T 0144/83 (Produit anorexigène) 27-03-1986
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Traitements esthétiques
Procédés essentiellement biologiques
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen 79 300 870.8 déposée le 18 mai 1979 et publiée le 28 novembre sous le numéro 5636, qui revendiquait la priorité des demandes antérieures US-907 825 et 27 270, respectivement déposées les 19 mai 1978 et 6 avril 1979, a été rejetée par décision de la Division d'examen de l'Office européen des brevets en date du 11 mars 1983. Cette décision a été rendue sur la base des revendications 1, 2 et 3 déposées le 20 octobre 1980. Les revendications 1 et 2 s'énonçaient comme suit :
"1 - Méthode pour améliorer l'apparence physique d'un mammifère non dépendant de drogues opiacées, comprenant l'administration par voie orale de naltrexone ou d'un sel de naltrexone pharmacologiquement actif, en quantité propre à provoquer l'anorexie, et le renouvellement de la dose administrée jusqu'à l'obtention d'une perte de poids améliorant l'esthétique du sujet.
2 - Méthode faisant l'objet de la revendication 1, dans laquelle le mammifère mentionné est un être humain."
II. La demande a été rejetée au motif que, dans la mesure o" la méthode a trait à un procédé esthétique, l'objet de la revendication n'est pas susceptible d'application industrielle conformément à l'article 57 CBE. La suppression de l'appétit par l'administration de naltrexone implique l'ingestion d'un produit pharmaceutique doué d'une puissante action physiologique. Le fait que l'article 52 ne contient aucune distinction entre humains et animaux ne saurait pour autant faire peser sur la Division d'examen l'obligation de traiter les être humains et les animaux comme des équivalents ou d'admettre une revendication pour le traitement de l'homme simplement parce qu'elle pourrait être admissible dans le cas d'animaux autres que des humains. Le traitement d'un être humain à l'aide de ce produit pharmaceutique est de nature essentiellement biologique et par conséquent l'administration dudit produit ne peut être considérée comme susceptible d'application industrielle.
III. Le 18 mai 1983, le demandeur s'est pourvu contre la décision du 11 mars 1983. La taxe de recours avait été acquittée le 11 mai 1983 et le mémoire exposant les motifs du recours a été déposé le 19 juillet 1983. Par notification datée du 9 décembre 1983, la Chambre informait le requérant que l'examen du recours serait différé jusqu'à l'issue d'une procédure pendante devant la Grande Chambre de recours et qui touchait à la brevetabilité de méthodes pour le traitement thérapeutique du corps humain ou animal dans une autre affaire (cf. T 17/81, "Nimopidine/BAYER, J0 n° 7/1983, p. 266-268). La Grande Chambre de recours a ensuite décidé qu'il ne peut pas être délivré de brevet européen sur la base de revendications du type mentionné plus haut mais qu'en revanche, un brevet européen peut être délivré sur la base de revendications ayant pour objet l'application d'une substance ou d'une composition pour obtenir un médicament destiné à une utilisation thérapeutique déterminée, nouvelle et comportant un caractère inventif (Gr 06/83 "Deuxième indication médicale/PHARMUKA, JO n° 3/1985, p. 67).
IV. En ce qui concerne les traitements esthétiques du corps humain et animal, le requérant a fait valoir pour l'essentiel les arguments suivants à l'appui de son recours :
a) L'objet de l'invention relève du domaine des soins esthétiques et la revendication vise spécifiquement à améliorer l'apparence physique de l'utilisateur en provoquant une perte de poids. La manière appropriée et normale d'aborder l'interprétation d'une revendication de méthode consisterait, selon le requérant, à déterminer la finalité des étapes proposées.
b) Il existe des cas limites, où une perte de poids est également nécessaire pour des raisons médicales. Toutefois, le terme "thérapie" se distingue nettement du terme "traitement esthétique". Un représentant de l'espèce humaine qui veut perdre du poids est principalement mû par le désir d'améliorer son apparence. Inversement, il peut se révéler également nécessaire, dans la pratique, qu'un animal prenne du poids. De telles méthodes sont expressément citées comme brevetables dans les Directives pour l'examen pratiqué à l'OEB (C-IV, 4.3), à condition que ces méthodes soient "de nature technique et non de caractère essentiellement biologique". Pour préciser la différence entre nature technique et caractère essentiellement biologique, les Directives font état de l'utilisation de substances destinées à interrompre ou à stimuler la croissance des végétaux (ibid, C-IV, 3.4).
c) L'administration d'une substance chimique de synthèse à un organisme vivant ne saurait être considérée comme ayant un caractère essentiellement biologique. En outre, les revendications ne doivent pas nécessairement se limiter à l'application industrielle (cf. Directives C-IV, 4.5). Il conviendrait d'interpréter le mot "industrie" dans un sens large et le bénéfice du doute devrait être accordé au requérant, en particulier dans des procédures unilatérales devant l'OEB.
