T 0573/99 21-04-2004
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Emulsion nettoyante huile-dans-eau ayant l'aspect d'un lait
I. La demande de brevet européen n° 95 401 084.9, déposée le 10. mai 1995, et revendiquant la priorité de la demande nationale FR 9 407 252 du 14 juin 1994, a donné lieu à la délivrance du brevet européen n° 0 705 592 sur la base de 14 revendications. Les revendications 1 et 12 à 14 s'énonçaient comme suit, respectivement :
"1. Emulsion nettoyante huile-dans-eau ayant l'aspect d'un lait, caractérisée en ce qu'elle a une viscosité égale ou inférieure à 1 Pa.s et en ce qu'elle comprend comme émulsionnant une composition auto-émulsionnable à base d'alcools gras et comme gélifiant un copolymère acrylique."
"12. Lait démaquillant caractérisé en ce qu'il contient une émulsion selon l'une quelconque des revendications 1 à 11 et une huile démaquillante."
"13. Utilisation de l'émulsion nettoyante selon l'une quelconque des revendications 1 à 11 pour nettoyer la peau."
"14. Procédé pour nettoyer la peau, caractérisé en ce qu'il consiste à appliquer sur la peau une émulsion nettoyante selon l'une quelconque des revendications 1 à 11."
Les revendications 2 à 11 portaient sur des modes particuliers de réalisation de l'émulsion nettoyante.
II. Une opposition a été formée le 17 juillet 1997 en vue d'obtenir la révocation du brevet sur le fondement de l'article 100, paragraphes a) et b), CBE, à savoir manque d'activité inventive au vu du document WO-A-92/06778 (D1) et insuffisance de l'exposé.
III. La Division d'opposition a révoqué le brevet litigieux. La décision, signifiée par voie postale le 23 mars 1999, se fondait sur un jeu de 13 revendications en tant que requête principale et sur deux jeux de 12 et 11 revendications, respectivement, en tant que première et seconde requêtes subsidiaires. La revendication 1 selon la requête principale s'énonçait ainsi :
"1. Emulsion nettoyante huile-dans-eau ayant l'aspect d'un lait, caractérisée en ce qu'elle a une viscosité égale ou inférieure à 1 Pa.s et en ce qu'elle comprend comme émulsionnant une composition auto-émulsionnable à base d'alcools gras et comme gélifiant, un copolymère réticulé d'un acide monoéthylènique en C3-C6 ou de son anhydride avec un ester acrylique."
D'après la décision :
a) La revendication 1 de la requête principale se fondait sur la combinaison des revendications 1 et 2 d'origine et, par conséquent, elle satisfaisait aux exigences de l'article 123(2) CBE ;
b) Quant à l'insuffisance de l'exposé, la méthode utilisée pour déterminer la viscosité n'était pas définie dans le brevet en litige. Bien que cette détermination soit une opération de routine dans le domaine de la cosmétique, le résultat dépendait fortement des conditions choisies, en particulier de la température, laquelle avait une influence considérable. Même en supposant que la viscosité ait été déterminée à la température ambiante, il ne serait toujours pas clair quelle température ambiante était envisagée. De plus, l'appareil utilisé n'était pas mentionné. La titulaire n'ayant pas prouvé l'existence d'une méthode spécifique pour la détermination de la viscosité dans le domaine en question, méthode que l'homme de l'art choisirait sans aucun doute, l'exposé n'était pas suffisamment clair et complet, pour qu'un homme de l'art puisse l'exécuter.
c) Cette objection s'étendait également aux requêtes auxiliaires, qui elles aussi contenaient la viscosité comme caractéristique technique.
d) Le brevet devait donc être révoqué.
IV. Un recours, reçu le 11 mai 1999, a été formé par la titulaire du brevet contre cette décision ; la taxe prescrite a été payée le même jour.
Dans son mémoire de recours, reçu le 6 juillet 1999, la requérante a maintenu les requêtes déjà présentées devant l'instance du premier degré et a également remis trois jeux de revendications à titre de troisième à cinquième requêtes subsidiaires.
Par lettre du 22 mars 2004, la requérante a remis de nouvelles première et deuxième requêtes subsidiaires ainsi que des documents portants entre autre sur les matières premières - MONTANOL(R) 68, PEMULEN(R) TR-1 et PEMULEN(R) TR-2 - utilisées dans les exemples du brevet en litige, afin de montrer quelles méthodes auraient été choisies par l'homme de l'art pour la détermination de la viscosité.
