J 0008/07 (langue de la procédure/ MERIAL.) 08-12-2008
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Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours :
1º Lorsqu'une demande internationale de brevet a été déposée et publiée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) dans une langue officielle de l'Office européen des brevets (OEB), le demandeur peut-il, dès l'entrée dans la phase régionale devant l'OEB, déposer une traduction de la demande dans l'une des autres langues officielles de l'OEB avec l'effet que la langue de la traduction soit désormais considérée comme constituant la langue de la procédure qui
doit être utilisée dans toutes les procédures devant les instances de l'OEB ?
2º Si la réponse à cette question est négative, les organes de l'OEB peuvent-ils utiliser dans la procédure écrite d'une demande européenne de brevets (ou d'une demande internationale entrée en phase régionale) une des langues officielles de l'OEB autre que celle de la procédure utilisée pour la demande ?
3º Si la réponse à la deuxième question est positive, quels sont les critères à appliquer pour déterminer la langue officielle qui sera utilisée ?
En particulier, les organes de l'OEB doivent-ils faire droit à une telle requête émanant d'une ou des parties ?
Exposé des faits et conclusions
I. Le 5 avril 2002, la société MERIAL, ci-après la requérante, a déposé en langue française une demande internationale de brevet en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT).
Cette demande a été publiée en langue française le 17 octobre 2002 sous le numéro WO 02/081621.
II. Le 3 novembre 2003, la requérante accomplissait les actes pour entrer dans la phase régionale. Elle joignait une traduction en anglais de la demande internationale de brevet laquelle entrait dans la phase européenne devant l'Office européen des brevets (OEB) sous le numéro 02759818.4.
La requérante sollicitait à titre principal que la langue de la procédure soit désormais l'anglais. Elle expliquait que la Convention sur le brevet européen(CBE) n'interdisait pas ce changement lors de l'entrée dans la phase régionale, ajoutant que les dispositions de l'article 158 (2) CBE 1973 permettaient de soumettre la demande internationale de brevet dans l'une quelconque des langues officielles de l'Office.
Si la requête devait être rejetée, invoquant la décision J 18/90 (JO OEB 1992, 511), elle sollicitait, à titre subsidiaire, que toute la procédure écrite, incluant les décisions, soit rédigée par l'OEB dans la langue anglaise.
Pour le cas où il ne serait pas fait droit à ses demandes, elle sollicitait une décision susceptible de recours.
Par notification selon l'article 113 CBE 1973 datée du 6 juillet 2004, la requérante était avisée par un agent des formalités agissant pour la division d'examen qu'il ne pouvait être fait droit à ses requêtes.
III. La requérante sollicitait de nouveau une décision susceptible de recours.
L'agent des formalités agissant pour la division d'examen prononçait le 13 décembre 2006 une décision par laquelle il déboutait la requérante de ses demandes aux motifs suivants :
1º Requête visant à substituer l'anglais à la langue de la procédure en français.
La demande de brevet ayant été déposée et publiée par le Bureau International en français, le français est la langue de la procédure pour la phase européenne
(articles 14(3) et 158 CBE 1973).
Conformément à l'article 14(3) CBE 1973, la langue officielle de l'OEB dans laquelle la demande de brevet européen a été déposée doit être utilisée, sauf s'il en est disposé autrement par le règlement d'exécution, dans toutes les procédures devant l'OEB relatives à cette demande ou au brevet délivré à la suite de cette demande. La suppression de la règle 3 CBE 1973 a éliminé toute possibilité de changer la langue de la procédure.
2º Requête visant à ce que l'OEB utilise l'anglais dans toutes les procédures écrites et décisions.
Les dispositions de l'article 14(3) CBE 1973 sont dépourvues de toute ambiguïté et ne laissent apparaître aucune lacune de réglementation, de telle sorte que la règle 2 CBE 1973 ne peut s'appliquer, même par analogie. La règle 3 CBE 1973 a été supprimée afin d'éviter les problèmes par rapport à la substitution de la langue de la procédure. La décision J 18/90 (JO OEB 1992, 511), par ailleurs isolée, n'est pas suivie par les organes de l'OEB. La pratique de l'OEB décrite dans les directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB envisage que dans la procédure écrite, toute partie peut utiliser une quelconque des langues officielles de l'OEB.
