T 0036/83 (Peroxyde de thénoyle) 14-05-1985
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Première application thérapeutique
Application à titre de produit cosmétique
I. La demande de brevet européen n° 79 400 198.2 déposée le 28 mars 1979 et publiée le 17 octobre 1979 sous le numéro 0 004 810, pour laquelle est revendiquée une priorité du 31 mars 1978, fondée sur un dépôt antérieur en France, a été rejetée par décision du 15 octobre 1982 de la Division d'examen 001 de l'Office européen des brevets. Cette décision a pour base les revendications reçues le 6 mai 1981.
La rédaction des revendications 1, 7, 9 et 10 est la suivante :
"1. Médicament caractérisé en ce qu'il est constitué par le peroxyde de thénoyle de formule :
7. Compositions pharmaceutiques caractérisées en ce qu'elles renferment, à titre de principe actif, le peroxyde de thénoyle.
9. Application à titre de produit cosmétique du peroxyde de thénoyle.
10. Compositions cosmétiques, caractérisées en ce qu'elles renferment le peroxyde de thénoyle.
II. Le rejet a été motivé par le fait que les revendications 1 et 7 enfreindraient l'article 54(5) CBE. En effet, selon les termes de la Division d'examen, il aurait été nécessaire, pour satisfaire à cet article, de limiter ces revendications aux applications thérapeutiques effectivement décrites.
III. La demanderesse a formé un recours contre cette décision le 6 décembre 1982, et payé la taxe dans les délais. Elle a motivé le recours le 3 février 1983.
Selon la requérante, les textes de la CBE invoqués, et notamment l'article 54(5) CBE, ne contiendraient aucune prescription quant à la limitation de la portée du médicament.
IV. Dans ses communications intermédiaires, la Chambre suggère des modifications essentiellement rédactionnelles des revendications de médicament, principalement pour les adapter à la formulation admissible au titre de l'article 54(5). Cette formulation est acceptée par le requérant.
En outre, la Chambre soulève la question de l'admissibilité de la revendication 8, dans sa dernière version. Cette revendication 8 est identique à la revendication 9 du jeu des revendications rejetées. Cette revendication 9 n'avait pas été mise en cause par la première instance. Or, selon la Chambre, il semble s'agir là d'une méthode de traitement thérapeutique (art. 52(4) CBE), puisque cette méthode sert à guérir l'acné, qui est une maladie.
V. Dans sa réponse reçue le 4 mai 1984, la requérante refuse de considérer que la revendication 8 dans sa dernière version puisse constituer une méthode de traitement thérapeutique, et se réfère pour cela à la réglementation française. A cet effet, elle cite le livre "Droit pharmaceutique", fascicule 5 (1978), page 7.
Elle sollicite enfin l'infirmation de la décision attaquée, et la délivrance du brevet avec les revendications suivantes :
"1. Composé chimique constitué par le peroxyde de thénoyle de formule
(FORMULA)
pour son utilisation dans une méthode de traitement thérapeutique du corps humain ou animal.
2. Composé chimique selon la revendication 1 pour son utilisation comme antibactérien.
3. Composé chimique selon la revendication 1 pour son utilisation comme antifongique.
4. Composé chimique selon la revendication 1 pour son utilisation comme comédolytique.
5. Composé chimique selon la revendication 1 pour son utilisation dans le traitement de l'acné.
6. Compositions pharmaceutiques caractérisées en ce qu'elles renferment, à titre de principe actif, le peroxyde de thénoyle, ainsi qu'un excipient pharmaceutique inerte.
7. Compositions selon la revendication 6, caractérisées en ce qu'elles renferment de 2 à 20 % de principe actif.
8. Application à titre de produit cosmétique du peroxyde de thénoyle.
9. Compositions cosmétiques, caractérisée en ce qu'elles renferment le peroxyde de thénoyle.
10. Compositions selon la revendication 9, caractérisées en ce qu'elles renferment de 0,2 à 20 % de peroxyde de thénoyle.
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106 à 108 et à la règle 64 de la CBE ; il est donc recevable.
2. L'objet des revendications ne s'étend pas au-delà du contenu de la demande telle que déposée à l'origine.
L'utilisation du péroxyde de thénoyle comme substance pharmacologiquement active et comme médicament, selon les revendications 1 à 5, est divulguée dans la demande d'origine (voir page 1, lignes 15 à 20, page 3, ligne 34 et page 4, ligne 2 ainsi que la revendication 1).
