T 0250/19 17-02-2022
Téléchargement et informations complémentaires:
Fraiseuse orthopédique de préparation osseuse, en particulier de préparation glénoïdienne
Activité inventive - (oui)
Modifications - extension de la protection (non)
Faits produits tardivement - requête aurait pu être produite en première instance (oui)
Objection soumise tardivement - recevable (non)
Preuves produites tardivement - requête aurait pu être produite en première instance (oui)
Droit d'être entendu - procédure orale sous forme de visioconférence
L'impossibilité d'utiliser un tableau blanc ou un « flip chart » physiques lors d'une procédure orale tenue par visioconférence ne viole pas le droit d'une partie d'être entendue selon l'article 113 CBE (point 9.5.8 des motifs).
La conformité d'une procédure orale sous forme de visioconférence avec le droit d'une partie d'être entendue selon l'article 113 CBE ne dépend pas de l'accord de cette partie à ce que la procédure orale se tienne par visioconférence mais uniquement du fait si cette partie a suffisamment la possibilité de prendre position et de présenter son cas (point 10.8 des motifs).
I. Le recours a été formé par l'opposante contre la décision de la division d'opposition concernant le maintien du brevet contesté sur la base des revendications du brevet tel que délivré et d'une description modifiée.
II. Dans cette décision, la division d'opposition a considéré que l'objet de la revendication 1 du brevet tel que délivré impliquait une activité inventive, notamment au regard des documents suivants :
E1 : US 2006/0015110 A1
E4 : WO 2005/094693 A1
E6 : Zimmer**(®) Trabecular Metal**(TM) Glenoid, Surgical
Technique, Interference fit for secure initial
fixation, Zimmer Inc., 2009
De plus, la division d'opposition a considéré que les modifications introduites dans la description n'étendaient pas la protection conférée par le brevet.
III. La requérante (opposante) a requis l'annulation de cette décision et la révocation du brevet.
IV. L'intimée (titulaire du brevet) a requis le rejet du recours comme requête principale, ou, à titre subsidiaire, le maintien du brevet sur la base des revendications de l'une des requêtes subsidiaires 1-3 et 4-7 déposées respectivement avec le courrier en date du 9 novembre 2018 et la réponse au mémoire exposant les motifs du recours.
V. La présente décision fait également référence aux documents suivants :
E19 : US 2008/0306483 A1
E20 : US 2009/0018654 A1
VI. La revendication 1 selon la requête principale (revendication 1 telle que délivrée, ci-après « la revendication 1 ») s'énonce comme suit (numérotation en gras des caractéristiques 1.1 à 1.8 comme utilisée par les parties) :
(1.1) « Ensemble de préparation osseuse, en particulier de préparation glénoïdienne, comportant :
(1.2) - une broche de guidage orthopédique (30) ayant une partie terminale distale qui est conçue pour être enfoncée dans une matière osseuse, et
(1.3) - une fraiseuse orthopédique (1) comportant une fraise (10 ; 110 ; 210) qui inclut un moyeu (11 ; 111 ; 211) et un corps de fraisage (12, 13 ; 112, 113 ; 212, 213) pourvu de reliefs d'attaque osseuse (14 ; 114 ; 214) ;
(1.4) lequel moyeu est muni d'un alésage axial (15 ; 115 ; 215) de réception de la broche (30), cet alésage débouchant sur les faces axialement opposées, respectivement proximale et distale, du moyeu ;
(1.5) lequel moyeu délimite une fente (16 ; 116 ; 216) de passage latéral pour la broche de guidage (30), cette fente débouchant de manière sensiblement radiale dans l'alésage et reliant les faces proximale et distale du moyeu ; et
(1.6) lequel corps de fraisage s'étend transversalement au moyeu, en entourant extérieurement la périphérie du moyeu au moins en partie, tout en laissant ouvert le débouché de la fente, radialement opposé à l'alésage,
(1.7) caractérisé en ce que le corps de fraisage (12, 13 ; 112, 113 ; 212, 213) comporte à la fois une couronne (12 ; 12'' ; 112) ou une portion de couronne (212), radialement distante du moyeu, et des pattes (13 ; 113 ; 213), qui relient le moyeu et la couronne ou portion de couronne suivant une direction sensiblement radiale et qui sont réparties autour du moyeu (11 ; 111 ; 211),
(1.8) et en ce que le moyeu (11 ; 111 ; 211) est en outre prévu pour, alors que la partie terminale distale de la broche (30) est en place dans une matière osseuse, être approché latéralement de la broche au niveau d'une extrémité, émergeant de la matière osseuse, de cette partie terminale distale de manière que cette extrémité de la partie terminale distale de la broche soit engagée radialement à travers la fente (16 ; 116 ; 216) jusqu'à atteindre l'intérieur de l'alésage (15 ; 115 ; 215). »
VII. La description selon la requête principale est identique à celle du brevet tel que délivré à l'exception du paragraphe [0006], modifié comme suit (modifications mises en évidence par la Chambre) :
« [0006] [deleted: Ainsi, l]L'utilisation des fraises canulées, y compris celle de US-A-2006/015110 [deleted: et de WO-A-2005/094 693], pose des difficultés de mise en oeuvre, liées à la présence des tissus mous autour de la glène à préparer, ainsi qu'à la proximité de la tête de l'humérus du patient opéré.[deleted: : i]Il s'avère donc nécessaire, à la fois, de mettre en place des écarteurs pour exposer largement la glène en vue de l'approcher selon la direction longitudinale de la broche, sans induire d'interférences entre les tissus mous et la fraise coulissée le long de la broche de guidage jusqu'à la glène, et de déplacer fortement la tête de l'humérus, voire de la réséquer. Le trauma et les cicatrices en résultant sont ainsi significatifs pour le patient. [deleted: Ces difficultés de mise en oeuvre sont d'autant plus marquées que la dimension transversale maximale de la fraise est grande, ce qui permet d'ailleurs de comprendre pourquoi les enseignements de US-A-2006/015110 et de WO-A- 2005/094693 sont exclusivement appliqués à des corps de fraisage compacts.] »
VIII. Les arguments de la requérante pertinents pour la présente décision peuvent être résumés comme suit :
Admission de nouvelles objections au titre de l'article 123(2) CBE à l'encontre de la revendication 1 dans la procédure de recours
Ces nouvelles objections constituent simplement de nouveaux arguments présentés à l'appui d'un motif d'opposition déjà invoqué et motivé dans l'acte d'opposition - celui de l'article 100c) CBE. Ces arguments portent uniquement sur les revendications du brevet tel que délivré (en l'occurrence la revendication 1) et sur la demande d'origine, qui sont des faits sur lesquels une objection au titre de l'article 123(2) CBE est fondée, comme l'a établi la décision T 604/01, résumée dans la décision T 1914/12 (point 7.1.3.a des motifs). Ces nouveaux arguments ne sortent donc pas du cadre de droit et de fait de la procédure d'opposition en instance.
Les chambres de recours ne disposent pas d'un pouvoir d'appréciation quant à la recevabilité d'arguments qui se fondent sur des faits qui sont déjà dans la procédure ; de tels arguments doivent être pris en compte à n'importe quel stade de la procédure. Ceci s'applique donc aux arguments que constituent ces nouvelles objections au titre de l'article 123(2) CBE.
De plus, ces nouvelles objections sont pertinentes de prime abord de sorte que, selon la jurisprudence établie des chambres de recours, elles doivent être prises en compte bien que présentées seulement au stade du recours.