Toutefois, dans cette procédure, l'OEB utilise la langue de la procédure au sens de l'article 14(3) CBE 1973.
IV. Par lettre datée du 6 février 2007, reçue à l'OEB le même jour, la requérante formait un recours contre cette décision et payait la taxe de recours correspondante.
Pour solliciter la réformation de la décision soumise au recours et la substitution dans la procédure de l'anglais au français, celle-ci soutenait à titre principal dans le mémoire exposant les motifs du recours daté et reçu le 2 avril 2007 notamment que :
- aucune disposition de la CBE, et en particulier pas celle de l'article 158 CBE 1973, n'exige que la langue officielle de l'OEB utilisée pour rédiger la demande internationale de brevet soit maintenue au cours de la procédure subséquente devant l'Office,
- l'interprétation restrictive énoncée dans la décision contestée est discriminatoire et juridiquement erronée; elle est de nature à porter préjudice aux intérêts des sociétés commerciales internationales qui ont l'anglais comme langue usuelle lorsque des filiales françaises déposent des demandes de brevet dans une langue autre que l'anglais,
- le dépôt à titre de demande principale de la traduction en langue anglaise de la demande internationale de brevet rédigée en français au moment de l'entrée dans la phase régionale est conforme aux dispositions de l'article 14(3) CBE 1973,
- au moment de l'entrée dans la phase régionale, elle a respecté les dispositions de l'article 158(2) et (3) CBE 1973 en fournissant une traduction en anglais de la demande internationale de brevet originellement rédigée en français,
- une nouvelle publication de la demande PCT n'est pas nécessaire du fait qu'elle a déjà fait l'objet d'une publication en français,
- aucune disposition de l'article 158 CBE 1973 n'impose que la langue officielle utilisée lors de l'entrée de la demande dans la phase régionale devant l'Office européen des brevets soit la même que la langue officielle de l'OEB dans laquelle la demande internationale de brevet a été déposée et publiée,
et à titre subsidiaire, pour le cas où il ne serait pas fait droit à la requête principale que :
- la demande internationale de brevet, entrée dans la phase régionale, soit considérée comme une demande de brevet européen en application à la règle 1(1) CBE 1973 et que, conformément à la décision J 18/90 (JO OEB 1992, 511), ainsi qu'à la décision T 788/91 en date du 25 novembre 1994, l'ensemble de la procédure écrite et des décisions soit rédigé en anglais,
- la motivation contenue dans la décision contestée selon laquelle la décision J 18/90 serait une décision isolée qui serait devenue obsolète du fait de la suppression des dispositions de la règle 3 CBE 1973 est erronée en raison de ce que cette décision a été prononcée postérieurement à la publication de la modification de la règle 1 CBE 1973 et de l'abrogation de la règle 3 CBE 1973 dont les effets sont entrés en vigueur le 1er juin 1991, et de ce qu'en son point 1.2, la décision énonce explicitement que la suppression de la règle 3 CBE 1973 n'a certainement pas interdit que la langue de la procédure ne soit pas changée avec l'accord des parties à la procédure, ce que confirme le
commentateur Dirk Visser dans son ouvrage "Annotated European Patent Convention", 14th Edition, page 355, premier paragraphe,
- les dispositions de la règle 107(1) CBE 1973 sont respectées, quand bien même la langue utilisée est l'anglais au lieu et place du français, et alors surtout que le changement de langue n'est pas de nature à influencer la suite de la procédure d'examen du brevet.
Pour le cas où la langue anglaise ne serait pas utilisée au cours de la procédure, la requérante demandait in fine de traiter la demande internationale de brevet en phase régionale comme constituant une demande de brevet européen.
V. S'il ne devait pas être fait droit à ses demandes, la requérante sollicitait la tenue d'une procédure orale.
VI. Dans une communication datée du 20 décembre 2007, la Chambre de recours juridique exprimait un avis préliminaire selon lequel le recours formé contre la décision de la division d'examen devait être rejeté en vertu du principe de l'immuabilité de la langue de la procédure laquelle ne pouvait être modifiée en cours de procédure à l'initiative des parties ou de l'OEB.