Les revendications 6 et 7 trcuvent leur base dans les revendications 2 et 3 d'origine, et la description page 2, lignes 11 à 22.
Les revendications 8 à 10 sont les revendications 4 à 6 originales.
3. La demanderesse a fourni aux spécialistes l'enseignement nouveau qui consiste à utiliser le péroxyde de thénoyle comme agent thérapeutique, et notamment en tant que médicament destiné au traitement de l'acné.
Le péroxyde de thénoyle, principe actif revendiqué, a été déjà décrit dans l'état de la technique. (Monats, 1949, 80, 739). Mais son utilisation pour un quelconque procédé selon l'article 52(4) CBE ne fait toutefois pas partie de l'état de la technique. Un tel objet est considéré comme nouveau, conformément à l'article 54(5) CBE.
4. Il est vrai qu'un produit proche par sa structure, du péroxyde de thénoyle, le péroxyde de benzoyle, est utilisé chez l'homme pour le traitement de l'acné, comme le reconnaît la demanderesse (voir description originale, page 3, lignes 1 à 13), en se référant à J. Pharm.Sci.1977, 66 718.
Par rapport à l'état de la technique le plus proche, la demanderesse s'est posé le problème de trouver non pas seulement un médicament pour le traitement de l'acné, meilleur que le péroxyde de benzoyle, mais encore un produit dont les activités antibactérienne, antifongique et comédolytique permettent un usage thérapeutique et cosmétique.
Avec le peroxyde de thénoyle, la demanderesse a trouvé une solution à ce problème, exprimée dans les revendications 1 à 10.
En ce qui concerne la nouveauté, après considération de la publication "Monats", 1949, 80 739, la chambre ne voit pas de raisons de remettre en question la nouveauté des compositions, non plus que de l'ensemble des revendications 1 à 10. En ce qui concerne l'activité inventive, la chambre reconnaît que les deux documents de l'état de la technique le plus proche ne permettaient pas de prévoir les activités thérapeutique et cosmétique mises en évidence par la demanderesse. Le document relatif au traitement de l'acné ne suggère aucunement l'idée de rechercher cette activité dans des produits proches par leur structure, même un produit tel que le peroxyde de thénoyle, pourtant connu de longue date. En outre, les études comparatives présentées dans la description sont déterminantes et montrent clairement que la solution proposée répond au problème posé.
Dans ces conditions, en l'absence de tout autre document orientant dans ce sens, la Chambre reconnaît, ainsi que l'a fait la Division d'examen, une activité inventive dans l'objet des revendications 1 à 10.
Les motifs de rejet énoncés par la division d'examen s'appliquent aux seules revendications 1 et 6 (qui correspondent aux revendications rejetées 1 et 7). La question à examiner, au sens de la requête, se résume à celle de savoir si la rédaction des revendications 1 et 6 qui couvrent une indication d'application étendue est admissible au titre de l'article 54(5) CBE.
5.1. Dans la décision T 128/82 Dérivés de Pyrrolidine/ HOFFMANN-LA-ROCHE (J.0. no. 4/1984, 164), la Chambre a déjà traité la question de la première application thérapeutique. Elle a conclu que, lorsqu'est revendiquée une substance connue faisant pour la première fois l'objet d'une application thérapeutique, le seul fait qu'une application particulière est révélée dans la demande ne limite pas obligatoirement à cette application la revendication de substance proposée à une fin spécifique.
5.2. Cette conclusion s'applique au cas examiné ici. Dans celui-ci, comme dans l'autre cas, l'utilisation du produit revendiqué, comme médicament, a été, dès l'origine, largement divulguée dans la description (voir page 1, ligne 15 à page 2, ligne 26 de la description originale). Les revendications 1 à 6 sont, par conséquent, admissibles.
6. Puisque l'admissibilité de la revendication 8 a été mise en cause par la Chambre, elle-même, il reste à vérifier si cette revendication peut être acceptée. Dans ce contexte, la question se pose de savoir si une application à titre cosmétique est distincte d'une application thérapeutique. Cette distinction est déjà clairement exprimée dans la description originale (voir page 2, lignes 27 à 30).
