T 2165/18 (Indice de fiabilité/COYOTE) 14-04-2021
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SYSTEME D'AIDE PERSONNALISEE A LA CONDUITE D'UN VEHICULE
Nouveauté - accessibilité au public,
Nouveauté - divulgation sur l'Internet,
Nouveauté - usage antérieur public (non),
Décision sur le recours - renvoi à la première instance (non),
Saisine de la Grande Chambre de recours - (non),
I. Le recours a été formé par la requérante (titulaire du brevet) contre la décision par laquelle la division d'opposition a révoqué le brevet en litige. La division d'opposition a révoqué le brevet au motif que la revendication 1 n'était pas nouvelle par rapport à E18 (articles 54 et 100(a) CBE). La décision contestée a été prise lors d'une procédure orale au cours de laquelle la requérante avait déposé sept requêtes subsidiaires qui n'ont pas été admises (article 114(2) CBE).
E18 est une attestation sur l'honneur à laquelle est annexé le manuel d'utilisation E1 du produit Yanosik-R. L'accessibilité au public de ce manuel d'utilisation avant la date de priorité du brevet a été justifiée par l'usage antérieur public de ce produit.
II. Dans son mémoire de recours, la requérante a requis l'annulation de la décision de révocation du brevet. Elle a requis à titre principal le maintien du brevet tel que délivré ou, à titre subsidiaire, selon une des requêtes subsidiaires 1 à 7 déposées lors de la procédure orale devant la division d'opposition. Par ailleurs, elle a requis le remboursement de la taxe de recours en vertu de la règle 103(1)(a) CBE.
III. Dans sa réponse au mémoire de recours, l'intimée (opposante) a requis que le recours soit rejeté et le brevet révoqué, et auxiliairement, qu'une procédure orale ait lieu.
IV. Un autre objet de contestation entre les parties était l'interprétation simultanée entre le polonais et le français pendant l'audition (dont le procès-verbal en français est désigné E30 dans la décision contestée) d'un témoin, M. Szymon Król, qui a eu lieu au début de la procédure orale devant la division d'opposition. La requérante a requis la transcription du témoignage dans la langue du témoin. De plus, elle a requis des rectifications des procès-verbaux de l'audition et de la procédure orale.
V. Dans une notification établie conformément à l'article 15(1) RPCR, la Chambre a communiqué son avis préliminaire, selon lequel la date à laquelle le manuel d'utilisation E1, annexé à E18, est devenu accessible au public n'était pas établie par l'usage antérieur du produit Yanosik-R ou par le témoignage de M. Szymon Król. La Chambre a donc signalé que cela aurait comme conséquence que la décision contestée devrait être annulée et le brevet maintenu. La chambre a de plus indiqué que les conditions exigées par la règle 103(1)(a) CBE pour le remboursement de la taxe de recours n'étaient pas réunies et que les requêtes de la requérante en transcription du témoignage et en rectification des procès-verbaux étaient sans fondement.
VI. Avec sa réponse à la notification de la Chambre, l'intimée a déposé de nouveaux documents E32 à E37. Elle a requis, à titre de première requête subsidiaire, que la Chambre renvoie la cause à la division d'opposition afin que celle-ci prenne en considération E32 à E37, et à titre de second requête subsidiaire, la saisine par la Chambre de la Grande Chambre de recours.
VII. Lors de la procédure orale devant la Chambre, la requérante a retiré ses requêtes en remboursement de la taxe de recours, en transcription du témoignage dans la langue du témoin et en rectification des procès-verbaux. L'intimée a déposé devant la Chambre une nouvelle seconde requête subsidiaire remplaçant celle précédemment versée aux débats et complétant la question en vue de la saisine de la Grande Chambre de recours. Avant la clôture de la procédure orale, les parties ont confirmé leurs requêtes finales comme étant les suivantes:
- Les requêtes finales de la requérante avaient pour objet l'annulation de la décision contestée et à titre principal le maintien du brevet tel que délivré ou à titre subsidiaire, selon l'une des requêtes subsidiaires 1 à 7 déposées lors de la procédure orale devant la division d'opposition.
- Les requêtes finales de l'intimée avaient pour objet à titre principal le rejet du recours, à titre de première requête subsidiaire, le renvoi par la Chambre de la cause à la division d'opposition à fin de prise en compte par celle-ci d'éléments de preuve additionnels constitués par de nouveaux documents E32 à E37 déposés par l'intimée avec son courrier en date du 12 mars 2021, et à titre de nouvelle seconde requête subsidiaire déposée devant la Chambre lors de la procédure orale, la saisine par la Chambre de la Grande Chambre de recours afin de lui poser la question suivante [soumise en anglais]:
"Can evidence based on the testimony of a single witness be disregarded in establishing a public prior use, in particular if the witness is considered to be credible and reliable and/or if there is no evidence in place putting into question the facts supported by the witness testimony, in particular if there is additional evidence in place supporting the testimony of the witness?"