VII. Par lettre datée du 10 avril 2008, la requérante indiquait qu'elle ferait référence au cours de la procédure orale aux dispositions des articles 81 et 86 du Traité de Rome.
VIII. La requérante développait oralement les arguments qu'elle avait exposés par écrit. Elle y ajoutait que le principe de la protection de la confiance légitime exigeait que les organes de la première instance et les chambres de recours ne s'écartent pas de la jurisprudence établie, les instances du premier et du second degré s'étant toujours conformées à cette jurisprudence. Elle indiquait également que l'usage de la langue anglaise en tant que langue de la procédure était conforme à l'esprit des dispositions de l'Accord sur l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens fait à Londres le 17 octobre 2000.
Elle évoquait ensuite brièvement les dispositions des articles 81 et 86 du Traité de Rome.
Pour le cas où la chambre estimerait ne pas pouvoir faire droit à sa demande de changement de la langue de la procédure, elle sollicitait la saisine de la Grande Chambre de recours afin que lui soient posées les questions suivantes :
1º Dès l'entrée dans la phase régionale devant l'Office européen des brevets d'une demande de brevet européen dérivée d'une demande de brevet PCT publiée dans l'une des langues officielles de l'Office, la langue de la procédure peut-elle être l'une quelconque des langues officielles de l'Office européen des brevets ?
2º Au cours de la procédure écrite devant l'Office européen des brevets, les organes de l'Office doivent-ils ou peuvent-ils utiliser une langue officielle autre que la langue de la procédure si le demandeur le requiert ?
Dans leur version originale, comme formulé par la requérante en anglais, le libellé des questions est le suivant :
Upon entry into the EP regional phase of a European patent application from a PCT patent application published in one of the official EPO languages, can the language of the proceedings be any other of the official EPO languages ?
In written proceedings before the EPO, are the organs of the EPO obliged or entitled to use an official language other than the language of the proceedings if requested by the applicant ?
Motifs de la décision
Sur la requête principale tendant à ce que l'anglais soit la langue de la procédure dans la phase régionale.
1. Les dispositions juridiques applicables.
1.1 Dans la présente affaire, la Chambre de recours juridique se trouve confrontée à un problème de langue qui justifie l'application des dispositions, d'une part du traité de coopération en matière de brevets (PCT) sur la base du texte en vigueur à partir du 1er avril 2002, la demande PCT ayant été déposée le 5 avril 2002, d'autre part de la Convention sur le brevet européen (CBE), la demande étant entrée dans la phase européenne le 3 novembre 2003.
1.2 Certaines dispositions de la CBE 1973 ayant trait au régime des langues lors de l'entrée dans la phase régionale devant l'Office européen des brevets (OEB) ont été modifiées par le nouveau texte de la convention, adopté par une décision du Conseil d'administration en date du 28 juin 2001 (JO OEB 2001, Edition spéciale nº4, 55) qui est devenu partie intégrante de l'Acte du 29 novembre 2000 portant révision de la convention, en vertu de l'article 3(2), deuxième phrase de cet Acte.
L'article 7 de l'Acte de révision de la CBE en date du 29 novembre 2000 prévoit des dispositions transitoires lesquelles ont fait l'objet d'une autre décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001 (JO OEB 2001, Edition spéciale nº4, 139).
Selon l'article 1.1 de la décision du Conseil d'administration relative aux dispositions transitoires au titre de l'article 7 de l'Acte de révision de la Convention sur le brevet européen du 29 novembre 2000, les articles 14(3) à (6), 70 et 90 CBE ayant notamment un rapport avec les langues officielles de l'Office européen des brevets sont applicables aux demandes de brevet européen pendantes.
L'article 1.6 de la décision susvisée prévoit également que les articles 150 à 153 CBE sont applicables aux demandes internationales pendantes à la date de leur entrée en vigueur.
L'article 2 première phrase de la décision du Conseil d'administration du 7 décembre 2006 modifiant le règlement d'exécution de la Convention sur le brevet européen 2000 (JO OEB 2007, 8) envisage que le règlement d'exécution de la CBE 2000 s'applique à l'ensemble des demandes de brevet européen, des brevets européens et des décisions des instances de l'OEB ainsi qu'aux demandes internationales, dans la mesure où ils sont soumis aux dispositions de la CBE 2000.