Enfin, ces objections sont simples ; leur prise en compte n'est donc pas contraire au principe d'économie de la procédure. La requérante ne les a pas présentées lors de la procédure de première instance uniquement parce que l'objection déjà soulevée à l'encontre de la description à l'appui du motif de l'article 100c) CBE lui avait alors semblé suffisante pour justifier la révocation du brevet.
Par conséquent, ces nouvelles objections devraient être prises en compte dans le cadre du recours.
Extension de la protection conférée par le brevet
La dernière phrase du paragraphe [0006] de la description du brevet tel que délivré suggère que l'invention revendiquée concerne uniquement des fraises de grande dimension transversale. À l'inverse, la suppression de cette phrase dans la description selon la requête principale suggère que l'invention ne s'applique pas uniquement à de telles fraises, mais également à des fraises possédant un corps de fraisage compact. Ainsi, la suppression de cette phrase a étendu la protection conférée par le brevet.
Activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E6 avec E4
E6 divulgue un ensemble de préparation osseuse, notamment pour une glène d'épaule, duquel l'objet de la revendication 1 diffère uniquement par les caractéristiques liées à l'engagement de la fraise sur la broche de guidage par voie latérale et non axiale, c'est-à-dire par les caractéristiques 1.5, 1.6 et 1.8.
E6 préconise également de minimiser l'excision des tissus mous autour de l'os à préparer (page 4, colonne de gauche, premier paragraphe). De plus, le mode de réalisation illustré à la figure 8 du brevet contesté, présenté dans le brevet comme lui aussi conforme à l'invention, ne permet pas de minimiser le trauma pour le patient puisque la fraise de ce mode de réalisation doit elle aussi être engagée axialement, au moins initialement. Le problème technique formulé dans le paragraphe [0007] du brevet de minimiser le trauma pour le patient est donc trop ambitieux. Le problème à résoudre partant de E6 se borne plutôt à simplifier l'utilisation de l'ensemble de préparation osseuse en facilitant la mise en place de la fraise sur la broche.
Face à ce problème technique, l'homme du métier consulterait de façon évidente E4 qui décrit justement un ensemble de préparation osseuse dont la fraise peut être montée sur la broche de guidage par voie latérale pour en faciliter l'utilisation (paragraphe [0014]). De plus, cet ensemble est approprié pour préparer les mêmes os que ceux visés par l'ensemble selon la revendication 1. Ce dernier n'est en effet pas limité à la préparation d'une glène mais vise également celle d'autres os longs comme l'humérus, lui aussi mentionné dans E4 (colonne 13 de la description du brevet, dernier paragraphe; E4, paragraphe [0001]).
À cet effet, E4 enseigne de munir la fraise d'une fente de passage latéral pour la broche de guidage afin que cette dernière puisse atteindre, depuis l'extérieur de la fraise, l'intérieur de l'alésage (figure 18B). E4 divulgue donc les caractéristiques 1.5 et 1.6.
En outre, l'ensemble de E4 est également apte à être utilisé comme défini dans la caractéristique fonctionnelle 1.8, de sorte que E4 anticipe aussi, au moins implicitement, cette caractéristique. En effet, le libellé de cette caractéristique 1.8 laisse une grande marge d'interprétation concernant la position et l'étendue le long de la broche de l'« extrémité, émergeant de la matière osseuse » de la partie terminale distale de la broche au niveau de laquelle la fraise doit pouvoir être approchée latéralement.
E4 divulgue notamment des modes de réalisation dans lesquels la broche de guidage a un diamètre uniforme sur toute sa longueur, comme lorsqu'elle est constituée par une broche de Kirschner conventionnelle (paragraphes [0037], [0183]; figure 19A). Dans ces modes de réalisation, la fraise peut être montée latéralement sur la broche à n'importe quel endroit le long de celle-ci, donc en particulier au niveau d'une « extrémité, émergeant de la matière osseuse, de [la] partie terminale distale » de la broche comme requis par la caractéristique 1.8.
En outre, la même conclusion est aussi valable pour les autres modes de réalisation décrits dans E4 dans lesquels l'engagement de la fraise sur la broche se fait spécifiquement au niveau d'une portion 170 de la broche possédant une section réduite (« loading section », « small section component » ; paragraphe [0166]), formée dans le prolongement d'une portion 180 de plus grande section (« large section guide rod component », « main portion » ; paragraphe [0168]). Comme cette portion 180 terminale distale est destinée à être enfoncée dans un os, la portion 170 adjacente constitue une « extrémité, émergeant de la matière osseuse, de [la] partie terminale distale » de la broche comme défini dans la caractéristique 1.8, a fortiori si l'on tient compte du fait que la longueur de la portion 180 et la profondeur d'insertion de celle-ci dans l'os peuvent être arbitrairement choisis.
À la lumière de E4, la mise en place de la fraise sur la broche de guidage par voie latérale apparaîtrait ainsi à l'homme du métier comme une alternative évidente à sa mise en place par voie axiale et il serait alors évident pour l'homme du métier d'adapter l'ensemble de E6 dans ce sens. L'homme du métier partant de E6 arriverait ainsi à l'objet de la revendication 1 sans faire preuve d'activité inventive.
Activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E4 avec E6
L'objet de la revendication 1 ne diffère de l'ensemble connu de E4 que par la caractéristique 1.7 relative à la géométrie particulière du corps de fraisage.
Cette géométrie particulière peut être considérée comme résolvant l'un ou l'autre des problèmes suivants : rendre la fraise de E4 plus stable en rotation tout en gardant les avantages d'un engagement latéral de la fraise sur la broche de guidage, ou adapter la fraise de E4 spécifiquement pour la préparation d'une glène.
L'homme du métier partant de E4 trouverait la solution à l'un ou l'autre de ces problèmes dans E6 qui décrit des fraises pour la préparation d'une glène d'épaule possédant cette géométrie particulière du corps de fraisage. L'homme du métier arriverait ainsi à l'objet de la revendication 1 sans faire preuve d'activité inventive.
Admission dans la procédure de recours de l'objection de manque d'activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E6 avec E1
Pendant la procédure orale devant la Chambre, la requérante a fait valoir que l'objet de la revendication 1 n'impliquait pas non plus d'activité inventive au regard de la combinaison de E6 avec E1. D'après la requérante, cette combinaison de documents ne représentait pas une nouvelle attaque, mais seulement un prolongement de l'attaque déjà développée en prenant E6 comme point de départ. E1 avait de plus déjà été discuté en première instance. Par conséquent, cette combinaison devait également être prise en compte en recours.
Admission des documents E19 et E20
Les documents E19 et E20 ont été produits par la requérante avec son mémoire de recours - c'est-à-dire au plus tôt de la procédure de recours - en réaction au raisonnement suivi par la division d'opposition dans la décision attaquée au sujet de l'activité inventive.
E19 appartient au même domaine technique que le brevet contesté et divulgue un ensemble de préparation osseuse dont la mise en ½uvre est aussi facilitée. Ce document constitue ainsi un point de départ prometteur pour l'examen de l'activité inventive de la revendication 1. E20 est un document de référence décrivant une méthode opératoire similaire à celle décrite dans E19.
L'objet de la revendication 1 diffère de l'ensemble divulgué dans E19 uniquement en ce que le corps de fraisage présente une géométrie particulière comportant des pattes et une couronne ou portion de couronne (caractéristique 1.7). En particulier, la broche 10 divulguée dans E19 constitue une broche de guidage. À la lumière de ses connaissances générales ou de E6, remplacer la fraise en forme de disque décrite dans E19 par une telle géométrie serait évident pour l'homme du métier cherchant à réduire le poids du corps de fraisage. Ainsi, l'objet de la revendication 1 n'implique pas d'activité inventive partant de E19.