V. L'opposante (intimée) a réfuté les arguments de la requérante en se référant en particulier au Römpp Chemie Lexikon (9ème édition, Thieme Verlag, Stuttgart, page 4937) et à des essais comparatifs (lettres en date du 3 novembre 1999 et du 19 mars 2004, respectivement).
VI. La Chambre, dans une communication en préparation de la procédure orale, a indiqué les points à discuter et a attiré l'attention des parties sur la décision T 0960/98 du 9. avril 2003 (non publiée dans le JO OEB).
VII. La procédure orale a eu lieu le 21 avril 2004. Au cours de l'audience, la requérante a déposé un jeu de 13 revendications modifiant sa requête principale. La revendication 1 a le libellé suivant :
"1. Emulsion nettoyante huile-dans-eau ayant l'aspect d'un lait, caractérisée en ce qu'elle a une viscosité égale ou inférieure à 1 Pa.s et en ce qu'elle comprend comme émulsionnant une composition auto-émulsionnable à base d'alcools gras et comme gélifiant un copolymère acrylique lequel est un copolymère réticulé d'un acide monoéthylènique en C3-C6 ou de son anhydride avec un ester acrylique."
VIII. La requérante a présenté les arguments suivants :
a) Le brevet en litige portait sur une émulsion nettoyante ayant l'aspect d'un lait, en particulier sur un lait démaquillant. Ces laits étaient des produits plus fluides que les crèmes et devaient pouvoir s'écouler des flacons dans lesquels ils étaient conditionnés, et s'étaler sur la peau afin de la nettoyer. Habituellement, les laits avaient une viscosité égale ou inférieure à 1 Pa.s.
Par conséquent, la viscosité dans la revendication 1 en litige ne reflétait qu'une définition générique d'une propriété habituelle et connue. Ce qui était important était la fluidité de l'émulsion, sa texture fluide, qui devait permettre le conditionnement dans un flacon ou une bouteille, et non dans un pot ou un tube comme une crème.
b) La manière de préparer l'émulsion revendiquée était divulguée dans le brevet en litige, en particulier les étapes nécessaires, entre autre le refroidissement de l'émulsion obtenue jusqu'à la température ambiante.
c) Les exemples guidaient l'homme de l'art dans l'obtention d'une telle émulsion. D'après l'exemple 1, la formulation ainsi obtenue avait une viscosité de 0.8 Pa.s. Cette viscosité ne pouvait être que la viscosité à la température ambiante mentionnée dans l'étape finale de refroidissement, qui par ailleurs correspondait à la température à laquelle l'émulsion était utilisée, par exemple dans les salles de bain. Une indication de température de mesure de la viscosité était donc donnée dans le brevet. Les exemples comparatifs 1 et 2 portaient sur des crèmes, qui avaient une viscosité supérieure à 1 Pa.s, évidemment mesurée dans les mêmes conditions que celle des autres exemples. Les exemples 2 à 4 ne mentionnaient pas la viscosité, mais, vu qu'ils portaient sur des laits et non sur des crèmes, elle tombait obligatoirement dans la gamme revendiquée.
d) L'homme du métier n'était pas un chimiste généraliste mais un formulateur de compositions cosmétiques. La description du brevet en litige divulguait que les ingrédients à utiliser étaient connus et commercialisés. L'homme du métier pouvait donc reproduire les compositions exemplifiées.
e) Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, plusieurs décisions avaient été évoquées à cet égard, l'opposante devait prouver les faits allégués. Toutefois, bien qu'elle en avait la charge, l'intimée n'avait pas prouvé que l'exposé était insuffisant. Par contre, l'opposante avait démontré elle même que l'invention était exécutable et que la viscosité pouvait être déterminée sans effort excessif en prenant un dispositif classique pour sa mesure. Cela lui avait permis de reproduire l'exemple 1 du brevet en litige et de constater que l'émulsion obtenue avait une viscosité de 0.9. Pa.s à 20°C, une heure après sa préparation et également après 4 jours de stockage à 40°C, et que l'émulsion était donc stable.
