T 1160/22 (INTERCALAIRE VISCOELASTIQUE/Saint-Gobain) 21-11-2023
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INTERCALAIRE PLASTIQUE VISCOELASTIQUE POUR UN AMORTISSEMENT VIBRO-ACOUSTIQUE ET VITRAGE COMPRENANT UN TEL INTERCALAIRE
I. Le présent recours fait suite à la décision de la division d'examen de rejeter la demande de brevet européen n° 13 729 972.3 au motif que l'invention n'était pas exposée de manière suffisamment claire et complète pour que l'homme du métier puisse l'exécuter.
II. Avec son mémoire de recours, la requérante a déposé une requête principale et six requêtes subsidiaires, toutes correspondant à celles ayant servi de fondement à la décision attaquée.
III. La revendication 1 selon la requête principale est libellée comme suit:
"1. Intercalaire plastique viscoélastique destiné à être incorporé entre deux feuilles de verre pour former un vitrage feuilleté ayant des propriétés d'amortissement vibro-acoustiques, l'intercalaire comprenant au moins une couche (3) en matériau plastique viscoélastique aux propriétés d'amortissement vibro-acoustique, la couche (3) étant à base de polyvinylbutyral et de plastifiant, ainsi que deux couches externes (4,5) en PVB standard, la couche (3) étant entre les deux couches externes (4,5) et étant moins rigide que les deux couches externes (4,5), l'intercalaire étant tel que la fréquence de résonance f2 du deuxième mode de résonance d'un barreau de vitrage feuilleté de surface 25 mm x 300 mm composé de deux feuilles de verre d'épaisseur 2,1 mm chacune entre lesquelles est incorporé l'intercalaire, déterminée par un mesurage de l'impédance mécanique (MIM) à 20°C selon la norme ISO 16940, est comprise entre 760 Hz et 1000 Hz et le facteur de perte eta2 du deuxième mode de résonance du même barreau, déterminé par MIM dans les mêmes conditions, est supérieur ou égal à 0,25."
IV. A la clôture des débats de la procédure orale qui s'est tenue le 21 novembre 2023, la requérante a maintenu ses requêtes et demandé l'annulation de la décision contestée et le renvoi de la demande pour examen de la brevetabilité sur la base des revendications selon la requête principale, ou alternativement, sur la base des revendications selon l'une des requêtes subsidiaires 1 à 6 déposées avec le mémoire de recours.
1. Exposé de l'invention
1.1 L'invention concerne un intercalaire destiné notamment à la fabrication de pare-brise pour automobiles et supposé être incorporé entre deux feuilles de verre pour former un vitrage feuilleté ayant des propriétés d'amortissement vibro-acoustiques, l'intercalaire étant notamment défini par deux paramètres, à savoir la fréquence de résonance f2 du deuxième mode de résonance et le facteur de perte eta2 du deuxième mode de résonance.
1.2 L'enseignement pertinent relatif à la réalisation de l'intercalaire selon l'invention se trouve en particulier au passage en page 5, lignes 4 à 13 de la demande, duquel l'homme du métier déduit que l'amortissement acoustique souhaité peut être obtenu en ajustant de manière appropriée la rigidité de l'intercalaire. Il y est également précisé que le taux et la nature du plastifiant aisni que le degré d'acétalisation du polyvinylbutyral (PVB) permettent de jouer de façon connue sur la rigitié d'un "composant" à base de PVB et de plastifiant (l'homme du métier comprend ici qu'il s'agit de l'intercalaire selon l'invention); il est également mentionné que la couche 3 - à savoir l'intercalaire en plastique viscoélastique aux propriétés d'amortissement vibro-acoustiques selon l'invention - est moins rigide que les couches externes 4,5 (de préférence en PVB standard). Pour l'homme du métier, il ressort donc de la demande que l'intercalaire selon l'invention peut être obtenu en modifiant la rigidité de ladite couche centrale 3, par exemple en y faisant varier le taux de plastifiant.
Il convient à présent d'examiner si cet enseignement, complété le cas échéant par les connaissances générales de l'homme du métier, est suffisant pour reproduire l'invention.
1.3 La division d'examen a conclu que cette condition n'était pas remplie, la demande ne divulguant ni l'intercalaire de départ dont la rigidité est supposée être ajustée, ni la quantité et encore moins le type de plastifiant à mettre en oeuvre. En outre elle n'indique pas si, par rapport à un intercalaire acoustique connu, la quantité de plastifiant devait être réduite ou augmentée. Au demeurant, l'épaisseur de l'intercalaire et des couches enserrant ce dernier auraient également une influence sur la rigidité de l'intercalaire, mais aucune information à cet égard n'apparaît dans la demande, si bien que tous ces manques d'informations impliqueraient un effort excessif pour l'homme du métier en charge de reproduire l'invention.
1.4 En principe, la chambre partage l'avis de la division d'examen quant au manque de certains détails dans la demande; la règle 42(1)e) CBE précise à cet égard que la description est supposée indiquer en détail au moins un mode de réalisation de l'invention revendiquée. Or, en l'espèce, il n'y a aucune indication explicite dans la demande concernant le PVB de départ, l'épaisseur de l'intercalaire et des couches individuelles, et encore moins sur les type et quantité de plastifiant mis en oeuvre dans ces derniers.
