T 1624/20 (Élément de structure extrados/CONSTELLIUM) 13-12-2022
Téléchargement et informations complémentaires:
ÉLÉMENT DE STRUCTURE EXTRADOS EN ALLIAGE ALUMINIUM CUIVRE LITHIUM
Possibilité d'exécuter l'invention - effort excessif (no)
Priorité - priorité partielle (oui)
Nouveauté - requête principale (oui)
Nouveauté - sélection multiple
Activité inventive - (oui)
Activité inventive - effet supplémentaire (oui)
Recevabilité du recours (oui)
Décision sur le recours - renvoi à la première instance (non)
Droit d'être entendu - procédure orale devant la chambre de recours
Droit d'être entendu - possibilité de prendre position (oui)
Modification après signification - circonstances exceptionnelles (non)
I. L'opposante (requérante) a formé un recours contre la décision de la division d'opposition de rejeter l'opposition contre le brevet européen n°3 011 068 B.
II. Les documents suivants cités dans la décision sont pertinents :
D0 |FR 13/01459 (document de priorité du brevet contesté)|
D1 |US 2013/0269840 A1 |
D10|WO 2013/153292 A1 |
III. Le libellé des revendications indépendantes de la requête principale (brevet tel que délivré) s'énoncent comme suit:
"1. Procédé de fabrication d'un produit filé, laminé et/ou forgé à base d'alliage d'aluminium dans lequel :
a) on élabore un bain de métal liquide comprenant
4,2 à 5,2 % en poids de Cu,
0,9 à 1,2 % en poids de Li,
0,1 à 0,3 % en poids de Ag,
0,1 à 0,25 % en poids de Mg,
0,08 à 0,18 % en poids de Zr,
0,01 à 0,15 % en poids de Ti,
optionnellement jusque 0,2 % en poids de Zn,
optionnellement jusque 0,6 % en poids de Mn,
une teneur de Fe et de Si inférieure ou égale à 0,1 % en poids chacun, et des autres éléments à une teneur inférieure ou égale à 0,05% en poids chacun et 0,15%en poids au total, reste aluminium,
b) on coule une forme brute à partir dudit bain de métal liquide ;
c) on homogénéise ladite forme brute par un traitement thermique dans lequel la température à mi-épaisseur de la forme brute atteint au minimum de 510 °C pendant une durée d'au moins 10 heures,
d) on déforme à chaud et optionnellement à froid ladite forme brute ainsi homogénéisée en un produit filé, laminé et/ou forgé ;
e) on met en solution à une température d'au moins 515 °C et on trempe ledit produit ;
f) on tractionne de façon contrôlée ledit produit avec une déformation permanente de 0,5 à 5 %;
g) on réalise un revenu dudit produit par chauffage à une température de 140 à 170 °C pendant 5 à 70 heures."
"10. Produit filé, laminé et/ou forgé en alliage d'aluminium susceptible d'être obtenu par le procédé selon une quelconque des revendications 1 à 9, présentant une épaisseur d'au moins 12 mm, une limite d'élasticité en compression dans la direction longitudinale d'au moins 645 MPa et un allongement dans la direction longitudinale d'au moins 7%."
IV. Près de deux mois avant la procédure orale, la titulaire (intimée) a demandé que la procédure orale, initialement prévue en présentiel, soit transformée en visioconférence.
Un mois avant la date de la procédure orale et au vu de la situation de la pandémie de la COVID-19 à ce moment-là, la chambre a transformé la procédure orale en visioconférence.
Dans trois pièces soumises au total, la requérante a ensuite exprimé son désaccord avec le format de la procédure orale en invoquant, entre autres, l'article 113 CBE et la règle 106 CBE.
Dans deux notifications supplémentaires, la chambre a expliqué pourquoi elle retenait tout de même le format d'une visioconférence.
V. Les arguments de la requérante qui sont pertinents pour la présente décision peuvent être résumés comme suit :
Son droit d'être entendu n'est pas respecté car
- elle n'a pas consenti au format de la procédure orale
- elle n'a pas été invitée à présenter ses commentaires avant le changement du format de la procédure orale.
Cela justifie une objection au titre de la règle 106 CBE.
M Sigli n'aurait pas dû avoir le droit de s'exprimer lors de la procédure orale en première instance.