f) Concernant particulièrement l'argument selon lequel l'absence d'indication de la température et du dispositif de mesure de la viscosité aurait empêché l'homme du métier à exécuter l'invention, il était à noter que :
i) La température était celle à laquelle l'émulsion était refroidie après sa préparation, celle à laquelle elle s'écoulait du flacon et s'étalait sur la peau lors de l'utilisation. L'intimée n'avait pas eu de problème à choisir une température de 20°C dans ces essais. Elle n'avait pas prouvé non plus que l'homme du métier ne considérerait pas la température ambiante classique dans le domaine en question.
ii) Le choix du dispositif pour la mesure de la viscosité n'était pas insurmontable pour l'homme du métier. Le Römpp étant un ouvrage général n'étayait pas un tel argument. Dans le silence de la description, le formulateur aurait considéré concrètement l'état de la technique dans le domaine en question, en particulier les informations disponibles sur les matières premières utilisées ainsi que les méthodes usuelles dans le domaine. Cela l'aurait amené à choisir un dispositif Brookfield, conformément aux indications dans les documents portant sur les matières premières Montanol(R) et Pemulen(R). Ces documents ne constituaient toutefois que des éléments supplémentaires de preuve. La requérante avait utilisé un autre dispositif de mesure dans ses essais, ce qui ne l'avait pas empêché de trouver une viscosité dans la gamme revendiquée. L'intimée n'avait donc pas prouvé que l'homme du métier aurait eu des difficultés à choisir le dispositif de mesure, mais tout au plus, qu'il y avait un problème pour déterminer les limites de la viscosité.
iii) En outre, l'intimée n'avait pas prouvé que l'homme du métier reproduisant les émulsions exemplifiées dans le brevet en litige, dont la viscosité était donnée et avait été déterminée dans les mêmes conditions, ne pouvait arriver à un étalonnage lui permettant de déterminer si les compositions reproduites entraient dans le cadre de l'invention.
g) Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, en l'absence de précisions, la question des limites d'une valeur dans une revendication constituait un problème de clarté. (Plusieurs décisions ont été évoquées à cet égard, entre autres la T 245/98 du 11 octobre 2001, n'ayant pas fait l'objet d'une publication dans le JO OEB). Dans le présent cas, toutes les conditions rappelées dans la décision T 0960/98 (supra) étaient satisfaites.
h) Par conséquent, l'absence de l'indication de la méthode de mesure de la viscosité ne constituait pas une insuffisance de l'exposé au sens de l'article 83 CBE, mais tout au plus un léger manque de clarté des revendications qui ne conduisait pas à une impossibilité pour l'homme du métier d'exécuter l'invention. La décision attaquée devait être annulée.
IX. Les arguments de l'intimée peuvent se résumer ainsi :
a) Le brevet en litige divulguait que l'émulsion telle que revendiquée se composait de certains ingrédients. La revendication 1 requérait la présence d'un émulsionnant et d'un gélifiant tels que définis pour former une émulsion ayant l'aspect d'un lait et une viscosité égale ou inférieure à 1. Pa.s. Par conséquent, la viscosité était une caractéristique essentielle de la revendication 1 qui ne pouvait être relativisée, puisque le terme "lait" n'était pas clair. L'émulsion revendiquée devant avoir une telle viscosité ne pouvait simplement correspondre à une collection d'ingrédients.
b) Le brevet en litige ne contenait aucune indication d'une méthode de mesure de la viscosité. En particulier, la température de mesure n'était pas définie. S'il s'agissait de la température ambiante, l'on ne savait pas quelle température était envisagée. Or, toute différence de température influençait la viscosité.
c) D'après le Römpp Chemie Lexikon (supra), plusieurs méthodes de mesure de la viscosité étaient utilisables dans le domaine de la cosmétique et ne conduisaient pas au même résultat ; par ailleurs, la même méthode utilisée dans différentes conditions conduisait, elle aussi, à des résultats différents. Cela était confirmé par des essais comparatifs de l'intimée.
En particulier, la viscosité était influencée considérablement par la température et par le cisaillement appliqué, donc par le dispositif utilisé. Cette influence n'était pas une fonction linéaire, comme démontré dans les essais de l'intimée.
Cependant, aucune condition de mesure n'était définie dans le brevet en litige. En particulier, aucune indication n'était donnée qui aurait guidé l'homme de l'art à choisir un viscosimètre apte à la mesure.
