T 0324/90 (Restitutio in integrum) 13-03-1991
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Restitutio in integrum
Commencement de preuve
A fait preuve de toute la vigilance nécessaire (non)
Système de contrôle des délais insatisfaisant
I. La division d'opposition a considéré, par décision intermédiaire en date du 12 février 1990, que le brevet n° 103300 et que l'invention qu'il protégeait satisfaisaient aux conditions requises par la Convention sur le brevet européen, eu égard aux modifications apportées par la titulaire.
II. L'opposante a formé un recours contre cette décision le 19 avril 1990 et acquitté la taxe de recours.
III. Le mémoire exposant les motifs du recours n'a été déposé par écrit que le 25 juin 1990.
IV. Le même jour, une requête en restitutio in integrum a été présentée et la taxe correspondante acquittée. La requérante a demandé la tenue d'une procédure orale pour le cas où la Chambre ne pourrait accorder la restitutio in integrum sur la base des conclusions écrites. Pour justifier cette requête, la requérante a fait valoir comme motif que l'inobservation du délai était due à un concours de circonstances fâcheuses que l'on pourrait résumer comme suit :
Le spécialiste des brevets chargé de cette affaire avait dicté sur cassette le 15 juin 1990 le mémoire exposant les motifs du recours, puis enfermé cette cassette dans un placard avec le dossier auquel était joint la note suivante : "T. 22.6.90 b. einhalten!" ("Attention date limite : 22 juin 1990").
Il était ensuite parti en Suisse du lundi 18 juin au vendredi 22 juin 1990. Normalement, son assistante aurait dû retirer la cassette du placard le jour suivant et l'adresser au service dactylographique central. Or il s'est trouvé que son assistante était absente elle aussi le 18 juin et les jours suivants. Normalement, le département des brevets comptait quatre assistantes, mais cette semaine-là, seules deux d'entre elles étaient présentes pour effectuer l'ensemble du travail et visiblement, aucune des deux n'avait réalisé l'importance de cette note. Le mémoire exposant les motifs du recours avait finalement été dactylographié le 21 juin 1990, puis - du fait d'une erreur d'interprétation concernant le délai indiqué - posé sur le bureau du responsable de l'affaire qui l'avait trouvé à son retour de Suisse.
Aucun commencement de preuve n'avait été produit à l'appui de la requête en restitutio in integrum.
V. Par lettre datée du 27 novembre 1990, la requérante a fourni de plus amples détails concernant l'organisation du travail dans le département central des brevets de sa société :
La personne chargée de préparer un avis pour une affaire en attente le dicte en principe sur cassette, puis transmet le dossier à une assistante, en lui indiquant le délai à observer. En règle générale, il y a une assistante pour au moins trois personnes. Les quatre assistantes travaillant à l'étage concerné se remplacent mutuellement en cas d'absence.
Dans le cas présent, le spécialiste des brevets chargé de préparer le mémoire exposant les motifs du recours n'a pas été en mesure de transmettre la cassette à son assistante, car il n'a fini la dictée de son texte le vendredi qu'après les heures de service. Son assistante aurait compris la note qu'il avait jointe au dossier, mais comme elle était malade le lundi suivant, le dossier a été envoyé au service dactylographique par une autre assistante travaillant normalement pour une autre personne. Au service dactylographique, la date limite indiquée sur la note a été interprétée comme étant le délai fixé pour effectuer la dactylographie.
La requérante a en outre indiqué que ce n'était pas les personnes responsables des affaires qui devaient veiller au respect des délais, mais d'autres employés qui étaient chargés par ailleurs de la conservation des dossiers et de l'envoi de la correspondance. L'employé concerné avait discuté de ce délai avec le responsable du dossier le 15 juin 1990 avant de partir en vacances le 20 juin 1990. Son remplaçant avait pris une demi- journée de congé le jeudi 21 juin et était absent pour cause de maladie le vendredi 22 juin.
VI. Une procédure orale s'est tenue le 13 mars 1991 et le spécialiste des brevets ayant participé à l'audience au nom de la requérante a présenté un résumé de son argumentation et montré à la Chambre la note en question ; il s'agissait d'un bout de papier rose sur lequel la date limite était écrite à l'encre rouge. Il a également présenté une fiche jaune, habituellement jointe au dossier, indiquant le délai à l'intention du service dactylographique. Il a en outre montré à la Chambre une liste de différents dossiers et des délais y afférents. Cette liste n'indiquait pas le degré d'importance de chacun de ces délais.
La requérante a demandé le rétablissement dans ses droits quant au délai qui n'avait pas été observé pour le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours.
La Chambre a rejeté la requête.
VII. Dans une lettre en date du 19 mars 1991, la requérante a demandé le remboursement de la taxe de recours.
1. L'article 108, troisième phrase CBE prévoit qu'un mémoire exposant les motifs du recours doit être déposé par écrit dans un délai de quatre mois à compter de la date de la signification de la décision. Dans la présente espèce, ce délai est arrivé à expiration le 22 juin 1990 (règles 78(3) et 83 (1), (2) et (4) CBE).
