T 0059/87 (Additif réduisant le frottement/MOBIL II) 26-04-1988
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Les questions suivantes, qui concernent des points de droit d'importance fondamentale, sont soumises à la Grande Chambre de recours aux fins de décision:
1. Dans les cas où il est présenté au cour d'une procédure d'opposition des modifications des revendications entraînant un changement de catégorie de ces revendications (en l'espèce: remplacement d'une revendication portant sur un "composé" par une revendication portant sur "l'utilisation dans un but détérminé de ce composé dans une composition"), quelles sont les considérations qui doivent inspirer la décision relative à l'admissibilité de ces modifications au regard des dispositions de l'article 123(3) CBE? en particulier, dans quelle mesure convient-il de tenir compte des législations nationales des Etats contractants en matière de contrefaçon?
2. Est-il possible, au cours de la procédure d'opposition, de modifier un brevet comportant des revendications relatives à un "composé" et à une "composition comprenant ce composé", de manière à ce que l'objet des revendications devienne "l'utilisation" dans un but précis "de ce composé dans une composition?
3. Une revendication portant sur l'utilisation d'un composé dans un but précis, ne relevant pas du domaine médical, est-elle nouvelle, au sens où l'entend l'article 54 CBE, par rapport à un document antérieur qui divulgue la mise en oeuvre de ce même composé dans un but différent, ne relevant pas du domaine médical, la nouveauté de la revendication résidant de ce fait uniquement dans le but dans lequel le composé est utilisé?
Modification au cous de la procédure d'opposition
Changement de catégorie (en l'espèce: remplacement d'une revendication portant sur un "composé" et sur une "composition" par une revendication portant sur "l'utilisation d'un composé dans un but précis)
Nouveauté de l'objet d'une telle revendication "d'utilisation" par rapport à la divulation de l'utilisation du même composé dans un but different
Renvoi à la Grande Chambre de Recours de questions ayant trait aux modifications et à la nouveauté.
I. Le brevet européen n° 36 708 a été contesté par un acte d'opposition, produit le 4 décembre 1984, dans lequel il était allégué en particulier que l'objet revendiqué n'était pas nouveau ou du moins n'impliquait pas d'activité inventive par rapport à un certain nombre de documents, notamment :
(1) le brevet US 2 795 548 et
(2) le brevet US 3 117 089.
La titulaire du brevet a réagi en produisant des revendications modifiées.
Dans sa décision, la Division d'opposition a estimé que les revendications modifiées produites à titre de requête principale étaient admissibles au regard de l'article 123 CBE, que leur objet était nouveau, mais qu'il n'impliquait pas d'activité inventive.
II. La titulaire du brevet a formé un recours en bonne et due forme. Elle a maintenu sa requête principale puis, durant la procédure de recours, elle a également présenté une requête à titre subsidiaire.
III. L'objet du brevet est un additif pour huile lubrifiante. Cet additif contient des composés d'hydroxyester boratés répondant aux formules générales développées énoncées dans la description et dans les revendications. Cet additif sert principalement à réduire le frottement des surfaces en mouvement dans les moteurs, les moteurs d'automobile notamment.
Le brevet a été délivré sur la base de revendications définissant ces composés et d'une revendication définissant une composition lubrifiante comprenant un tel composé.
La revendication principale faisant l'objet de la requête principale définit une "composition lubrifiante" consistant en :
(a) une majeure portion d'une huile lubrifiante ;
(b) ledit additif, dans la proportion d'au moins 1 pour cent en poids.
Les exemples fournis dans la description divulguent une utilisation de l'additif dans la proportion de 1, 2 et 4 pour cent. Selon la description initiale sur la base de laquelle le brevet a été délivré, la proportion d'additif peut varier entre environ 0,1 et 10 pour cent et devrait se situer de préférence entre 0,5 et 5 pour cent environ.
IV. Les documents cités, le document (2) en particulier, divulguent l'utilisation de ces mêmes composés ou de composés apparentés comme additifs dans des huiles, notamment les huiles lubrifiantes, afin d'empêcher que de la rouille ne se forme lorsque l'huile est au contact d'un métal ferreux. Les exemples fournis dans le document (2) divulguent l'utilisation d'une quantité d'additif comprise entre 0,1 et 0,5 pour cent. Selon la description, il est avantageux d'utiliser une quantité d'additif allant environ de 0,001 à 10 pour cent et de préférence égale à 2 pour cent environ, les quantités employées pouvant toutefois, selon les besoins, être augmentées ou diminuées par rapport à ce chiffre, pour empêcher la formation de rouille.
