T 2415/09 (Procédé de conversion/IFP) 15-09-2011
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Procédé de conversion du gaz de synthèse en présence d'un catalyseur à base de métal du groupe VIII, les particules du métal étant réparties sous forme d'agrégats
Respect du droit d'être entendu (non)
Vice substantiel de procédure (oui)
Remboursement de la taxe de recours (oui)
Renvoi à la première instance pour poursuite de la procédure
I. Le requérant (propriétaire du brevet) a introduit un recours contre la décision intermédiaire de la division d'opposition selon laquelle le brevet européen ne pouvait pas être maintenu sur la forme amendée basée sur le jeu de revendications soumis lors de la procédure orale du 10 septembre 2009 comme requête principale, mais seulement sur celui soumis comme requête subsidiaire également lors de la procédure orale du 10 septembre 2009.
II. Une opposition avait été formée par l'intimé (opposant) en vue d'obtenir la révocation du brevet en sa totalité invoquant une insuffisance de description et une absence de nouveauté et dactivité inventive (Article 100 (a) et (b) CBE). Avec une lettre datée du 24 juillet 2009, l'intimé a, entre autres, déposé les documents suivants:
(6) US-A-4 801 573,
(7) Attestation de M. Sigrid Eri concernant le document (8) ,
(8) Micrographies de catalyseurs obtenues par microscopie électronique en transmission.
III. La division d'opposition a décidé d'admettre les documents (6) à (8) déposés après l'expiration du délai d'opposition et considérant les documents (7) et (8) exposant les résultats obtenus en reproduisant l'exemple 19 du document (6) a conclu que l'objet de la revendication 1 de la requête principale, concernant un procédé de préparation d'hydrocarbures caractérisé par l'utilisation de catalyseurs particuliers, manquait de nouveauté.
Le dépôt tardif des documents (6) à (8) ne constituait pas un abus de procédure. Il existait de prime abord de solides raisons de croire que ces documents s'opposaient au maintien du brevet litigieux. Le droit d'être entendu du requérant requis par l'Article 113(1) CBE avait été respecté car une durée de 6 semaines et trois jours lui était suffisante pour réaliser ses propres contre-essais. Entre autres, les conclusions de l'affaire T 939/90 dans laquelle une Chambre de recours avait estimé qu'une division d'opposition avait agi correctement en écartant un compte rendu d'expérience déposé 4 semaines et 5 jours avant la date de la procédure orale faute de temps suffisant pour effectuer des contre-essais ne pouvait s'appliquer au cas d'espèce en raison de la différence considérable entre les durées pour effectuer les contre-essais en considération. En outre, l'exemple 19 du document (6) détaillait clairement la préparation du catalyseur et l'analyse de ce dernier par microscopie électronique en transmission ne posait aucune difficulté au requérant, qui avait eu suffisamment de temps à cet effet, même si ses laboratoires de recherche étaient fermés durant une partie de la période concernée.
IV. Le requérant a contesté l'admission des documents (6) à (8) dans la procédure d'opposition puisque tardifs et de prime abord non pertinents. Ces documents devaient donc également être écartés de la procédure de recours. Le document (6) était un brevet de l'intimé même qui avait donc fait le choix délibéré de ne pas le présenter avec les essais s'y rapportant pendant le délai d'opposition. Le dépôt tardif de ces documents était abusif et contraire au principe du contradictoire. Par ailleurs, ces documents n'étaient pas de prime abord pertinents, en particulier parce que la micrographie (document (8)) ne permettait pas de déduire les caractéristiques du catalyseur requises par le brevet litigieux.
Enfin, le droit d'être entendu n'avait pas été respecté puisque les nouveaux documents soumis par l'intimé n'avait été transmis au requérant que six semaines avant la procédure orale devant la division d'opposition rendant ainsi impossible une réponse nécessitant la présentation de contre-essais. En effet, pendant la période concernée ses laboratoires de recherche étaient fermés. En outre la préparation du catalyseur selon l'exemple 19 du document (6) mettait en oeuvre des produits qui n'étaient plus commercialisés et donc difficiles d'accès. Enfin, il y avait un délai de huit semaines pour obtenir une analyse du catalyseur par microscopie électronique en transmission. La division d'opposition avait donc commis un vice substantiel de procédure en admettant les documents tardifs sans laisser le temps nécessaire au requérant d'y répondre adéquatement.
