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G 0001/90 (Révocation du brevet) 05-03-1991
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Révocation du brevet par voie de décision
Révocation, non-respect de conditions de forme lors du maintien du brevet sous une forme modifiée
Clôture de la procédure d'opposition
Perte de droits - fictions juridiques
Legal fictions
Rappel de la procédure
I. Dans l'affaire ayant fait l'objet de la décision T 26/88, rendue le 7 juillet 1988 par la chambre de recours 3.3.1 (JO OEB 1991, 30) les faits étaient les suivants :
La titulaire du brevet n'ayant pas acquitté la taxe d'impression dans les délais, la division d'opposition (en l'occurrence l'agent des formalités, agissant dans le cadre des compétences qui lui ont été attribuées en vertu de la règle 9(3) CBE), avait pris la décision de révoquer le brevet conformément à l'article 102(4) CBE, au motif que la taxe d'impression avait été acquittée tardivement. Au stade de la procédure de recours, la chambre de recours 3.3.1 a estimé que lorsque les délais prévus à l'article 102(4) CBE n'ont pas été respectés, la perte de droits intervient automatiquement ("automatically", "by operation of law") (cf. point 3.2, paragraphe 2 et point 4 des motifs), et que le document présenté comme une "décision" par la division d'opposition (l'agent des formalités) devait être interprété comme la notification, au sens de la règle 69(1) CBE, d'une perte de droits qui avait d'ores et déjà eu lieu.
II. Dans cette décision T 26/88, il a été constaté que jusqu'alors, la révocation d'un brevet en application de l'article 102(4) et (5) CBE avait toujours été prononcée par voie de décision. Comme l'autre possibilité (la perte automatique des droits) n'avait manifestement jamais été envisagée, la question de droit soulevée dans la présente espèce n'avait jamais été abordée dans les décisions rendues par d'autres chambres. La chambre a cité à ce sujet les décisions T 387/88 (chambre 3.4.1), T 35/88 (chambre 3.3.2) et T 14/89, JO OEB 1990, 432 (chambre 3.3.2) (cf. T 26/88, point 7 des motifs).
III. Dans l'affaire T 26/88, la titulaire du brevet avait demandé que la question de droit soit soumise à la Grande Chambre de recours. La chambre 3.3.1 n'a pas fait droit à cette requête, alléguant que le remède juridique institué grâce à la modification récente du paragraphe 6 de la règle 58 CBE allait rendre exceptionnelles à l'avenir de telles pertes de droits.
IV. Le 20 août 1990, le Président de l'Office européen des brevets, soucieux d'assurer une application uniforme du droit, a soumis à la Grande Chambre de recours les questions de droit suivantes :
1. Dans une procédure d'opposition, la révocation du brevet en vertu de l'article 102, paragraphes 4 ou 5 CBE doit-elle être immédiatement prononcée par une décision susceptible de recours (article 106 CBE), ou la perte des droits doit-elle être constatée dans une notification établie conformément à la règle 69(1) CBE ?
2. Si dans le cadre d'une procédure en instance devant lui, l'Office signifie aux parties, conformément aux dispositions du règlement d'exécution, un document, qui présente de par son intitulé, sa forme et son contenu, tous les caractères d'une décision, ce document doit-il en tout état de cause être considéré comme une décision susceptible de recours, au sens de l'article 106(1) CBE, ou peut-il également constituer une notification non susceptible de recours, notamment une notification en vertu de la règle 69(1) CBE ?
V. Dans le mémoire adressé à la Grande Chambre de recours, le Président de l'OEB a cité notamment deux exemples de décisions divergentes, la décision T 14/89 et la décision T 26/88. Selon lui, les questions de droit soumises à la Grande Chambre ont une importance fondamentale parce qu'elles concernent des règles de procédure d'une importance essentielle pour les parties et pour la pratique suivie par l'Office. La révocation du brevet par voie de décision est en accord avec le caractère contradictoire de la procédure d'opposition. La pratique décrite dans la partie D-VIII, point 1.2.2 des Directives n'a pas été contestée avant la décision T 26/88. Même si l'adjonction du nouveau paragraphe 6 de la règle 58 CBE devait rendre exceptionnels à l'avenir les cas de perte de droits par inadvertance pour cause de dépassement de délais, il pourra toujours arriver que des conditions de forme ne soient pas remplies, le titulaire du brevet ayant jugé entre temps que la protection ne présente plus aucun intérêt pour lui, et dans ce cas il faudra également que l'opposant sache clairement que la procédure est close.
