du manchon central."
III. Le recours a été formé le 15 avril 1997 par M. Flourens, l'un des deux titulaires du brevet, et la taxe de recours payée le même jour. Dans le mémoire exposant les motifs du recours, qui a été reçu le 12 juin 1997, ce requérant a contesté le caractère public du document D7 et a soutenu que, d'une part, ce document ne révèle pas la caractéristique de la revendication 5 qui est un élément essentiel du brevet en cause, et que d'autre part, il y avait eu abus au sens de l'article 55(1) CBE, puisque le ministère des transports, employeur des titulaires du brevet à l'époque de l'invention, aurait du respecter le caractère confidentiel de l'invention en raison de la lettre (document D13) du 28 octobre 1988 envoyée par les titulaires du brevet à leur employeur pour signaler leur intention de déposer un brevet.
Les documents suivants étaient joints au mémoire :
Annexe 11 : Agrandissement de la figure de D7, page 31.
Annexe 12 : Figure 1 du brevet attaqué.
Annexe 13 : Cataloque des publications du SETRA, janvier 1994.
Annexe 14 : Lettre du Directeur du CTOA du SETRA.
Annexe 15 : Lettre des titulaires du brevet datée du 13. janvier 1989 (ref. BF 012LTA), adressée au directeur de la Division des Infrastructures et des Transports et au préfet, directeur régional de l'Equipement Ile de France.
Annexe 16 : Note datée du 13 janvier 1989 de M. Flourens, adressée au Directeur de la Division des Infrastructures et des Transports.
IV. L'intimée (opposante) par lettre reçue le 24. octobre 1997 a répliqué que le document D7, bien que non diffusé, a été rendu accessible au public par envoi à une personne non tenue au secret et qu'en outre, il n'y avait eu aucun abus, car l'objet du brevet attaqué était une invention de mission appartenant à l'état français et qui aurait du être déclarée comme telle. De plus, cet objet ne pouvait être breveté, car il avait déjà été divulgué avant la date de priorité, comme d'ailleurs cela semble être confirmé par les titulaires eux-mêmes dans leur annexe 16.
V. Par une notification envoyée le 1er avril 1999, la Chambre de recours a exposé son évaluation provisoire de l'affaire. Cette opinion est résumée comme suit :
a) L'absence de mention du document D7 dans la liste des publications du SETRA importe peu, s'il s'avère que ce document a été fourni à une tierce personne sans obligation de confidentialité avant la date de priorité, ce qui semble être le cas.
b) L'argument des requérants concernant la validité du brevet n'est pas pertinent, car il concerne seulement la caractéristique d'une revendication dépendante, alors que l'absence de brevetabilité d'une seule revendication indépendante suffit à faire révoquer le brevet. En procédure d'examen, les titulaires ont eux-mêmes reconnu que le document D7 divulguait l'invention en cause.
c) La question elle-même d'un abus ne se pose pas, du fait que les requérants n'ont jamais prouvé que leur lettre (D13) du 28 octobre 1989 avait été reçue par son destinataire avant l'envoi de D7.
d) Apparemment, des plaques selon l'invention en cause auraient été posées sur des murs de soutènement de voies rapides ou d'autoroutes françaises avant la date de priorité. Un usage antérieur, destructeur de nouveauté, semble donc avoir eu lieu, ce que les titulaires du brevet semblent d'ailleurs implicitement reconnaître avec leur annexe 16.
VI. Le 10 septembre 1999, les requérants ont une nouvelle fois fait valoir que le document D7 ne révèle pas la caractéristique de la revendication dépendante 5 et ont signalé qu'ils ont demandé au destinataire de la lettre datée du 28 octobre 1989 (document D13) de leur envoyer une preuve de la réception de cette lettre, preuve qu'ils enverront à la Chambre dès réception.
Le 5 novembre 1999, l'intimée a déposé la copie d'une lettre datée du 28 septembre 1999 du Directeur du SETRA, qui indique que le procédé, objet de l'invention "n'était pas brevetable puisque rendu public et exploité", et que l'action des requérants est dénuée de tout fondement.
Aucune preuve correspondante à celle annoncée par les requérants, n'a été reçue.
VII. Les requérants demandent l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet tel que délivré.
L'intimée demande le rejet du recours et la tenue d'une procédure orale au cas où il n'est pas fait droit à sa première requête.
