Adnane Remmal
Intensifier l'action des antibiotiques au moyen d'huiles essentielles
Lauréat du Prix de l’inventeur européen 2017 dans la catégorie Prix du public
Au cours de ses recherches à l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fez, Adnane Remmal s'est attaqué à un des problèmes majeurs auxquels se heurte la médecine moderne, à savoir le nombre croissant de bactéries devenues résistantes aux antibiotiques. Selon lui, une solution pourrait venir de la tradition régionale consistant à distiller des fleurs et d'autres organes végétaux pour en extraire des arômes et des infusions.
Connaissant les propriétés antimicrobiennes, antiparasitaires et antifongiques de nombreuses plantes, Remmal savait aussi qu'utilisées à doses assez fortes pour être efficaces, elles sont souvent impropres à un usage médical en raison d'effets secondaires fréquents tels que maux de tête et nausées. D'où la solution consistant à miser sur les vertus inhérentes des antibiotiques et des huiles essentielles, en combinant les deux pour obtenir un effet de synergie tout en évitant les effets secondaires.
Développée par Remmal depuis le milieu des années 1990 et brevetée par l'OEB en 2014, l'invention a débouché sur un médicament nouveau actuellement au stade des derniers essais cliniques. Ce médicament, dont la mise sur le marché est prévue pour fin 2017, utilise une double approche basée sur les huiles essentielles pour contrer les multirésitances. En plus de son médicament qui intensifie de façon naturelle l'action des antibiotiques, Remmal a inventé un supplément tiré d'huiles essentielles qui remplace les antibiotiques et les autres produits chimiques dans l'alimentation animale. L'abus d'antibiotiques dans l'élevage intensif est une des causes majeures d'antibiorésistance.
Impact sociétal
L'Organisation mondiale de la Santé ainsi que plusieurs États et autres acteurs ont placé l'antibiorésitance en tête de leurs priorités. L'ampleur mondiale du problème rend sa solution difficile. Les infections réfractaires aux traitements médicamenteux tuent chaque année quelque 700 000 personnes à travers le monde, hécatombe qui pourrait atteindre les 10 millions d'ici 2050 faute d'une nouvelle génération d'antibiotiques. D'où l'intérêt du médicament nouvellement développé par Remmal, qui s'attaque aux bactéries moyennement et fortement résistantes avec plus d'efficacité que ne le font les antibiotiques standards, et avec moins d'effets secondaires et de résistances. Ce médicament permettra de mieux contenir les agents pathogènes et donnera à l'humanité un répit pour inventer de nouveaux antibiotiques.
Parallèlement, le complément alimentaire naturel pour bétail développé par Remmal s'attaque à un autre aspect du problème, car la moitié des antibiotiques fabriqués dans le monde, y compris ceux indispensables à la médecine humaine, sont utilisés dans l'alimentation animale. Administrés à des doses infrathérapeutiques, ces antibiotiques stimulent la croissance du bétail mais permettent aux microorganismes de survivre en développant des résistances. Ceux-ci se transmettent ensuite via la chaîne alimentaire, comme c'est le cas des souches résistantes de salmonelles et de colibacilles, et prolifèrent dans les eaux usées et les abreuvoirs.
Ajoutée à la filière normale d'alimentation animale, la formule de Remmal se révèle tout aussi efficace que les antibiotiques standards sans en avoir les effets secondaires ni engendrer de résistances.
Impact économique
La Commission européenne estime à 1,5 milliard d'euros au moins le surcoût annuel et la perte de productivité résultant des infections causées par les bactéries résistantes. Selon un rapport de la banque mondiale publié en 2016, l'impact annuel de l'antibiorésitance sur le budget sanitaire mondial d'ici 2050 pourrait osciller entre 283 milliards et plus de 984 milliards d'euros. Une partie du problème vient du fait que chaque antibiotique nouvellement synthétisé coûte à la communauté entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros et comporte ses propres possibilités de résistances, d'effets secondaires et de toxicité, sans compter le risque que des investissements réalisés dans un nouveau médicament ne soient pas suivis de résultats.
