T 2017/12 24-02-2014
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Dépôt tardif de l'acte de recours et du mémoire exposant les motifs du recours
Paiement tardif de la taxe de recours
Deux taxes de restitutio in integrum exigibles pour deux délais non observés
Restitutio in integrum (non)
Saisine de la Grande Chambre de recours
I. Par une décision prononcée le 5 octobre 2011 à l'issue de la procédure orale, puis rendue par écrit et remise à la poste le 15 novembre 2011, la division d'examen a rejeté la demande de brevet européen n° 01 989 207.4.
II. Le 31 mai 2012, le demandeur a formé un recours contre cette décision, acquitté la taxe de recours et déposé le mémoire exposant les motifs du recours. Il a demandé en outre, en vertu de l'article 122 CBE, que le requérant soit rétabli dans ses droits de former un recours et de déposer le mémoire exposant les motifs dans les délais prévus à l'article 108 CBE. Il a dans le même temps acquitté la taxe de restitutio in integrum deux fois (pour chacun des délais non observés) et a demandé également le remboursement de l'une de ces taxes, en invoquant le lien entre les deux délais et le fait qu'ils se rapportaient à une seule et même perte de droits.
III. Selon le requérant, la cessation de l'empêchement est intervenue le 18 mai 2012, date à laquelle il a reçu une lettre indiquant que les taxes annuelles ne pouvaient plus être acquittées au motif que la demande n'était plus en instance.
IV. À l'appui de sa requête en restitutio in integrum, le demandeur a fait valoir qu'il n'avait pas été en mesure d'observer le délai bien qu'il ait fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances. Lorsque la demande a été rejetée, la société du demandeur était détenue par Oversee.net, Inc. ("Oversee"). À l'époque, Oversee finalisait la vente de la société du demandeur à NameDrive US, LLC ("NameDrive"). À l'issue de négociations compliquées qui avaient duré plus longtemps que prévu, l'affaire avait été conclue le 31 janvier 2012, soit quelques jours seulement après l'expiration du délai pour former un recours (25 janvier 2012). Au cours de cette période agitée, caractérisée par un niveau d'activité exceptionnel jusqu'à la réalisation de l'opération, la société du demandeur, ou son propriétaire qui contrôlait ses activités, a apparemment oublié de donner au mandataire l'instruction de former un recours. Il est de jurisprudence constante que, dans les cas où l'inobservation d'un délai résulte d'une erreur commise alors que la partie met à exécution son intention d'observer ledit délai, le critère de toute la vigilance nécessaire est considéré comme respecté si l'inobservation du délai était due soit à des circonstances exceptionnelles, soit à une méprise isolée dans un système fonctionnant normalement de manière satisfaisante. Une restructuration organisationnelle était un exemple classique de circonstances exceptionnelles, ainsi qu'il ressort des affaires T 469/93, T 1136/04 et T 14/89.
V. Dans l'annexe à la citation à la procédure orale, la Chambre a émis l'avis préliminaire selon lequel la requête en restitutio in integrum semblait recevable sans qu'il puisse y être fait droit.
VI. En réponse, pour étayer les circonstances décrites dans l'exposé des motifs de la requête en restitutio in integrum, le requérant a produit une déclaration sous serment signée par M. Snyder, qui avait joué un rôle central dans la transaction commerciale tant du côté du vendeur que de l'acheteur. La demande a été rejetée en pleines négociations, alors que, selon le calendrier initial, celles-ci auraient dû être menées à terme avant l'expiration du délai de recours. Si la transaction avait été conclue dans les délais, l'introduction du recours n'aurait plus été du ressort du vendeur. Ce dernier ne surveillait donc plus la demande en cause dans le cadre de son système de gestion de la PI. Cependant, la responsabilité du dossier n'a été transférée à l'acheteur que lorsque la transaction a été effectivement conclue, soit après l'expiration du délai de recours. Avant cela, l'acheteur n'avait pas le droit d'intervenir dans le traitement de la demande en cause.
Le requérant a également fait valoir que les conditions susvisées pour que le critère de la vigilance nécessaire soit réputé respecté malgré l'inobservation d'un délai ("circonstances exceptionnelles" ou "méprise isolée") constituaient des alternatives et devaient donc faire l'objet d'une appréciation séparée. L'existence de circonstances exceptionnelles ayant été démontrée, il n'était pas nécessaire de déterminer également si une méprise isolée avait été commise.