VIII. Il est fait référence aux documents suivants dans la présente décision :
E1: Manuel d'utilisation du produit Yanosik-R
E4: Vidéo YouTube sur le produit Yanosik, téléchargé en mai 2009
E5: Vidéo YouTube sur le produit Yanosik, téléchargé en avril 2009
E6: Factures issues par la société Neptis Sp. z o.o.
E18: Attestation sur l'honneur de Szymon Król du 11 janvier 2017
E19: Factures issues par la société EXPECT Szymon Król et extrait du compte bancaire
E32: Attestation sur l'honneur de Sylwester Rózanski et Jan Sobol (JANSERWIS S.C.) du 10 mars 2021
E33: Attestation sur l'honneur de Witold Kundzewicz (Wielkopolska Telewizja Kablowa sp. z o.o.) du 10 mars 2021
E34: Attestation sur l'honneur de Bartosz Grycz (BMG Vending Partner) du 9 mars 2021
E35: Attestation sur l'honneur de Pawel Slubowski (HADRON Pawel Slubowski) du 10 mars 2021
E36: Attestation sur l'honneur de Piotr Sateja (Orange Polska) du 11 mars 2021
E37: Attestation sur l'honneur de Adam Tychmanowicz et Dawid Nowicki (Neptis SA) du 10 mars 2021
IX. Les libellés des revendications ne sont pas pertinents pour la présente décision.
1. Date d'accessibilité au public du manuel d'utilisation E1/E18
1.1 La décision contestée a conclu que la revendication 1 du brevet tel que délivré manque de nouveauté eu égard au manuel d'utilisation E1/E18.
1.2 Le manuel d'utilisation E1/E18 est un document sans date, divulgué sur internet (http://www.janserwis.pl/upload/instrukcje/instrukcjaobslugiyanosik.pdf). Selon la jurisprudence des Chambres de recours, le standard de preuve adéquat pour les divulgations internet est l'appréciation de la balance des probabilités (voir La Jurisprudence des Chambres de recours, 9ème édition, I.C.3.2.3 c)). Les Chambres de recours ont accepté la fiabilité des dates provenant des éditeurs ou des archives de bonne réputation et de confiance, y compris notamment www.archive.org, dans plusieurs décisions. Toutefois, la requérante avait noté à juste titre déjà lors de la procédure d'opposition (voir la lettre du 10 octobre 2016, page 9) que E1 a été enregistré par www.archive.org une seule fois, à savoir le 21 février 2016, c'est-à-dire après la date de priorité du brevet en litige (25 novembre 2009). Avec sa réponse à l'avis préliminaire de la Chambre, l'intimée a déposé E32, l'attestation sur l'honneur de deux associés de JANSERWIS S.C., que le manuel d'utilisation a été téléchargé à cette adresse en avril 2009. Cependant, JANSERWIS S.C. n'étant pas connu comme un éditeur ou une archive de bonne réputation, la force probante de cette attestation n'est pas suffisante.
1.3 Afin d'étayer la date d'accessibilité au public du manuel d'utilisation de E1/E18 avant la date de priorité, l'intimée a invoqué l'usage antérieur du produit Yanosik-R mentionné dans ce manuel. L'intimée a indiqué à juste titre que le dispositif Yanosik-R est un produit de consommation de masse et a fait référence à la jurisprudence correspondante, notamment T 55/01.
1.4 L'affaire T 55/01 avait pour objet l'accessibilité au public d'un manuel d'utilisation pour une antenne satellite destinée à certaines marques de téléviseurs. La Chambre compétente a fait observer que les téléviseurs sont des produits de consommation de masse qui sont rapidement écoulés sur le marché et, tenant compte de ce que les événements survenant sur un marché de consommation de masse, tels que l'apparition de nouveaux modèles de téléviseurs, sont facilement accessibles à tous, a indiqué que le standard de preuve adéquat est l'appréciation de la balance des probabilités plutôt que celui de la preuve au-delà de toute doute raisonnable (ce dernier ayant été appliqué par la division d'opposition dans la décision contestée).
