T 0777/08 (Polymorphes de l'atorvastatine/WARNER-LAMBERT) 24-05-2011
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1. A la date de priorité du brevet litigieux, l'homme du métier dans le domaine du développement des médicaments aurait su que le polymorphisme est un phénomène répandu dans les molécules intéressant l'industrie pharmaceutique, et qu'il est conseillé de rechercher les polymorphes à un stade précoce du développement d'un médicament. Il aurait par ailleurs été bien au courant des procédés habituels de criblage. Par conséquent, en l'absence de préjugé technique et en l'absence de propriété inattendue, le simple fait de fournir une forme cristalline d'un composé pharmaceutique actif connu ne peut être considéré comme impliquant une activité inventive.
2. Partant de la forme amorphe d'un composé pharmaceutique actif comme état de la technique le plus proche, l'homme du métier s'attendrait manifestement à ce qu'une forme cristalline de ce composé résolve le problème consistant à fournir un produit ayant des caractéristiques améliorées du point de vue de la filtrabilité et du séchage. Le choix arbitraire d'un polymorphe spécifique dans un groupe de candidats pouvant pareillement convenir ne peut être considéré comme impliquant une activité inventive.
3. La perspective d'une éventuelle perte de solubilité et de biodisponibilité par rapport à la forme amorphe ne dissuaderait nullement l'homme du métier dans le domaine du développement de médicaments de tenter d'obtenir une forme cristalline. Il considérerait plutôt qu'il s'agit là d'une question de compromis entre les avantages et inconvénients attendus de ces deux classes de forme solide.
I. Le brevet litigieux (brevet européen n° 1 148 049) a été délivré pour la demande de brevet n° 01 116 338.3, à savoir une demande divisionnaire de la demande initiale EP-A-0 848 705, fondée à son tour sur la demande internationale WO 97/03959. Il a été délivré sur la base de quatorze revendications portant sur les formes cristallines II et IV d'hydrate d'atorvastatine et sur des compositions et utilisations pharmaceutiques correspondantes.
La revendication indépendante 7 telle que délivrée s'énonce comme suit (nom chimique complet de l'atorvastatine omis par la Chambre) :
"7. La forme cristalline IV d'hydrate d'atorvastatine [...] ayant un diagramme de diffraction de poudres aux rayons X présentant les valeurs 2? suivantes mesurées avec la raie K? du cuivre : 7,997 et 9,680."
II. Une opposition a été formée et la révocation du brevet dans son intégralité a été demandée au titre des articles 100c), 100b) et 100a) CBE (absence de nouveauté et d'activité inventive).
III. Les documents suivants ont notamment été cités pendant la procédure d'opposition/de recours :
(1) WO 94/16693
(2) EP-A-0 409 281
(10) S Byrn et al., Pharmaceutical Research, juillet 1995, 12(7), 945 - 954
(25) Rapport produit lors de la procédure orale devant la division d'opposition, GMS-CFEP-2007-20, "Filtration and Drying Study on Amorphous and Form IV Atorvastatin Calcium"
(27) B C Hancock et al., Pharmaceutical Research, juin 1995, 12(6), 799 - 806
(28) M Bavin, Chemistry & Industry, 21 août 1989, 527 - 529
(30) Rapport EC20082069.02.01 daté du 23 février 2009, produit avec la lettre du requérant datée du 26 avril 2011.
IV. Le recours est dirigé contre la décision de la division d'opposition révoquant le brevet au titre de l'article 101(2) et (3)b) CBE.
La décision était fondée sur une requête principale (revendications du brevet tel que délivré), une première requête subsidiaire déposée par lettre en date du 21 septembre 2007, et une seconde requête subsidiaire déposée lors de la procédure orale devant la division d'opposition.
Il a été décidé que la requête principale ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 100c) CBE.
Concernant les première et seconde requêtes subsidiaires, la division d'opposition a estimé qu'il était satisfait aux exigences des articles 100c), 123(2) et (3), et 100b) CBE.
La nouveauté a également été reconnue, car il n'a pas été prouvé que les produits obtenus dans l'exemple A du document (1) et dans l'exemple 10 du document (2) présentaient les mêmes diagrammes de diffraction de poudres aux rayons X ou les mêmes spectres de RMN 13C à l'état solide que les formes cristallines revendiquées.