1.3 La présente demande internationale est entrée dans la phase régionale le 3 novembre 2003, soit sous l'empire des dispositions de la CBE 1973.
La Chambre de recours juridique estime qu'en dépit des dispositions des articles 1.1 et 1.6 susvisés de la décision du Conseil d'administration relative aux dispositions transitoires, les nouvelles dispositions de la CBE 2000 ne s'appliquent pas à la présente espèce en ce qui concerne le régime de la langue à respecter lors de l'entrée en phase régionale devant l'OEB d'une demande internationale.
L'entrée dans la phase régionale devant l'OEB doit se faire dans des délais prescrits et leur respect ainsi que leur non-respect a pour conséquence de produire des effets juridiques immédiats.
Si certaines conditions prescrites pour l'entrée dans la phase régionale n'étaient pas remplies à l'expiration des délais, la demande de brevet européen serait réputée retirée, confère la règle 108(1) CBE 1973.
Il existerait en effet une insécurité juridique si la loi modifiée, intervenue postérieurement à la date à laquelle les conditions pour l'entrée dans la phase régionale devaient être établies venait à s'appliquer.
La Chambre de recours juridique suit donc les principes énoncés dans la décision J 10/07 en date du 31 mars 2008, (à publier dans JO OEB) point 1.2 des motifs.
Il en résulte qu'à la date du 3 novembre 2003, la requérante était soumise aux dispositions de la CBE 1973 ainsi qu'à celles contenues dans le règlement d'exécution de ladite Convention, ces mêmes dispositions devant être appliquées par la Chambre de recours juridique à la décision rendue après l'entrée en vigueur de la CBE 2000.
1.4 La question se pose donc de savoir si, sous l'empire des dispositions PCT et de la CBE 1973, la requérante, en déposant une traduction de la demande internationale rédigée et publiée dans l'une des langues officielles de l'OEB dans une autre langue officielle de l'OEB lors de son entrée dans la phase régionale pouvait faire valoir que la langue de la procédure devait désormais être au cours de la phase européenne la langue de la demande traduite, ici l'anglais.
2. Sur les observations faites au cours de la procédure devant la Chambre de recours juridique.
2.1 Dans sa communication datée du 20 décembre 2007, la Chambre de recours juridique a émis une opinion provisoire négative sur la requête en changement de la langue de procédure aux motifs notamment que :
- les dispositions du PCT semblent démontrer le caractère prédominant de la langue de dépôt qui paraît constituer la langue de la procédure pour la suite de la procédure PCT, sauf les cas expressément définis au cours de la procédure par des dispositions langagières spéciales,
- la langue à utiliser au cours de la procédure internationale est prescrite par les dispositions des articles 3.4)i), 11.1)ii), 21.4), 22.1), première phrase, et celles des règles 12, 48.3 et 55.1 du PCT. La demande internationale de brevet ayant été déposée en français, le français semble constituer la langue de la procédure au stade de la procédure PCT,
- l'ensemble des dispositions des articles 14(3), 14(6) et (7), 70(1), 158(1), (2) et (3) CBE 1973 ainsi que celles des règles 1(1) et (2), 4, et 107(1) CBE 1973 sous l'empire desquelles la décision contestée a été rendue semble consacrer le principe de l'immuabilité de la langue officielle utilisée dans la demande de brevet ou pour sa traduction dans une langue officielle de l'OEB, conformément à l'article 14(2) première phrase CBE, laquelle langue doit constituer la langue de la procédure,
- cette immuabilité semble s'imposer tant aux chambres de recours qu'aux parties à la procédure et constituer un choix assumé lors du dépôt de la demande ou de sa traduction dans une langue officielle de l'OEB par le demandeur ou par son mandataire qui sont les mieux à même de savoir quelle est la langue de la procédure qui constituera pour eux le meilleur vecteur pour divulguer et défendre l'invention,
- les dispositions de la règle 3 CBE 1973 qui envisageaient la possibilité à la requête du demandeur ou du titulaire d'un brevet, et après consultation des autres parties à la procédure, de substituer à la langue de la procédure l'une de ses autres langues officielles en tant que nouvelle langue de la procédure ont été abrogées à compter du 1er juin 1991,
- la remise d'une traduction en anglais de la demande internationale de brevet rédigée en français ne semble pas conforme aux dispositions de l'article 158(2) et (3) CBE 1973 dans la mesure où la demande internationale rédigée dans l'une des langues officielles de l'OEB ne justifie pas la production d'une traduction dans l'une des autres langues officielles de l'Office,
- il n'apparaît juridiquement pas envisageable d'accorder une autonomie juridique à la traduction en anglais de la demande de brevet rédigée en français et d'accorder une quelconque indépendance juridique à la traduction de la demande internationale de brevet par rapport à la demande originelle en français.