V. L'intimé a fait siennes les conclusions de la division d'opposition quant à l'admission des documents (6) à (8) dans la procédure et, quant au respect du droit d'être entendu, a indiqué qu'à nul moment le requérant n'avait demandé un report de la procédure orale devant la division d'opposition afin de répondre au dépôt de ces nouveaux documents.
VI. Le requérant a demandé l'annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sur la base de sa requête principale déposée le 10 septembre 2009.
L'intimé a demandé le rejet du recours.
1. Le recours est recevable.
2. Documents (6) à (8): recevabilité
2.1 Les documents (6) à (8) ont été déposés par l'intimé avec sa lettre du 24 juillet 2009 donc bien après le délai d'opposition. Dans la décision contestée la division d'opposition a d'abord considéré que ces documents étaient prima facie pertinents (points 49 à 51), les a admis dans la procédure (point 52) puis les a opposés à la nouveauté du procédé revendiqué (points 53 à 58). Le requérant a contesté l'admission de ces documents et a demandé qu'ils soient écartés de la procédure de recours.
2.2 L'admission de documents tardifs dans la procédure d'opposition relève du pouvoir discrétionnaire dont dispose la division d'opposition en vertu de l'Article 114(2) CBE. Une chambre de recours ne peut annuler une décision prise par une première instance dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que si elle arrive à la conclusion que la première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire sur la base de principes erronés ou qu'elle a exercé son pouvoir de manière déraisonnable (G 7/93, JO OEB 1994,775, point 2.6; T 640/91, JO OEB 1994, 918, point 6.3).
Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire et donc d'appréciation laissée à la division d'opposition d'introduire des moyens de preuve produits tardivement dans la procédure d'opposition, il est de jurisprudence constante que le critère principal est celui de leur pertinence de prime abord.
2.3 Dans le cas présent, le critère de la pertinence de prime abord, imposé par la jurisprudence, est bien celui qui a été utilisé par la division d'opposition pour introduire ces documents dans la procédure puisqu'elle est même arrivée à la conclusion finale que l'objet de la revendication de la requête principale manquait de nouveauté au regard de ces documents (point 2.1 ci-dessus).
La décision discrétionnaire de la Division d'Opposition d'introduire les documents (6) à (8) dans la procédure d'opposition ne résulte donc pas de l'utilisation d'un critère d'appréciation erroné ou d'un exercice déraisonnable de son pouvoir discrétionnaire. Il s'en suit que la Chambre n'a aucune raison de renverser cette décision.
2.4 Les documents (6) à (8) font donc partie de la procédure d'opposition et, par tant, de la procédure de recours.
3. Droit d'être entendu (Article 113(1) CBE)
3.1 Le document (6) et les résultats d'essais expérimentaux reproduisant et caractérisant un catalyseur y étant décrit (documents (7) et (8)) ont été déposés par l'intimé environ six semaines avant la procédure orale devant la division d'opposition. L'intimé a soutenu sur la base de ces documents que l'objet des revendications manquait de nouveauté. Le jour de la procédure orale, le brevet européen a été révoqué sur la base de ces nouveaux moyens de preuve. Le requérant a soutenu que dans ces circonstances son droit d'être entendu n'a pas été respecté puisqu'il n'avait pas eu le temps de répondre aux nouveaux moyens invoqués par la réalisation de ses propres contre-essais.
3.2 Selon l'Article 113 (1) CBE, les décisions de l'OEB ne peuvent être fondées que sur des motifs au sujet desquels les parties ont pu prendre position.
A cet effet, il ne suffit pas qu'une partie ait eu connaissance des arguments et moyens preuves utilisés à son encontre, mais encore qu'elle ait eu la possibilité d'y répondre en organisant une défense appropriée.