L'exposé de l'invention n'est pas suffisant.
La priorité n'étant pas valable sur toute l'étendue de la revendication 1, chacun des documents D1 et D10 anticipe l'objet de la revendication 1.
L'alliage A de l'exemple 1 des documents D1 et D10 rend évident l'objet de la revendication 1.
VI. Les arguments de l'intimée qui sont pertinents pour la présente décision peuvent être résumés comme suit :
Comme la société Arconic Inc. n'existait plus au moment du dépôt de l'acte de recours, le recours n'est pas recevable.
L'argument de la requérante concernant la similitude entre l'alliage A de l'exemple 2 de D1 et l'alliage 4 du Tableau 2 du brevet contesté correspond à une modification des moyens qui ne doit pas être prise en compte.
Par ailleurs, les requêtes satisfont aux conditions de la CBE.
VII. La procédure orale a eu lieu le 13 décembre 2022 sous forme de visioconférence.
VIII. La requérante demande que la décision contestée soit annulée et que le brevet soit révoqué.
L'intimée demande que le recours soit rejeté (maintien du brevet tel que délivré) ou, à titre subsidiaire, que le brevet soit maintenu tel qu'il a été modifié sur la base de la requête subsidiaire 1 présentée avec la réponse au mémoire exposant les motifs de recours.
1. Format de la procédure orale : article 15bis RPCR 2020 et G 1/21
1.1 Initialement, il avait été prévu de tenir la procédure orale au stade du recours en personne dans le bâtiment Isar.
Près de deux mois avant la date de la procédure orale, l'intimée a demandé que la procédure orale soit organisée sous forme de visioconférence.
Un mois avant la date de la procédure orale, la chambre a informé les parties que, compte tenu de la situation de la pandémie de COVID-19 à ce moment-là, la procédure orale allait se dérouler sous forme de visioconférence. Le fait d'attendre jusqu'à un mois avant la date de la procédure orale - pratique courante de la chambre dans différentes compositions - a effectivement permis à la chambre de tenir compte des derniers développements de la pandémie.
La requérante a contesté le nouveau format et a notamment fait valoir :
- que l'état d'urgence lié à la COVID-19 était terminé et que le fait d'imposer une visioconférence dans ces circonstances était en désaccord avec G 1/21.
- que, en l'absence d'une déclaration officielle d'une agence gouvernementale, les taux d'incidence ne pouvaient pas prouver que l'état d'urgence persistait surtout que le marché de Noël avait lieu à Munich.
- que la règle 15bis RPCR 2020 ne pouvait pas être invoquée car elle était, dans le cas présent, en contradiction avec G 1/21.
- qu'il n'y avait plus de restrictions d'accès au bâtiment Isar de l'OEB. Un test négatif à la COVID-19 n'y était plus nécessaire.
- qu'un mode hybride - avec la requérante assistant en personne et l'intimée par visioconférence - respectait au mieux les souhaits de chaque partie.
- qu'elle n'avait pas été invitée à présenter ses commentaires par rapport au format de la procédure orale avant que cette décision ne fût prise.
- que la majorité des procédures orales du 13 décembre 2022 étaient prévues en présentiel.
- que le risque d'annuler la procédure orale existait également pour d'autres maladies.
1.2 L'article 15bis (1) RPCR 2020 indique que la chambre peut décider de tenir une procédure orale au sens de l'article 116 CBE par visioconférence lorsqu'elle le juge approprié, soit sur requête d'une partie, soit d'office.
1.3 Dans ce cas particulier, une visioconférence n'est pas non plus en contradiction avec G 1/21.
Le sommaire de la décision G 1/21 s'énonce comme suit (JO OEB 2022, A49) :
"Lors d'une situation d'urgence générale qui compromet la possibilité pour les parties d'assister à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB, la tenue de cette procédure orale devant une chambre de recours sous forme de visioconférence est compatible avec la CBE, même si les parties à la procédure n'ont pas toutes consenti à ce que la procédure orale se déroule sous forme de visioconférence."
Conformément au point 50 des motifs de G 1/21, il appartient à la chambre d'apprécier l'existence d'une situation d'urgence générale qui compromet la possibilité pour les parties de participer à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB (voir aussi T 1499/16, point 1.3.1 des motifs).