Concernant l'activité inventive, la division d'opposition a identifié les documents (1) et (2) comme représentant l'état de la technique le plus proche, et défini le problème à résoudre comme consistant à fournir d'autres formes cristallines de l'atorvastatine dotées d'effets surprenants par rapport à ceux divulgués dans l'art antérieur. La division d'opposition n'a pas jugé pertinentes les données comparatives fournies, car la forme solide choisie aux fins de comparaison était la forme amorphe, et non pas la forme cristalline divulguée dans les documents (1) et (2). La division d'opposition a en outre fait valoir que, même si la forme amorphe était acceptée comme point de comparaison valable, l'activité inventive ne pouvait se fonder sur les données comparatives fournies, puisque l'homme du métier s'attendrait à ce que les formes cristallines apportent, par rapport aux formes amorphes, des améliorations quant à la stabilité, la filtrabilité et le séchage.
V. Le requérant (titulaire du brevet) a formé un recours contre cette décision. Sa requête principale était identique à la première requête subsidiaire examinée dans la décision attaquée.
VI. Dans sa réponse du 6 novembre 2008, l'intimé (opposant) n'a pas soulevé la question de la nouveauté, mais a maintenu son objection pour absence d'activité inventive, excipant du raisonnement tenu par la division d'opposition dans la décision attaquée (cf. point IV ci-dessus). Dans sa lettre du 23 décembre 2008, l'intimé s'est référé à la décision T 1066/03, rendue par la présente Chambre siégeant dans une composition différente, comme étant pertinente pour le motif d'opposition au titre de l'article 100b) CBE.
VII. Dans une notification annexée à la citation à la procédure orale, la Chambre a exposé son avis préliminaire sur plusieurs questions et cité deux autres documents - les documents (27) et (28) énumérés au point III ci-dessus - comme étant pertinents pour l'évaluation des connaissances générales à la date de priorité du brevet litigieux.
VIII. Par lettre du 26 avril 2011, le requérant a déposé une nouvelle requête principale contenant des revendications portant à la fois sur les formes cristallines II et IV d'hydrate d'atorvastatine, ainsi qu'une requête subsidiaire portant uniquement sur la forme IV. La revendication 3 de la requête principale, identique à la revendication 1 de la requête subsidiaire, s'énonce comme suit :
FORMULA/TABLE/GRAPHIC
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IX. Une procédure orale s'est tenue devant la Chambre le 24 mai 2011.
X. Les arguments du requérant, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, peuvent se résumer comme suit :
Le requérant a estimé que la forme amorphe connue de l'atorvastatine obtenue dans les documents (1) et (2) représente l'état de la technique le plus proche. Le problème à résoudre consiste à fournir une autre forme d'atorvastatine ayant des caractéristiques de filtrabilité et de séchage améliorées. Ledit problème a été résolu au moyen des polymorphes spécifiques revendiqués à présent, comme le montrent les résultats des expériences de filtrage présentés dans le document (25). Tout en niant que le document (10) représente un document de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, le requérant s'en est prévalu pour arguer que les connaissances générales de l'homme du métier lui enseignent que les formes amorphes ont généralement une solubilité et une biodisponibilité plus élevées que leurs homologues cristallines. L'homme du métier ne serait donc pas incité à se tourner vers ces dernières pour résoudre le problème susmentionné. Sur la base de l'état de la technique cité, l'homme du métier n'aurait pas pu prévoir que les polymorphes spécifiques revendiqués auraient les propriétés améliorées, démontrées, qui facilitent leur traitement à grande échelle.
XI. L'intimé a confirmé lors de la procédure orale qu'il n'élevait aucune objection formelle à l'encontre des nouvelles requêtes, notamment eu égard à l'article 100c) CBE. Pour ce qui est de la suffisance de l'exposé, l'intimé s'est référé aux moyens précédemment consignés dans le dossier. Les objections relatives à la nouveauté n'ont pas été maintenues. En ce qui concerne la question de l'activité inventive, l'intimé s'est à nouveau référé au raisonnement que la division d'opposition a développé dans la décision attaquée.
XII. Le requérant (titulaire du brevet) a demandé que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit maintenu sur la base de la requête principale ou, alternativement, sur la base de la requête subsidiaire, toutes deux présentées par lettre datée du 26 avril 2011.
L'intimé (opposant) a demandé que le recours soit rejeté.
