3. Clarté des revendications
Les revendications manquent de clarté lorsqu'elles ne permettent pas de distinguer exactement les limites de l'étendue de la protection (T 165/84, T 6/01). Les revendications doivent être en soi exemptes de contradiction (voir T 2/80, JO 1981, 431). Elles doivent être intrinsèquement claires lorsqu'elles sont lues par l'homme du métier sans qu'il lui soit nécessaire de prendre connaissance du contenu de la description (T 2/80, T 1129/97, JO 2001, 273 ; T 2006/09 ; T 1253/11 ; T 355/14). Dans l'affaire G 1/04 (JO 2006, 334), la Grande Chambre de recours a constaté que la signification des caractéristiques essentielles doit ressortir clairement, pour l'homme du métier, du seul libellé des revendications (voir aussi T 342/03, T 2091/11, T 630/14, T 1140/14, T 1957/14). La description est prise en considération pour interpréter les revendications et, dans certains cas, pour déterminer leur clarté et leur concision (voir le présent chapitre, II.A.6.3.).
Dans la décision de principe T 728/98 (JO 2001, 319), la chambre a déclaré qu'il découlait de l'exigence de sécurité juridique qu'une revendication ne peut être considérée comme claire au sens de l'art. 84 CBE 1973 si elle comporte une caractéristique technique ambiguë (en l'occurrence "pratiquement pur"), dont il n'existe pas de définition sans équivoque généralement admise dans l'état de la technique entrant en ligne de compte, surtout si cette caractéristique ambiguë joue un rôle essentiel pour la délimitation de l'objet revendiqué par rapport à l'état de la technique (voir aussi T 1399/11, T 1702/15). De même, dans l'affaire T 226/98 (JO 2002, 498), la chambre a considéré que la caractéristique "en tant que produit pharmaceutique", utilisée pour définir un critère pharmaceutique de pureté dans une revendication qui portait sur un produit proprement dit (en l'espèce, famotidine forme "B"), privait ladite revendication de clarté en l'absence d'une définition quantitative généralement admise pour le prétendu critère de pureté.
Dans l'affaire T 586/97, la revendication principale portait sur une composition pour aérosol comprenant un agent propulseur et un ingrédient actif non défini. La chambre a estimé que, lorsqu'un ingrédient essentiel compris dans une composition chimique est susceptible d'être qualifié arbitrairement d'"ingrédient actif" ou non, le sens de la caractéristique correspondante est fluctuant. Laisser le public dans le doute quant à la nature des compositions couvertes par la revendication serait en contradiction avec le principe de sécurité juridique. La présente revendication ne satisfaisait donc pas à l'exigence de clarté imposée par l'art. 84 CBE 1973. Voir aussi T 642/05, T 134/10.
Dans l'affaire T 1045/92, les revendications étaient rédigées comme suit : "composition réticulable du type à deux emballages séparés comprenant [...]". La chambre a estimé qu'une "composition réticulable du type à deux emballages séparés" constituait pour l'homme du métier spécialiste du domaine des polymères un article commercial aussi familier que le sont pour le grand public les produits d'usage quotidien. Par conséquent, la revendication était claire.
Dans les décisions T 1129/97 (JO 2001, 273) et T 274/98, la chambre a souligné que, pour qu'il soit satisfait à l'exigence de clarté, le groupe de composés /d'ingrédients selon la revendication doit être défini de telle sorte que l'homme du métier puisse distinguer sans ambiguïté les composés/ingrédients appartenant au groupe revendiqué de ceux n'en faisant pas partie (voir aussi T 425/98 pour la formulation "contenant une plus grande quantité").