En vertu des points 47 à 49 des motifs de G 1/21, des raisons ont ensuite été données qui peuvent justifier le rejet de la requête d'une partie tendant à ce que la procédure orale se déroule en présentiel.
1.3.1 Premièrement, une visioconférence doit être une solution de rechange appropriée pour mener à bien l'affaire faisant l'objet du recours. En d'autres termes, l'affaire ne doit pas être inadaptée à une visioconférence (point 48 des motifs de G 1/21).
Or, la requérante n'a présenté aucune raison pour laquelle une visioconférence ne serait pas appropriée dans le cas présent. De l'avis de la chambre basé sur l'expérience de nombreux cas similaires, le cas présent n'est pas excessivement complexe et le nombre de parties (seulement deux) n'est pas excessivement élevé. La chambre conclut donc que la présente affaire se prête à une visioconférence.
1.3.2 Deuxièmement, il doit y avoir des circonstances propres à l'affaire qui justifient la décision de ne pas tenir la procédure orale en présentiel (point 49 des motifs de G 1/21).
Ces circonstances ne se limitent pas à des restrictions de voyage. Effectivement, comme le mentionne le point 49 des motifs de G 1/21, la présence "d'autres mesures sanitaires visant à prévenir la propagation de la maladie" ("other health-related measures aimed at preventing the spread of the disease") est un autre exemple de circonstances compromettant la possibilité pour les parties de participer à une procédure orale devant les chambres de recours en présentiel dans les locaux de l'OEB.
Or, les taux d'incidence en Allemagne et en France (où les mandataires agréés de l'intimée ont leurs domiciles professionnels) étaient en train de monter avant la date de la procédure orale, ce qui constituait une menace potentielle. Le fait de se rendre à Munich et de tenir la procédure orale en personne aurait augmenté le risque d'infection des parties concernées et également des membres de la chambre. Ce risque constituait une difficulté qui compromettait objectivement la possibilité pour les parties de participer à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB.
Dans ces circonstances, une situation d'urgence générale qui compromettait la possibilité pour les parties de participer à une procédure orale en présentiel dans les locaux de l'OEB dans le sens de G 1/21 persistait.
Par ailleurs, l'intimée a déclaré qu'elle n'était pas favorable à une procédure orale en mode mixte, c'est-à-dire une procédure orale à laquelle la requérante assisterait en personne et l'intimée à distance. En outre, la chambre a considéré que, pour des raisons de prévention, une visioconférence était plus adaptée qu'un format mixte ou qu'un format en présentiel lors de la période d'avant Noël durant laquelle les participants à la procédure orale étaient certainement exposés à un nombre important de contacts engendrant un risque de contamination plus élevé.
Il y avait donc des circonstances spécifiques qui justifiaient la décision de la chambre de ne pas tenir la procédure orale en présentiel. Ainsi, la chambre a décidé d'exercer son pouvoir d'appréciation pour protéger les parties et la chambre en organisant l'audience sous forme de visioconférence, même sans le consentement de la requérante.
2. Règle 106 CBE : Objection à l'encontre d'un vice de procédure
2.1 La requérante a formulé une objection au titre de la règle 106 CBE couvrant les deux aspects suivants :
Premièrement, la chambre n'avait pas respecté son droit d'être entendu en changeant le format de la procédure orale en visioconférence malgré le fait que la requérante n'y avait pas consenti.
Deuxièmement, la chambre n'avait pas respecté son droit d'être entendu en décidant de ce changement sans l'avoir invitée à présenter ses commentaires au préalable.
2.2 Cependant, pour les raisons suivantes, la chambre est d'avis qu'aucune violation du droit d'être entendu n'a eu lieu. L'objection en vertu de la règle 106 CBE est donc rejetée.
D'après la jurisprudence des chambres, la conformité d'une procédure orale sous forme de visioconférence avec le droit d'une partie d'être entendue selon l'article 113 CBE ne dépend pas de l'accord de cette partie à ce que la procédure orale se tienne par visioconférence mais uniquement du fait que cette partie a suffisamment eu la possibilité de prendre position et de présenter son cas (T 250/19, point 10.8 des motifs).