VII. La procédure orale, à laquelle le requérant n'était pas représenté, s'est tenue le 7 juin 2013. À l'issue de la procédure, la Chambre a rejeté les requêtes en restitutio in integrum du requérant ainsi que sa requête en remboursement de l'une des taxes correspondantes. La Chambre a décidé en outre de poursuivre la procédure par écrit afin de déterminer si le recours devrait être réputé ne pas avoir été formé ou devrait être jugé irrecevable.
VIII. Dans une notification ultérieure, la Chambre a rendu un avis préliminaire selon lequel le recours devait être considéré irrecevable en vertu de l'article 108, deuxième phrase CBE. Cependant, de nombreuses décisions des chambres de recours ayant abouti à une conclusion différente et compte tenu d'éventuelles répercussions sur d'autres dispositions de la CBE, elle a estimé qu'il serait peut-être nécessaire de saisir la Grande Chambre de recours.
IX. Dans une lettre datée du 23 septembre 2013, le requérant, bien qu'ayant été informé à la fois par le procès-verbal de la procédure orale et par la notification établie ultérieurement que la chambre avait tranché la question, a de nouveau fait valoir que les taxes de restitutio in integrum acquittées en raison du dépôt tardif de l'acte de recours et du mémoire exposant les motifs du recours étaient étroitement liées et se rapportaient à un seul et même fait. Dès lors, en vertu du principe de bonne foi, seule une taxe ne devrait être acquittée, puisque le fait de statuer sur ces deux points ne représentait aucune charge de travail supplémentaire pour l'OEB. S'agissant de la question de l'irrecevabilité, le requérant a fait observer que, même si la CBE ne définissait pas explicitement les effets du rejet d'une requête en restitutio in integrum, il semblait logique que le rejet d'une telle requête serait dépourvu d'effet et que le dossier en serait au même stade que si elle n'avait jamais été déposée. Par conséquent, l'acte de recours ayant été déposé et la taxe de recours acquittée après l'expiration des délais prescrits, le recours devait être réputé non formé en application de l'article 108 CBE. Conformément aux décisions J 2/78, J 21/80 et J 24/87, la taxe de recours devait être remboursée au motif qu'elle n'avait aucune raison d'être sur le plan juridique. Le même raisonnement s'appliquait aux taxes annuelles pour la 11e et la 12e année car la demande n'était plus en instance lorsque ces paiements ont été effectués.
Reasons for the Decision
1. Requête en restitutio in integrum quant au droit de former un recours et de déposer le mémoire exposant les motifs du recours
1.1 Version applicable de la CBE
Sont applicables, dans la présente affaire, l'article 122 CBE et la règle 136 CBE (cf. articles premier et 5 de la Décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001 relative aux dispositions transitoires au titre de l'article 7 de l'acte de révision de la Convention sur le brevet européen du 29 novembre 2000).
1.2 Recevabilité de la requête en restitutio in integrum
1.2.1 Perte d'un moyen de recours
En vertu de l'article 108 CBE, le recours doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision. Il n'est réputé formé qu'après le paiement de la taxe de recours. Un mémoire exposant les motifs du recours doit être déposé dans un délai de quatre mois à compter de la signification de la décision. Le recours a été formé et la taxe de recours acquittée le 31 mai 2012, soit après l'expiration, le 25 janvier 2012, du délai prescrit. Le mémoire exposant les motifs du recours a été déposé le 31 mai 2012, soit également après l'expiration, le 26 mars 2012, du délai prescrit (pour le calcul des délais, voir les règles 126(2) ; 131(1), (2) et (4) ; et 134(1) CBE).
1.2.2 Incapacité d'observer le délai
Pour que le recours soit introduit, il aurait fallu que le demandeur ou le propriétaire de la société du demandeur (Oversee) donne des instructions en ce sens. Ceux-ci ayant oublié de donner les instructions nécessaires, le mandataire européen n'était pas en mesure de déposer l'acte de recours et le mémoire exposant les motifs du recours ni d'acquitter la taxe de recours dans les délais.