Inversement, selon un raisonnement similaire à celui suivi à propos de la combinaison de E6 avec E4, l'objet de la revendication 1 n'implique pas non plus d'activité inventive au regard de la combinaison de E6 avec E19.
En raison du caractère hautement pertinent de prime abord de ces attaques, les documents E19 et E20 devraient ainsi être admis dans la procédure de recours.
Requête en ajournement et objection à l'encontre d'un vice de procédure
Après que le Président a annoncé la conclusion de la Chambre, pendant la procédure orale, que l'objet de la revendication 1 impliquait une activité inventive, la requérante a requis l'ajournement de la procédure orale afin que celle-ci puisse se dérouler en présence physique des parties pour permettre, dans des conditions satisfaisantes, une discussion exhaustive de l'article 56 CBE. Puis, après que le Président a annoncé la décision de la Chambre de ne pas ajourner la procédure orale, la requérante a soulevé une objection à l'encontre d'un vice de procédure par courriel du 17 février 2022, reçu à 14 h 06.
La requérante a fait valoir que la pandémie était terminée en Allemagne depuis novembre 2021, car l'état d'urgence lié à l'épidémie (« epidemische Notlage ») n'avait pas été prolongé par le nouveau gouvernement fédéral. Depuis lors, seules des mesures d'hygiène imposées par le Ministère fédéral de la Santé avaient été maintenues. Or, celles-ci ne constituaient pas des motifs sérieux susceptibles de justifier une dérogation à la tenue de la procédure orale en présentiel, au sens de la décision G 1/21 de la Grande Chambre de recours. Par ailleurs, en ce qui concernait la pandémie, seule la situation en Allemagne, le pays où se trouvait le siège de l'OEB, était déterminante.
De plus, il avait été confirmé dans G 1/21 que les possibilités de s'exprimer oralement étaient meilleures lors d'une procédure orale en présentiel. En outre, la requérante n'avait pas pu utiliser de tableau blanc (« whiteboard ») pendant la visioconférence, contrairement à ce qui aurait été possible pendant une procédure orale en présentiel.
Par conséquent, il aurait dû être fait droit à sa requête en ajournement. Celle-ci n'ayant pas été accordée, son droit d'être entendue avait été violé. La requête en ajournement n'avait pas non plus été présentée trop tard, puisque la décision finale de la Chambre n'avait pas encore été prononcée.
Par ailleurs, la requérante n'avait pas donné son accord à la tenue de l'audience sous forme de visioconférence dans sa lettre du 14 janvier 2022 et elle n'avait jamais été non plus informée des raisons pour lesquelles la tenue de l'audience sous forme de visioconférence était justifiée au regard de G 1/21. La requérante avait pourtant également accepté la tenue de la procédure orale sous une forme hybride.
IX. Les arguments de l'intimée pertinents pour la présente décision peuvent être résumés comme suit :
Admission de nouvelles objections au titre de l'article 123(2) CBE à l'encontre de la revendication 1 dans la procédure de recours
Ces nouvelles objections au titre de l'article 123(2) CBE portent sur la revendication 1 du brevet contesté. Or, la conformité des revendications aux dispositions de l'article 123(2) CBE n'a jamais été discutée dans la procédure de première instance, seule la description ayant été attaquée sous ce motif. Compte tenu de la fonction de la procédure de recours visant à rendre une décision judiciaire quant au bien-fondé de la décision rendue antérieurement par la première instance, ces nouvelles objections au titre de l'article 123(2) CBE ne devraient donc pas être prises en compte. Elles ne sont par ailleurs pas fondées.
Extension de la protection conférée par le brevet
Les modifications apportées à la description du brevet concernent uniquement la discussion de l'état de la technique et n'ont aucune influence sur l'interprétation des revendications. Par conséquent, ces modifications ne changent pas la protection conférée par le brevet.
Activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E6 avec E4
Les caractéristiques 1.4, 1.5 et 1.8 distinguant l'objet de la revendication 1 de l'ensemble de E6 résolvent le problème technique mentionné dans le paragraphe [0007] du brevet en ce qu'elles permettent de minimiser l'excision des tissus mous autour de l'os à préparer, comme expliqué systématiquement tout au long du brevet (paragraphes [0010], [0025], [0028], [0035]).
Le montage latéral de la fraise décrit dans E4 vise simplement à faciliter le changement de fraise, mais nullement à minimiser l'excision des tissus mous. Au contraire, étant donné que E4 concerne la préparation d'os longs préalablement à l'insertion d'un implant intramédullaire, les tissus mous doivent en fait nécessairement être excisés pour permettre le passage ultérieur de l'implant. Pour cette même raison, les broches de guidage décrites dans E4, destinées à être insérées dans le canal médullaire d'un os long et munies d'une protubérance distale d'arrêt pour la fraise, ne sont pas aptes à être « enfoncée[s] dans une matière osseuse » et sont donc incompatibles avec la préparation d'une glène d'épaule. Par conséquent, au moins pour ces raisons, l'homme du métier partant de E6 ne se tournerait pas vers E4.
Quand bien même il le ferait, la combinaison de E4 avec E6 ne le conduirait pas à l'objet de la revendication 1 car E4 ne divulgue ni ne suggère la caractéristique 1.8.
En effet, dans les modes de réalisation décrits dans E4 dans lesquels la fraise est engagée latéralement sur la broche de guidage, l'engagement de la fraise sur la broche se fait systématiquement uniquement au niveau de la portion 170 de la broche possédant une section réduite. E4 ne divulgue pas de broche de guidage comportant une section uniforme sur toute sa longueur qui permettrait un engagement de la fraise à n'importe quel endroit le long de la broche. Pour permettre un accès facile au chirurgien souhaitant engager une fraise sur la broche, la portion 170 de section réduite servant à l'engagement de la fraise est formée du côté proximal de la broche de guidage. Au vu des dimensions typiques décrites dans E4 (voir par exemple le paragraphe [0035]), l'homme du métier comprend que dans le cadre d'une utilisation normale et réaliste de l'ensemble de E4, il est prévu que la portion 170 reste éloignée de la surface de l'os à préparer et qu'elle ne se situe donc pas « au niveau d'une extrémité, émergeant de la matière osseuse, de [la] partie terminale distale » de la broche de guidage comme requis par la caractéristique 1.8.
L'homme du métier ne trouverait ainsi aucune motivation dans E4 qui l'amènerait à inclure la caractéristique 1.8 dans l'ensemble de E6. Par conséquent, l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive au regard de la combinaison de E6 avec E4.
Activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E4 avec E6
Aucun des documents E4 et E6 ne divulgue la caractéristique 1.8, et celle-ci ne découle pas de façon évidente des connaissances générales de l'homme du métier. La combinaison de E4 avec E6 ne peut donc conduire l'homme du métier à l'objet de la revendication 1 de façon évidente.
Admission dans la procédure de recours de l'objection de manque d'activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E6 avec E1
La combinaison des documents E6 et E1, présentée au stade du recours pour la première fois lors de la procédure orale devant la Chambre, représente une modification des moyens invoqués par la requérante dans le cadre du recours. Il n'y a aucune raison de prendre en compte cette modification à un stade aussi tardif de la procédure.