2.2 La requérante a contesté l'avis provisoire émis par la Chambre de recours juridique.
Elle a notamment réaffirmé qu'elle était fondée à requérir que la procédure d'examen de sa demande internationale lors de l'entrée dans la phase régionale se poursuive en anglais avec le dépôt d'une traduction en anglais de ladite demande internationale originellement déposée en français.
Que les dispositions de l'article 150(3) CBE 1973 ne lui interdisaient pas de déposer une traduction en langue anglaise de la demande internationale dès lors qu'elle a respecté les dispositions prévues par la règle 107(1)a) CBE 1973 qui prévoient la remise d'une traduction de la demande internationale requise en vertu de l'article 158(2) CBE 1973.
Qu'elle n'a enfreint aucune des dispositions de la CBE 1973 puisqu'elle a remis à l'OEB une traduction de la demande internationale dans l'une de ses langues officielles.
2.3 Le problème juridique soulevé par l'argumentation de la requérante peut être résumé de la façon suivante :
Dans le cas où une demande internationale a été déposée dans une langue prescrite par l'article 3(4) et par la règle 12.1 PCT, mais qui n'est pas une langue officielle de l'OEB, le régime linguistique établie par la CBE par l'article 14(1) CBE ne devrait pas s'appliquer en vertu des dispositions de l'article 150(2) CBE 1973 troisième phrase selon lesquelles les dispositions du PCT prévalent en cas de divergence avec celles de la CBE.
Dans ce cas, la langue de la procédure pour la phase européenne est fixée seulement lorsque la demande internationale est remise à l'OEB dans l'une des langues officielles en vertu de l'article 158(2) CBE 1973.
Il se pose donc la question de savoir si, comme la requérante le prétend, l'article 158(2) CBE 1973 contient un principe général concernant toutes les demandes internationales (voir aussi l'article 150(1) CBE 1973) incluant les demandes qui avaient déjà été déposées dans une langue officielle de l'OEB (voir aussi point 7.3 ci-après).
Sur la requête subsidiaire tendant à ce que la langue anglaise soit utilisée par l'OEB dans toutes les procédure écrites et pour la rédaction des décisions.
3. Sur les moyens soulevés par la requérante.
Pour le cas où la Chambre de recours juridique ne ferait pas droit à sa requête principale, la requérante demandait que la langue anglaise soit utilisée par l'OEB dans toutes les procédures écrites ainsi que pour la rédaction des décisions.
Elle contestait les arguments développés par la division d'examen dans la décision frappée de recours selon lesquels l'abrogation de la règle 3 CBE 1973 interdisait désormais toute substitution d'une langue officielle par une autre et que la décision J 18/90 constituait une décision isolée dépourvue d'effet juridique.
Elle maintenait que la décision J 18/90 analysait exactement les dispositions de la CBE 1973 en ce qui concerne l'utilisation des langues officielles par les instances de l'OEB et soutenait que la Chambre de recours juridique devait se conformer à cette jurisprudence.
4. Sur les dispositions applicables.
La requête tendant à ce que l'OEB utilise la langue anglaise au cours de la procédure écrite concerne le déroulement futur de la procédure devant l'OEB et n'a pas pour objet d'affecter la validité juridique d'un acte entrepris avant l'entrée en vigueur de la CBE 2000.
C'est pourquoi les observations de la Chambre de recours juridique telles que développées au point 1.3 ci-dessus qui concernent la langue de la procédure et son éventuel changement lors de l'entrée dans la phase régionale ne s'appliquent pas à la requête subsidiaire.