1.2.3 Recevabilité de la requête
En vertu de la règle 136(1) CBE, la requête en restitutio in integrum doit être présentée par écrit dans un délai de deux mois à compter de la cessation de l'empêchement. Le mandataire du requérant a fait valoir qu'il était informé du délai non observé depuis le 18 mai 2012, date que la chambre reconnaît comme étant celle de la cessation de l'empêchement aux fins de la présente décision. La requête en restitutio in integrum a été déposée le 31 mai 2012, accompagnée d'un exposé des motifs et des faits invoqués. Ce même jour, les actes non accomplis l'ont été, à savoir que l'acte de recours et le mémoire exposant les motifs du recours ont été déposés et la taxe de recours acquittée, tout comme les deux taxes de restitutio in integrum conformément à la règle 136(2) CBE. Par conséquent, la requête en restitutio in integrum est recevable.
1.3 Bien-fondé de la requête en restitutio in integrum
Il n'est pas fait droit à la requête, car la chambre n'est pas convaincue que le demandeur a fait preuve de toute la vigilance nécessaire dans le traitement du dossier.
1.3.1 Toute la vigilance nécessaire - généralités
Il appartient à la fois au demandeur et au mandataire de faire preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances (cf. article 122(1) CBE et J 5/80, sommaire I). Cela signifie qu'ils doivent tous deux accomplir les démarches nécessaires pour respecter le délai concerné. Il convient à cet égard de déterminer quelles précautions particulières une partie agissant raisonnablement est supposée avoir prises. En règle générale, une partie agissant raisonnablement prendrait au moins les précautions nécessaires pour faire face à des problèmes prévisibles qui surviennent dans des situations courantes.
1.3.2 Vigilance nécessaire en période de rachat
Dans un premier temps, la chambre reconnaît que dans le cadre de transferts complexes de propriété d'une société, il n'est pas entièrement exclu qu'une méprise isolée se produise, même s'il est fait preuve de toute la vigilance nécessaire. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que le seul fait de mener des négociations en vue d'un tel transfert soit une excuse valable pour l'inobservation d'un délai. Par conséquent, la chambre ne peut accepter l'argument du requérant selon lequel ces négociations constituent en soi des circonstances exceptionnelles et que, de ce fait, même si un délai n'a pas été observé, il aurait été fait preuve de toute la vigilance nécessaire. Selon la chambre, le rachat d'une société relève d'une activité économique normale qui n'affecte pas nécessairement le déroulement des affaires courantes. Elle conclut qu'il appartenait au requérant de préciser en quoi, dans la présente espèce, les négociations de rachat avaient pu avoir exceptionnellement une incidence sur les activités de gestion des brevets.
1.3.3 Faits de la présente espèce
Le requérant a fait valoir qu'à la date du rejet de la demande, cette dernière était détenue par Oversee. Le rachat par NameDrive a été conclu le 31 janvier 2012, soit peu après la date limite pour former un recours (25 janvier 2012). Les négociations de rachat ont été caractérisées par un climat agité. Elles se sont révélées compliquées et ont duré plus longtemps que prévu. La chambre estime qu'il n'est pas exceptionnel que de telles négociations prennent plus de temps que prévu pour des raisons inattendues, si bien que pour faire preuve de la vigilance nécessaire il convient d'être préparé à une telle situation. Le requérant n'a apporté aucune précision concernant la procédure de gestion des brevets appliquée par la société du demandeur ou par son nouveau propriétaire ni sur la manière dont cette procédure aurait pu être perturbée par les négociations de rachat menées dans un climat agité. Il n'est fait mention que d'une longue expérience en matière de développement de brevets et d'une gestion des dossiers irréprochable jusqu'alors. Aucune explication concrète n'est donnée non plus quant à la nature ou aux circonstances de l'erreur. Il est simplement indiqué que SnapNames ou Oversee a apparemment oublié de donner les instructions nécessaires au mandataire agréé.
2. Remboursement de l'une des taxes de restitutio in integrum
La partie de l'article 122 (1) CBE à prendre en considération dispose que "le demandeur ... qui ... n'a pas été en mesure d'observer un délai, ... est...rétabli dans ses droits ...". La règle 136(1), deuxième phrase CBE énonce que : "la requête en restitutio in integrum n'est réputée présentée qu'après le paiement de la taxe prescrite". Le point 13 du barème des taxes et redevances de l'OEB fait référence à la "taxe de restitutio in integrum, ... ". La CBE ne contient aucune disposition expresse en cas d'inobservation de plusieurs délais. La chambre en déduit que chaque délai doit être traité séparément et conclut qu'en l'absence d'indication contraire, le nombre de taxes à acquitter est fonction du nombre de délais non observés.