En l'absence de toute information et au vu de l'influence des conditions de mesure, il y aurait toujours eu une incertitude pour déterminer si une émulsion était conforme aux termes de la revendication en litige. Cela était confirmé par des essais comparatifs de l'intimée.
d) Les faits de la décision T 960/98 (supra) se distinguaient de manière importante des faits du présent cas :
- la contrainte de cisaillement était donnée et restreignait le nombre de méthodes de mesure envisageables ;
- tous les essais comparatifs aboutissaient à des valeurs de viscosité dans la gamme telle que revendiquée, bien que différentes méthodes avaient été utilisées.
Par contre, dans le cas présent, le nombre de méthodes de mesure possibles était beaucoup plus grand. De plus, l'intimée avait montré que ses essais comparatifs n'aboutissaient pas toujours à des valeurs de viscosité dans la gamme telle que revendiquée. Enfin, comme la viscosité était influencée par plusieurs paramètres, aucun étalonnage à fonction linéaire à partir des exemples du brevet n'était possible.
e) L'homme du métier était à même de reproduire des exemples du brevet en litige, mais ces exemples ne constituaient que des points dans la gamme revendiquée. L'incertitude sur la mesure de la viscosité ne permettait pas de reproduire tous les modes de réalisation permettant de résoudre le problème technique à la base du brevet. A la lecture du brevet, l'homme du métier ne pouvait accéder à toutes les caractéristiques essentielles de l'invention. Il ne pouvait donc pas exécuter l'invention dans toute la portée de la revendication 1 en litige.
f) Par conséquent, l'exposé était insuffisant.
X. La requérante (titulaire du brevet) a demandé l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sur la base des revendications 1 à 13 selon la requête principale telle que déposée lors de la procédure orale, ou alternativement selon l'une des requêtes subsidiaires I et II, telles que soumises avec la lettre du 22 mars 2004, ou selon l'une des requêtes subsidiaires III à V telles que déposées avec le mémoire de recours.
XI. L'intimée (opposante) a demandé le rejet du recours.
1. Le recours est recevable.
Requête principale
2. Modifications
La revendication 1 selon la requête principale telle que déposée au cours de l'audience du 21 avril 2004, par rapport à la revendication 1 telle que délivrée, ne comporte que l'ajout des caractéristiques de la revendication 2 telle que délivrée. Sa portée a donc été restreinte par rapport à celle de la revendication 1 telle que délivrée. Les autres revendications sont restées inchangées, sauf leur numérotation et leurs références qui ont été amendées en conséquence.
Les revendications 1 et 2 telles que délivrées sont identiques aux revendications 1 et 2 telles que déposées à l'origine. Les revendications 2 à 13 sont identiques aux revendications 3 à 14 d'origine.
Il s'ensuit que la nouvelle revendication 1 n'étend pas la protection et que le brevet européen en litige n'a pas été modifié de manière que son objet s'étende au- delà du contenu de la demande telle que déposée. La requête principale modifiée est par conséquent recevable.
3. Suffisance de l'exposé
3.1. Au sens de l'article 83 CBE, une invention est exposée de façon suffisamment claire et complète si un homme du métier, à la lumière des connaissances générales acquises dans le domaine en question, peut l'exécuter sur la base des informations données dans le fascicule du brevet tel que déposé à l'origine.
3.2. Le fascicule du brevet est un texte adressé à l'homme du métier, lequel, afin d'exécuter l'invention, considère les éléments suivants :
- les informations explicitement mentionnées ;
- le contexte dans lequel se place l'invention, notamment la situation décrite dans le fascicule et les éléments implicitement évoqués, tels que les conséquences directes et inévitables des activités décrites ou le contenu de tout document explicitement mentionné dans le fascicule du brevet; et,
- les connaissances générales, soit les connaissances fondamentales manifestement connues par l'homme du métier et qui, par conséquent, de manière délibérée, ne sont pas répétées dans le fascicule du brevet. Ces connaissances sous- entendues dans le texte du brevet se trouvent dans les ouvrages de référence et dans la littérature technique générale. Toutefois, il s'agit de connaissances nécessaires pour comprendre l'invention. Cela revient à dire que, en faisant appel aux dites connaissances générales, l'homme de l'art peut compléter les informations explicites et implicites données dans le fascicule du brevet.