1. Le recours est recevable.
2. Document D7 en tant qu'état de la technique selon l'article 54 CBE :
2.1. Dans la décision contestée par le présent recours, il a été décidé qu'au vu des documents D8, D9 et D14, le document D7 faisait partie de l'état de la technique au sens de l'article 54 CBE, puisqu'il s'est avéré qu'au mois de décembre 1988, soit un mois avant la date de priorité du brevet en cause, une personne de la SETRA a envoyé un exemplaire du document D7 au chef du service Viabilité de la société SANEF, Direction de Reims, sans obligation de confidentialité. Les requérants n'ont pas contesté ces faits.
2.2. Par contre, ils ont contesté le caractère public d'un tel envoi. A leurs yeux, il semble qu'il n'y aurait eu accessibilité au public que si le document faisait l'objet d'une diffusion très large ou encore si sa diffusion avait un caractère officiel à l'exemple des documents répertoriés comme accessibles au public par le catalogue des publications du SETRA. Le requérant a donc produit les annexes 3 et 5 qui montrent que ceci n'était pas le cas à la date de priorité revendiquée.
Selon la jurisprudence des chambres de recours, la définition du terme "public" de l'article 54(2) CBE est à interpréter de la manière suivante : une information est accessible au public même dans l'hypothèse où une seule personne non tenue à une obligation de confidentialité a pu prendre connaissance d'une information, par exemple à la suite de la vente de l'objet revendiqué, et a pu comprendre cette information (cf. T 482/89, JO 1992, 646). L'article 54(2) CBE ne pose aucune exigence d'une diffusion large ou encore d'un aspect officiel de la diffusion, si bien que le point de vue des requérants ne peut être suivi. Comme, par ailleurs, les requérants n'ont pas invoqué de circonstances particulières qui auraient pu faire croire à une obligation implicite de confidentialité de la part de la SANEF, les conditions d'une divulgation publique sont réunies.
2.3. Les requérants ont aussi fait valoir la notion d'abus au sens de l'article 55(1)(a) CBE, du fait que le document D7 a été transmis à une tierce personne alors qu'il n'aurait pas du l'être.
A l'époque de la conception de l'invention et de la demande de brevet française correspondante, qui est le document prioritaire, les titulaires du brevet en cause, ingénieurs des travaux publics à la DRE (Direction Générale de l'Equipement) d'Ile de France, étaient fonctionnaires de l'état français. Selon les textes législatifs français relatifs aux inventions de salariés et, plus particulièrement dans le cas présent selon le décret n 80-645 du 4 août 1980 relatif aux inventions de fonctionnaires et agents publics, article 4, ils devaient faire une déclaration de leur invention à l'autorité habilitée par la personne publique dont ils relevaient. La loi dispose que, dans un tel cas, le salarié et l'employeur doivent s'abstenir de toute divulgation de nature à compromettre les droits attachés à l'invention. Les requérants prétendent avoir fait la déclaration requise par la loi au moyen de leur lettre du 28 octobre 1988 (document D13). Toutefois, ils se sont contenté d'affirmer que cette lettre a été envoyée et reçue, mais ils n'ont jamais pu en produire une preuve. Le fait qu'une autre lettre datée du 13. janvier 1989 (annexe 16), donc après la date de priorité, fasse référence à la lettre d'octobre 1988, ne constitue pas une preuve de la réception de cette dernière lettre, et en plus l'envoi et la réception de cette autre lettre n'est, elle aussi, pas prouvée, ce qui est curieux au regard d'une troisième lettre du requérant (annexe 15) datée du même jour et portant le paraphe daté de sa hiérarchie. Le fait, aussi, que ce soit l'intimée qui ait, en février 1992, produit la lettre D13 n'est pas suffisant pour prouver l'envoi et la réception de cette lettre, d'autant plus qu'apparemment, à l'époque de l'invention, les titulaires du brevet et les membres du SETRA-CTOA coopéraient ensemble à l'élaboration de documents, tels que D7 et D4 (document similaire à D7, mais postérieur et portant sur une première conception de l'invention) et qu'en outre, des procédures judiciaires étaient en cours en France dès 1991 entre les parties, impliquant la production de pièces et moyens de preuve.