Cette approche est conforme à la décision J 26/95 (JO OEB 1999, 668, sommaire III) dans laquelle la chambre de recours juridique a statué comme suit sur les taxes exigibles en raison de l'inobservation des délais pour répondre à une notification de la division d'examen et pour acquitter la taxe annuelle pour la 6e année :
"Si des délais venant à expiration indépendamment les uns des autres n'ont pas été observés par le demandeur et si pour chaque délai, cette inobservation a eu pour effet que la demande est réputée retirée, une requête en restitutio in integrum doit être déposée pour chacun de ces délais. Conformément à l'article 122(3) CBE [1973], deuxième phrase, une taxe de restitutio in integrum doit être acquittée pour chaque requête, que les requêtes en restitutio in integrum aient été présentées dans la même lettre ou dans des lettres différentes et que ces requêtes soient fondées sur les mêmes motifs ou sur des motifs différents (point 5.2)."
Le même raisonnement s'applique aux requêtes en restitutio in integrum concernant l'introduction d'un recours et le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours, et ce pour deux raisons. La première est que les délais correspondants viennent à expiration indépendamment l'un de l'autre, même s'ils sont déclenchés par le même événement, à savoir l'envoi de l'exposé écrit des motifs d'une décision. La chambre fait observer, à titre d'exemple, que si la date d'expiration du délai de recours est repoussée d'un jour de week-end à un lundi en vertu de la règle 134(1) CBE, cela n'a aucune incidence sur l'expiration du délai prévu pour déposer le mémoire exposant les motifs du recours. La deuxième raison est que l'inobservation de l'un ou l'autre de ces délais entraîne la perte du droit de recours. En vertu de l'article 108, première phrase CBE, le recours doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision et l'article 108, troisième phrase CBE, dispose qu'un mémoire exposant les motifs du recours doit être déposé dans un délai de quatre mois à compter de la signification de la décision. L'inobservation de l'un ou de l'autre de ces délais entraîne le rejet du recours pour irrecevabilité, pour autant que la taxe de recours ait été acquittée. Par conséquent, deux taxes de restitutio in integrum distinctes étaient effectivement exigibles si bien que le remboursement de l'une d'entre elles n'est pas possible.
Les contre-arguments du demandeur ne sont pas convaincants. Pour justifier son point de vue selon lequel une seule taxe était exigible, celui-ci a invoqué le principe de bonne foi et a avancé que le fait de prendre une décision sur deux actes non accomplis au lieu d'un seul ne faisait peser aucune charge de travail supplémentaire sur l'OEB. La chambre signale à ce propos que la structure des taxes prévue par la CBE ne reflète pas nécessairement la charge de travail effective pour l'OEB dans une affaire donnée. En réalité, les législateurs ont fixé pour le montant des taxes des sommes forfaitaires qui ne sont pas affectées, par exemple, par le nombre de requêtes subsidiaires à instruire ou par le nombre de jours accordés pour la procédure orale.
Dans l'affaire G 2/08 (JO 2010, 456), la Grande Chambre de recours a indiqué qu'il ressortait des articles 31 et 32 de la Convention de Vienne, à la lumière desquels il convenait d'interpréter la CBE (cf. également G 5/83, JO 1985, 60), que les dispositions d'un traité devaient, dans un premier temps, être interprétées de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes dans leur contexte et à la lumière de l'objet et du but du traité. Le juge ne saurait donc s'écarter des dispositions claires de la loi.
3. Saisine de la Grande Chambre de recours
Conformément à l'article 112(1) CBE 1973, la chambre de recours saisit la Grande Chambre de recours afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose et, éventuellement de sa propre initiative, lorsqu'elle estime qu'une décision est nécessaire à ces fins.
3.1 Application uniforme du droit
Selon l'article 108, deuxième phrase CBE, "le recours n'est réputé formé qu'après le paiement de la taxe de recours".