Dans le cas d'espèce, à l'issue de la procédure orale, les parties ont confirmé qu'elles n'avaient pas rencontré de problèmes techniques lors de la visioconférence. La requérante en particulier ne s'est jamais plainte au cours de la procédure orale par visioconférence d'une quelconque atteinte à sa faculté de pouvoir prendre position ou de présenter son cas. Les parties ont donc pu présenter leur cas sans restriction.
La chambre est également d'avis que décider de changer le format de la procédure orale en visioconférence sans donner à la requérante la possibilité de présenter ses commentaires au préalable ne constitue pas une violation du droit d'être entendu. La chambre note qu'il y avait déjà eu un échange exhaustif d'arguments au sujet du format de la procédure orale en amont de la procédure orale.
Les trois notifications de la chambre et les trois pièces soumises par la requérante à cet égard entre la notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020 et la date de la procédure orale en témoignent. De plus, la chambre a aussi invité explicitement la requérante à prendre position sur ce sujet et à soumettre des commentaires supplémentaires au début de la procédure orale.
Enfin, la chambre note que la transformation du format de la procédure orale en visioconférence n'était pas définitive. En effet, si la chambre était arrivée à la fin de l'échange d'arguments à cet égard au début de la procédure orale à la conclusion que la visioconférence n'était pas adaptée dans les circonstances particulières de l'affaire, elle aurait ajourné la procédure orale afin de la tenir ultérieurement en présentiel.
3. Transfert de la qualité d'opposante et recevabilité du recours
3.1 L'intimée considère que la société Arconic Inc. qui a formé le recours n'existait plus au moment du dépôt de l'acte de recours, et ce sur la base des arguments suivants :
Arconic Inc. avait été séparée avant la formation du recours en Howmet Aerospace Inc. et Arconic Corporation. À cet égard, l'intimée fait référence au brevet européen 2 675 932 avec un transfert des activités à Arconic Corporation et à l'entrée du site internet https://www.arconic.com/history/ pour l'année 2020.
L'objet de la présente invention était aussi intéressant pour Howmet Aerospace Inc. ("forged aluminum wheels") que pour Arconic Corporation ("extruded products"), sachant que la revendication 1 porte sur des produits forgés ou filés/extrudés (revendication 1, page 10, ligne 7 du brevet).
En conséquence, l'identité de la requérante était inconnue au moment de la formation du recours.
Pour ces raisons, l'intimée estime que le recours est irrecevable.
3.2 L'acte de recours a été déposé au nom d'Arconic Inc. à la fin du délai de deux mois indiqué dans l'article 108 CBE.
Après expiration du délai de recours (mais avant le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours), la requérante a informé l'OEB d'un changement du nom de la requérante d'Arconic Inc. en Howmet Aerospace Inc. Cette notification était accompagnée de preuves qui montrent, de l'avis de l'intimée, que ce changement de nom a eu lieu avant la formation du recours.
Le mémoire exposant les motifs du recours a également été déposé au nom d'Arconic Inc. Il y est fait référence à la demande de changement de nom auprès de l'OEB avec une indication selon laquelle le nom de la requérante dans le registre de l'OEB était à ce moment-là toujours Arconic Inc. (cf. le point 1).
3.3 D'après la jurisprudence (Jurisprudence des Chambres de recours, 10**(e) édition, 2022, III.O.2.6 (deuxième paragraphe)), la date effective d'un changement de nom d'une partie doit être considérée comme la date à laquelle le changement a été indiqué à l'OEB et des preuves adéquates ont été fournies.
Etant donné que la requête en changement de nom accompagnée de preuves a eu lieu après la formation du recours, le recours a été formé au nom d'Arconic Inc.
Puisque le mémoire exposant les motifs du recours explique le changement de nom, et indique le nom des sociétés avant et après le changement de nom, il n'y a eu à aucun moment de la procédure de doute par rapport à l'identité de la requérante ni à son droit de former un recours.
Étant donné qu'un transfert de la qualité d'opposante à Arconic Corporation n'a jamais été invoqué par la requérante auprès de l'OEB, ni avant ni après la formation du recours, elle n'a pas perdu sa qualité d'opposante.
Le fait qu'un tel transfert de la qualité d'opposante d'Arconcic Inc. à Arconic Corporation a eu lieu dans une autre affaire, à savoir dans T 201/20, est sans importance pour le cas d'espèce.