3.3. La revendication 1 en litige porte sur une émulsion nettoyante huile-dans-eau ayant l'aspect d'un lait, caractérisée par la présence d'un émulsionnant et d'un gélifiant tels que définis et, en plus, par une viscosité égale ou inférieure à 1 Pa.s.
3.4. L'objection soulevée par l'intimée se fonde sur l'argument que le fascicule du brevet ne divulgue aucune méthode pour déterminer la viscosité de l'émulsion telle que définie dans la revendication 1 en litige. D'après l'intimée, dans le domaine en question, plusieurs méthodes sont utilisées pour cette détermination, lesquels ne conduisent pas toujours au même résultat. De plus, le choix des conditions, en particulier de la température et de l'appareil de mesure, influence considérablement la mesure. Par conséquent, en l'absence de toute indication, l'homme de l'art n'est pas à même de reproduire l'objet tel que revendiqué.
3.5. La méthode pour la détermination de la viscosité, soit les conditions de mesure et les appareils utilisés, n'est pas mentionnée dans le fascicule du brevet en litige. Toutefois, au sujet de la viscosité, le brevet mentionne certains éléments, à savoir :
3.5.1. "Ces émulsions, suivant leur consistance, sont appelées "laits" pour les préparations les plus fluides et "crèmes" pour les émulsions plus fermes. Un produit nettoyant se présente généralement sous forme d'un lait plus ou moins fluide. L'intérêt d'un lait est de s'étaler plus facilement, d'enrober plus facilement les salissures du fait de sa fluidité et donc de pouvoir nettoyer la peau plus en profondeur qu'une crème. Un lait doit avoir une texture assez fluide pour pouvoir s'écouler d'un flacon et bien s'étaler sur la peau. Habituellement, un lait a une viscosité égale ou inférieure à 1 Pa.s" (page 2, lignes 11 à 15).
Ainsi, dans la revendication 1 en litige, la viscosité est définie comme la viscosité, absolue, habituelle des laits. Cette propriété a son importance pour le conditionnement et l'utilisation de l'émulsion et vise à distinguer les laits des crèmes. Par conséquent, la gamme de valeurs de viscosité telle que définie dans la revendication 1 en litige correspond à la viscosité de toute émulsion ayant la texture d'un lait qui peut s'écouler d'un flacon, moyen dans lequel on le conditionne. Par opposition, une crème, qui est plus ferme, et a donc une viscosité plus grande, est conditionnée dans un pot ou dans un tube.
Cela revient à dire que toute émulsion ayant l'aspect d'un lait et contenant les composants tels que revendiqués, tout en étant apte à être conditionnée dans un flacon et à pouvoir s'en écouler à la température ambiante, pour être étalée sur la peau, est envisagée par la revendication 1.
L'argument selon lequel l'homme de l'art ne sait pas toujours si l'émulsion obtenue tombe ou non sous les termes de la revendication 1 porte sur l'exigence de clarté au titre de l'article 84 CBE. Néanmoins, l'absence de clarté n'est pas un motif d'opposition.
3.5.2. L'argument selon lequel l'homme du métier lisant le texte du brevet ne disposerait pas de toutes les informations essentielles pour la solution du problème technique dans toute la gamme revendiquée n'est pas convaincant.
En effet, même en relation avec le problème technique, le brevet en litige n'évoque que "le besoin d'une émulsion stable contenant un émulsionnant non irritant, et ayant la texture d'un lait" (page 2, ligne 27).
Il s'ensuit que la caractéristique "viscosité égale ou inférieure à 1 Pa.s", définie dans la revendication 1 comme une propriété rhéologique du lait, ne revêt pas une importance particulière dans le but que l'invention se propose d'atteindre, mais ne porte que sur une propriété habituelle des laits.
Conformément à la description du brevet en litige, cette caractéristique de viscosité habituelle définie dans la revendication 1 correspond à la texture d'un lait ayant la capacité de s'écouler d'un flacon, de s'étaler sur la peau et de la nettoyer, par rapport à une crème.
L'homme du métier sait donc associer à la viscosité définie dans la revendication 1 sa fonction. En plus, il sait que les caractéristiques essentielles pour la solution du problème technique sont les ingrédients, la manière de préparer l'émulsion et la texture que cette émulsion doit avoir.