Conformément à l'article 1.1 de la décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001, les dispositions de l'article 14(3) CBE 2000 sont applicables aux demandes de brevet européen pendantes, ce qui signifie qu'en vertu des dispositions de l'article 2, première phrase de la décision du Conseil d'administration du 7 décembre 2006 modifiant le règlement d'exécution de la CBE 2000, les règles 3 et 4 du nouveau règlement d'exécution sont également applicables.
5. Sur l'historique de la législation.
La CBE 2000 n'a redéfini ni ce qu'il faut comprendre par langue de la procédure ni les conditions dans lesquelles l'OEB peut utiliser une autre langue officielle au cours de la procédure.
Il s'en déduit que les considérations qui ont amené le législateur sous l'empire de la CBE 1973 à abroger la règle 3 CBE 1973 demeurent pertinentes pour l'interprétation de la nouvelle CBE.
La règle 3 telle qu'issue de la CBE 1973 prévoyait qu'à la requête du demandeur ou du titulaire du brevet, et après consultation des autres parties à la procédure, l'OEB pouvait autoriser la substitution à la langue de la procédure de l'une de ses autres langues officielles en tant que nouvelle langue de la procédure.
En revanche, la règle 1 CBE 1973 ne prévoyait la possibilité de produire des documents dans l'une des langues officielles de l'Office européen des brevets que pour les personnes faisant opposition et les tiers intervenant dans une procédure d'opposition.
Ces dispositions ont été modifiées par décision du Conseil d'administration en date du 7 décembre 1990 (JO OEB 1991, 4), avec entrée en vigueur le 1er juin 1991.
La règle 1 CBE 1973 prévoyait que dans toute procédure écrite devant l'Office européen des brevets, toute partie pouvait utiliser l'une des langues officielles de l'OEB.
La règle 3 CBE 1973 a été en revanche abrogée aux motifs que les modifications apportées à la règle 1 CBE 1973 et la suppression de la règle 3 CBE 1973 étaient destinées "à simplifier et à libéraliser la procédure actuelle concernant l'utilisation et le changement de la langue de la procédure. La pratique à l'OEB a montré que l'application de la règle 3 entraîne un certain nombre de problèmes (entre autres, non-utilisation de la bonne langue officielle pour la rédaction de notifications de la division d'examen ou pour la publication de la page de titre des documents européens A et B". (Confère le document CA/52/90 sur les modifications du règlement d'exécution de la Convention sur le brevet européen et du règlement relatif aux taxes datée du 31 août 1990 - pages 2 à 4 - et le communiqué en date du 3 juin 1991 relatif à la modification du règlement d'exécution de la CBE et du règlement relatif aux taxes, JO OEB 1991, 300).
Les travaux sur la modification du règlement d'exécution de la Convention sur le brevet européen (CA/52/90 daté du 31 août 1990) visant à abroger la règle 3 CBE 1973 soulignent que si toute partie à une procédure devant l'OEB peut déposer des documents dans l'une quelconque des langues officielles de l'OEB, en revanche, l'OEB continuera à conduire la procédure dans la langue de la procédure conformément à l'article 14(3) CBE 1973.
L'admission préconisée par la requérante de la règle selon laquelle, au cours de la procédure écrite, et notamment pour la rédaction des décisions, la substitution à la langue de la procédure de l'une quelconque des deux autres langues officielles de l'Office serait à nouveau possible reviendrait à restaurer une disposition expressément abrogée.
De ce qui précède, il n'est pas certain que les dispositions de la CBE consentent à ce que les parties ou les instances de l'Office disposent à leur convenance de la langue qui doit être utilisée par l'OEB au cours de la procédure.
6. Sur la jurisprudence
La décision J 18/90(JO OEB 1992, 511) semble contrevenir aux dispositions de l'article 14(3) CBE 1973 lesquelles correspondent dans leur esprit aux dispositions de l'article 14(3) CBE selon lesquelles la langue officielle de l'Office européen des brevets dans laquelle la demande de brevet a été déposée ou traduite doit être utilisée, sauf s'il en est disposé autrement par le règlement d'exécution, dans toutes les procédures devant l'Office européen des brevets relatives à cette demande ou au brevet à la suite de cette demande.