Admission des documents E19 et E20
La décision de la division d'opposition quant à l'activité inventive ne pouvait avoir surpris la requérante, puisqu'elle confirmait l'opinion préliminaire de la division. Il n'y avait donc aucune raison de ne produire les documents E19 et E20 qu'au stade du recours. Ceux-ci auraient pu et auraient dû l'être lors de la procédure de première instance.
De plus, E19 divulgue une fraiseuse rétrograde dépourvue de broche de guidage, au mode de fonctionnement incompatible avec celui décrit dans E6. De prime abord, E19 n'est donc pas pertinent. Par ailleurs, E20 n'étaye aucune attaque.
Par conséquent, ces documents ne devraient pas être admis dans la procédure de recours.
Requête en ajournement et objection à l'encontre d'un vice de procédure
L'intimée s'est opposée à la requête en ajournement de la procédure orale. Elle a fait valoir que la requérante n'avait précédemment, à aucun moment de la procédure orale, mentionné qu'elle avait été entravée de quelque manière que ce soit dans la présentation de son cas. Le Président avait notamment demandé aux parties à plusieurs reprises si elles souhaitaient présenter d'autres observations, et la requérante ne s'était pas plainte.
De plus, la requête en ajournement avait été présentée trop tard. Cette requête aurait dû en effet être présentée avant que la Chambre n'ait annoncé ses conclusions finales sur l'activité inventive. Un ajournement à ce stade de la procédure nuirait au principe d'économie de la procédure.
En outre, la situation relative à la pandémie en Allemagne n'était pas le seul facteur à prendre en compte pour déterminer si la procédure orale pouvait se dérouler par visioconférence. Procéder ainsi violerait en effet le principe de l'égalité des armes de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), car les mandataires non allemands - tels que les mandataires de l'intimée qui résidaient en France - seraient alors désavantagés.
Quant à l'argument relatif au « flip chart » ou « whiteboard », l'intimée a souligné que la requérante avait partagé son écran pour démontrer tout ce qu'elle avait voulu. Elle avait également été libre d'utiliser une feuille de papier devant la caméra, comme l'avait d'ailleurs fait l'intimée elle-même.
1. L'invention du brevet contesté
1.1 L'invention du brevet concerne un ensemble de préparation osseuse, en particulier de préparation glénoïdienne, permettant de creuser dans un os une cavité en vue d'y implanter un composant prothétique.
Cet ensemble, dont un exemple est représenté sur la figure 5 reproduite ci-après, comporte une broche de guidage (30) ainsi qu'une fraiseuse orthopédique (1) incluant une fraise (10) et un manchon d'entraînement (20). Cette fraise, dite « canulée », comporte un moyeu (11) muni d'un alésage (15) traversant central de réception de la broche. La fraise comporte en outre un corps de fraisage (12) pourvu de reliefs d'attaque osseuse et comportant une couronne, ou portion de couronne, reliée au moyeu par des pattes.
Pour préparer un os tel une glène d'épaule (G), la partie terminale distale de la broche de guidage est tout d'abord enfoncée avec précision dans la matière osseuse, puis, le moyeu de la fraise une fois reçu sur la broche, la fraise ainsi guidée est mise en rotation au moyen du manchon d'entraînement (paragraphes [0002] et [0003]).
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
1.2 Pour mettre en place la fraise sur la broche de guidage, il est connu d'engager la fraise axialement autour de la broche, c'est-à-dire en enfilant d'abord l'extrémité proximale de la broche dans l'alésage central de la fraise puis en faisant coulisser cette dernière longitudinalement le long de la broche jusqu'à la plaquer contre la surface de l'os.
Or, cette mise en place s'avère compliquée et particulièrement invasive car elle nécessite d'exposer largement l'os à préparer de façon à éviter des interférences entre la fraise et les tissus mous environnants lors du coulissement de la fraise le long de la broche. Dans le cas de la glène, il peut même être nécessaire de déplacer fortement la tête de l'humérus, voire de la réséquer. Il en résulte un trauma et des cicatrices significatifs pour le patient (paragraphe [0006]).
1.3 Le brevet contesté vise à proposer une fraiseuse dont l'utilisation soit plus facile pour le chirurgien et moins traumatique pour le patient (paragraphe [0007]).
Pour ce faire, le moyeu de la fraise est muni d'une fente (16) à travers laquelle la broche de guidage peut être insérée latéralement depuis l'extérieur jusqu'à atteindre l'intérieur de l'alésage. Ainsi, le moyeu peut être approché de la broche de guidage non pas frontalement à l'os, mais latéralement. Comme défini dans la caractéristique 1.8 de la revendication 1 et illustré sur la figure 3 reproduite ci-dessous, cette mise en place latérale peut se faire au niveau d'une extrémité, émergeant de la matière osseuse, de la partie terminale distale de la broche, c'est-à-dire au voisinage direct de la surface de l'os à préparer.
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
Dans le cas d'une fraiseuse glénoïdienne, la fraise peut ainsi être glissée entre la tête de l'humérus et l'omoplate, sans avoir à distraire trop fortement l'épaule du patient, ni à écarter les tissus mous entourant la glène sur toute la périphérie de cette dernière. Ainsi, la fraise peut être mise en place de manière simplifiée et peu invasive (paragraphe [0010]).
2. Admission de nouvelles objections au titre de l'article 123(2) CBE à l'encontre de la revendication 1 dans la procédure de recours
2.1 Selon l'article 12(4) RPCR 2007 (qui s'applique en vertu de l'article 25(2) RPCR 2020), la Chambre peut considérer comme irrecevables les faits, preuves et requêtes qui auraient pu être produits ou n'ont pas été admis au cours de la procédure de première instance.
2.2 Dans la procédure de première instance, la requérante n'avait invoqué comme moyen à l'appui du motif d'opposition de l'article 100c) CBE qu'une objection au titre de l'article 123(2) CBE à l'encontre de la description (point 5 de la notice d'opposition; points 18 et 22 de la décision attaquée).
Les objections au titre de l'article 123(2) CBE nouvellement soulevées au stade du recours à l'encontre de la revendication 1 telle que délivrée portent donc sur des éléments du brevet contesté qui n'ont pas encore été présentés à l'appui de ce motif d'opposition. La requérante soutient que ces objections constitueraient simplement de « nouveaux arguments », dont la recevabilité, par conséquent, ne serait pas soumise au pouvoir discrétionnaire de la Chambre.
La différence entre « faits » et « arguments » a été discutée en détail dans la décision T 1914/12, citée par la requérante. Selon cette décision (point 7.1.4 des motifs), « un « fait » peut être compris comme élément factuel (ou prétendument tel) ou une circonstance sur lequel une partie fonde ses prétentions, alors qu'un « argument » désignerait une proposition qu'une partie fonde sur un ou plusieurs faits et qui soutient le moyen qu'elle fait valoir ».
Les nouvelles objections au titre de l'article 123(2) CBE ne constituent ainsi pas simplement de « nouveaux arguments » comme l'affirme la requérante, c'est-à-dire un « raisonnement invoqué au soutien des moyens de droit et de fait déjà présentés » (G 4/92, point 10 des motifs ; mise en évidence par la présente Chambre), mais plutôt de nouveaux moyens, comprenant de nouveaux éléments factuels, à l'appui du motif d'opposition de l'article 100c) CBE qui n'ont pas encore été invoqués. Cette vue rejoint celle indiquée dans la décision T 1914/12 (page 21, troisième tiret) qu'a citée la requérante.