Motifs sur lesquels se fonde la Grande Chambre de recours
Réponse à la première question
Révocation du brevet lorsque des actes de procédure ne sont pas accomplis dans les délais
1. Cette question concerne la procédure à suivre devant la division d'opposition dans tous les cas où il est déjà établi que le titulaire du brevet est d'accord avec le texte modifié dans lequel la division d'opposition envisage de maintenir le brevet, mais où il n'accomplit pas dans les délais les actes prescrits à l'article 102(3)b), (4) et (5) CBE en liaison avec la règle 58(5) CBE (paiement de la taxe d'impression, production de la traduction des revendications modifiées).
Le délai pour accomplir ces actes de procédure est fixé par la règle 58(5) CBE, il est de trois mois à compter de la signification de la notification par laquelle la division d'opposition invite le titulaire de brevet à les accomplir.
Dans le nouveau paragraphe 6 ajouté à la règle 58 avec effet à compter du 1er avril 1989, il est stipulé qu'un délai supplémentaire de deux mois peut être accordé à compter de la signification de la notification signalant que le délai prévu n'a pas été observé. Du fait de ces nouvelles dispositions, les cas de pertes de droits par suite d'une inobservation de délais devraient être moins nombreux. Cela ne changera cependant rien à la question de principe posée qui est de savoir si, en cas de non-observation de délais, la révocation du brevet doit être prononcée par voie de décision, ou si la perte de droits intervient d'office.
2. Le titulaire du brevet peut, en présentant une requête en restitutio in integrum, éviter la perte de ses droits, si les conditions sont réunies pour qu'il puisse être fait droit à sa requête (article 122(1) et (2) CBE).
Si toutefois le titulaire du brevet estime, contrairement à la division d'opposition, qu'il a effectué les actes de procédure requis dans les délais prescrits, il a le droit de demander à une instance de recours indépendante d'examiner le bien-fondé de la décision rendue par la première instance. Cette possibilité a été instituée par l'article 106 CBE conformément aux principes qui régissent la conduite de la procédure dans les Etats de droit. Aux termes du premier paragraphe de cet article, les décisions des divisions d'opposition sont susceptibles de recours.
3. Même dans les cas où la Convention sur le brevet européen prévoit que la sanction intervient automatiquement ("d'office", "by operation of law"), la partie qui subit la perte de droit peut requérir une décision en l'espèce conformément à la règle 69(2) CBE. La solution envisagée par la chambre 3.3.1 ne remet nullement en cause le droit pour la partie concernée de former un recours. En effet, les auteurs de la décision T 26/88 ont développé avant tout des considérations d'ordre général au sujet de la procédure d'opposition, tout en s'efforçant de donner de la Convention une interprétation qui préserve la sécurité juridique et permette le bon fonctionnement de la procédure.
4. A cet égard, il convient tout d'abord d'observer ce qui suit :
Il ressort clairement du libellé des paragraphes 4 et 5 de l'article 102 CBE que lorsque certaines conditions de forme ne sont pas remplies, la division d'opposition est tenue de prononcer la révocation du brevet par voie de décision. Si les auteurs de ces dispositions avaient voulu que la perte de droits intervienne d'office ("by operation of law"), ils auraient pu utiliser l'expression "est réputé révoqué", qui a été employée uniformément dans la Convention pour exprimer cette idée.
Il convient tout d'abord d'examiner si cette interprétation littérale des dispositions invoquées se trouve confirmée par la signification que revêtent ces termes considérés dans leur contexte, et pour cela, il est nécessaire de comparer les divers modes de clôture de la procédure aux différentes étapes de la procédure prévues par la CBE.
Clôture de la procédure de délivrance
5. Dans de nombreux passages de la CBE, les termes utilisés pour désigner la clôture de la procédure de délivrance se référant à des actes.
A titre d'exemple, on peut citer l'article 91(3), première phrase ("est rejetée"), l'article 97(1) ("rejette"), l'article 97(2) ("décide de délivrer le brevet"), la règle 51(5) CBE ("est rejetée").
Dans tous ces cas, la division d'examen rend une décision.