Dans l'affaire T 268/13, la chambre a estimé qu'une revendication relative à un "procédé de réalisation d'une [...] bande de décoration, présentant [...] une structure formée d'un texte ou d'un symbole graphique [...]", satisfaisait aux exigences de l'art. 84 CBE 1973. Bien qu'il ne soit pas entièrement possible de définir de façon générale et universelle ce que représente un symbole, on pouvait néanmoins clairement déterminer, en l'espèce, si un signe particulier constituait un symbole dans le contexte culturel, linguistique ou technique concerné. Par conséquent, la revendication ne posait de problèmes insolubles ni à la personne qui souhaite éviter de porter atteinte au brevet, ni au juge compétent en matière de contrefaçon.
Dans l'affaire T 1957/14, la chambre n'a pas été convaincue par l'argument du requérant selon lequel la matière déposée sert de substitut à la description d'une séquence, c'est-à-dire de solution de remplacement à des informations structurelles. Selon la chambre, le fait de s'appuyer sur une matière déposée issue d'une lignée autofécondée pour la définition des caractéristiques essentielles de l'invention, et de demander à ce qu'elle soit analysée pour identifier les allèles pertinents, contrevenait au principe selon lequel, en général, la signification d'une revendication, notamment de ses caractéristiques essentielles, doit ressortir clairement, pour l'homme du métier, du seul libellé de la revendication.
Dans l'affaire T 1845/11, la chambre a conclu que le terme "race asiatique" n'était pas clair. L'homme du métier n'a à sa disposition aucun critère objectif, clairement défini, qui permette de rattacher un patient à un groupe racial donné.
Selon la décision T 1170/16, les termes "utile pour" dans l'expression "une structure absorbant les liquides, utile pour les articles absorbants" de la revendication 1 entraînait un manque de clarté. L'expression "utile pour" comprenait un élément de valeur par rapport aux caractéristiques qu'il reliait. Ce bénéfice n'était toutefois pas défini dans la revendication 1, si bien que le lecteur ne savait pas comment la structure pouvait être utile pour les articles absorbants. La chambre a rejeté l'argument selon lequel l'expression "utile pour" équivalait à "pour", au sens de "adapté pour", son effet allant au-delà d'une simple aptitude.
Dans la décision T 651/05, la chambre a estimé que l'introduction de termes vagues entraînait un manque de clarté, puisqu'elle permettait des interprétations différentes, mais également valables (voir aussi T 621/03, T 127/04). Dans l'affaire T 1534/10, une revendication contenait une caractéristique selon laquelle "le support de données (1) est réalisé en plusieurs couches sous la forme d'un stratifié, et comprend au minimum deux feuilles (4, 5) intégrées en tant que feuille de recouvrement (4) ou en tant que feuille de cœur (5) dans la composition en couches du support de données stratifié". De l'avis de la chambre, cette formulation mêlant le pluriel ("au minimum deux feuilles (4, 5)") et le singulier ("en tant que feuille de recouvrement (4) ou en tant que feuille de cœur (5)") entraînait un manque de clarté, puisqu'on ne pouvait déterminer si les feuilles, au nombre d'au moins deux, formaient chacune une feuille de recouvrement ou une feuille de cœur, ou si elles formaient ensemble une nouvelle feuille constituant une feuille de recouvrement ou une feuille de cœur.
Lorsque, pour l'une parmi plusieurs interprétations possibles d'une revendication formulée de façon vague, une partie de l'objet revendiqué n'est pas suffisamment décrite pour être exécutée, cette revendication peut être contestée au titre de l'art. 100 b) CBE 1973 (T 1404/05, voir aussi le chapitre II.C.8.1. "L'art. 83 CBE et la description, fondement des revendications").