XIII. Au terme de la procédure orale, la Chambre a prononcé sa décision.
1. Le recours est recevable.
2. Modifications (articles 100c), 123(2) et (3) CBE)
La Chambre estime que les revendications modifiées selon la requête principale et la requête subsidiaire sont admissibles formellement. Cela n'a pas été contesté par l'intimé.
3. Suffisance de l'exposé (articles 100b) et 83 CBE)
Vu l'issue du présent recours concernant la question de l'activité inventive (cf. point 5 ci-dessous), il n'est pas nécessaire d'examiner la suffisance de l'exposé.
4. Nouveauté (articles 52(1) et 54 CBE)
Dans le compte rendu d'expérimentation présenté comme document (30), le requérant a démontré qu'en répétant l'étape de "recristallisation" dans les conditions de l'exemple A du document (1) et de l'exemple 10 du document (2), on obtenait un solide amorphe. Par conséquent, la Chambre estime que les polymorphes de l'hydrate d'atorvastatine tels que revendiqués dans la requête principale et la requête subsidiaire sont nouveaux par rapport à l'état de la technique cité. L'intimé n'a pas contesté cette conclusion.
5. Activité inventive (articles 52(1) et 56 CBE)
5.1 Comme indiqué plus haut au point VIII, la revendication 3 de la requête principale et la revendication 1 de la requête subsidiaire sont identiques et portent sur la forme cristalline IV d'hydrate d'atorvastatine.
En accord avec le requérant, la Chambre estime que la forme amorphe de l'atorvastatine, obtenue selon les procédés des documents (1) et (2) (cf. point 4 ci-dessus), représente l'état de la technique le plus proche.
D'après le requérant, le problème à résoudre compte tenu de cet état de la technique consiste à fournir l'atorvastatine sous une forme ayant des caractéristiques améliorées du point de vue de la filtrabilité et du séchage.
La solution définie à la revendication 3 de la requête principale et à la revendication 1 de la requête subsidiaire porte sur un polymorphe spécifique d'atorvastatine.
Les résultats expérimentaux rapportés dans le document (25) montrent que la forme IV a des temps de filtrage et de séchage plus courts que la forme amorphe. Par conséquent, la Chambre reconnaît que le problème a bien été résolu.
5.2 Il reste à déterminer si la solution proposée aurait été évidente pour l'homme du métier à la lumière de l'état de la technique et des connaissances générales pertinentes à ce sujet.
L'homme du métier dans le domaine du développement de médicaments aurait été au courant des connaissances générales qui se dégagent des documents (10), (27) et (28).
Dans ce contexte, il est à noter que d'après le requérant, le document (10) ne fait pas partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE. Ce document est paru dans l'édition de juillet 1995 de la revue "Pharmaceutical Research", c'est-à-dire le même mois que la date de priorité de la présente espèce, à savoir le 17 juillet 1995. Même si le jour exact auquel il a été rendu accessible au public ne peut pas être établi, le document (10) est un article récapitulatif qui constitue, par définition, un compte rendu des connaissances générales et de l'état de la technique avant la date de publication dudit article. Cela est corroboré, comme on le verra plus en détail ci-après, par les divulgations des documents (27) et (28). Par conséquent, la Chambre juge légitime de se baser sur le document (10) pour démontrer les connaissances générales de l'homme du métier à la date de priorité du brevet litigieux (cf. T 1110/03, JO OEB 2005, 302, point 2 des motifs).
Partant de ses connaissances générales, l'homme du métier aurait tout d'abord su que le polymorphisme est un phénomène répandu dans les molécules qui intéressent l'industrie pharmaceutique, comme cela peut être déduit du passage suivant du document (28) (page 527, colonne de gauche, troisième paragraphe) :
"Les polymorphes ont des réseaux cristallins qui diffèrent par la façon dont la même molécule est reliée à la maille élémentaire. Les différences peuvent résider dans les modes d'assemblage des molécules au sein de la maille cristalline, ou dans des changements conformationnels, qui peuvent être importants. Les liaisons hydrogène joueront un rôle dans la plupart des molécules qui intéressent l'industrie pharmaceutique."
L'homme du métier n'aurait pas non plus ignoré qu'il est conseillé de rechercher les polymorphes à un stade précoce du développement des médicaments, comme l'explique le document (28) à la page 528, colonne de gauche, premier paragraphe (cf. aussi document (10), page 946, premier paragraphe complet) :
"Pour donner les meilleures chances à chaque candidat en développement, il semble préférable de rechercher les polymorphes plutôt que d'attendre qu'ils apparaissent de façon aléatoire, avec les perturbations que cela comporte."