6.1. De la lecture de la description, il ressort, d'une part, que les activités antibactérienne et comédolytique, mises en évidence pour le péroxyde de thénoyle, sont essentielles pour le traitement de l'acné, et ne sont mises en oeuvre, dans la demande, qu'en relation avec une application topique (description page 6). D'autre part, selon la demande, les préparations pharmaceutiques et cosmétiques peuvent avoir desformes très semblables, sinon identiques. (Voir description originale page 2, ligne 1 à page 3, ligne 6). En conséquence, le traitement cosmétique selon la demande peut impliquer incidemment aussi un traitement thérapeutique.
6.2. D'un autre côté, l'étude pharmacologique du péroxyde de thénoyle présentée dans la description comporte l'étude de l'activité comédolytique. Cette étude comédolytique se ramène à la mesure de l'orifice des comédons par rapport à leur grand diamètre avant, et après applications de péroxyde de thénoyle. Elle montre la transformation des comédons en comédons ouverts, ce qui permet l'extrusion du matériel corné comédonien (description originale page 5, lignes 10 à 13). Cette opération revient en fait à faciliter l'épuration de la peau. La Chambre voit dans cette activité du péroxyde de thénoyle une activité qui appartient à l'évidence davantage au domaine de l'hygiène corporelle non médicamenteuse qu'à celui de la thérapie. Or, la mise à profit de cette activité dans une application cosmétique n'est pas à considérer comme tombant dans l'exclusivité de la brevetabilité au titre de l'article 52(4) CBE.
6.3. La formulation de la revendication 8, pour tenir compte des exclusions de la brevetabilité de l'article 52(4) est importante.
Ayant mis en évidence, pour la première fois, des propriétés sur prenantes pour un produit chimique déjà connu dans l'état de la technique, et ayant mis en valeur ces propriétés dans des utilisations différentes, le demandeur a droit à une protection pour des utilisations différentes. Dans le cas présent, ces utilisations se traduisent dans la description par deux méthodes : une méthode de traitement thérapeutique et une méthode de traitement non thérapeutique.
Compte tenu de l'article 52(4), la méthode de traitement thérapeutique n'est pas brevetable, mais le produit pour la mise en oeuvre de cette méthode l'est certainement. C'est dans cette forme qu'ont été rédigées les revendications 1 à 7.
La méthode de traitement non thérapeutique est une méthode entrant dans le cadre général des inventions brevetables. Il n'existe pas d'objections de principe à l'encontre de la brevetabilité de revendications ou d'application ou de méthode en général. La Grande Chambre de recours a estimé qu'il relevait de l'appréciation du déposant de qualifier une activité soit de procédé d'exécution, soit d'utilisation ou d'application d'une substance déterminée, ces types de revendications étant de même valeur (Gr 06/83, Deuxième indication médicale/PHARMUKA (J.0. no. 3/1985,67, points 11 et 12 des motifs).
Le demandeur a choisi l'expression "Application à titre de produit cosmétique du péroxyde de thénoyle". La Chambre considère cette forme de revendication comme acceptable, dans le cas examiné ici.
En outre, la Chambre considère que la question de l'application industrielle ne se pose pas. En effet, l'exécution professionnelle de l'invention dans un salon de cosmétique est une application industrielle au sens de l'article 57 CBE.
6.4. En relation avec la formulation de la revendication 8, la chambre croit utile d'ajouter la remarque suivante :
Pour éviter avec certitude tout conflit avec les dispositions de l'article 52(4) CBE dans une revendication d'utilisation ou d'application, il aurait été possible d'imaginer l'exclusion de l'invention non brevetable au titre de cet article, au moyen d'un disclaimer.
Dans le cas présent, la Chambre voit une précision déjà suffisante dans l'emploi du terme cosmétique. Sans qu'il soit nécessaire de se référer aux différentes législations nationales, qui vont également généralement dans ce sens (voir point V), le terme cosmétique est utilisé, comme adjectif, pour une substance autre que médicamenteuse destinée à être utilisée sur la peau, etc... (voir Grand dictionnaire encyclopédique Larousse). Les grands ouvrages de référence de langue allemande ou anglaise supportent également cette définition.
7. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner la requête subsidiaire à laquelle n'avait pas renoncé la requérante.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision de la Division d'examen de l'Office européen des brevets du 15 octobre 1982 est annulée.
2. L'affaire est renvoyée devant la première instance pour délivrance d'un brevet européen sur la base des pièces suivantes :
Description, pages 3 à 6 initiales, page 1 reçue le 3 octobre 1983 page 2 reçue le 4 mai 1984
Revendications 1 à 10 reçues le 20 avril 1985.