3.1.1 Interprétation de cette disposition dans la majorité des décisions des chambres de recours
Dans de nombreuses décisions des chambres de recours, l'article 108, deuxième phrase CBE a été interprété en ce sens qu'il n'existait pas de recours si la taxe de recours n'avait pas été acquittée dans le délai de deux mois prévu pour l'introduction du recours, et que, par voie de conséquence, toute taxe de recours acquittée tardivement devait être remboursée. Un grand nombre de ces décisions ont également examiné des requêtes en restitutio in integrum faisant suite au paiement tardif de la taxe de recours.
Les chambres compétentes, lorsqu'elles ont rejeté la requête en restitutio in integrum, n'ont traité qu'en quelques phrases la question du recours lui-même et de son inexistence.
La décision J 21/80 constitue le point de départ. Dans cette affaire, la taxe de recours avait été acquittée tardivement. La chambre a indiqué qu'"en raison de linexistence d'un recours valable, le montant de la taxe de recours payée tardivement doit être restitué". La décision ne contenait pas d'autre motif. Il est déclaré dans le dispositif de la décision, rédigée en français, que "le recours contre la décision de la Section de dépôt du 12 mai 1980 est considéré comme non formé". La traduction de cette disposition est incorrecte dans la version anglaise ("The appeal against the Decision ... is inadmissible"), mais correcte dans la version allemande ("Die Beschwerde ... gilt als nicht eingelegt").
La décision J 24/87, citée par le requérant, parvient à la même conclusion, mais là encore sans fournir d'arguments à l'appui.
La décision J 2/78 à laquelle renvoie également le requérant n'est pas pertinente pour statuer sur la présente espèce car, dans cette affaire, aucune taxe de recours n'avait été acquittée.
La décision J 21/80 a été suivie par la décision J 16/82. Aux points 2, 9 et 10 des motifs, la chambre a énoncé ce qui suit :
"2. L'une des conditions de la recevabilité d'un recours est le paiement de la taxe correspondante dans un délai de deux mois, conformément à l'article 108 de la CBE; faute de quoi, le recours est considéré comme non formé, en application de l'article 108, deuxième phrase de la CBE (cf. décision de la Chambre de recours juridique J 21/80 du 26 février 1981, JO de l'OEB n° 4/1981, p. 101).
9. La restitutio in integrum ne pouvant être accordée, le recours est considéré comme non formé, en application de l'article 108, deuxième phrase de la CBE. En raison de la relation de causalité existant avec la première phrase de l'article 108, il faut entendre par la deuxième phrase dudit article que le recours est considéré comme non formé si la taxe correspondante n'a pas été acquittée dans le délai prescrit pour l'introduction du recours (voir également décision J 21/80 du 26 février 1981, JO de l'OEB n° 4/1981, p. 101 déjà mentionnée au point 2).
10. Lorsqu'en application de l'article 108, deuxième phrase de la CBE, un recours est considéré comme non formé au motif que la taxe correspondante n'a été payée qu'après l'expiration du délai prescrit pour l'introduction du recours, un tel paiement perd sa raison d'être. Il y a donc lieu d'en rembourser d'office le montant."
Ainsi, à l'exception d'une référence générale à la genèse de l'article 108, deuxième phrase CBE, aucune de ces décisions n'indique pour quel motif cette disposition a été interprétée de cette manière. De manière générale, les décisions rendues ultérieurement n'apportent pas non plus davantage de précisions à ce raisonnement succinct.
Dans la décision T 489/93, la chambre a rejeté un recours pour irrecevabilité en raison du paiement tardif de la taxe de recours, en concluant comme suit : "le recours doit par conséquent être rejeté pour irrecevabilité en vertu de la règle 65(1) CBE [1973]. Les termes "pour irrecevabilité" utilisés à la règle 65(1) CBE s'entendent dans un sens large, autrement dit ils s'appliquent à la fois dans le cas d'un recours existant (mais "irrecevable") et dans celui d'un recours non existant". La chambre a considéré en l'espèce le recours comme non existant et, se référant à la décision J 21/80, a ordonné le remboursement de la taxe de recours.