Il est vrai que, comme l'a avancé la requérante en faisant référence à la décision T 604/01 (point 6.1 des motifs : « the facts necessary in order to examine whether or not the patent and claims comply with the requirements of Article 123(2) and (3) EPC are the application as filed, the patent as granted, and the claims as amended. These facts were available before the oral proceedings »), les revendications et la demande d'origine étaient déjà « disponibles » en première instance. Toutefois, de l'avis de la présente Chambre, le fait que la demande d'origine était déjà « disponible » en première instance ne signifie pas que l'ensemble de son contenu faisait partie des éléments factuels présentés, ou produits, par la requérante au cours de la procédure de première instance (voir la décision J 14/19, points 1.7 et 1.8 des motifs). Les nouveaux éléments factuels invoqués à l'appui des nouvelles objections, tels que le contenu des passages à l'appui des modifications de la revendication 1, n'ont été produits pour la première fois qu'avec le mémoire de recours.
Contrairement à ce qu'affirme la requérante, il relève donc du pouvoir discrétionnaire de la Chambre de considérer ou non ces nouveaux moyens.
2.3 Or, ces objections contre les revendications auraient pu être présentées dès la procédure de première instance. La requérante ne fait pas valoir de raisons convaincantes pourquoi elles ne l'ont pas été. Notamment, le fait que la requérante puisse avoir eu l'impression que les objections déjà présentées alors contre la description suffiraient à la révocation du brevet ne peut constituer une raison de se soustraire à l'obligation, pour une opposante, de soulever et exposer l'intégralité de ses objections de manière complète et détaillée pendant le délai d'opposition.
2.4 De plus, ces objections ne sont pas pertinentes de prime abord. En particulier, les caractéristiques dont l'absence dans la revendication conduirait, selon la requérante, à une généralisation intermédiaire contraire à l'article 123(2) CBE semblent soit découler implicitement de l'objet déjà revendiqué, soit ne pas être liées à celui-ci de façon inextricable.
2.5 Pour ces raisons, la Chambre a jugé approprié de considérer ces nouvelles objections à l'encontre de la revendication 1 comme irrecevables en vertu de l'article 12(4) RPCR 2007.
3. Extension de la protection conférée par le brevet
Le passage supprimé dans le paragraphe [0006] de la description selon la requête principale concerne uniquement la discussion de l'état de la technique, notamment celui que constituent les documents E1 et E4. Contrairement à ce que soutient la requérante, ce passage et sa suppression n'ont pas d'incidence sur l'interprétation des revendications. Il s'ensuit que la protection conférée par le brevet n'a pas été étendue par cette modification, conformément aux dispositions de l'article 123(3) CBE.
4. Activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E6 avec E4
4.1 Il n'est pas contesté entre les parties que E6 divulgue (voir par exemple les figures 10 et 11) un ensemble de préparation osseuse, en l'occurrence de préparation glénoïdienne, comportant toutes les caractéristiques de la revendication 1 à l'exception de celles liées à l'engagement de la fraise sur la broche de guidage par voie latérale, c'est-à-dire des caractéristiques 1.5, 1.6 et 1.8. La Chambre partage ce point de vue.
4.2 En revanche, les parties sont en désaccord sur la formulation du problème technique à résoudre et sur la question de savoir si l'homme du métier partant de E6 se tournerait vers E4 pour résoudre ce problème.
4.3 Indépendamment de ces questions, la Chambre partage l'avis de l'intimée, déjà suivi par la division d'opposition (point 17.5 de la décision attaquée), que E4 ne divulgue pas la caractéristique 1.8. Il s'ensuit que, contrairement à l'affirmation de la requérante, l'homme du métier partant de E6 n'arriverait pas, à la lumière de E4, à l'objet de la revendication 1 sans faire preuve d'activité inventive.
4.3.1 D'une part, contrairement à ce qu'affirme la requérante et comme discuté ci-dessous, E4 ne divulgue pas de broche de guidage comportant une section (ou un diamètre) uniforme sur toute sa longueur, sur laquelle la fraise pourrait être engagée par voie latérale à n'importe quel endroit le long de la broche. La ligne d'attaque de la requérante reposant sur cette affirmation ne saurait donc convaincre la Chambre.
En effet, dans toutes les broches décrites dans E4 permettant un tel engagement par voie latérale, l'engagement de la fraise n'est possible qu'au niveau de la portion 170 de section réduite qui prolonge systématiquement la portion 180 de section plus grande destinée à être enfoncée dans le canal médullaire. Un tel arrangement est illustré par exemple sur la figure 16B reproduite ci-dessous.
FORMULE/TABLEAU/GRAPHIQUE
La figure 19A citée par la requérante n'illustre pas, comme celle-ci l'allègue, une broche de guidage complète dans laquelle la portion 170 de section réduite serait située directement au voisinage de l'extrémité distale de la broche de guidage, mais plutôt une simple vue de cette seule portion 170, comme il ressort explicitement des paragraphes [0067] et [0166]. De même, la référence à une broche de Kirschner de diamètre uniforme dans le paragraphe [0037] se rapporte également à la seule portion 170 (« loading section »). Enfin, le paragraphe [0183] mentionne l'avantage de munir d'une portion flexible des broches de guidage conventionnelles telles une broche de diamètre uniforme. Cependant, ceci ne constitue pas de divulgation que cette portion flexible - qui de plus n'est pas décrite comme forcément apte à recevoir latéralement une fraise - possède le même diamètre que cette broche conventionnelle.
4.4 D'autre part, comme le fait valoir l'intimée, la portion 180 de plus grande section de la broche de E4, une fois enfoncée dans le canal médullaire, dépasse significativement de la surface osseuse à préparer (voir par exemple la figure 16B ci-dessus). La portion 170 d'engagement, située dans le prolongement proximal de la portion 180, se situe donc systématiquement à une distance significative de ladite surface, et non au niveau d'une extrémité de la broche « émergeant de la matière osseuse ». Ceci ressort par exemple du paragraphe [0035] selon lequel la broche de guidage, choisie en fonction de l'os à préparer, est environ deux fois plus longue que le canal médullaire.
Par conséquent, l'homme du métier comprend que, dans le cadre d'une utilisation normale de l'ensemble de E4, la portion 170 sur laquelle la fraise peut être engagée est éloignée de l'« extrémité, émergeant de la matière osseuse, de [la] partie terminale distale » de la broche de guidage enfoncée dans le canal, et ne se situe donc pas « au niveau » de cette extrémité. À la lumière de cet enseignement, il n'est pas réaliste de considérer que l'homme du métier mettant en application l'ensemble de E4 choisirait de façon évidente une broche si courte qu'une fois celle-ci enfoncée dans le canal, la portion 170 « émerg[e] de la matière osseuse ». De même, l'homme du métier n'enfoncerait pas la broche dans un os à préparer de façon arbitraire jusqu'à faire « émerg[er] » la portion 170 de la matière osseuse - a fortiori s'il s'agissait d'une glène d'épaule comme dans E6, d'épaisseur limitée. De telles utilisations iraient en effet à l'encontre de l'enseignement de E4.
4.5 Ainsi, même si l'homme du métier partant de E6 consultait E4, il n'aurait aucune motivation de modifier l'ensemble de E6 de façon à permettre un engagement latéral de la fraise sur la broche « au niveau de l'extrémité, émergeant de la matière osseuse, de [la] partie terminale distale » de la broche de guidage comme défini dans la caractéristique 1.8.