Même si, arguendo, un tel transfert avait été envisagé dans le cas d'espèce, ce serait sans importance puisqu'un tel transfert n'a pas été indiqué à l'OEB.
Il est vrai que si l'intimée était au courant de la séparation d'Arconic Inc. au moment de l'acte de recours, elle ne pouvait pas (encore) savoir si le recours était poursuivi par Howmet Aerospace Inc. ou par Arconic Corporation. Cependant, cela n'affecte pas la recevabilité du recours.
Le recours est donc recevable (article 108 et règle 101(1) CBE).
4. Personne accompagnant le mandataire agréé de l'intimée lors de la procédure orale en phase d'opposition
4.1 De l'avis de la requérante, l'affaire doit être renvoyée en première instance puisque la division d'opposition n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière correcte en autorisant M Sigli à prendre la parole lors de la procédure orale en phase d'opposition. Il manquait notamment une indication des qualifications académiques ou de l'expérience industrielle de M Sigli. Par ailleurs, M Sigli appartient à la société du mandataire de l'intimée et non à la société de l'intimée.
4.2 Le procès-verbal de la procédure orale devant la division d'opposition mentionne effectivement que la requérante a objecté au droit de M Sigli de prendre la parole en évoquant les critères de G 4/95 (cf. les points 1.3 et 1.3.1 du procès-verbal).
Malgré cette objection, la division d'opposition a autorisé M Sigli à prendre la parole "en sa qualité d'inventeur et d'ingénieur de recherche et employé de C-TEC Constellium Technology Center, sous le contrôle du représentant du Titulaire".
G 4/95 clarifie que la division d'opposition peut accorder discrétionnairement le droit de prendre la parole à un assistant du mandataire agréé à plusieurs conditions (cf. sommaire de la décision). Entre autres, les "qualités" de l'assistant doivent être précisées.
La décision contestée indique que la division d'opposition s'est effectivement basée sur les critères de G 4/95 pour décider si elle autoriserait M Sigli à prendre la parole (cf. le point II.2 de la décision contestée). Elle a notamment considéré que les qualités de M Sigli avaient été suffisamment précisées dans la requête de l'intimée du 12 novembre 2019 qui décrit M Sigli comme "inventeur et ingénieur de recherche, expert, employé C-TEC Constellium Technology Center". La division d'opposition a jugé qu'une indication des qualifications académiques de M Sigli n'était pas indispensable.
En effet, G 4/95 n'indique pas que l'indication des qualifications académiques ou de l'expérience industrielle, ou encore un curriculum vitae sont obligatoires.
La requérante n'a donc pas présenté de preuves convaincantes selon lesquelles la division d'opposition n'avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux principes corrects, ou l'avait exercé de manière déraisonnable, dépassant ainsi les limites appropriées de son pouvoir discrétionnaire (G 7/93, point 2.6 des motifs, Jurisprudence des Chambres de recours, 10**(e) édition, 2022, V A 3.4.1 b)).
Par ailleurs, la question de savoir si M Sigli appartient à la société du mandataire de l'intimée (et non à la société de l'intimée) est sans importance à cet égard.
L'affaire n'est donc pas renvoyée en première instance (article 111(1) CBE).
5. Exposé de l'invention
5.1 De l'avis de la requérante, la composition de l'alliage et les étapes de la revendication 1 de la requête principale ne suffisent pas pour obtenir les propriétés mécaniques de la revendication 10. A son avis, la personne du métier serait obligée d'effectuer un programme de recherche pour déterminer les paramètres de procédé nécessaires, ce qui reviendrait à un effort excessif.
5.2 L'intimée admet que le respect de la composition de l'alliage de la revendication 1 de la requête principale ne suffit pas pour inévitablement obtenir les propriétés mécaniques de la revendication 10.