6. Néanmoins, il arrive parfois que la procédure de délivrance soit close autrement que par voie de décision, par exemple en cas de retrait de la demande par son auteur. Un autre cas dans lequel la procédure de délivrance n'est pas close par voie de décision est celui où la demande est réputée retirée par le jeu de la fiction prévue par la CBE : la perte des droits intervient alors à l'expiration du délai qui n'a pas été respecté.
Dans plusieurs dispositions de la CBE, il est prévu que "la demande de brevet européen est réputée retirée". Dans ce cas, comme lorsque le demandeur déclare explicitement qu'il retire sa demande, il n'est pas nécessaire de rendre une décision. La perte des droits doit cependant être notifiée au demandeur (règle 69 (1) CBE) qui peut alors, dans un délai de deux mois à compter de la signification de ladite notification,requérir une décision en l'espèce (règle 69(2) CBE). Cette décision devra satisfaire aux conditions générales de forme et notamment être motivée (règle 68 CBE). Dans cette décision, susceptible de recours (article 106(1) CBE), il sera constaté que la perte des droits est déjà intervenue.
Pour exprimer l'idée que la perte des droits intervient d'office ("automatically", "by operation of law"), la CBE prévoit en règle générale que la demande est réputée retirée (cf. les articles 86(3), 91(5), 94(3), 96(1) et (3), 97(3) et (5), ainsi que la règle 51(8) CBE).
De même, dans le PCT, auquel il est fait référence dans la CBE (article 150 paragraphe 2 CBE), il ressort des termes utilisés que dans certains cas, la sanction intervient par le jeu d'une fiction (cf. par exemple l'article 24.1)iii) PCT).
La fiction du retrait peut être également appliquée au cours d'une procécure de recours engagée par le demandeur : la demande de brevet peut être réputée retirée à ce stade si le demandeur ne présente pas ses observations dans le délai que lui a imparti la chambre de recours, à moins que la décision faisant l'objet du recours n'ait été prise par la division juridique (article 110(3) CBE).
Dans tous les cas, le texte des dispositions appliquées précise si la procédure de délivrance doit être close par une décision de la section de dépôt ou de la division d'examen ou par une notification constatant la perte des droits, la demande étant réputée retirée (règle 69(1) CBE).
Clôture de la procédure d'opposition
7. A l'exception du cas spécial prévu à la règle 60 CBE, la clôture de la procédure d'opposition est régie par l'article 102 CBE, qui prévoit trois modes de clôture possibles :
- la révocation du brevet (paragraphes 1, 4 et 5)
- le rejet de l'opposition (paragraphe 2)
- le maintien du brevet tel qu'il a été modifié (paragraphe 3).
Les termes utilisés pour désigner ces divers modes de clôture de la procédure se rapportent tous à des actes ("révoque le brevet", "rejette l'opposition", "décide de maintenir le brevet tel qu'il a été modifié"), la CBE exprimant par là, ainsi que la Chambre l'a signalé plus haut à propos de la procédure de délivrance, que l'instance compétente doit rendre une décision au sens de l'article 106(1) CBE, décision qui doit être motivée (règle 68(2)).
Rien dans le libellé de l'article 102 CBE ne permet de penser que la forme de la décision doit être réservée à la révocation du brevet prévue au paragraphe 1 dudit article. De même, rien dans les travaux préparatoires à la CBE ne peut laisser supposer que telle ait pu être l'intention des auteurs de la Convention lorsqu'ils ont élaboré cette disposition.
8. A l'appui de la thèse selon laquelle, dans une procédure d'opposition, la révocation du brevet doit toujours être ordonnée par voie de décision, l'on peut également faire valoir les arguments suivants :
La procédure d'opposition met en cause un brevet qui a déjà été délivré. La perte des droits afférents au brevet comme sanction de l'inobservation par le titulaire des délais qui lui sont impartis n'existe pas dans cette procédure. Sauf dans le cas du non-paiement de la taxe d'opposition (article 99(1), 3e phrase CBE), il n'est pas prévu de sanction par le jeu d'une fiction. Il n'existe pas dans la CBE de lien direct entre le non-respect des délais fixés par la division d'opposition pour présenter des observations (article 101(2) CBE) et la perte des droits. Il en va de même en cas de non-respect par le demandeur du délai qui lui a été fixé pour qu'il donne ou non son accord (article 102(3)a), règle 58(4) CBE) ou du délai prévu pour l'accomplissement de certains actes de procédure dans le cas où le brevet est maintenu tel qu'il a été modifié (article 102, paragraphes 3(b), 4 et 5, et règle 58(5) CBE).