Il semble ainsi que l'argument de l'intimée en fait porte plutôt sur une question qui se pose dans le cadre de l'appréciation de l'activité inventive, à savoir si le problème technique a été résolu.
3.5.3. Concernant les ingrédients et la manière de préparer l'émulsion, le brevet en litige mentionne les éléments suivants :
a) Le copolymère acrylique utilisable dans l'émulsion revendiquée dans les proportions telles que données est choisi en particulier parmi ceux commercialisés sous les dénominations Pemulen(R) TR1, Pemulen(R) TR2 et Carbopol(R) 1342 (page 3, lignes 27 à 29).
b) Les compositions autoémulsionnables utilisables dans l'émulsion revendiquée dans les proportions telles que données sont décrites dans la demande de brevet FR-A-2 668 080 ; on peut en particulier utiliser le produit commercialisé sous la dénomination Montanov(R) 68 par la société Seppic (page 3, lignes 37 à 39).
c) Les émulsions huile-dans-eau telles que revendiquées sont obtenues selon les méthodes classiques par mélange à chaud, sous forte agitation, à une température d'environ 70°C, de la phase huileuse contenant l'émulsionnant et les adjuvants lipophiles, à la phase aqueuse comprenant le gélifiant et les adjuvants hydrophiles, puis refroidissement jusqu'à la température ambiante (page 4, lignes 14 à 17).
d) L'exemple 1 porte sur un lait démaquillant formulé de la manière suivante (les proportions indiquées sont des pourcentages en poids) :
Palmitate d'éthyle-2 hexyle..................20,0
Hydroxyde de sodium (neutralisant)...........0,03
Copolymère d'acrylates/C10-C30-alkylacrylate
(Pemulen TR1 de la société Goodrich).........0,1
Cétéaryl glucoside (Montanov 68 de la société
Seppic)......................................2,45
Glycérine....................................5,0
Conservateurs................................0,35
Eau..........................................qsp100%.
L'émulsion obtenue est un lait de viscosité de 0,8 Pa.s.
e) Les exemples comparatifs 1 et 2 portent sur des émulsions contenant une polyacrylamide comme gélifiant. Les émulsions obtenues constituent des crèmes épaisses ayant une viscosité de 1,36 et 1,86 Pa.s, respectivement, qui ne s'écoulent pas du récipient les contenant.
f) Les exemples 2 à 4 portent sur des laits contenant les ingrédients tels que revendiqués (Pemulen(R) TR1, Pemulen(R) TR2 et Montanov(R) 68, respectivement). Par conséquent, la viscosité, bien qu'elle ne soit pas mentionnée, tombe nécessairement dans la gamme telle que revendiquée.
3.5.4. Dans tous ces exemples, le terme "obtenue" implique que la composition a été soumise à l'étape finale de préparation de l'émulsion, soit un refroidissement à la température ambiante. Donc, la viscosité mentionnée dans ces exemples, en particulier dans l'exemple 1, ne peut avoir été déterminée qu'à cette température ambiante.
Par ailleurs, au vu de la fonction de la viscosité, qui ne traduit que le fait que l'émulsion s'écoule du flacon et s'étale sur la peau, cette température ne peut correspondre qu'à la température à laquelle l'émulsion est utilisée. Par conséquent, l'homme du métier peut déduire du brevet la température à laquelle la viscosité est mesurée.
3.5.5. Dans le cas présent, le fait qu'une émulsion contenant les ingrédients tels que revendiqués puisse être reproduite n'est en fait pas contesté. Les résultats des exemples comparatifs dans la lettre en date du 12 avril 1998 (exemple 1) montrent que l'intimée a été à même de reproduire une telle émulsion, de déterminer qu'elle est stable et qu'elle présente une viscosité de 0.9 Pa.s (l'unité mPa.s indiquée dans le tableau des exemples était une erreur de frappe reconnue par toutes les parties). Cette viscosité avait été mesurée à 20°C, après une heure et après 4 semaine de stockage à 40°C, avec un viscosimètre Brookfield-RVT, accessoire n°1, vitesse 10 tours par minute.
3.5.6. La contestation de l'intimée porte sur le fait que toute reproduction des exemples du brevet ne peut être que ponctuelle. D'autres reproductions dans la gamme de viscosité telle que revendiquée, au vu de l'incertitude sur la mesure de la viscosité, n'étaient pas possibles.
