C. Possibilité d'exécuter l'invention
Vous consultez la 9e édition (2019) de cette publication ; pour la 10e édition (2022) voir ici |
Une objection relative à l'insuffisance de l'exposé de l'invention ne peut prospérer que si de sérieuses réserves peuvent être formulées, étayées par des faits vérifiables (voir, par exemple, décision T 19/90, JO 1990, 476 et décision T 890/02, JO 2005, 497). Pour que l'insuffisance de l'exposé soit établie dans des procédures inter partes, il appartient à l'opposant de prouver, selon la balance des probabilités, qu'un homme du métier lisant le brevet serait incapable d'exécuter l'invention à partir de ses connaissances générales de base (voir décision T 182/89, JO 1991, 391).
A cette fin, il ne suffit pas en principe d'affirmer simplement que l'un des exemples cités dans un brevet a été reproduit une fois "exactement comme décrit", sans pouvoir obtenir exactement les résultats revendiqués dans le brevet (cf. également T 406/91, T 418/91, T 548/91 et T 588/93, T 465/97, T 998/97, T 499/00, T 751/00 et T 967/09). Dans une affaire où les allégations des parties sont contradictoires mais non étayées et concernent des faits pertinents pour l'établissement de la brevetabilité, et où l'OEB n'est pas en mesure d'établir les faits en procédant à un examen d'office, le bénéfice du doute profite au titulaire du brevet (T 72/04). Si le brevet contient un seul exemple décrit sous la forme d'un protocole expérimental hypothétique, et que cet exemple doive être pris comme base pour démontrer que l'invention est suffisamment exposée, il appartient alors au titulaire du brevet de montrer qu'en pratique ce protocole fonctionne comme indiqué. Il est peu probable que la preuve qu'une variante du protocole fonctionne soit suffisante (T 792/00). Toutefois, dans l'affaire T 397/02, le brevet en cause divulguait une version humanisée spécifique d'un anticorps de souris ainsi que de nombreuses variantes particulières de celui-ci. Cela n'était donc pas comparable aux affaires T 792/00 (ou T 984/00), dans lesquelles pas un seul exemple spécifique de l'objet revendiqué n'avait été divulgué. Il appartenait donc au requérant-opposant de prouver que l'invention ne pouvait pas être exécutée.
Dans l'affaire T 63/06, la chambre a estimé qu'il incombe généralement à l'opposant d'établir l'insuffisance de l'exposé. Lorsque le brevet ne donne aucune information sur la manière dont une caractéristique de l'invention peut être mise en pratique, il n'existe qu'une faible présomption que l'invention soit suffisamment exposée. Dans ce cas, l'opposant peut s'acquitter de la charge de la preuve en arguant de façon convaincante que les connaissances générales de l'homme du métier ne lui permettraient pas de mettre en pratique cette caractéristique. Le titulaire du brevet doit alors prouver le contraire, à savoir que les connaissances générales de l'homme du métier permettraient effectivement à celui-ci de réaliser l'invention (voir une illustration plus récente dans la décision T 338/10 qui conclut que les arguments raisonnés de l'opposant renversent la charge de la preuve). Dans l'affaire T 491/08, la chambre, se référant à la décision T 63/06, a estimé qu'une demande de brevet est en général censée porter sur une invention qui est exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Le poids des arguments et preuves requis pour réfuter cette présomption dépend de la force de cette dernière. Une forte présomption exige davantage d'arguments et de preuves tangibles qu'une faible présomption. Si une demande de brevet ne contient pas d'informations détaillées sur la manière de réaliser l'invention, il n'est pas nécessaire que les arguments et preuves soient autant étayés. De sérieuses réserves quant au fait que l'homme du métier puisse exécuter l'invention telle que revendiquée sont suffisantes si elles reposent par exemple sur des arguments compréhensibles et plausibles (voir aussi T 347/15).