La Chambre conclut donc que l'objet de la revendication 1 implique une activité inventive au regard de la combinaison de E6 avec E4, comme l'avait justement considéré la division d'opposition (point 17.5 de la décision attaquée).
5. Activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E4 avec E6
5.1 L'attaque de la requérante fondée sur la combinaison de E4 avec E6 repose sur la thèse, incorrecte comme discuté ci-dessus, que E4 divulgue la caractéristique 1.8. Par conséquent, cette attaque ne saurait convaincre la Chambre au moins pour cette raison.
5.2 Même si l'homme du métier, à la lumière de E6, formait les fraises connues de E4 selon la géométrie particulière définie dans la caractéristique 1.7, il ne lui serait pas évident, sans connaissance a priori de l'invention du brevet contesté, d'adapter en outre l'ensemble résultant pour permettre l'engagement latéral de ces fraises sur la broche comme défini dans la caractéristique 1.8.
5.3 Il résulte que l'objet de la revendication 1 implique également une activité inventive au regard de la combinaison de E4 avec E6, comme l'avait également conclu la division d'opposition (points 17.6-17.8 de la décision attaquée).
6. Admission dans la procédure de recours de l'objection de manque d'activité inventive de la revendication 1 au regard de la combinaison de E6 avec E1
6.1 Contrairement à ce qu'affirme la requérante, la combinaison du document E6 avec le document E1 ne constitue pas le prolongement d'une attaque déjà soulevée dans la procédure de recours. Dans ses autres objections prenant E6 comme point de départ, la requérante a en effet combiné ce document avec E4 ou E19 uniquement (points 2.3-2.6 du premier mémoire de recours en date du 13 février 2019; point 2. du deuxième mémoire de recours en date du 14 mai 2019; points 7., 9.4 et 10. du courrier en date du 16 juin 2020). La combinaison de E6 cette fois avec E1 étaye donc une nouvelle objection à part entière.
6.2 Comme cette objection a été présentée au stade du recours pour la première fois lors de la procédure orale devant la Chambre, elle représente une modification des moyens invoqués par la requérante dans la cadre du recours, dont la prise en compte est régie par l'article 13(2) RPCR 2020. Selon les dispositions de cet article, toute modification des moyens présentée par une partie après la signification d'une citation à une procédure orale n'est, en principe, pas prise en compte, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, que la partie concernée a justifiées avec des raisons convaincantes.
6.3 Dans le cas présent, la requérante n'a fait valoir aucune raison justifiant de ne présenter cette objection qu'à ce stade tardif de la procédure de recours. Il importe également peu que le document E1 ait déjà été discuté lors de la procédure de première instance. La Chambre a donc décidé de ne pas prendre en compte cette objection conformément à l'article 13(2) RPCR 2020.
7. Admission des documents E19 et E20 dans la procédure
7.1 Les documents E19 et E20 ont été produits pour la première fois avec le mémoire de recours de la requérante, pour démontrer un manque d'activité inventive de la revendication 1 en s'appuyant sur la combinaison de E19 avec E6 et vice versa.
7.2 La requérante justifie la présentation tardive des documents E19 et E20 comme une réaction au raisonnement suivi par la division d'opposition dans sa décision concernant l'activité inventive. Or, ce raisonnement ne peut avoir surpris la requérante, puisque la division d'opposition dans sa décision a simplement confirmé l'opinion préliminaire qu'elle avait communiquée aux parties en préparation à la procédure orale devant elle, selon laquelle l'objet de la revendication 1 impliquait une activité inventive au regard des documents déjà cités par la requérante.
La Chambre considère donc que la requérante aurait pu et dû produire les documents E19 et E20 lors de la procédure de première instance. La requérante aurait pu le faire en réponse à l'opinion préliminaire de la division d'opposition, comme lors de la procédure orale devant la division d'opposition.
7.3 En outre, comme le fait valoir l'intimée, le principe d'utilisation de l'ensemble divulgué dans E19 est clairement différent de celui de l'ensemble décrit dans E6. Si, dans E19, la fraise 30 munie d'une fente 35 est bien apte à être engagée latéralement sur le manchon 10 de l'instrument (figure 6), c'est pour être solidarisée avec ce dernier ; c'est en effet la rotation de l'ensemble dans son entier, c'est-à-dire incluant le manchon 10, qui permet le fraisage de l'os (paragraphes [0025], [0028] et [0029]). Ceci diffère de l'ensemble divulgué dans E6 et de celui proposé par le brevet en litige dans lesquels la fraise est mise en rotation autour d'une broche de guidage fixement enfoncée dans l'os. Ainsi, le manchon 10 n'est pas une broche de guidage au sens du brevet contesté comme le prétend la requérante. De plus, la fraise 30 est une fraise rétrograde, contrairement à celles divulguées dans E6. Par conséquent, E19 n'est pas pertinent de prime abord.
Par ailleurs, E20 n'étaye aucune attaque et n'a pas été discuté plus en détail par la requérante.
7.4 Pour ces raisons, la Chambre a décidé de ne pas admettre les documents E19 et E20 dans la procédure de recours (article 12(4) RPCR 2007).
8. Il s'ensuit qu'aucun des motifs invoqués par la requérante et admis dans la procédure de recours ne s'oppose au maintien du brevet dans sa forme modifiée conformément à la décision attaquée.
9. Requête en ajournement
9.1 Après que le Président a annoncé, pendant la procédure orale par visioconférence, la conclusion de la Chambre que l'objet de la revendication 1 impliquait une activité inventive, la requérante a requis l'ajournement de la procédure orale afin que celle-ci puisse se dérouler en présence physique des parties.
9.2 Selon l'article 15(2) RPCR 2020, il peut être fait droit à une requête d'une partie visant à changer la date fixée pour la procédure orale si la partie a fourni des motifs sérieux qui justifient la fixation d'une nouvelle date.
9.3 Le seul motif invoqué par la requérante pour demander l'ajournement de la procédure orale concernait le format de celle-ci, que la Chambre avait décidé de tenir sous forme de visioconférence. Dans cette mesure, l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Chambre dans sa décision relative à la requête en ajournement concerne également l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans sa décision relative au format de la procédure orale, que la Chambre a confirmée en rejetant la requête en ajournement.
9.4 Décision discrétionnaire sur le format de la procédure orale
9.4.1 En vertu de l'article 15bis(1) RPCR 2020, la Chambre peut décider de tenir une procédure orale au sens de l'article 116 CBE par visioconférence lorsqu'elle le juge approprié, soit sur requête d'une partie, soit d'office.
9.4.2 Dans sa décision G 1/21 concernant la compatibilité avec la CBE de la tenue d'une procédure orale sous forme de visioconférence, la Grande Chambre de recours a confirmé que, lors d'un état d'urgence général qui compromet la possibilité pour les parties de participer à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB, la tenue d'une procédure orale devant les chambres de recours sous forme de visioconférence est compatible avec la CBE, même si toutes les parties à la procédure n'ont pas consenti à ce que la procédure orale se déroule sous forme de visioconférence (traduction provisoire du dispositif de G 1/21 selon T 1197/18, point 1.1 des motifs).
9.4.3 La Grande Chambre a confirmé que les procédures orales sous forme de visioconférence sont des procédures orales au sens de l'article 116 CBE (G 1/21, point 30 des motifs), comme le prévoit l'article 15bis(1) RPCR 2020. Elle a aussi confirmé que la décision de la chambre sur le format de la procédure orale est une décision discrétionnaire (G 1/21, point 50 des motifs). Selon la Grande Chambre, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé selon certains critères.