1.5 Ce faisant, la chambre n'est toutefois pas convaincue que l'homme du métier n'aurait pas été en mesure d'exécuter l'invention à la date de dépôt de la demande, et ce pour les raisons qui suivent:
1.5.1 Tout d'abord, tel qu'indiqué en page 1, lignes 26-27 et page 6, lignes 17-23 de la demande, et découlant au demeurant de l'état de la technique connu à la date de dépôt de la demande, en particulier des documents D1, D2, D9 et D12 cités, l'homme du métier dispose à la date de dépôt de la demande de multiples intercalaires améliorant l'absorption acoustique de pare-brise automobiles. Or, l'invention portant sur l'amélioration de tels intercalaires acoustiques, la chambre partage l'avis de la demanderesse selon lequel l'homme du métier aurait à tout le moins choisi l'un d'entre eux comme point de départ pour le développement de son invention, et cet intercalaire lui aurait ainsi livré un certain nombre d'informations sur les matériaux (PVB, plastifiant) mis en oeuvre ainsi que sur l'épaisseur du PVB et la quantité de plastifiant mis en oeuvre dans ce dernier.
Partant d'un tel intercalaire de l'état de la technique, l'homme du métier pourra ensuite en varier aisément la rigidité de l'une des manières indiquées en page 5 de la demande.
1.5.2 A cet égard, tel qu'indiqué par la demanderesse, il ressort en outre clairement des documents D15 (Déclaration sur l'honneur de J. Rebuta, datée du 22 mai 2018, expliquant l'arrière-plan du mesurage MIM tel que développé en 1959 par Ross, Kerwin et Ungar, desquels découle le nom de méthode RKU) et D16 (Illustration d'un barreau modèle et présentation des équations pour appliquer la méthode RKU et calculer son comportement visco-élastique, document non daté) que, selon le modèle RKU, les paramètres f2 et eta2 dépendent de la raideur effective EI* de l'intercalaire, si bien que l'homme du métier en déduit que ces deux paramètres peuvent être ajustés par variation de la raideur de l'intercalaire. Le modèle RKU confirme par conséquent l'enseignement de la demande selon lequel les paramètres revendiqués peuvent être ajustés en modifiant la rigidité de l'intercalaire.
1.5.3 Il apparaît donc plausible que l'homme du métier puisse produire un intercalaire tel que revendiqué, en faisant en particulier varier la quantité de plastifiant dans la couche de PVB acoustique de n'importe quel intercalaire connu à la date de dépôt de la demande. A défaut de preuve du contraire, le bénéfice du doute est par conséquent accordé à la demanderesse sur ce point.
1.5.4 S'il est néanmoins exact que la demande n'indique ni le type ni le taux de plastifiant nécessaire pour obtenir l'intercalaire revendiqué, la chambre se joint à l'argument de la demanderesse selon lequel l'homme du métier partirait d'un intercalaire de départ connu voire commercialisé, et en modifierait par exemple la quantité de plastifiant mise en oeuvre. Si, au demeurant, ce dernier devait ne pas être connu, une simple analyse chimique devrait lui permettre de l'identifier. Alternativement, l'homme du métier en mettre en oeuvre un autre parmi ceux connus de l'état de la technique comme convenant à la rigidification du PVB, tel que ceux divulgués aux documents D1 (WO 2006/102049 A2; page 12, ligne 27-page 13, ligne 9 ou D12 (EP 2153989 A1; paragraphe [0023]).
1.5.5 Et s'il est vrai que la demande n'indique pas si la rigidité doit être augmentée ou diminuée, la chambre se joint à l'avis de la demanderesse selon lequel de simples expériences de routine fourniraient cette information. Ainsi, L'homme du métier commencerait par déterminer les paramètres de l'intercalaire connu, puis en modifierait le taux de plastifiant et en mesurerait à nouveau les paramètres, et ainsi de suite jusqu'à l'obtention des paramètres désirés. De l'avis de la chambre, une telle série d'essais ne peut être considérée comme requérant un effort excessif de la part de l'homme du métier, car le seul paramètre à optimiser est la rigidité de l'intercalaire, et ceci - à preuve du contraire - apparaît être de la compétence de l'homme du métier.
1.5.6 La division d'examen a également fait valoir que la rigidité du PVB n'était pas seulement influencée par le type et la teneur en plastifiant, mais également par d'autres facteurs. Ce point n'est nullement contesté, mais cela signifie seulement que l'homme du métier dispose d'autres moyens que ceux indiqués dans la demande pour ajuster la rigidité de l'intercalaire. Cependant, il n'a pas été démontré qu'une sélection particulière de ces facteurs, comme par exemple la longueur des chaînes polymériques mises en oeuvre, soit nécessaire pour pouvoir ainsi mettre alternativement en ½uvre l'invention.
1.6 Il suit de ce qui précède que la chambre est parvenue à la conclusion que la demande contient suffisamment d'informations pour permettre à l'homme du métier de reproduire l'invention, à tout le moins sans fournir d'effort excessif mais en effectuant de simple essais de routine, et que par conséquent les conditions de l'Article 83 CBE apparaissaient être remplies.
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. La décision contestée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à la division d'examen pour
poursuite de la procédure.