Dans l'affaire T 518/10, la chambre a rappelé les règles relatives à la charge de la preuve en cas d'insuffisance de l'exposé, laquelle repose de manière générale sur les opposants. En l'espèce, le requérant (titulaire du brevet) avait affirmé que, contrairement à l'opinion technique prédominante, l'homme du métier, en utilisant la méthode d'extraction décrite dans le brevet litigieux, devait pouvoir obtenir, à partir d'animaux marins aquatiques, un extrait comprenant le composé (II), ce que les intimés ont nié en apportant des preuves selon lesquelles le composé (II) ne pouvait pas être obtenu suivant la méthode générale décrite dans le brevet. Dans ces conditions, il incombait au requérant de démontrer que la méthode fonctionnait comme indiqué dans le brevet. La simple hypothèse que le composé (II) pouvait théoriquement être présent dans un extrait en raison du régime alimentaire du krill à base d'algues, ne permettait pas d'invalider les rapports expérimentaux des intimés ou de décharger le requérant du fardeau de la preuve. La chambre ne s'est pas non plus rangée à l'avis du requérant selon lequel il incombait aux intimés, après avoir échoué dans leur tentative d'obtenir l'extrait revendiqué en suivant l'enseignement du brevet, de se lancer dans un programme de recherche afin de trouver un composé que – selon l'opinion technique prédominante – l'on ne s'attendait pas à trouver, et dont la présence n'était même pas attestée de façon probante dans le brevet litigieux.
Dans l'affaire T 2571/12, la chambre ne partageait pas la position de la division d'opposition selon laquelle, parce que l'opposant n'avait produit aucune preuve montrant qu'un trouble neuropsychiatrique ne pouvait pas être traité efficacement en utilisant un précurseur du glutathion, le brevet en cause était considéré comme divulguant l'invention d'une manière suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. C'est le brevet qui doit démontrer l'adéquation du traitement revendiqué à l'indication thérapeutique revendiquée. Comme expliqué, par exemple, dans la décision T 609/02, une simple affirmation verbale selon laquelle le composé X peut être utilisé pour traiter la maladie Y ne suffit pas pour satisfaire la suffisance de l'exposé: il est plutôt exigé que le brevet fournisse des informations sous la forme, par exemple, d'essais expérimentaux montrant que le composé revendiqué a un effet direct sur un mécanisme métabolique qui est impliqué de façon spécifique dans la maladie, ce mécanisme étant soit connu de l'état de la technique soit démontré dans le brevet en soi.
Selon la jurisprudence constante des chambres de recours, la constatation d'insuffisance de l'exposé doit être fondée sur la formulation de sérieuses réserves, étayées par des faits vérifiables. Les faits avancés par la division d'examen dans l'affaire T 1020/11 ex parte pour justifier une conclusion d'insuffisance de l'exposé étaient basés sur un problème potentiel pouvant survenir entre plusieurs antigènes combinés. Toutefois, aucun fait véritable ne démontrait en l'espèce que l'interférence constituait un problème. En l'absence de tels faits vérifiables et pertinents en l'espèce, la chambre n'a pas jugé convaincante l'objection d'insuffisance de l'exposé (voir aussi l'affaire inter partes T 872/13 (composition pharmaceutique) – l'opposant avait décrit un nombre de difficultés que l'homme du métier pouvait rencontrer mais n'avait présenté aucun doute sérieux étayé par des faits vérifiables – dans cette affaire l'homme du métier était à même de modifier la méthode de l'exemple 8 afin d'obtenir le résultat désiré – modifications de routine).
La décision T 1437/07 concernait l'objection selon laquelle l'effet thérapeutique ne pouvait vraisemblablement pas être atteint car le traitement divulgué dans l'exemple 9 n'avait pas été réellement exécuté. La chambre s'est notamment référée à la règle 42(1)(e) CBE selon laquelle même la présence d'un exemple n'était pas obligatoire. La chambre a rejeté l'objection.