La décision T 788/91 datée du 25 novembre 1994 (point 2. des motifs) ne permet pas de savoir à quel stade la décision d'user de la langue allemande au lieu et place de la langue anglaise a été prise, ni exactement sur quel fondement juridique repose cette décision du fait que la motivation semble exclusivement fondée sur la décision J 18/90.
S'agissant du point 1.1 de la décision J 18/90 qui fait référence aux décisions G 1/83 (JO OEB 1985, 60), G 5/83 (JO OEB 1985, 64) et G 6/83 (JO OEB 1985, 67) prononcées à propos de la "deuxième indication médicale" rendues à une date où les dispositions de la règle 3 CBE 1973
n'étaient pas encore abrogées, il apparaît à la Chambre de recours juridique que ces décisions ne semblent pas devoir s'appliquer à la présente espèce.
Les décisions J 30/90(JO OEB 1992, 516, point VIII. des faits et conclusions), J 34/90 en date du 26 novembre 1991(point IX. des faits et conclusions), J 4/91(JO OEB 1992, 402, point V. des faits et conclusions), J 5/91 (JO OEB 1993, 657, point IV. deuxième paragraphe des faits et conclusions), J 8/94(JO OEB 1997, 17, point 1. des motifs.), J 20/96 en date du 28 septembre 1998, point XII. dernier paragraphe des faits et conclusions), T 1102/00 en date du 1 juin 2004 (point 1. des motifs), T 1125/00 en date du 29 avril 2003 (point 1. des motifs), T 1443/04 en date du 16 septembre 2007(point 1. des motifs) et D 27/97 en date du 18 août 1999 (point 1. des motifs)prononcées par les chambres de recours et la chambre de recours disciplinaire ont toutefois admis, avec l'accord de la ou des parties, que les décisions soient rédigées dans une langue officielle de l'OEB autre que la langue de la procédure.
Toutes ces décisions qui font expressément référence à la décision J 18/90 semblent adopter au moins implicitement la motivation qui y est contenue.
Cela aurait comme conséquence que les organes de l'OEB pourraient dans leur communication écrite avec les parties, y compris dans les décisions prononcées, s'exprimer dans une langue officielle de l'Office autre que celle constituant la langue de la procédure.
Sur la saisine de la Grande Chambre de recours.
7. Les dispositions de l'article 112 CBE prévoient qu'afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose, la chambre de recours, soit d'office, soit à la requête de l'une des parties, saisit en cours d'instance la Grande Chambre de recours lorsqu'elle estime qu'une décision est nécessaire à cette fin.
La Chambre de recours juridique se situe ici dans ce cas de figure.
Aucune décision de la Grande Chambre de recours ne fournit de réponse aux questions à trancher par la Chambre de recours juridique.
7.1 Sur l'importance fondamentale de la question des langues,
sur la situation des langues dans les instances
internationales en général et à l'Office européen des
brevets en particulier.
Le statut des langues dans le fonctionnement d'une organisation internationale a toujours été un sujet sensible et a souvent constitué une des pierres d'achoppement dans la construction des institutions européennes, y compris dans celle de l'Office européen des brevets.
Ce constat s'est encore vérifié lors de la Conférence intergouvernementale tenue à Londres le 17 octobre 2000 (JO OEB 2001, 549) sur l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens dit Accord de Londres ainsi que sur la mise en oeuvre de la Convention sur le brevet communautaire (Convention de Luxembourg du 15 décembre 1975).
7.2 Sur l'application uniforme du droit.
Il résulte de la discussion et de l'analyse jurisprudentielle susvisées que la Chambre de recours juridique se trouve confrontée à une difficulté majeure.
Il apparaît, en premier lieu, en ce qui concerne la requête subsidiaire, que la grande majorité des décisions des chambres de recours est rédigée dans la langue de la procédure sans que l'emploi de celle-ci fasse débat.
Toutefois, en se proposant de rejeter la demande tendant à ce que toutes les écritures rédigées par l'OEB, y compris les décisions, le soient dans une langue officielle autre que la langue officielle qui a servi à rédiger la demande, la Chambre de recours juridique se démarquerait d'une jurisprudence que consacrent de multiples décisions prononcées successivement au cours des années passées, jurisprudence de nature à donner l'impression aux utilisateurs du système qu'il s'agit d'une pratique établie.