V. Le requérant conclut à l'annulation de la décision rendue en l'espèce par la Division d'examen et à la délivrance du brevet européen.
Motifs de la décision
1. Le recours satisfait aux prescriptions des articles 106, 107 et 108, et de la règle 64 CBE ; il est par conséquent recevable.
2. Dans leur rédaction actuelle, les revendications n'appellent aucune objection d'ordre formel, étant donné qu'elles sont suffisamment étayées par les documents initialement déposés. La revendication 1 s'appuie sur la revendication principale telle que déposée, et sur la page 4, lignes 26 à 32. Les autres revendications n'ont subi aucune modification par rapport au texte initial.
3. L'objet de la demande n'est pas exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 52(4) CBE, selon lequel ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d'application industrielle les méthodes de traitement thérapeutique du corps humain ou animal. De telles exclusions doivent s'interpréter de façon restrictive et ne sont pas applicables à des traitements à caractère non thérapeutique.
Quant au libellé de la revendication principale, il définit indubitablement une méthode de traitement esthétique et n'a aucun lien avec une thérapie du corps humain ou animal au sens courant de ce terme. Il en est ainsi parce que le désir d'obtenir une perte ou une prise de poids, n'est normalement pas inspiré par des considérations d'ordre médical. Un traitement esthétique est conçu pour embellir la chevelure, la peau, le teint etc. ou a pour but d'améliorer l'aspect physique (cf. Concise Oxford Dictionary, 10e édition, 1980). Une thérapie, par contre, a évidemment trait aux moyens de traiter une maladie en général ou à un traitement curatif au sens étroit du terme, de même qu'au soulagement des malaises et symptômes douloureux.
4. Il faut admettre que le traitement esthétique du corps humain ou animal, seul objet revendiqué dans la présente demande, est un adjuvant à l'utilisation thérapeutique, sans qu'il y ait une nette distinction dans certains cas. Il peut même être difficile de distinguer entre effet esthétique et effet thérapeutique, à savoir la perte de poids et le traitement de l'obésité. Il conviendrait toutefois de ne pas tourner cela au désavantage du demandeur, lequel, conformément au libellé de ses revendications, recherche la protection par brevet pour le traitement esthétique et non pour le traitement thérapeutique en tant que tel.
Le fait qu'un produit chimique a simultanément un effet esthétique et un effet thérapeutique lorsqu'il est utilisé pour le traitement du corps humain ou animal n'exclut pas de la brevetabilité le traitement esthétique.
5. La Chambre estime que l'invention répond également aux exigences de l'article 57 CBE.
Suivant cet article, l'invention est considérée comme susceptible d'application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie. Il ne fait aucun doute que c'est le cas en l'espèce, puisqu'aussi bien l'invention en cause peut être utilisée par des entreprises dont l'objet consiste à embellir le corps humain ou animal.
Des entreprises de ce genre dans le domaine des soins esthétiques, comme par exemple les instituts de beauté, font partie de l'industrie au sens de l'article 57 CBE, puisque la notion même d'industrie implique l'exercice ininterrompu et indépendant d'une activité avec un but lucratif. La Chambre a déjà décidé que "l'utilisation professionnelle de telles inventions dans un salon cosmétique est une application industrielle au sens de l'article 57 CBE" (cf. décision T 36/83 du 6 mai 1985).
6. La Chambre n'est par conséquent pas en mesure de suivre la Division d'examen dans son raisonnement, lorsque celle-ci suggère qu'un effet physiologique produit par un agent chimique est "de nature essentiellement biologique" et par conséquent dépourvu de caractère industriel. La Chambre considère que l'article 53(b) CBE n'exclut pas nécessairement la prise en considération de tels procédés, à moins qu'il ne s'agisse de "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux", Une revendication portant sur le traitement d'un végétal sans obtention d'une espèce ou variété nouvelle a donc été admise par la Chambre (cf. "Matériel de reproduction des végétaux CIBA-GEIGY, T 49/83, JO n° 3/1984, p. 112). Il s'en suit que le procédé revendiqué en la présente espèce répond aux exigences de la CBE quant à l'application industrielle (art. 57) et aux exceptions à la brevetabilité (art. 53).
7. La décision de rejet de la demande pour absence d'application industrielle ne comportant en outre aucune appréciation des autres critères de la brevetabilité, l'examen quant au fond est encore sub judice à cet égard.
Compte tenu de tous les éléments qui précèdent, la Chambre s'estime tenue d'user des pouvoirs que lui confère l'article 111(1) CBE et de renvoyer l'affaire devant la Division d'examen aux fins de poursuite de la procédure.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision entreprise est annulée.
2. L'affaire est renvoyée devant la Division d'examen aux fins de poursuite de la procédure.