Comme preuve de l'impossibilité d'exécuter l'invention, les chambres de recours exigent que l'invention ne puisse pas être reproduite même lorsque les conditions spécifiées dans les exemples sont respectées. Cette condition n'est pas remplie lorsque l'opposant reproduit le procédé breveté dans des conditions qui sont certes couvertes par la revendication 1, mais qui diffèrent à maints égards de celles appliquées dans les exemples du brevet contesté (T 665/90). Dans la décision T 1712/09, les tests réalisés dans les rapports expérimentaux n'avaient pas été mis en œuvre conformément aux instructions données par le brevet, puisqu'ils faisaient appel à des appareillages de mesures différents. La chambre a constaté qu'aucun effort n'avait été entrepris pour reproduire l'invention, condition première des art. 100(b) et 83 CBE. Une telle reproduction aurait en effet non seulement permis de confirmer (ou non) les résultats mais surtout de calibrer la méthode de détermination du ou des paramètres litigieux sur les valeurs décrites dans le brevet. La chambre estime que l'opposante n'a pas démontré la non-reproductibilité de la méthode de mesure desdits paramètres et donc, a fortiori, le défaut d'exposé de l'invention, alors que cette charge de la preuve lui incombait. Sur la possibilité de calibrer la méthode, voir aussi T 1062/98, T 485/00, et T 45/09.
Dans la décision T 740/90, il a été considéré que c'est seulement sur la base des exemples cités que l'on doit chercher à reproduire le procédé. C'est ainsi qu'il ne suffit pas de contester la reproductibilité en s'appuyant sur des essais en laboratoire lorsque, dans le brevet, un procédé industriel de fermentation est décrit comme unique exemple de réalisation. L'exposé de l'invention a également été jugé suffisant dans un cas où l'opposant n'avait pas été en mesure de prouver le contraire du fait qu'il avait uniquement utilisé des équivalents des surfactants indiqués dans le brevet (T 406/91).
Dans l'affaire T 541/96, la chambre a considéré que si une invention semble aller à l'encontre des théories établies et des lois de la physique généralement admises, l'exposé doit être suffisamment détaillé pour prouver à l'homme du métier disposant de connaissances scientifiques et technologiques courantes, que l'invention est effectivement réalisable, la charge de la preuve incombant au demandeur (cf. également T 1023/00, T 1329/07 et T 1796/07). Pour qu'une nouvelle invention puisse être exécutée par l'homme du métier de compétence moyenne, n'ayant précisément que des connaissances techniques conventionnelles, la demande de brevet doit comporter d'autant plus d'informations et d'explications techniques que la rupture entre cette nouvelle invention et les connaissances techniques acceptées jusque-là est grande (T 1785/06).
Dans l'affaire ex parte T 2340/12, la demande était relative à une unité d'implosion d'énergie spatiale. La chambre a observé qu'elle ne comprenait pas comment le champ de torsion ou l'énergie spatiale devait être mesurés. Le requérant (demandeur) a soutenu que l'on pouvait trouver plus de 40 000 citations sur Internet concernant "l'énergie spatiale". Mais aucune citation internet concrète n'avait été citée pour expliquer les concepts de champ de torsion ou d'énergie spatiale. Le demandeur s'était uniquement référé aux mesures "indirectes" effectuées mais n'a pas précisé la nature de ces expériences ou leur pertinence pour l'invention revendiquée bien qu'il ait été invité à le faire dans l'opinion provisoire rendue par la chambre. La division d'examen a formulé des critiques concernant les expériences. Le requérant a souligné que la CBE ne prévoit aucune obligation de fournir de telles preuves expérimentales. Le requérant a en outre mis en doute la compétence de la division d'examen pour exiger de telles preuves. La chambre a estimé que, dans le cas d'inventions dans des domaines technologiques dépourvues de tout fondement théorique ou pratique accepté, la jurisprudence des chambres de recours avait établi que la demande devait contenir tous les détails de l'invention nécessaires pour obtenir l'effet recherché (voir T 541/96, point 6.2 des motifs). Ceci était la conséquence directe du fait que l'homme du métier serait incapable de s'appuyer sur des connaissances générales de base acceptées concernant des inventions dans de tels domaines. La chambre a estimé que la CBE ne contient aucune disposition selon laquelle la délivrance d'un brevet dépend du fait que le demandeur produise la preuve que l'invention revendiquée fonctionne de manière satisfaisante sous la forme de résultats d'expérimentation. Le dépôt de ces résultats ne doit pas être considéré comme une obligation imposée au demandeur mais, au contraire, comme un droit, lui offrant la possibilité de convaincre que la division d'examen (ou la chambre) a commis une erreur dans ses conclusions initiales. La décision contient des développements sur la charge de la preuve dans les affaires ex parte (à rapprocher par exemple de T 967/09 point 6 des motifs, pour un résumé des principes tirés de la jurisprudence dans les affaires inter partes).