5.3 Or, le brevet contesté contient plusieurs exemples et le tableau 2 montre pour une température de revenu de 155° C qu'il suffit d'ajuster un seul paramètre par alliage, plus précisément la durée du revenu, afin d'obtenir pour chacun des alliages inventifs 1 à 3 une limite d'élasticité en compression dans la direction longitudinale Rc0.2 et un allongement A qui satisfont aux gammes de la revendication 10. Effectivement, pour chacun des alliages 1 à 3 du tableau 2 qui possèdent une composition selon la revendication 1, une variation de la durée de revenu à 155 °C entre 20 et 50 heures permet d'obtenir les caractéristiques recherchées. Même s'il n'y a qu'une ou deux durées par alliage qui donnent les résultats souhaités, l'effort reste raisonnable. Les alinéas 17 (plus précisément le passage à la page 5, ligne 55 à la page 6, ligne 1) et 22 donnent des informations supplémentaires quant aux conditions du revenu en fonction de la déformation du produit.
En revanche, la requérante de son côté n'a pas apporté de preuves à l'appui de son affirmation selon laquelle cela relève d'un effort excessif, par exemple pour des températures de revenu à l'intérieur de la gamme revendiquée mais différentes de 155 °C ou pour des alliages contenant du Zn.
Il est donc satisfait aux exigences de l'article 83 CBE.
6. Priorité et nouveauté
6.1 La priorité du brevet contesté n'est pas valable pour les teneurs en Zr entre 0.08 % et 0.11 % en poids (valeur de 0.11 % exclue) (article 87 CBE).
En effet, le document de priorité D0 ne divulgue que la gamme de 0.11 % à 0.18 % Zr (cf. la revendication 1 par exemple). Pour cela, le brevet bénéficie d'une priorité partielle pour les teneurs en Zr entre 0.11 % (valeur incluse) et 0.18 %.
Cela n'a pas été contesté.
6.2 Par conséquent, la demande US D1
- est un document au titre de l'article 54(2) CBE pour la partie entre 0.08 % et 0.11 % Zr de la revendication 1 de la requête principale (valeur de 0.11 % exclue) mais
- n'appartient pas à l'état de la technique pour les teneurs en Zr entre 0.11 % et 0.18 % (valeur de 0.11 % incluse)
Des sélections multiples dans D1 sont nécessaires afin d'arriver à l'objet de la revendication 1 de la requête principale :
- Les gammes de Mg de D1 (0.2 % à 0.6 % en poids ; revendication 1) et de la revendication 1 du brevet contesté (0.1 % à 0.25 %) se chevauchent.
- La gamme de Zr de 0.07 % à 0.15 % en poids de la revendication 1 de D1 est plus large que la partie de la gamme de Zr de la revendication 1 du brevet contesté dont la priorité n'est pas valable, à savoir la gamme entre 0.08 % et 0.11 % en poids (valeur de 0.11 % exclue).
- Les gammes de température de mise en solution de D1 (500 °C à 520 °C, cf. la revendication 11) et de la revendication 1 du brevet contesté (au moins 515 °C) se chevauchent.
D'après la jurisprudence constante des chambres (Jurisprudence des Chambres de recours, 10**(e) édition, 2022, I.C.6.3.3), le fait d'examiner dans un tel cas les plages des différents paramètres séparément constituerait une approche artificielle et injustifiée. Comme, en plus, le taux de recouvrement de la combinaison des gammes de ces paramètres entre D1 et la revendication 1 est faible, la chambre ne voit pas de raison de s'écarter de ce point de vue.
Il n'y a pas non plus d'indice que la personne du métier travaillerait pour chacune des gammes de D1 dans les domaines couverts par la revendication 1. Ainsi, toutes les teneurs en Mg des alliages du tableau 1 de D1 sont au-dessus et la température de mise en solution de 510 °C de l'exemple 2 (cf. paragraphe [0076]) est en-dessous des gammes correspondantes de la revendication 1.
Par conséquent, l'objet de la revendication 1 du brevet contesté est nouveau par rapport à D1 (article 54(1) et (2) CBE).
6.3 Il n'a pas été contesté que la divulgation de D10 est la même que celle de D1, ce dernier ayant seulement l'avantage d'avoir des numéros d'alinéas ce qui facilite la navigation dans le document.
La situation par rapport au document D10, qui est, contrairement à D1, une demande internationale, est donc quasiment identique. D10 est un document au titre
- de l'article 54(2) CBE pour la partie entre 0.08 % et 0.11 % Zr de la revendication 1 (valeur de 0.11 % exclue) et
- de l'article 54(3) CBE pour la partie entre 0.11 % et 0.18 % Zr de la revendication 1 (valeur de 0.11 % incluse).