En effet, l'homme du métier aurait également eu connaissance des dispositions réglementaires relatives à la fourniture d'informations sur l'existence de formes polymorphiques, hydratées ou amorphes d'une substance médicamenteuse (cf. document (10), page 945, colonne de gauche, deux premiers paragraphes). Il connaîtrait par ailleurs les procédés habituels de criblage de polymorphes consistant à effectuer des cristallisations à partir de solvants différents, en faisant varier les conditions (cf. document (28), page 528, colonne de gauche, premier paragraphe ; document (10), page 946, colonne de droite, dernier paragraphe).
Il résulte de ce qui précède qu'à la date de priorité du brevet litigieux, la recherche de formes à l'état solide d'une substance médicamenteuse faisait partie des tâches courantes qu'effectuerait tout homme du métier travaillant dans le domaine du développement de médicaments. Par souci d'exhaustivité, la Chambre tient donc à signaler que le requérant n'a fait état d'aucun préjugé technique, et qu'en l'absence d'un tel préjugé, le simple fait de fournir une forme cristalline d'un composé pharmaceutique actif connu ne peut être considérée comme impliquant une activité inventive (contrairement à ce qui est affirmé dans le brevet litigieux (paragraphe [0011]). Dans le présent recours toutefois, et comme indiqué au point 5.1 ci-dessus, le requérant a invoqué à l'appui de l'activité inventive les caractéristiques améliorées de filtrabilité et de séchage de la forme IV d'hydrate d'atorvastatine par rapport à celles de la forme amorphe. La question est donc de savoir si l'homme du métier aurait été incité à parvenir à la présente solution dans l'espoir d'obtenir ces caractéristiques améliorées.
Comme l'a fait observer le requérant, il est notoire que les formes amorphes ont une solubilité et une biodisponibilité plus élevées que leurs homologues cristallines. Toutefois, les formes amorphes présentent aussi généralement plusieurs inconvénients, notamment l'instabilité chimique et physique (cf. document (27), page 799, colonne de gauche ; document (10), page 952, partie intitulée "Amorphous Forms").
Le document (28) mentionne en outre ce qui suit (page 527, colonne de gauche, première phrase) :
"Les produits cristallins sont généralement les plus faciles à isoler, à purifier, à sécher et, dans un procédé discontinu, à manipuler et à formuler."
Par conséquent, armé de ses connaissances générales telles qu'elles se dégagent de cet extrait du document (28), l'homme du métier, partant de la forme amorphe d'un composé pharmaceutique actif comme état de la technique le plus proche, s'attendrait manifestement à ce qu'une forme cristalline de ce composé résolve le problème défini au point 5.1 ci-dessus. Même si cela n'est pas forcément vrai pour toutes les formes cristallines obtenues (cf. document (28), page 527, colonne de gauche, deuxième et troisième phrases), il n'en est pas moins évident d'explorer cette voie avec des espoirs raisonnables de parvenir au but recherché sans apport inventif.
La Chambre ne peut se rallier à l'affirmation du requérant selon laquelle la perspective d'une éventuelle perte de solubilité et de biodisponibilité par rapport à la forme amorphe dissuaderait l'homme du métier de tenter d'obtenir une forme cristalline. Au contraire, l'homme du métier considérerait qu'il s'agit là d'une question de compromis entre les avantages et inconvénients attendus de ces deux classes de forme solide, comme indiqué plus haut.
Le requérant a également fait valoir que l'activité inventive était attestée par le fait qu'un polymorphe spécifique était revendiqué, et non pas des formes cristallines en général. La Chambre ne disconvient pas qu'il puisse exister d'autres manières de résoudre le problème posé (cf. par exemple le paragraphe [0036] du brevet litigieux), mais opérer un choix arbitraire dans un groupe de candidats pouvant pareillement convenir ne peut être considéré comme impliquant une activité inventive.
5.3 Par conséquent, l'objet de la revendication 3 de la requête principale et de la revendication 1 de la requête subsidiaire constitue une solution évidente au problème posé et n'implique donc pas d'activité inventive.
Une décision ne pouvant être rendue que sur l'ensemble d'une requête, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres revendications.
Par conséquent, les requêtes principale et subsidiaire du requérant sont rejetées pour absence d'activité inventive de leurs revendications respectives 3 et 1.
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.