2. Aussi, pour trancher la question de la recevabilité du recours, s'agira-t-il de savoir s'il est possible ou non d'accorder le rétablissement dans les droits en ce qui concerne le délai prévu pour le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours.
3. D'après l'article 122(1) CBE, seul le demandeur ou le titulaire d'un brevet européen qui n'a pas été en mesure d'observer un délai à l'égard de l'Office européen des brevets est, sur requête, rétabli dans ses droits. Toutefois, la Grande Chambre de recours a conclu dans sa décision G 1/86, en date du 24 juin 1987 (JO OEB 1987, 447), qu'un requérant qui est également opposant peut lui aussi être rétabli dans ses droits au titre de l'article 122 CBE s'il n'a pas déposé dans les délais le mémoire exposant les motifs du recours. L'article 122 CBE est donc applicable dans la présente espèce.
La requête en restitutio in integrum satisfait aux conditions de forme visées à l'article 122(2) CBE. Il y a eu cessation de l'empêchement lorsque l'employé de la requérante, responsable du dossier, ayant trouvé le dossier sur son bureau à son retour de Suisse le 25 juin 1990, a présenté la requête en restitutio in integrum dans un délai de deux mois à compter de cette date, en l'occurrence le jour même où le délai a commencé à courir (25 juin). L'acte qui n'avait pas été accompli, à savoir le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours, a lui aussi été accompli ce même jour.
5. L'article 122(3) CBE, première phrase dispose que "la requête doit être motivée et indiquer les faits et les justifications invoqués à son appui." La version française, ainsi que la version anglaise ("the application must state the grounds on which it is based and must set out the facts on which it relies") divergent dans une certaine mesure de la version allemande, qui prévoit une exigence supplémentaire : "Der Antrag ist zu begründen, wobei die zur Begründung dienenden Tatsachen glaubhaft zu machen sind" (il convient de produire un commencement de preuve pour attester la véracité des faits invoqués à l'appui de la requête).
Cette différence avec les deux autres versions a été détectée du fait que la requérante utilisait l'allemand, et comme l'intimée ne s'est pas présentée lors de la procédure orale, celle-ci s'est déroulée elle aussi en allemand. Dans la version allemande, le lien grammatical établi entre la requête et l'obligation de la motiver, d'une part, et l'obligation d'établir la véracité des faits invoqués, d'autre part, semble impliquer que la véracité de ces faits doit être attestée dans un délai de deux mois, alors que dans les deux autres versions, cela n'est pas prévu. L'article 177(1) CBE dispose que les versions allemande, anglaise et française de la Convention font également foi ; il ne peut donc avoir été prévu pour la recevabilité d'une requête en restitutio in integrum des conditions plus strictes dans une version que dans les deux autres. On peut donc considérer que d'après la jurisprudence constante des chambres de recours de l'Office européen des brevets, seuls les motifs de la requête et les faits qui la justifient doivent être invoqués dans un délai de deux mois, les preuves requises le cas échéant pouvant être administrées ultérieurement (cf. décisions J 16/82 dans JO OEB 1983, 262 ; T 13/82 dans JO OEB 1983, 411 ; T 191/82 dans JO OEB 1985, 189 ; T 287/84 dans JO OEB 1985, 222 ; J 2/86 et J 3/86 dans JO OEB 1987, 362 ; J 22/88 dans JO OEB 1990, 244).
Il n'est pas non plus nécessaire d'indiquer, dans une requête en restitutio in integrum, les éléments de preuve (par ex. certificats médicaux, déclarations sur l'honneur, etc.) qui permettent d'établir la véracité des faits invoqués, comme le suggère Singer à la page 579 de ses commentaires au sujet de la Convention sur le brevet européen. Une telle exigence ne serait pas conforme aux versions anglaise et française.
Etant donné qu'il est recevable de produire un commencement de preuve après l'expiration du délai de deux mois, il semble donc qu'il n'était pas nécessaire, dans l'affaire T 14/89 (JO OEB 1990, 432), d'invoquer le principe de la bonne foi s'agissant de l'absence de commencement de preuve ("Glaubhaftmachung" au sens où l'entend le texte allemand).
6. Dans la présente espèce, la taxe de restitutio in integrum ayant été acquittée dans les délais, la requête satisfait également aux exigences de l'article 122(3) CBE. Elle est donc recevable.
7. Toutefois, l'article 122(1) CBE exige pour l'octroi du rétablissement dans les droits que la personne sollicitant une restitutio in integrum montre qu'elle a "fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances".
La requérante fait valoir qu'un concours de circonstances malheureuses l'a empêchée de respecter le délai. Pourtant, si l'on considère le détail des faits tels qu'ils ont été exposés, l'on peut se demander si d'une manière générale le traitement de la correspondance dans l'entreprise de la requérante et le système qu'elle utilisait pour contrôler le respect des délais ne laissaient pas à désirer.