Néanmoins :
a) L'intimée, dans ses essais comparatifs, n'a pas eu de problème à choisir un dispositif connu tel que le Brookfield- RVT pour mesurer la viscosité d'une émulsion selon l'exemple 1 du brevet litigieux à la température ambiante.
b) La viscosité déterminée, même en l'absence des conservateurs dans la composition, correspond à celle donnée dans l'exemple 1.
c) Une fois déterminée la viscosité d'une telle formulation, toute autre formulation avec les ingrédients tels que revendiqués, dans les proportions données dans la description, présentant une fluidité supérieure ou égale à celle de la formulation selon l'exemple 1 est obligatoirement conforme aux termes de la revendication 1. Une reproduction non ponctuelle dans la gamme de viscosité égale ou inférieure à 0,8 Pa.s est donc possible, sans effort excessif.
Cet argument, par conséquent, n'est pas convaincant.
3.5.7. Concernant la gamme de viscosité supérieure à 0,8 et égale ou inférieure à 1 Pa.s, l'intimée, bien qu'elle en avait la charge de la preuve, n'a pas montré que l'homme de l'art ne saurait reproduire des émulsions moins fluides que celle de l'exemple 1 du brevet mais encore capables de s'écouler du flacon les contenant.
L'argument étayé par le Römpp se basant sur des considérations sur la viscosité de nature générale, ne porte pas de manière directe sur les émulsions revendiquées. L'intimée n'a donc pas prouvé que l'homme de l'art ne saurait caractériser le comportement rhéologique des émulsions telles que revendiquées par des viscosimètres usuels sans effort excessif.
3.5.8. Bien qu'il ne soit pas contestable qu'en général la température a une influence sur la viscosité d'un fluide, une influence considérable de la température sur une émulsion spécifique telle que revendiquée, qui entre autre doit être stable, n'a pas été prouvée. Les exemples comparatifs soumis par l'intimée dans sa lettre en date du 3 novembre 1999 (tableau 1), portent en fait sur une émulsion contenant une polyacrylamide (Sepigel), qui n'est donc pas conforme à l'émulsion revendiquée.
3.5.9. L'argument selon lequel plusieurs méthodes de mesure de la viscosité existent et conduisent à des valeurs différentes, généralement vrai en soi, n'implique cependant pas que l'homme de l'art n'aurait pas pu utiliser des méthodes de mesures usuelles dans le cas en espèce.
A cet égard, l'intimée n'a pas prouvé que le formulateur d'émulsions telles que revendiquées n'avait aucune méthode commune utilisable ou n'aurait pas utilisé la méthode la plus courante dans le domaine, ou celle suggérée par l'emploi des matières premières. L'intimée n'a pas prouvé non plus que l'homme de l'art n'est pas à même de choisir des cisaillements usuels pour mesurer la viscosité d'une émulsion.
Le fait que le brevet ne contienne aucune indication à cet égard n'est pas déterminant. Les connaissances générales de l'homme de l'art sont à prendre en considération. Or, l'intimée n'a pas prouvé que les connaissances générales n'auraient pas permis à l'homme de l'art de reproduire l'invention. En fait, elle n'a pas contesté les informations données dans les dernières pièces produites par la requérante et portant sur les matières premières utilisées, qui contiennent des indications pour le choix d'un viscosimètre.
Par conséquent, il n'a pas été prouvé que l'homme du métier utilisant des méthodes usuelles n'aurait pas été à même de reproduire l'émulsion revendiquée.
3.5.10. Il s'ensuit que l'intimée n'a pas prouvé que l'homme de l'art ne peut reproduire que les exemples de l'émulsion telle que revendiquée.
3.6. Par conséquent, l'intimée n'a pas prouvé l'insuffisance de l'exposé.
4. Au vu de cette décision, la Chambre ne doit pas décider si les derniers documents produits par la requérante, concernant les matières premières à utiliser, portent sur les connaissances générales de l'homme de l'art et s'ils doivent ou non être admis dans la procédure.
5. Aucune décision sur les autres motifs d'opposition n'ayant été prise par l'instance du premier degré, la chambre, afin de sauvegarder les droits des parties, décide de ne pas exercer les compétences de l'instance qui a pris la décision attaquée sur ces motifs (article 111(1) CBE).
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision contestée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré afin de poursuivre la procédure.