3.1.2 Décisions s'écartant de l'interprétation précitée
Dans les décisions T 1289/10, T 1535/10 et T 2210/10, le recours a été rejeté pour irrecevabilité sans qu'un remboursement de la taxe de recours ait été ordonné, et ce bien que le recours ait été formé après l'expiration du délai de recours et que la taxe de recours n'ait été acquittée qu'après l'expiration de ce délai. Cette question n'a pas été traitée dans les motifs.
Dans la décision T 79/01, le recours a été rejeté pour irrecevabilité après qu'une partie seulement de la taxe de recours a été acquittée. Ce montant partiel n'a pas été remboursé. La chambre a estimé (point 9 et 10 des motifs) que cela correspondait à une interprétation cohérente de la règle 65(1) CBE 1973, et a déclaré ce qui suit :
"Il n'y a aucune raison d'accorder au requérant un traitement plus favorable en cas de paiement tardif (ou insuffisant, comme en l'espèce) de la taxe de recours (recours réputé non formé et remboursement de la taxe de recours) que dans le cas où, par exemple, le mémoire exposant les motifs du recours a été déposé tardivement (irrecevabilité du recours). De plus, les travaux préparatoires semblent étayer cette interprétation. Il ressort ainsi de ces documents (IV/6514/61-F) que, en ce qui concerne les "façons possibles pour la Chambre de recours de se prononcer sur le recours, la Chambre peut constater que la requête est irrecevable par suite du non-paiement de la taxe".
3.2 Question de droit d'importance fondamentale
On retrouve à l'article 94 CBE (Requête en examen), à l'article 99 CBE (Opposition), à l'article 105bis CBE (Requête en limitation), à l'article 112bis CBE (Requête en révision), à la règle 22 CBE (Requête en inscription d'un transfert), à la règle 89 CBE (Déclaration d'intervention), à la règle 123 CBE (Conservation de la preuve) et à la règle 136 CBE (Restitutio in integrum) la même formulation que celle figurant à l'article 108 CBE. L'interprétation de l'article 108, deuxième phrase CBE pourrait dès lors avoir des conséquences qui dépassent le cadre de la présente affaire.
3.3 Décisions divergentes sur une question apparentée
La chambre fait observer, à titre d'illustration de telles conséquences, que les décisions T 1026/06, T 46/07 et T 1486/11 divergent sur la question de savoir si une requête en restitutio in integrum est réputée non présentée lorsque la taxe de restitutio in integrum a été acquittée après le délai de deux mois prévu à la règle 136(2) CBE, eu égard à la règle 136(1), troisième phrase CBE, selon laquelle "[l]a requête en restitutio in integrum n'est réputée présentée qu'après le paiement de la taxe prescrite" (ce qui correspond au libellé de l'article 108 CBE).
Dans ces décisions, les chambres devaient statuer sur trois affaires dans lesquelles les requérants demandaient la restitutio in integrum en raison non seulement du dépôt tardif de l'acte de recours et du paiement tardif de la taxe de recours, mais aussi du paiement tardif de la taxe de restitutio in integrum.
Dans les trois cas, la requête en restitutio in integrum a été rejetée, le recours a été considéré comme n'ayant pas été formé et le remboursement de la taxe de recours a été ordonné.
Dans les décisions T 46/07 et T 1486/11, les chambres ont conclu que, eu égard à l'article 122(2) et (3) CBE 1973 et à la règle 136(1), dernière phrase CBE, la requête en restitutio in integrum n'était pas réputée présentée, si bien que la taxe de restitutio in integrum devait être remboursée (cf. T 46/07, sommaire, et T 1486/11, points 1.8 et 3 des motifs). En revanche, dans l'affaire T 1026/06, la chambre n'a pas tenu compte de l'article 122(3), deuxième phrase CBE 1973 et a rejeté la requête en remboursement de la taxe de restitutio in integrum au motif que cette taxe était nécessaire pour valider la requête en restitutio in integrum et que son paiement était donc justifié sur le plan juridique (cf. point 7 des motifs).
3.4 Nécessité pour la Grande Chambre de recours de statuer
Dans la présente affaire, la question du remboursement de la taxe de recours doit être tranchée en fonction de l'interprétation donnée à l'article 108, deuxième phrase CBE. Soit le recours est réputé ne pas avoir été formé, et la taxe de recours doit être remboursée ; soit le recours a bien été formé, mais il est irrecevable, et dans ce cas, la taxe de recours ne peut pas être remboursée. La Chambre tend à considérer que le recours est irrecevable.