3.3 Dans le cas d'espèce, il est indéniable que le requérant a été confronté à six semaines de la procédure orale devant la division d'opposition à une situation factuelle nouvelle incluant un nouveau document et des données expérimentales opposées à la nouveauté de l'objet revendiqué. La division d'opposition admettant dans la procédure d'opposition ces nouveaux moyens de preuves présentés peu de temps avant la procédure orale n'a cependant pas donné au requérant la possibilité d'y répondre de façon adéquate, à savoir, tel que le souhaitait le requérant, par la réalisation de contre-essais tendant à prouver que le catalyseur décrit dans le document (6) ne remplissait pas les caractéristiques requises par les revendications en litige.
3.4 La division d'opposition a prétendu que les six semaines restant au requérant avant la procédure orale étaient suffisantes pour réaliser ces contre-essais alors que le requérant a soutenu que cela lui était impossible faute de temps.
La Chambre sans pouvoir se prononcer dans les présentes circonstances sur le délai exact nécessaire à la réalisation d'essais comparatifs note cependant qu'en matière de délai, la Règle 132(2) CBE impose par exemple que les délais impartis par l'OEB ne peuvent être inférieurs à deux mois et qu'ils peuvent être prorogés sur requête. En règle générale, le délai pour répondre à des questions de fond est fixé à quatre mois, prolongée à six mois sur requête, et il peut être fait droit à une requête en prorogation d'une durée supérieure en raison de circonstances exceptionnelles, par exemple la nécessité de produire des essais expérimentaux (voir le communiqué du Vice-président chargé de la DG2, en date du 28 février 1989, relatif à la prorogation des délais dans les procédures d'examen et d'opposition, JO 1989, 180; Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB, Chapitre VIII, points 1.2 et 1.6).
Ces délais, même s'ils ne s'appliquaient pas en l'espèce (Règle 116(1) CBE), montrent cependant qu'il ne peut pas être requis d'une partie de produire des essais comparatifs dans un laps de temps aussi court que six semaines.
En outre, le requérant avait justifié l'impossibilité d'effectuer les essais dans les temps en raison, entre autres, de la fermeture annuelle de ses laboratoires de recherche pendant la période concernée. La division d'opposition a affirmé, sans aucune motivation, que cet argument n'était pas pertinent. Or, la Chambre considère l'argument du requérant comme pleinement justifié car de toute évidence il est exclu de mettre en oeuvre des essais alors que les laboratoires où ils doivent être effectués sont fermés.
Par conséquent, la mise en oeuvre des contre-essais entre le moment où le requérant a eu de connaissance des documents (6) à (8) et la tenue de la procédure orale était irréalisable. La Chambre arrive par tant à la conclusion que la division d'opposition en fondant sa décision sur ces nouveaux moyens sans permettre au requérant d'y répondre par le biais des contre-essais qu'il estimait nécessaires, n'a pas respecté son droit d'être entendu, contrairement aux dispositions de l'Article 113(1) CBE, ce qui constitue un vice substantiel de procédure.
4. L'intimé a fait valoir que le requérant n'avait jamais demandé un ajournement de la procédure orale aux fins de présenter les résultats de contre-essais.
Cependant le requérant, bien plus que l'ajournement de la procédure orale, avait demandé à la division d'opposition de ne pas admettre les documents tardifs (6) à (8) dans la procédure d'opposition motif pris, entre autres, de l'impossibilité de réaliser des essais comparatifs et d'une violation de son droit d'être entendu. Cet argument de l'intimé doit donc être rejeté.
5. Par conséquent, la décision attaquée doit être annulée et l'affaire renvoyée à la Division d'opposition pour continuer la procédure d'opposition (Article 111(1) CBE). Le remboursement de la taxe de recours est ordonné puisqu'il est fait droit au recours, et que le remboursement est équitable en raison d'un vice substantiel de procédure, à savoir le non-respect du droit d'être entendu (Règle 103(1)(a) CBE).
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée à l'instance du premier degré afin de poursuivre la procédure.
3. Le remboursement de la taxe de recours est ordonné.