1.5 La Chambre convient que cette jurisprudence est applicable dans la présente affaire mais l'analogie s'arrête là. Dans l'affaire T 55/01, le manuel d'utilisation mentionnait deux fois qu'il reflétait la situation de mars 1991 et portait un Druckvermerk dont les quatre derniers chiffres 9104 indiquaient une date d'impression (avril 1991) qui n'était pas évidente à identifier comme telle à première vue. Dans ces circonstances, la Chambre compétente n'a vu aucune raison de douter de l'explication donnée dans la déclaration d'un témoin quant à la signification de ces chiffres et a accepté avril 1991 comme la date d'impression du manuel d'utilisation. Dans la présente affaire, le manuel d'utilisation E1/E18 n'est pourvu ni d'une date d'impression ni d'un autre chiffre qui aurait permis d'indiquer cette date d'impression. Toutefois, la division d'opposition a été convaincue par les déclarations et le témoignage d'un revendeur du produit Yanosik-R et co-auteur de son manuel d'utilisation, M. Szymon Król, que le manuel d'utilisation E1/E18 était accessible au public avant la date de priorité du brevet en litige.
1.6 En revanche, comme indiqué à juste titre par la requérante, le rôle d'un témoin est en principe de corroborer les faits allégués et non de combler les lacunes dans ces faits, ici l'absence complète d'une date dans le manuel d'utilisation E1/E18.
1.7 En ce qui concerne l'usage antérieur public du produit Yanosik-R, la Chambre est convaincue par le moyen de preuve E6 qu'une certaine version de ce produit avait été distribuée sur le marché en avril 2009. Pour un produit de consommation de masse, il n'est pas nécessaire de prouver qu'une vente a eu lieu (comme l'intimée l'a établi par le moyen de preuve E19), puisque la simple distribution du produit sur le marché le rend accessible au public (voir T 55/01, point 4.1 des motifs). Le lancement du produit sur le marché est aussi attesté par les vidéos YouTube E4 et E5, téléchargées en avril/mai 2009. La Chambre ne voit aucune raison de douter de la fiabilité des dates de téléchargement indiquées par YouTube. Néanmoins, tous ces moyens de preuve servent à étayer la date de lancement d'une certaine version du produit Yanosik-R sur le marché et non pas à établir la date d'impression ou la date d'accessibilité au public du manuel d'utilisation E1/E18. Il en va de même de l'argument de l'intimée selon lequel les vendeurs des produits Yanosik-R étaient tenus par la loi de les distribuer avec un manuel d'utilisation dans l'emballage. Il ne découle pas de cette obligation juridique que le manuel d'utilisation qui accompagnait la version du produit Yanosik-R à son lancement sur le marché en avril 2009 était nécessairement exactement celui sous E1/E18. En effet, celui-ci n'indique pas la version du Yanosik-R avec laquelle il a été distribué. Cette information est d'une importance capitale pour une solution basée sur un logiciel, surtout quand ce logiciel peut être mis à jour à tout moment comme dans le cas du Yanosik-R (voir E1, page 7, "Software updates"). Ces lacunes de E1/E18 quant à sa date de publication ou à la version du Yanosik-R avec laquelle il a été distribué ne peuvent pas être comblées seulement par les déclarations d'un témoin.
1.8 L'intimée a considéré qu'il n'y avait aucune preuve que la version du produit Yanosik-R vendue en avril 2009 avait des caractéristiques différentes de celle décrite dans le manuel d'utilisation E1/E18, et que la requérante n'avait pas présenté une autre version du manuel d'utilisation distribuée avec Yanosik-R. Toutefois, la Chambre estime qu'il n'y a pas lieu d'exiger de la requérante la production d'une telle preuve. La charge de la preuve incombe plutôt à l'intimée qui allègue que le manuel d'utilisation distribué en avril 2009 était identique à E1/E18. En l'absence d'une copie du manuel d'utilisation distribué en avril 2009, il est peu probable qu'un témoin, même s'il en a été l'auteur, puisse reconnaître ce texte en totalité après 9 ans. La requérante ne remet pas en question la crédibilité de M. Król mais la fiabilité d'une telle reconnaissance. Il va de soi qu'un témoin crédible peut se tromper de bonne foi.