Les "antibiotiques dopés" de Remmal en sont à leurs derniers essais cliniques et devraient faire leur apparition sur le marché fin 2017. Le nouveau médicament se caractérise par un faible coût de production et peut être vendu à un prix abordable du fait qu'il utilise des molécules naturelles déjà testées et approuvées dans l'industrie pharmaceutique.
En 2004, afin de commercialiser ses produits pharmaceutiques, Remmal fonda une entreprise qui a depuis lors déposé quatre demandes de brevets pour protéger le concept d'intensification de l'effet des agents anti-infectieux. La jeune entreprise a amené le principal laboratoire pharmaceutique du Maroc et de l'Afrique de l'Ouest à investir dans la commercialisation des "antibiotiques dopés".
Comment ça marche ?
Il existe plus de 100 antibiotiques répartis en plusieurs classes, avec chacun leur mode de fonctionnement propre. D'une façon générale, les antibiotiques empêchent la bactérie de se reproduire ou de réparer son ADN endommagé, ou encore exploitent certaines faiblesses de sa paroi cellulaire.
À l'échelle moléculaire, Remmal compare le fonctionnement d'un antibiotique à une clef servant à ouvrir une porte : "Dès que la clef ouvre la porte, la bactérie meurt, mais si une mutation modifie un tant soit peu la géométrie de la serrure, la clef n'entre plus et la bactérie devient résistante".
En "dopant" l'antibiotique aux huiles naturelles, Remmal a inventé une clef qui ne se contente pas d'ouvrir la porte, mais qui la démolit.
La clef spéciale de Remmal associe, aux propriétés antimicrobiennes naturelles de certaines plantes locales, les antibiotiques connus tels que les pénicillines, les céphalosporines et même les antibiotiques utilisés contre le staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM). L'interaction entre les molécules naturelles "dopantes" et les antibiotiques crée des "complexes moléculaires" que les mécanismes de résistance mis en œuvre par les bactéries ont de la peine à reconnaître. Les bactéries peuvent alors très difficilement développer des résistances efficaces contre le traitement anti-infectieux.
L’inventeur
Après des études de biologie à l'Université de Fez, Remmal fut invité à poursuivre sa formation au centre d'Orsay (université Paris-XI) en 1982. Pendant ses travaux dans les équipes de recherches dirigées par Édouard Coraboeuf et Philippe Meyer, il obtint un postgraduat en électrophysiologie et pharmacologie cardiovasculaire ainsi qu'un doctorat en pharmacologie moléculaire (1987).
Renonçant aux offres qui lui étaient faites de rester en France après son doctorat, Remmal préféra rentrer au Maroc pour y partager sa passion de chercheur avec ses étudiants marocains et contribuer au développement technologique et scientifique de son pays. Remmal devint professeur-chercheur à l'Université de Fez en 1988, et ses travaux de recherche fondamentale sur l'activité antimicrobienne des huiles essentielles lui valurent un second doctorat en microbiologie en 1994.
Pour son supplément alimentaire pour bétail à base d'extraits de plantes, Remmal reçut en 2015 le Prix de l'innovation pour l'Afrique décerné par l'Africa Innovation Foundation.
Le saviez-vous ?
Remmal s'ajoute à la longue liste des finalistes et lauréats du Prix de l'inventeur européen à s'être inspirés de la nature pour arriver à des solutions innovantes. L'inventeur danois Peter Holme Jensen et son équipe chez Aquaporin (2014 ; PME - lauréats) s'inspira du transport naturel intercellulaire de l'eau afin de mettre au point sa membrane écoénergétique pour purifier l'eau. L'utilisation ciblée de composés naturels pour traiter diverses maladies est au centre des inventions de Ivars Kalvins (2015 ; Œuvre d'une vie - finaliste). Le chercheur néerlandais Hendrik Jonkers (2015 ; Recherche - finaliste) eut l'idée de créer un béton autoréparateur en ajoutant au mélange des bactéries productrices de calcaire.
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