V. A l'issue de la procédure orale, la Chambre a rejeté la requête principale de la requérante. Celle-ci, invoquant la décision T 198/84 "Thiochloroformiates" (JO OEB 1985, 209), a prétendu que, puisqu'il résultait d'une "sélection" opérée parmi les divulgations du document (2), l'objet revendiqué selon la requête principale était brevetable.
La Chambre estime que, par rapport à la composition lubrifiante divulguée dans le document (2), qui contient pour au moins 1 pour cent de son poids un additif constitué des mêmes composés, la revendication principale selon la requête principale ne présente pas un caractère de nouveauté. Le 26 avril 1988, la Chambre a rendu une décision en ce sens.
VI. Dans la revendication principale selon la requête déposée à titre subsidiaire par la requérante, l'objet pour lequel la protection est recherchée est défini comme suit :
"Utilisation d'une quantité (de composés définis conformément à des formules développées) représentant au moins 1 pour cent du poids total de la composition, en tant qu'additif réduisant le frottement dans une composition lubrifiante consistant en une majeure portion d'une huile lubrifiante".
VII. Afin de pouvoir statuer sur la requête subsidiaire, la Chambre doit déterminer :
(i) si une revendication ainsi modifiée, appartenant à une catégorie de revendications différente, est admissible au regard des dispositions de l'article 123(3) CBE
(ii) si l'objet revendiqué est nouveau au regard des dispositions de l'article 54 CBE
(iii) si l'objet revendiqué implique une activité inventive au regard des dispositions de l'article 56 CBE.
1. L'article 112(1)a) CBE dispose qu'une chambre de recours peut saisir d'office la Grande Chambre de recours lorsqu'il est nécessaire de rendre une décision concernant une question de droit d'importance fondamentale.
2. A propos de la requête subsidiaire, la première question qui se pose est celle de l'admissibilité d'une revendication ainsi modifiée, appartenant de ce fait à une catégorie de revendications différente, eu égard aux dispositions de l'article 123(3) CBE, qui stipule que "au cours de la procédure d'opposition, les revendications ... ne peuvent être modifiées de façon à étendre la protection".
Il ressort du chapitre III de la CBE, et plus particulièrement des articles 64 et 69, que l'étendue de la protection conférée par le brevet européen est déterminée avant tout par la teneur des revendications ; d'autre part, dans la mesure où cette "protection" est identique aux "droits conférés" par un brevet, il y a lieu de la déterminer en fonction des législations nationales des Etats contractants désignés.
Par conséquent, il semble que l'article 123(3) CBE vise essentiellement à empêcher la modification des revendications d'un brevet européen pendant la procédure d'opposition engagée devant l'OEB, dans le cas où un acte qui, auparavant, n'aurait pas été un acte de contrefaçon, en deviendrait un du fait de cette modification.
Jusqu'à présent, en ce qui concerne les modifications entraînant un changement de catégorie pour les revendications, les décisions de l'OEB, y compris celles des chambres de recours, ont été en général rendues au coup par coup, et il existe peu de décisions exposant clairement l'interprétation qu'il convient de donner de l'article 123(3) CBE. Or, pour la Chambre, il s'agit là d'une question de droit d'importance fondamentale.
3. La deuxième question soulevée par la requête subsidiaire, celle de la nouveauté, ne se pose que pour autant que la modification est recevable au regard des dispositions de l'article 123(3) CBE.
Par rapport au texte de la revendication principale selon la requête subsidiaire, repris ci-dessus au point VI, il est clair que, tel qu'il est résumé ci-dessus au point IV, le document (2) divulgue l'utilisation en quantités supérieures à 1 pour cent en poids de composés tels que ceux définis dans la revendication, servant d'additif dans une composition lubrifiante consistant en une majeure portion d'une huile lubrifiante. Ainsi que cela est expliqué ci-dessus au point IV, dans le document (2), l'additif était destiné à empêcher que de la rouille ne se forme. Dans les revendications en litige, au contraire, l'additif est utilisé "pour réduire le frottement".
La question qui se pose est donc celle de savoir si, dans la présente espèce, l'utilisation revendiquée de l'additif défini comme "additif réduisant le frottement" est nouvelle, par rapport notamment à l'utilisation divulguée dans le document (2).
4. Dans sa décision T 231/85, la Chambre, dont la composition était différente à l'époque, a considéré que la revendication d'une nouvelle utilisation (comme fongicide) d'un produit connu dont l'utilisation comme régulateur de croissance avait été antérieurement divulguée remplit les conditions requises à l'article 54 CBE en matière de nouveauté, même si cette nouvelle utilisation n'implique pas de mode nouveau de réalisation (aspersion de plantes).
Si le principe sur lequel se fonde cette décision était appliqué dans la présente espèce, l'objet des revendications en litige serait considéré comme nouveau.