3.4.1 Règles d'interprétation
Dans l'affaire G 5/83 (JO OEB 1985, 67 ; cf. "Remarques préliminaires"), la Grande Chambre de recours a estimé que la Convention sur le brevet européen doit être interprétée en appliquant les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Ces articles s'énoncent comme suit :
"Article 31. Règle générale d'interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité ;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que telle était l'intention des parties.
Article 32 Moyens complémentaires d'interprétation
Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer le sens lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 :
a) Laisse le sens ambigu ou obscur ; ou
b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable."
3.4.2 Application de la règle générale d'interprétation
Il découle de l'article 31(1) de la Convention de Vienne et de la décision G 5/83 que la CBE doit être interprétée de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. À l'article 31(2) et (3), il est précisé quels documents forment ce contexte et quelles sources complémentaires doivent être prises en considération aux fins de l'interprétation. L'article 31(4) précise qu'il ne convient d'entendre un terme dans un sens particulier que s'il est établi que telle était l'intention des parties. Selon ce qui semble être le sens ordinaire de l'article 108, deuxième phrase CBE ("Le recours n'est réputé formé qu'après le paiement de la taxe de recours"), le recours n'est pas considéré formé tant que la taxe de recours n'a pas été acquittée, et cette disposition n'est plus applicable à compter du paiement de la taxe, ce qui signifie qu'à partir de ce moment-là, le recours est considéré comme introduit. On ne peut déduire de cette disposition qu'un lien existe entre le paiement de la taxe et le délai d'introduction du recours. En outre, la Chambre n'est pas en mesure d'établir, sur la base de la CBE ou de son préambule, que les parties contractantes souhaitaient que l'article 108 CBE, deuxième phrase s'entende comme suit : "le recours n'est réputé formé qu'après le paiement [dans les délais] de la taxe de recours" et elle n'a pas non plus connaissance d'autres sources, telles que visées à l'article 31 (2) et (3) de la Convention de Vienne, qui permettraient d'aboutir à une telle interprétation.
La Chambre n'est pas convaincue par l'argument du requérant selon lequel la taxe de recours doit être remboursée au motif que son paiement est dénué de fondement juridique. Elle admet que les paiements de taxe qui ne sont pas justifiés sur le plan juridique doivent être remboursés. Toutefois, dans des circonstances comme celles de la présente affaire, le paiement de la taxe de recours a bien une raison d'être au plan juridique, puisque la chambre doit statuer sur le recours. Le règlement relatif aux taxes ne fait pas la distinction entre des décisions sur la recevabilité et des décisions sur le bien-fondé d'un recours.
3.4.3 Moyens complémentaires d'interprétation
L'article 32 de la Convention de Vienne prévoit la possibilité de faire appel à des moyens complémentaires d'interprétation en vue soit de confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer le sens lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 laisse le sens ambigu ou obscur, ou conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. La chambre estime que l'on ne se trouve pas dans le deuxième cas de figure, si bien que les moyens complémentaires d'interprétation ne sauraient être utilisés que pour confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31.
À cet égard, la Chambre n'a pu relever à cet effet dans les travaux préparatoires aucun élément susceptible d'avoir un lien direct avec l'interprétation de l'article 108, deuxième phrase CBE. Le document IV/6.514/61-F pourrait toutefois corroborer indirectement l'interprétation donnée à cet article par la Chambre.
IV/6.514/61-F
La partie IV/6.514/61-F des travaux préparatoires traite d'un projet d'article 93, qui est devenu ultérieurement l'article 108 CBE. Le paragraphe 2 de ce projet d'article dispose expressément que "si la taxe de recours n'est pas acquittée dans ledit délai [fixé au paragraphe 1], le recours est considéré comme non formé." À la page 3, qui rend compte de la "Discussion de l'article 93 de l'avant projet de Convention", il est indiqué que :"M. Van Benthem demande si la Convention prévoit un recours contre la constatation que le recours est considéré comme non formé par suite du non-paiement de la taxe. Le Président lui répond que, dans ce cas, un recours en droit devrait être possible devant le tribunal européen des brevets". À la page 9, il est précisé que "La constatation qu'un recours formé est considéré comme non avenu faute de paiement de la taxe de recours dans les délais prévus devra être signifiée au requérant par une décision qui pourra elle-même faire l'objet d'un recours. Il ne semble pas nécessaire d'énoncer ce principe dans la Convention même. Il y aura lieu de décider par la suite s'il convient de prévoir une disposition à cet effet dans le règlement d'exécution de la Convention."