Malgré l'annonce faite dans sa dernière lettre, les requérants n'ont pu combler cette absence de preuve, et la lettre de la SETRA fournie avec le dernier courrier de l'intimée semble s'opposer à toute production de preuve pertinente. La Chambre ne peut donc que constater l'inexistence de l'abus allégué.
2.4. Les deux arguments ci-dessus des requérants ne sont donc pas fondés et, par conséquent, la Chambre confirme la décision positive de la division d'opposition quant au caractère accessible au public du document D7.
3. Nouveauté de l'objet des revendications indépendantes 1 et 3
Déjà en procédure d'examen (cf. la lettre du 21. septembre 1991, page 2), les inventeurs avaient reconnu que le document D7, dont le caractère public n'avait pas encore été démontré, antériorisait leur invention. La décision contestée par le recours confirme l'absence de nouveauté de l'objet des revendications 1 et 3 du brevet attaqué. Lorsqu'un brevet est concerné, l'article 113(2) CBE dispose que l'Office européen des brevets n'examine et ne prend de décision sur le brevet européen que dans le texte proposé ou accepté par le titulaire du brevet et l'article 102(1) CBE dispose que le brevet doit être révoqué si les motifs d'opposition visés à l'article 100 CBE s'opposent au maintien du brevet. Selon la jurisprudence des chambres de recours, l'article 113(2) CBE entraîne que le texte du brevet doit être considéré comme un tout, c'est-à-dire qu'il ne peut être divisé, par exemple en parties avec les unes brevetables et les autres non. Si donc un élément du brevet, et en premier lieu évidemment l'une des revendications indépendantes, n'est pas brevetable, la révocation du brevet s'impose (voir la décision T 5/81, JO 1982, page 249, concernant une demande de brevet).
Dans le cas présent, l'absence de nouveauté de l'objet des revendications 1 et 3, non contestée par le requérant, entraîne donc la révocation du brevet en cause et la Chambre confirme donc la décision attaquée par le présent recours.
4. Revendication 5
Dans leurs écrits en procédure de recours, les requérants ont uniquement défendu leur brevet en faisant valoir que la caractéristique de la revendication 5 du brevet n'était pas divulguée par le document D7. La revendication 5 toutefois, comme l'avait souligné la Chambre de recours dans sa notification, est une revendication dépendante, et la Chambre avait précisée que l'allégation des requérants, selon laquelle cette caractéristique constituait un élément essentiel de l'invention, imposait en vertu de la règle 29(3) CBE que cette caractéristique apparaisse dans les revendications indépendantes.
Les requérants n'ont pas modifié les revendications du brevet, qui donc demeure dans sa version telle que délivrée. Par suite, il n'y a pas lieu d'examiner le caractère brevetable ou non de cette caractéristique de la revendication dépendante 5 et les arguments correspondants des requérants sont sans objet.
5. Dans ces circonstances, il est aussi inutile d'examiner si l'objet revendiqué aurait été antériorisé ou non par un ou des usages antérieurs éventuels, constitués par la pose de plaques d'appui sur des murs de soutènement de plusieurs voies rapides françaises mentionnées au cours des diverses procédures concernant le brevet attaqué. La Chambre signale seulement les faits suivants :
Dans l'une des lettres datées du 13 janvier 1989, à savoir l'annexe 16 qui a été jointe au mémoire de recours dans un but particulier, à savoir justifier l'existence de la lettre du 28 octobre 1988, il apparaît en page 2 le paragraphe suivant :
"En première approche la redevance du premier brevet pourrait s'élever à 25 F/plaque. A titre indicatif dans le Département du Val de Marne, il a été mis en oeuvre 2000 plaques d'appui étoilées."
Parmi les chantiers mentionnés, les ouvrages des Martinets et de Charenton, qui apparemment sont dans ce département de France, ont été cités et équipés de plaques d'appui en 1988, donc juste avant la date d'antériorité du brevet en cause. Dans sa notification, la Chambre avait souligné que le dit passage de l'annexe 16. semblait constituer une reconnaissance implicite d'une divulgation par usage antérieur de l'invention revendiquée, tombant sous le coup de l'article 54 CBE. Les requérants, dans leur dernier courrier, n'ont pas pris position sur ce point, alors que l'intimée a fourni avec sa dernière lettre un écrit du SETRA, affirmant que "le procédé n'était pas brevetable car rendu public et exploité".
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.