7.3 Sur l'opportunité de la saisine de la Grande Chambre de
recours.
En second lieu, s'agissant de la requête principale, en dépit de ce que le problème lié à la requête en substitution d'une langue officielle de l'OEB par une traduction dans autre langue officielle au moment de l'entrée dans la phase régionale de la demande internationale ne semble pas avoir dans le passé donné lieu au sein des instances de l'OEB à des décisions controversées, il convient d'admettre que les dispositions de l'article 158(2) CBE 1973 peuvent être interprétées au moins littéralement de la façon préconisée par la requérante.
La Chambre de recours juridique estime opportun que la Grande Chambre de recours décide sur le problème de savoir si à une demande internationale de brevet déposée et publiée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) dans une langue officielle de l'OEB, peut être substituée au moment de l'entrée dans la phase régionale devant l'OEB, une traduction de la demande dans l'une des autres langues officielles de l'OEB avec l'effet que la langue de la traduction soit désormais considérée comme constituant la langue de la procédure.
7.4 Sur la nécessité de saisir la Grande Chambre de recours
en dépit d'un vice de procédure.
La Chambre de recours juridique a remarqué que dans la cas présent, il existe un problème lié à la compétence de l'organe de l'OEB qui a rendu la décision frappée du recours.
La décision incriminée a été prise par un agent des formalités pour le compte de la division d'examen alors que le communiqué du Vice-Président chargé de la direction générale 2, en date du 28 avril 1999, visant à confier aux agents des formalités certaines tâches incombant normalement aux divisions d'examen de l'OEB ne contient pas de dispositions prévoyant un tel transfert de compétence.
Cette absence de dispositions peut s'expliquer par le fait, qu'à la date du communiqué du Vice-Président, le 28 avril 1999, le changement de la langue de la procédure et l'utilisation d'une autre langue officielle dans les écritures de l'OEB n'étaient pas considérés comme possible par suite de l'abrogation de la règle 3 CBE 1973.
L'agent des formalités n'apparaissait dès lors pas compétent pour prononcer une telle décision au nom de la division d'examen.
Mais usant du pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les dispositions de l'article 111(1) deuxième phrase CBE, ainsi que celles de l'article 11 du règlement de procédure des chambres de recours de l'OEB, la Chambre de recours juridique, en dépit du vice de procédure constaté estime qu'il y a lieu d'exercer les compétences de l'instance qui aurait dû prendre la décision attaquée.
En effet, la nature des questions purement juridiques à examiner, la durée de la procédure en première instance et la nécessité de faire trancher définitivement la question de la langue à utiliser par les instances de l'OEB afin que la procédure d'examen de la demande de brevet soit enfin engagée constituent un ensemble de raisons particulières qui justifient que l'affaire ne soit pas renvoyée à la première instance.
7.5 Conclusions
La requête formée par la requérante justifie donc la saisine de la Grande Chambre de recours afin qu'elle soit interrogée sur les questions qui seront exprimées dans le dispositif de la présente décision.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de
recours :
1º Lorsqu'une demande internationale de brevet a été déposée et publiée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) dans une langue officielle de l'Office européen des brevets (OEB), le demandeur peut-il, dès l'entrée dans la phase régionale devant l'OEB, déposer une traduction de la demande dans l'une des autres langues officielles de l'OEB avec l'effet que la langue de la traduction soit désormais considérée comme constituant la langue de la procédure qui doit être utilisée dans toutes les procédures devant les instances de l'OEB ?
2º Si la réponse à cette question est négative, les organes de l'OEB peuvent-ils utiliser dans la procédure écrite d'une demande européenne de brevets (ou d'une demande internationale entrée en phase régionale) une des langues officielles de l'OEB autre que celle de la procédure utilisée pour la demande ?
3º Si la réponse à la deuxième question est positive, quels sont les critères à appliquer pour déterminer la langue officielle qui sera utilisée ?
En particulier, les organes de l'OEB doivent-ils faire droit à une telle requête émanant d'une ou des parties ?