9.4.4 Puisque la grande majorité des procédures orales sont tenues à la demande et dans l'intérêt d'une partie, la Grande Chambre a considéré qu'il était compréhensible que les parties puissent vouloir en choisir le format, et notamment préférer le format présentiel à celui d'une visioconférence (G 1/21, point 46 des motifs). La Grande Chambre s'est limitée aux raisons qui pourraient justifier de refuser d'accéder à la requête d'une partie de voir la procédure orale se dérouler en présentiel. Selon la Grande Chambre, une telle requête ne devrait être refusée que pour de bonnes raisons (G 1/21, points 45 et 50 des motifs).
9.4.5 De telles bonnes raisons n'existent que si la tenue d'une procédure orale par visioconférence constitue une alternative au format présentiel « appropriée » (« suitable »), même si elle n'en est pas une alternative équivalente (G 1/21, points 48 des motifs), et s'il existe des circonstances spécifiques compromettant la capacité des parties à assister à la procédure orale en personne (G 1/21, point 49 des motifs).
9.5 Visioconférence comme une alternative au format présentiel « appropriée » (« suitable »)
9.5.1 La tenue d'une procédure orale par visioconférence constitue une alternative à sa tenue en présentiel « appropriée » (« suitable ») si elle est conforme au droit des parties d'être entendues (G 1/21, points 33-43 des motifs).
9.5.2 Selon la Grande Chambre, la tenue d'une procédure orale par visioconférence donne aux parties l'occasion de présenter leur cas oralement et est « normalement » (« normally ») suffisante pour se conformer aux principes d'équité de la procédure et du droit d'être entendu (G 1/21, points 40 et 43 des motifs).
9.5.3 Même si l'emploi de l'adverbe « normalement » implique qu'il existe des situations dans lesquelles le droit des parties d'être entendues ne serait pas respecté si la procédure orale était tenue par visioconférence, la requérante n'a pas fait valoir de raisons convaincantes qu'une telle situation existait dans le cas présent.
9.5.4 La requérante a affirmé qu'elle aurait pu utiliser un tableau blanc (« whiteboard ») si la procédure orale avait eu lieu en présentiel plutôt que par visioconférence. Selon la requérante, le fait qu'un tableau blanc physique ne soit pas disponible pendant la visioconférence l'entravait dans la présentation de son cas dans une mesure telle que son droit d'être entendue était violé.
9.5.5 La Chambre ne partage pas ce point de vue. Un tableau blanc (« whiteboard ») est une surface blanche permettant de faire des marques non permanentes qui peuvent être effacées rapidement. Cette fonctionnalité est assez basique, et une personne participant à une visioconférence peut facilement reproduire cette fonctionnalité sur son ordinateur, dont l'écran peut être partagé avec les autres personnes participant à la visioconférence. En outre, l'application Zoom utilisée par les chambres de recours pour la tenue de procédures orales par visioconférence offre elle-même la possibilité d'utiliser un tableau blanc virtuel.
9.5.6 Des considérations similaires s'appliquent à l'utilisation d'un « flip chart », qui consiste en un bloc de feuilles de papier de grandes dimensions. Sa fonctionnalité est en effet similaire à celle d'un tableau blanc, la principale différence étant que les marques sont permanentes et qu'au lieu d'effacer celles-ci, on tourne simplement la feuille utilisée pour disposer d'une nouvelle page vierge.
9.5.7 En l'espèce, la requérante a souhaité présenter ce qui est illustré à la page 20 de son courrier en date du 16 juin 2020, à savoir une image montrant les figures 3 et 8 du brevet juxtaposées. Pour ce faire, la requérante a présenté cette image lors de la procédure orale par visioconférence en partageant son écran d'ordinateur. De l'avis de la Chambre, ce mode de présentation est, en termes de moyens permettant de prendre position et de présenter son cas, au moins équivalent à la présentation de ces figures sur un tableau blanc ou un « flip chart » physiques.
9.5.8 Ainsi, l'impossibilité d'utiliser d'un tableau blanc ou un « flip chart » physiques pendant la visioconférence n'a pas violé le droit de la requérante d'être entendue selon l'article 113 CBE et la tenue par visioconférence de la procédure orale constituait une alternative « appropriée » (« suitable ») à la tenue de celle-ci en présentiel.
9.6 Contraintes compromettant la capacité des parties à participer à une procédure orale en présentiel
9.6.1 Selon la Grande Chambre, une chambre de recours doit également, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire concernant le format de la procédure orale, tenir compte d'éventuelles circonstances spécifiques liées à des contraintes ou des obstacles (« limitations and impairments ») compromettant la capacité des parties à participer en personne à une procédure orale dans les locaux de l'OEB. Dans le cas d'une pandémie, il peut s'agir de restrictions générales imposées en matière de déplacements, de perturbations des conditions de voyage, d'obligations de quarantaine, de mesures de restriction d'accès aux locaux de l'OEB et d'autres mesures sanitaires visant à empêcher la propagation de la maladie (G 1/21, point 49 des motifs).
9.6.2 La requérante a fait valoir que la pandémie était terminée en Allemagne depuis novembre 2021, car l'état d'urgence lié à l'épidémie (« epidemische Notlage ») n'avait pas été prolongé. Depuis lors, seules des mesures d'hygiène imposées par le Ministère fédéral de la Santé avaient été maintenues. Or, d'après la requérante, celles-ci ne constituaient pas des motifs sérieux susceptibles de justifier une dérogation à la tenue de la procédure orale en présence. Par ailleurs, en ce qui concernait la pandémie, seule la situation en Allemagne, le pays où se trouvait le siège de l'OEB, était déterminante.
La Chambre ne partage pas ce point de vue.
9.6.3 Premièrement, c'est à la Chambre qu'il appartient d'apprécier l'existence d'une situation d'urgence générale qui compromettrait la possibilité pour les parties de participer à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB. Bien que la Chambre prenne également en considération les déclarations d'autorités nationales ou internationales dans ce contexte, elle peut très bien parvenir à une conclusion différente de celle de ces autorités.
9.6.4 Deuxièmement, les restrictions de contact et d'accès ainsi que d'autres mesures sanitaires sont restées en place en Allemagne, y compris en Bavière, pendant une longue période après que l'état d'urgence lié à l'épidémie a été officiellement déclaré comme terminé au niveau fédéral, à la fin du mois de novembre 2021. De telles mesures étaient toujours en place le 20 janvier 2022, lorsque la Chambre a converti la procédure orale initialement planifiée en présentiel en une procédure orale par visioconférence, ainsi qu'à la date de la procédure orale elle-même le 17 février 2022.
La Chambre note que la Grande Chambre a, dans ce contexte, fait référence aux mesures sanitaires visant à prévenir la propagation de la maladie de façon générale. De telles mesures englobent un large éventail de dispositions (T 1499/16, point 1.3.2 des motifs) et ne se limitent pas, notamment, à des restrictions de voyage.
En outre, la possibilité pour une partie ou un mandataire agréé de participer à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB n'est pas seulement compromise lorsqu'il devient impossible pour cette partie ou ce mandataire de participer à la procédure orale. Ceci est confirmé dans la décision G 1/21 par l'utilisation du terme « impairing » (T 1197/18, point 1.1 des motifs), ainsi que par la référence aux obligations de quarantaine, qui, normalement, n'empêchent pas la participation à une procédure orale en présentiel, mais peuvent néanmoins rendre cette participation disproportionnellement pénible, par exemple si un mandataire doit passer plusieurs jours de quarantaine dans un hôtel avant de pouvoir participer à la procédure orale.