Dans l'affaire T 1273/09, la chambre doutait sérieusement que le traitement homéopathique hypotenseur revendiqué puisse être réalisé de façon fiable et reproductible au moyen du mélange revendiqué, et ce pour les raisons suivantes : (i) selon les normes médicales et scientifiques "classiques", il était inconcevable qu'un médicament homéopathique ne renfermant aucune substance active produise des effets thérapeutiques spécifiques, et (ii) selon les normes de la médecine homéopathique, il était inconcevable qu'un médicament homéopathique qui n'est pas appliqué conformément aux principes de l'homéopathie puisse entraîner des effets thérapeutiques spécifiques. La chambre a estimé dans ses conclusions que l'exposé de la demande – seule source d'information en l'espèce – ne permettait pas à l'homme du métier de réaliser le traitement revendiqué de l'hypertension d'une façon fiable et reproductible. Le motif n'était pas, comme suggéré par les requérants, une simple "incrédulité" sans fondement. Au contraire, la conclusion de la chambre découlait de la prise en compte des éléments de preuve qualitatifs et quantitatifs disponibles.
Voir le chapitre III.G.5.1.2 c) "Exposé de l'invention suffisamment clair et complet".
- T 2218/16
Sufficiency of disclosure - burden of proof, Novelty - new clinical situation
- Jurisprudence 2019
-
Dans l'affaire ex parte T 2340/12, la demande était relative à une unité d'implosion d'énergie spatiale. La chambre a observé qu'elle ne comprenait pas comment le champ de torsion ou l'énergie spatiale devait être mesurés. Le requérant (demandeur) a soutenu que l'on pouvait trouver plus de 40 000 citations sur Internet concernant "l'énergie spatiale". Mais aucune citation internet concrète n'avait été citée pour expliquer les concepts de champ de torsion ou d'énergie spatiale. Le demandeur s'était uniquement référé aux mesures "indirectes" effectuées mais n'a pas précisé la nature de ces expériences ou leur pertinence pour l'invention revendiquée bien qu'il ait été invité à le faire dans l'opinion provisoire rendue par la chambre. La division d'examen a formulé des critiques concernant les expériences. Le requérant a souligné que la CBE ne prévoit aucune obligation de fournir de telles preuves expérimentales. Le requérant a en outre mis en doute la compétence de la division d'examen pour exiger de telles preuves. La chambre a estimé que, dans le cas d'inventions dans des domaines technologiques dépourvues de tout fondement théorique ou pratique accepté, la jurisprudence des chambres de recours avait établi que la demande devait contenir tous les détails de l'invention nécessaires pour obtenir l'effet recherché (voir T 541/96, point 6.2 des motifs). Ceci était la conséquence directe du fait que l'homme du métier serait incapable de s'appuyer sur des connaissances générales de base acceptées concernant des inventions dans de tels domaines. La chambre a estimé que la CBE ne contient aucune disposition selon laquelle la délivrance d'un brevet dépend de la production, par le demandeur, de la preuve que l'invention revendiquée fonctionne de manière satisfaisante sous la forme de résultats d'expérimentation. Le dépôt de ces résultats ne doit pas être considéré comme une obligation imposée au demandeur mais, au contraire, comme un droit, lui offrant la possibilité de convaincre que la division d'examen (ou la chambre) a commis une erreur dans ses conclusions initiales. La décision contient des développements détaillés sur la charge de la preuve dans les affaires ex parte en cas d'objection pour insuffisance de l'exposé.