Il est donc clair que les dispositions et la procédure envisagées à l'origine étaient différentes de celles qui ont finalement été adoptées. En particulier, le projet d'article énonçait expressément qu'un recours pour lequel la taxe de recours n'était pas acquittée dans les délais était réputé non formé. Cette définition de ce qui semble constituer un cas particulier n'existe pas dans l'article tel que finalement adopté. Il n'y a aucune trace d'une discussion à ce sujet en ce qui concerne le libellé actuel. Par conséquent, il ne peut être exclu que les législateurs aient en fait adopté le texte actuel parce qu'ils ne souhaitaient plus que le paiement tardif de la taxe de recours constitue un tel cas particulier.
En outre, il semble que le législateur emploie effectivement dans d'autres dispositions une formulation explicite pour définir les conséquences résultant de la présentation tardive d'une requête. On en trouve un exemple à l'article 94(2) CBE qui dispose que : "[l]orsque la requête en examen n'est pas présentée dans les délais, la demande est réputée retirée." Il ne semble donc pas cohérent d'interpréter l'article 108, deuxième phrase CBE comme s'il comportait des termes qu'il ne contient pas.
La Chambre fait observer que la décision T 79/01 susmentionnée renvoie au document précité des travaux préparatoires pour étayer sa position selon laquelle la taxe de recours ne devait pas être remboursée. En effet, dans la partie IV/6.514/61-F, il est indiqué à la page 6, dans le cadre de la "Discussion de l'article 97 de l'avant-projet", lequel était un projet d'article devenu ultérieurement l'article 111 CBE, que : "Le président expose que les trois premiers alinéas de l'article, règlent les cinq façons possibles pour la Chambre de recours de se prononcer sur le recours.
1. La Chambre peut constater que la requête est irrecevable par suite du non-paiement de la taxe (article 93, al. 2)." Cependant, cela se référait au paragraphe 1 de l'article 97(1) CBE proposé qui s'énonçait comme suit : ""si le recours n'est pas conforme aux prescriptions [ ] la chambre de recours le rejette comme non recevable." À la page 17 du document IV/5569/61-F, il est expliqué en outre que : "l'article 97 de l'avant-projet de Convention énumère les différentes sortes de décisions que la chambre de recours peut prendre et réglemente certains détails de ces décisions. Les paragraphes 1 et 2 établissent une distinction terminologique entre l'échec d'un recours parce que certaines conditions de forme ne sont pas remplies et l'échec d'un recours faute d'un fondement matériel. Dans le premier cas, le recours est "rejeté comme non recevable". Il en est ainsi, par exemple, lorsque le recours a été formé par une personne dont les intérêts ne sont pas lésés par la décision attaquée ou encore lorsque le recours a été formé tardivement mais que la taxe de recours a été versée dans les délais. (Toutefois, si la taxe de recours n'a pas été versée ou a été versée tardivement, le recours est, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, considéré comme "non formé")".
Il convient de noter, là encore, que la partie IV/6.514/61-F des travaux préparatoires porte sur les projets d'articles 93 et 97 CBE qui, en définitive, n'ont pas été adoptés sous cette forme. Il pourrait en être conclu que le libellé finalement adopté doit être interprété à la lettre.
4. Requête en remboursement de la taxe annuelle pour la 11e et la 12e année
Étant donné que la décision de la Grande Chambre de recours pourrait avoir une incidence sur la possibilité de rembourser les taxes annuelles pour la 11e et la 12e année, la chambre statuera sur cette requête dans le cadre de sa décision définitive.
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La requête en restitutio in integrum est rejetée.
2. La requête en remboursement de l'une des taxes de restitutio in integrum est rejetée.
3. La question suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :
Lorsqu'un recours est formé, mais que la taxe de recours est acquittée après l'expiration du délai prévu à l'article 108, première phrase CBE, le recours est-il irrecevable ou réputé ne pas avoir été formé ?