9.6.5 Troisièmement, il n'y a pas que la situation en Allemagne qui importe pour déterminer s'il y a un état d'urgence générale compromettant la possibilité pour une partie ou son mandataire agréé de participer à une procédure orale en présentiel. En effet, des mandataires agréés peuvent avoir leur domicile professionnel ou le lieu de leur emploi dans un État contractant à la CBE autre que l'Allemagne (voir article 134(2)b) CBE), et la pandémie de Covid-19 n'est pas non plus limitée à l'Allemagne. Par conséquent, les parties et leurs mandataires peuvent voir leur participation à une procédure orale en présentiel compromise en raison de la situation de pandémie dans un pays autre que l'Allemagne, c'est-à-dire indépendamment de la situation de pandémie en Allemagne.
Ceci s'applique également au cas d'espèce. Les mandataires agréés de l'intimée ont leur domicile professionnel en France. Or, la France était toujours considérée, à la date de la procédure orale, comme une « zone à haut risque » (« Hochrisikogebiet ») par l'Institut Robert Koch allemand (RKI). Ceci impliquait de facto des restrictions de voyage et de possibles obligations de quarantaine pour les mandataires de l'intimée.
9.6.6 Par conséquent, il existait des restrictions et un risque élevé de contamination affectant la possibilité de participer en personne à la procédure orale et compromettant la tenue de cette dernière tant en présentiel que dans un format hybride. Il y avait donc des circonstances spécifiques qui justifiaient la décision de la Chambre de ne pas tenir la procédure orale en présentiel.
9.7 Pour ces raisons, la Chambre a ainsi décidé de rejeter la requête de la requérante d'ajourner la procédure orale afin que celle-ci puisse se dérouler en présence physique des parties.
10. Objection à l'encontre d'un vice de procédure (règle 106 CBE)
10.1 Après que le Président a annoncé la décision de la Chambre de ne pas ajourner la procédure orale, la requérante a invoqué un vice de procédure alléguant qu'en raison de la tenue de la procédure orale sous forme de visioconférence, son droit d'être entendue n'était pas respecté, soulevant ainsi une objection au titre de la règle 106 CBE.
10.2 Les motifs avancés par la requérante pour son objection au titre de la règle 106 CBE correspondent à ceux avancés pour sa requête en ajournement. En substance, la requérante affirme que seule la tenue de la procédure orale en présentiel aurait été conforme à son droit d'être entendue.
10.3 En vertu de l'article 112bis(1) et (2)c) CBE, une partie à une procédure de recours aux prétentions de laquelle la décision de la chambre de recours n'a pas fait droit peut présenter une requête en révision de la décision par la Grande Chambre de recours sur le motif que la procédure de recours a été entachée d'une violation fondamentale de l'article 113 CBE. En vertu de la règle 106 CBE, une telle requête présentée n'est recevable que si une objection a été soulevée à l'encontre du vice de procédure pendant la procédure de recours et a été rejetée par la chambre de recours.
10.4 En ce qui concerne l'objection de la requérante au titre de la règle 106 CBE, la seule question pertinente est donc si le droit d'être entendue de la requérante selon l'article 113 CBE a été violé d'une manière fondamentale par la tenue de la procédure orale sous forme de visioconférence.
10.5 Comme indiqué précédemment (voir les points 9.5.5-9.5.8 ci-dessus), le fait qu'un tableau blanc ou un « flip chart » physiques n'aient pas été disponibles pendant la visioconférence n'a pas violé le droit de la requérante d'être entendue selon l'article 113 CBE .
10.6 Concernant la violation alléguée de son droit d'être entendue, la requérante a également fait référence à la décision G 1/21 en affirmant que la Grande Chambre avait confirmé que les possibilités de s'exprimer oralement étaient meilleures lors d'une procédure orale en présentiel.
10.7 La requérante mélange deux points distincts dans son argumentation. Il est vrai que la Grande Chambre a exprimé l'avis que la communication au travers d'une visioconférence ne peut, du moins pour l'instant, être considérée comme étant au même niveau que la communication en personne (G 1/21, point 38 des motifs). Cependant, selon la Grande Chambre, il n'en découle pas pour autant que le droit d'être entendu et le droit à une procédure équitable ne peuvent être respectés lorsque la procédure orale se déroule par visioconférence. En effet, même si le format de la visioconférence présente certaines limitations, il offre néanmoins aux parties la possibilité de présenter oralement leurs arguments. En combinaison avec la partie écrite de la procédure, ceci suffit normalement à respecter les principes d'équité de la procédure et du droit d'être entendu (G 1/21, point 40 des motifs). Ainsi, les limitations actuellement inhérentes à l'utilisation de la technologie vidéo ne la rendent pas sous-optimale en tant que format de procédure orale à un degré tel que le droit d'une partie d'être entendue ou le droit à une procédure équitable soit sérieusement compromis (G 1/21, point 43 des motifs).
10.8 La requérante a en outre fait valoir que son droit d'être entendue était violé du fait que la procédure orale se tenait par visioconférence sans qu'elle n'ait son accord. Toutefois, la conformité d'une procédure orale sous forme de visioconférence avec le droit d'une partie d'être entendue selon l'article 113 CBE ne dépend pas de l'accord de cette partie à ce que la procédure orale se tienne par visioconférence, mais uniquement du fait si cette partie a suffisamment la possibilité de prendre position et de présenter son cas.
10.9 La Chambre note à ce propos que la requérante ne s'est jamais plainte, au cours de la procédure orale par visioconférence et jusqu'à la fin de la discussion de l'activité inventive, d'une quelconque atteinte à sa faculté de pouvoir prendre position ou présenter son cas. Ce n'est qu'après que la Chambre a annoncé sa conclusion que l'objet revendiqué impliquait une activité inventive, que la requérante a soulevé une objection au titre de la règle 106 CBE sur la base d'une violation alléguée de son droit d'être entendue.
10.10 Dans la décision G 1/21, la Grande Chambre a certes déclaré que la procédure orale en présentiel devrait être l'option par défaut et ne devrait être refusée aux parties que pour de bonnes raisons (G 1/21, point 45 des motifs). Cependant, ceci ne concerne pas la question de savoir si la tenue d'une procédure orale par visioconférence viole le droit d'être entendu selon l'article 113 CBE, mais plutôt les critères selon lesquelles une chambre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider du format de la procédure orale (voir les points 9.6.1-9.6.6 ci-dessus).
10.11 Enfin, la requérante a également affirmé, au cours de la procédure orale devant la Chambre, qu'elle n'avait jamais été informée des raisons pour lesquelles la Chambre avait considéré qu'il était justifié, au regard de la décision G 1/21, de tenir la procédure orale par visioconférence. Cette allégation n'est pas correcte. La Chambre a en effet fourni des raisons détaillées concernant ce point dans sa communication en date du 20 janvier 2022, c'est-à-dire à la date à laquelle la procédure orale initialement planifiée en présentiel a été convertie en procédure orale par visioconférence. C'est en effet sur ces raisons que la requérante a pris position lors de la procédure orale.
10.12 Par conséquent, la Chambre est d'avis qu'aucune violation du droit d'être entendu n'a eu lieu. L'objection en vertu de la règle 106 CBE est donc rejetée.
Par ces motifs, il est statué comme suit
Le recours est rejeté.