Pour cela, la gamme entière de 0.08% à 0.11% Zr de la revendication 1 de la requête principale est à considérer lors de la comparaison avec la gamme de 0.07 % à 0.15% de D10 et ces gammes se chevauchent.
Des sélections multiples sont donc également nécessaires et il n'y a pas non plus d'indice pour travailler à l'intérieur de chacune des gammes de la revendication 1.
L'objet de la revendication 1 du brevet contesté est par conséquent également nouveau par rapport à D10 (article 54(1), (2) et (3) CBE).
7. Activité inventive
7.1 L'invention concerne un procédé de fabrication d'un produit filé, laminé et/ou forgé.
7.2 De l'avis de la requérante, l'alliage A de l'exemple 1 des documents D1 ou D10 (cf. les tableaux 1 et 2) est le point de départ pour évaluer l'activité inventive de l'objet de la revendication 1.
En ce qui suit, il est seulement fait référence à D1, mais les conclusions pour D10 sont identiques.
Les concentrations en Cu, Li, Ag, Ti, Zn, Mn, Fe et Si de l'alliage A de l'exemple 1 de D1 correspondent effectivement à celles de la revendication 1 du brevet contesté.
Puisque D1 appartient au même domaine technique que le brevet contesté et puisque l'alliage A de l'exemple 1 divulgue plusieurs caractéristiques de la revendication 1 du brevet contesté, ce document est un point de départ approprié pour évaluer l'activité inventive de la partie de la revendication 1 dont la priorité n'est pas valable.
7.3 Selon le brevet contesté, le problème à résoudre est de mettre à disposition un procédé de fabrication d'un produit filé, laminé et/ou forgé avec des propriétés de résistance mécanique statique élevées tout en ayant des propriétés de tolérance aux dommages suffisantes (paragraphe [0010]).
7.4 Il est proposé de résoudre ce problème par le procédé de fabrication de la revendication 1 caractérisé en:
- une teneur en Mg entre 0.1 et 0.25 % en poids (l'alliage A de l'exemple 1 de D1 contient 0.35 % en poids de Mg)
- une teneur en Zr entre 0.08 et 0.11 % en poids, la valeur de 0.11 % étant exclue (l'alliage A de l'exemple 1 de D1 contient exactement 0.11 % en poids Zr) et
- une température de mise en solution d'au moins 515 °C (l'alliage A de l'exemple 1 de D1 divulgue une température entre 500 °C et 520 °C (paragraphe [0071])).
7.5 Une comparaison entre les propriétés des alliages 1 et 2 de l'exemple 3 du brevet contesté (cf. le tableau 4) d'un côté, et les propriétés de l'alliage A de l'exemple 1 de D1 de l'autre côté (cf. le tableau 2) pour un revenu à 155 h de 25 h montre en effet une amélioration des propriétés de résistance mécanique statique. Effectivement, la limite d'élasticité en traction dans la direction longitudinale Rp0,2 augmente de 663 MPa à 687 MPa/700 MPa et l'allongement A de 8.1 % à 9.8 %/8.7 %. En revanche, faute d'indication de valeurs dans D1, une comparaison de la limite d'élasticité en compression dans la direction longitudinale Rc0.2 n'est pas possible.
Cette amélioration des propriétés de résistance mécanique statique est accompagnée d'une baisse de la ténacité K de 22.5 MPa m**(1/2) à 18.0 MPa m**(1/2) / 18.7 MPa m**(1/2), ce qui correspond toujours à une tolérance aux dommages "suffisante".
En pointant l'alliage 1 de l'exemple 1 du brevet contesté (cf. le tableau 2), la requérante fait plutôt valoir une dégradation des propriétés de résistance mécanique statique. Or, il n'a pas été contesté que l'épaisseur de la tôle affecte les propriétés mécaniques et, compte tenu de l'épaisseur de l'exemple 1 du brevet contesté (page 7, ligne 5 : 25 mm), une comparaison de l'exemple 3 du brevet contesté (page 8, ligne 47 : épaisseur de 16 mm) avec l'exemple 1 de D1 (paragraphe [0072]: épaisseur de 18 mm) est plus probante.