La question de savoir si l'obligation de faire preuve de "toute la vigilance" requise est respectée s'agissant du système particulier utilisé dans une entreprise donnée pour contrôler que les actes de procédure tels que la production du mémoire exposant les motifs du recours sont bien effectués dans les délais impartis est une question qui doit être tranchée cas par cas, compte tenu des circonstances.
Dans une grande entreprise, où il faut contrôler en permanence le respect d'un nombre considérable de délais, il serait normal qu'il existe tout au moins un système efficace de remplacement des employés en cas de congé maladie ou en général de n'importe quelle absence, de manière que les documents officiels tels que les décisions envoyées par l'Office européen des brevets, qui font courir des délais pour l'accomplissement des actes de procédure, puissent être traités correctement.
Or, si l'on considère les faits invoqués dans la présente espèce, force est constater qu'aucune mesure appropriée n'avait été prise pour le cas d'absences inopinées du personnel chargé de contrôler le respect des délais.
La requérante affirme que l'employé chargé de contrôler le respect des délais et de tenir le dossier est parti en congé le 20 juin 1990. Elle n'a pas précisé si cet employé avait pris des mesures pour que le mémoire exposant les motifs du recours puisse être posté à temps pendant son absence. En outre, aucune information n'a été donnée au sujet des démarches qu'aurait entreprises son remplaçant pour observer les délais impartis.
De même, rien n'indique que des dispositions ont été prises pour remplacer ce dernier lorsqu'il a annoncé qu'il était malade le vendredi 22 juin 1990.
La Chambre note en outre que la liste des différents délais à respecter pour les dossiers confiés au responsable ne faisait nullement ressortir les délais les plus importants, à savoir ceux qui ne pouvaient pas être reportés.
La Chambre relève certaines incohérences dans les arguments avancés par la requérante : celle-ci a prétendu d'une part avoir fait parvenir à l'assistante concernée une feuille de papier rose indiquant le délai à respecter, mais a déclaré d'autre part à la Chambre que c'était aux autres employés de veiller au respect du délai. Il semble donc que la note en question n'était pas vraiment utile.
La requérante indique par ailleurs que les quatre assistantes travaillant au même étage se remplacent mutuellement le cas échéant. Or la remplaçante de l'assistante habituelle du responsable du dossier n'a pas saisi le sens de la note, alors que l'assistante compétente l'aurait compris, à en croire la requérante. Il se pose donc la question de savoir si toutes les assistantes avaient reçu les mêmes instructions.
Bref, la Chambre constate que les faits invoqués à l'appui de la requête en restitutio in integrum ne montrent pas qu'il a été fait preuve de toute la vigilance nécessaire pour que le mémoire exposant les motifs du recours soit rapidement envoyé par la poste. Au contraire, le système de contrôle des délais appliqué dans l'entreprise de la requérante laisse considérablement à désirer : il n'avait visiblement pas été donné d'instructions claires concernant la répartition des responsabilités.
Manifestement, seul le responsable du dossier avait pris certaines mesures pour faire respecter le délai, même si, d'après la requérante, ce n'était pas à lui qu'incombait cette tâche.
8. Aussi la requérante ne peut-elle être rétablie dans ses droits s'agissant du non-respect du délai prévu pour le dépôt du mémoire exposant les motifs du recours. En conséquence, le recours doit être rejeté comme irrecevable (règle 65(1) CBE).
9. Il convient de formuler les observations suivantes au sujet de la demande de remboursement de la taxe de recours :
L'article 108 CBE, deuxième phrase dispose que le recours n'est considéré comme formé qu'après le paiement de la taxe de recours. Donc, lorsqu'un recours est réputé n'avoir pas été formé parce que la taxe de recours n'a pas été acquittée en temps utile, il est nul et non avenu ; en conséquence, la taxe de recours a été payée sans motif et ne peut être retenue par l'Office.
Il s'ensuit qu'en pareil cas, la taxe de recours doit être remboursée (cf. décision J 16/82, JO OEB 1983, 262).
La situation est toutefois différente dans la présente espèce, puisque le recours est irrecevable du fait que le mémoire exposant les motifs du recours n'a pas été déposé en temps voulu : le recours a bel et bien été formé en l'occurence, même s'il n'est pas recevable. Or la Convention ne prévoit pas de rembourser la taxe de recours en cas d'irrecevabilité du recours. Ce remboursement ne peut être ordonné que dans les cas visés à la règle 67 CBE. La taxe de recours ne peut être remboursée au motif que le mémoire exposant les motifs du recours n'a pas été produit ou a été produit tardivement (cf. décisions T 13/82, JO OEB 1983, 411 ; T 41/82, JO OEB 1982, 256).
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La requête en restitutio in integrum est rejetée.
2. Le recours est rejeté comme irrecevable.
3. La demande de remboursement de la taxe de recours est rejetée.