En revanche, d'après la législation nationale de nombreux Etats contractants, l'objet des revendications en litige serait considéré comme ne présentant pas de caractère de nouveauté, du fait essentiellement que l'utilisation de l'additif dans une composition d'huile lubrifiante, bien que présentée expressément dans le document antérieur comme destinée à empêcher la formation de rouille, est en soi également une utilisation comme additif pour la réduction du frottement.
Dans la décision Gr 06/83 "Deuxième indication médicale" (JO OEB 1985, 67, point 21), la Grande Chambre de recours a rappelé que l'article 52(1) CBE énonce "un principe général de brevetabilité", ajoutant : "il est hors de doute que la nouvelle application d'un produit connu peut être protégée par des revendications ayant pour objet précisément cette utilisation, ceci dans tous les domaines de l'application industrielle, à l'exception de l'application de produits pour la mise en oeuvre de méthodes de traitement chirurgical, thérapeutique ou de diagnostic".
La Grande Chambre a ensuite rappelé qu'en ce qui concerne la première application d'un médicament, l'article 54(5) de la CBE apporte une exception à ce principe général, dans la mesure où la nouveauté présentée par le médicament objet de la revendication dérive de la nouvelle application pharmaceutique, et en a conclu par analogie que le caractère de nouveauté de la deuxième application ou de toute application ultérieure découle toujours de la nouvelle application pharmaceutique ; elle a toutefois souligné que "le principe dégagé pour apprécier la nouveauté de la préparation n'est légitime qu'au regard d'inventions ou de revendications portant sur l'emploi d'une substance ou composition se rapportant à une méthode mentionnée par l'article 52(4) CBE" (cf. point 21).
5. Il est clair que la nouvelle utilisation d'un composé ou d'une composition connus peut parfaitement impliquer une activité inventive par rapport à l'état de la technique, que cette nouvelle application relève ou non du domaine pharmaceutique.
La question de la nouveauté d'une revendication portant sur l'utilisation dans un but nouveau d'une composition connue, même si cette nouvelle utilisation n'implique pas de mode nouveau de réalisation, est une question de droit d'une importance fondamentale pour l'industrie en général.
6. Dans la présente espèce, pour ce qui est de la question de l'activité inventive, le problème technique sur lequel repose l'objet revendiqué dans la requête subsidiaire était de fournir un nouvel additif pour composition lubrifiante, destiné à être utilisé directement pour réduire le frottement des surfaces en mouvement dans les moteurs. Selon la Chambre, aucun des documents antérieurs cités dans le cadre de la procédure d'opposition n'envisage ce problème, et l'homme du métier qui chercherait à le résoudre ne retirerait, à cet égard, aucun enseignement pertinent de la lecture de ces documents.
La Chambre juge particulièrement significatif en l'occurrence le fait que l'homme du métier savait que, normalement, une huile lubrifiante pour moteurs à explosion contient, outre des additifs inhibiteurs de corrosion et des additifs réduisant le frottement, un certain nombre d'autres additifs, tels que des agents anti-usure, des dispersants ne donnant pas de cendres, des agents tensio-actifs, des détergents, des inhibiteurs d'oxydation, des agents anti-corrosion et des agents améliorant la viscosité. Par conséquent, la Chambre considère que l'objet revendiqué selon la requête subsidiaire implique une activité inventive au regard des dispositions de l'article 56 CBE.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les questions suivantes, qui concernent des points de droit d'importance fondamentale, sont soumises à la Grande Chambre de recours aux fins de décision :
(i) Dans le cas o" il est présenté au cours d'une procédure d'opposition des modifications des revendications entraînant un changement de catégorie de ces revendications (en l'espèce : remplacement d'une revendication portant sur un "composé" par une revendication portant sur "l'utilisation dans un but déterminé de ce composé dans une composition"), quelles sont les considérations qui doivent inspirer la décision relative à l'admissibilité de ces modifications au regard des dispositions de l'article 123(3) CBE ? en particulier, dans quelle mesure convient-il de tenir compte des législations nationales des Etats contractants en matière de contrefaçon ?
(ii) Est-il possible, au cours de la procédure d'opposition, de modifier un brevet comportant des revendications relatives à un "composé" et à une "composition comprenant ce procédé", de manière à ce que l'objet des revendications devienne "l'utilisation" dans un but précis "de ce composé dans une composition" ?
(iii) Une revendication portant sur l'utilisation d'un composé dans un but précis, ne relevant pas du domaine médical, est-elle nouvelle, au sens où l'entend l'article 54 CBE, par rapport à un document antérieur qui divulgue la mise en oeuvre de ce même composé dans un but différent, ne relevant pas du domaine médical, la nouveauté de la revendication résidant de ce fait uniquement dans le but dans lequel le composé est utilisé ?