Dans l'affaire T 762/90, il a été considéré que l'utilisation d'une marque de fabrique désignant toute une série de produits qui ne pouvaient se distinguer les uns des autres que par la phase de leur mise au point industrielle appelait une objection pour défaut de clarté. La chambre a en outre émis des réserves à l'encontre de l'utilisation d'une telle marque de fabrique, étant donné qu'il n'était pas certain que sa signification demeurerait la même jusqu'à la fin de la durée du brevet (voir T 939/92, T 270/11 ; voir aussi le chapitre II.E.1.7.3 e) "Formulation des disclaimers – clarté"). De même, dans la décision T 480/98, la chambre a considéré qu'un produit de marque cité dans la partie caractérisante de la revendication 1 n'avait pas de signification technique claire, puisqu'il pouvait désigner plusieurs produits de composition différente, présentant des propriétés différentes. En conséquence, la revendication manquait de clarté et n'était pas admissible. Cependant, dans la décision T 623/91, la chambre a conclu que l'exclusion d'une composition par référence à la marque ou la dénomination commerciale ne suscitait pas d'incertitude et ne violait donc pas les dispositions de l'art. 84 CBE 1973, dans la mesure où une modification de la plage de valeurs de la composition chimique était peu probable sans une modification correspondante du nom commercial ou de la marque.
Dans l'affaire T 363/99, la revendication 2 de la demande faisait dans son préambule référence à un fascicule de brevet allemand. La chambre a considéré que cela était contraire à l'art. 84, deuxième phrase CBE 1973, au motif qu'il n'était pas possible, sans recourir au document cité comme référence, de déterminer l'étendue de l'objet de la protection demandée. En revanche, le fait d'indiquer le numéro de publication du document cité comme référence pour satisfaire à l'art. 84 CBE 1973, qui exige qu'il soit donné la définition la plus concise de l'objet de la protection demandée, reste sans importance. Lors de la rédaction d'une revendication, le demandeur est tenu de choisir la formulation la plus précise, objectivement parlant (voir T 68/85, JO 1987, 228).
Il ne peut être invoqué le défaut de clarté au titre de l'art. 84 CBE dans le cas où la revendication est simplement complexe, à condition que l'objet pour lequel la protection est demandée et l'étendue de la protection demandée puissent, en eux-mêmes ou à la lumière de la description, être considérés comme clairs et dénués d'ambiguïté pour l'homme du métier (voir T 574/96 concernant l'art. 84 CBE 1973). Dans la décision T 1020/98 (JO 2003, 533), la chambre a confirmé que la réalisation de l'exigence de clarté selon l'art. 84 CBE 1973 ne dépend pas de la somme de temps nécessaire pour répondre à la question de savoir si un composé donné est couvert ou non par la revendication de produit. Cette exigence ne fournit pas de base pour objecter qu'une revendication est complexe. La clarté au sens de cette disposition exige uniquement que les revendications indiquent à l'homme du métier de manière claire et sans ambiguïté, éventuellement à la lumière de la description, l'objet de la protection demandée.
Dans la décision T 75/09, la chambre a estimé que lorsque des requêtes de rang supérieur sont rejetées au motif qu'une caractéristique commune à toutes les requêtes ne satisfait pas aux exigences de l'art. 84 CBE, toutes les requêtes de rang inférieur qui conservent cette caractéristique doivent être rejetées pour le même motif.
Dans l'affaire T 765/15, la chambre a souligné que les revendications 1 et 2 se contredisaient bien que la revendication 2 dépende de la revendication 1. Par conséquent, le jeu de revendications n'était pas clair au sens de l'art. 84 CBE 1973.
Dans l'affaire T 2574/16, la division d'examen avait estimé que la méthode de la revendication 1 n'était pas claire au vu d'un exemple divulgué dans la description. La chambre a constaté que la revendication englobait des simulations complexes qui allaient au-delà de chaque exemple divulgué dans la demande telle que déposée. Mais il ne s'agissait pas là d'un problème de manque de clarté( ou d'insuffisance de l'exposé). En réalité, il est normal qu'une revendication détermine l'étendue de la protection dans des termes qui définissent positivement les caractéristiques essentielles de l'invention. Tout mode de réalisation particulier couvert par la revendication peut avoir d'autres caractéristiques non mentionnées dans la revendication ni divulguées dans la demande (et peut même constituer un perfectionnement brevetable).
- T 1099/21
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- Compilation 2023 “Abstracts of decisions”