Pour ces raisons, le problème technique posé a été résolu avec succès.
7.6 En l'absence d'une suggestion dans l'état de la technique de résoudre le problème technique posé par les concentrations de Mg et Zr et par la température de mise en solution de la revendication 1, l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 est reconnue (article 56 CBE).
7.7 A cause de la dépendance directe ou indirecte des revendications 2 à 9 par rapport à la revendication 1, ce raisonnement s'applique également à l'objet de ces revendications.
Un raisonnement similaire s'applique à la revendication 10, qui concerne un produit filé, laminé et/ou forgé susceptible d'être obtenu par le procédé des revendications précédentes. Comme ce produit a les avantages identifiés au point 7.5 et comme il n'y a pas d'enseignement dans l'état de la technique selon lequel ces avantages peuvent être obtenus par l'adaptation des concentrations de Mg et Zr, une activité inventive est également reconnue pour l'objet de la revendication 10 et des revendications 11 à 15 qui se réfèrent directement ou indirectement à la revendication 10.
8. Modifications de moyens: article 13(2) RPCR 2020
8.1 Pendant la procédure orale, la requérante a signalé que l'alliage comparatif 4 des tableaux 1 et 2 du brevet contesté était représentatif de l'alliage A de l'exemple 2 de D1/D10 puisque les caractéristiques distinctives (teneurs en Mg et Zr, température de mise en solution) étaient les mêmes.
En l'absence d'un effet des alliages inventifs 1 à 3 du brevet contesté en ce qui concerne la ténacité pour une durée de revenu de 10 heures par rapport à l'alliage comparatif 4 (cf. le tableau 2 du brevet contesté), le problème technique à résoudre était seulement la mise à disposition d'un procédé alternatif. Une activité inventive de l'objet de la revendication 1 vis-à-vis de l'alliage A de D1 ne pourrait donc pas être reconnue.
8.2 L'intimée est de l'avis que cet argumentaire est une modification des moyens de la requérante qui ne doit pas être prise en compte.
8.3 La requérante a effectivement admis que cet argumentaire avait été présenté pour la première fois lors de la procédure orale au stade du recours. Cependant, de son avis, il ne s'agit que d'un développement de l'argument en place selon lequel il n'y avait pas d'effet surprenant. De plus, elle a considéré l'argumentaire comme une réaction à la notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020.
Selon la requérante, même si l'argumentaire était considéré comme une modification des moyens, celle-ci devait être prise en compte puisque la modification des moyens n'était pas compliquée, ne concernait que des éléments du brevet contesté et avait été discutée lors de la procédure orale.
8.4 Or, avant la procédure orale, il n'avait jamais été suggéré que l'alliage comparatif 4 du brevet contesté était représentatif de l'alliage A de l'exemple 2 de D1/D10. L'alliage 4 n'avait jamais été invoqué par la requérante dans ses moyens écrits durant la procédure de recours.
Cela est d'autant plus valable pour la déclaration quant à l'absence d'un effet des alliages inventifs 1 à 3 en ce qui concerne la ténacité par rapport à l'alliage comparatif 4 pour 10 heures de revenu dans le tableau 2 du brevet contesté.
L'argumentaire est donc basé sur de nouveaux faits et va au delà d'un simple développement des moyens de la requérante, ce qui soulève de nouvelles questions. Il s'agit donc bien d'une modification des moyens présentés au sens de l'article 13(2) RPCR 2020.
Par ailleurs, la requérante n'a pas indiqué quelle partie de la notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020 avait causé cette modification. A cet égard, la chambre n'a pas pu identifier d'élément nouveau dans la notification. La notification au titre de l'article 15(1) RPCR 2020 n'est pas une invitation à soumettre de nouveaux moyens (T 995/18, point 1.4 des motifs).
Compte tenu du fait que cette modification a été invoquée pendant la procédure orale, c'est à dire après la signification d'une citation à une procédure orale, et de l'absence de circonstances exceptionnelles justifiées avec des raisons convaincantes cette modification des moyens n'est pas prise en compte (article 13(2) RPCR 2020).
Par ces motifs, il est statué comme suit
1. Le recours est rejeté.
2. L' objection au titre de la règle 106 CBE est rejetée.