1.9 L'intimée a fait référence aux décisions T 1798/14, T 2565/11 et T 918/11 pour faire valoir que le témoignage d'un seul témoin peut être suffisant comme preuve d'un usage antérieur et qu'un témoin peut aussi combler certaines lacunes dans les faits allégués. La Chambre ne voit aucune contradiction entre cette jurisprudence et sa propre position. En particulier, les doutes de la Chambre dans la présente affaire ne sont pas dus au nombre des témoins mais à l'ampleur des lacunes que le témoin est censé combler. Bien que les explications d'une seule personne puissent combler une éventuelle lacune dans des preuves documentaires de façon convaincante dans certains cas, comme notamment dans celui de l'affaire T 55/01 citée ci-dessus, pour un cas qui repose uniquement sur la reconnaissance d'un texte dans son entièreté après 9 ans, la force probante de ce type de preuve n'est pas suffisante.
1.10 Ce problème n'est pas résolu par les nouveaux documents E33 à E37 présentés par l'intimée. Ces attestations sur l'honneur de personnes différentes étayent qu'une certaine version du produit Yanosik-R était sur le marché avant la date de priorité du brevet en litige et que cette version était accompagné d'un manuel d'utilisation. Celles-ci ne sont pas contestées. Cependant, quant à la question cruciale de la version du texte de ce manuel d'utilisation, ces attestations soit font référence à divers liens dont aucun n'a été archivé avant la date de priorité du brevet en litige, soit incluent en annexe le manuel d'utilisation sous E1/E18 comme exemple des manuels d'utilisation qui accompagnaient le produit, e.g. E33 sur lequel l'intimée a en particulier attiré l'attention. Néanmoins, la Chambre partage l'avis de la requérante qu'il est assez clair dans l'échange d'e-mails annexé à E33 ("Appendix 1"), que le Yanosik-R était un produit en cours de développement (voir l'e-mail du 8 mai 2009 qui fait référence à la version "alpha").Il n'est pas clair que le manuel d'utilisation qui accompagnait la version "alpha" du Yanosik-R était celui sous E1/E18. Le signataire de l'attestation n'allègue pas avoir gardé la copie du manuel d'utilisation de la version "alpha", mais atteste que des manuels d'utilisation tel que celui sous E1/E18 étaient généralement disponibles à l'époque ("user manuals describing the operation of the devices, as set out in Appendix 3 hereto, were generally available").
L'intimée a fait valoir que le signataire de E33 avait conclu le 30 octobre 2009 un contrat de coopération avec la société Neptis Sp. z o.o., annexé à E33 et qu'une bonne gestion documentaire impose de conserver un tel instrument légal avec tous les documents pertinents qui s'y rapportent, y compris le manuel d'utilisation du produit qui est l'objet du contrat. La Chambre n'est pas convaincue par cet argument. Comme indiqué à juste titre par la requérante, l'objet de ce contrat est la diffusion de matériel de publicité, quant auquel le texte d'un manuel d'utilisation ne serait pas pertinent.
1.11 Par conséquent, la date d'accessibilité au public du manuel d'utilisation E1/E18 n'a pas été établie. Il en découle que E1/E18 ne peut pas être considéré comme appartenant à l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE. La décision contestée doit donc être annulée et le brevet maintenu tel que délivré.
2. Requête subsidiaire de l'intimée en renvoi à la division d'opposition
2.1 L'intimée requiert à titre subsidiaire le renvoi de la cause à la division d'opposition aux fins de prise en compte par celle-ci d'éléments de preuve additionnels constitués par de nouveaux documents E32 à E37 déposés devant la Chambre.
2.2 Toutefois, la Chambre a déjà examiné la cause en prenant notamment en compte les nouveaux documents E32 à E37. Ainsi, la requête en renvoi à la division d'opposition équivaut à une requête en réouverture de la procédure d'opposition après la décision de la Chambre. Ceci est contraire à la nature de la procédure de recours dans laquelle la Chambre prend la décision finale sur les questions de fond (article 111(2) CBE).
2.3 Par conséquent, la requête subsidiaire de l'intimée en renvoi à la division d'opposition est sans fondement.
3. Requête subsidiaire de l'intimée en saisine de la Grande Chambre de recours
3.1 L'intimée justifie la nécessité d'une saisine de la Grande Chambre de recours par son impression que la position prise par la Chambre dans la présente affaire sur la force probante des témoignage est en contradiction avec les décisions T 1798/14, T 918/11 et T 2565/11. Comme indiqué plus haut (voir 1.9), une telle contradiction n'existe pas. Dès lors, la requête subsidiaire de l'intimée en saisine de la Grande Chambre de recours est également sans fondement.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. Le brevet est maintenu tel que délivré.
3. La requête subsidiaire de l'intimée en renvoi à la division d'opposition est rejetée.
4. La requête subsidiaire de l'intimée en saisine de la Grande Chambre de recours est rejetée.