Alors que la procédure de délivrance permet incontestablement la mise en oeuvre de fictions juridiques (possibilité du retrait de la demande), il ne peut être envisagé de construction analogue au stade de la procédure devant les divisions d'opposition. En effet, une fois le brevet délivré, le titulaire ne peut plus y renoncer par une déclaration adressée à l'Office européen des brevets. A ce stade de la procédure, les déclarations de renonciation doivent être adressées aux offices nationaux de brevets des Etats contractants désignés (cf. décision T 73/84, JO OEB 1985, 241, point 4 des motifs).
Les dispositions de l'article 97(1) CBE concernant le rejet de la demande de brevet sont également très significatives à cet égard, car elles précisent très clairement que dans la CBE, il peut y avoir des sanctions autres que le rejet de la demande de brevet européen ("... rejette la demande de brevet européen..., à moins que des sanctions différentes du rejet ne soient prévues par la convention") : elles visent par là notamment les cas dans lesquels la demande est réputée retirée, et où il a tout d'abord été émis une notification au sens de la règle 69(1) CBE. En revanche, dans la procédure d'opposition, il ne ressort nullement des dispositions correspondantes régissant la révocation du brevet que la procédure puisse se clore par une fiction de révocation.
On retrouve ces mêmes différences entre procédure de délivrance et procédure d'opposition dans les dispositions relatives aux inscriptions au Registre des brevets. Il n'y est prévu divers modes de clôture de la procédure qu'en ce qui concerne la procédure de délivrance (règle 92(1)n) CBE - rejet, retrait ou fiction du retrait). Dans le cas des procédures d'opposition en revanche, il n'est fait état que de décisions à inscrire (règle 92(1)r) CBE).
9. La Convention sur le brevet communautaire, dans sa version modifiée par l'Accord en matière de brevets communautaires du 15 décembre 1989, version qui n'est pas encore entrée en vigueur, comporte elle aussi des dispositions relatives au maintien du brevet sous une forme modifiée, et ce dans le cadre de la procédure de délivrance (y compris les dispositions s'appliquant également à la traduction du fascicule de brevet communautaire), de la procédure d'opposition et des procédures de nullité. Or il y est établi une distinction entre les cas dans lesquels il faut une décision pour clore la procédure (procédure d'opposition : article 29(5), 2e phrase CBC ; procédure de nullité : article 58(4) CBC ; article 19(4) du protocole sur les litiges) et les cas dans lesquels la perte de droits intervient d'office (procédure de délivrance : article 29(5), 1e phrase et article 30(6) CBC). Dans le cas d'une révocation ou d'une annulation du brevet, la procédure se termine toujours par une décision.
10. La comparaison de la procédure de délivrance avec les procédures concernant des brevets déjà délivrés a permis de constater qu'il existait des différences importantes. Toutes les procédures postérieures à la délivrance du brevet se déroulent selon un schéma uniforme, la tendance générale étant que de telles procédures doivent toutes se terminer par le prononcé d'une décision.
Objections à l'encontre de la clôture de la procédure d'opposition par voie de décision
11. Dans sa décision T 26/88, la chambre 3.3.1 compare le déroulement de la procédure au stade de la délivrance et au stade de l'opposition au brevet, et elle applique par analogie la fiction prévue pour la phase finale de la procédure de délivrance, lorsque les conditions de forme n'ont pas été respectées dans les délais prescrits (article 97(3) et (5) ; règle 51(8) CBE), à la situation dans laquelle la division d'opposition maintient le brevet européen sous une forme modifiée. Selon elle, l'article 102(4) et (5) CBE (cf. points 3.4 et 3.5 des motifs de la décision T 26/88) devrait être interprété de la même manière que l'article 97(3) et (5) CBE, qui prévoit une perte de droits automatique du fait qu'il stipule que la demande est d'office ("by operation of law") réputée retirée : au lieu d'être prononcée par une décision, la révocation du brevet interviendrait par le jeu d'une fiction ; le brevet n'a pas, selon la chambre 3.3.1, à être révoqué par la division d'opposition, puisqu'il est déjà "réputé révoqué". Pour la chambre 3.3.1, une décision constatant la révocation du brevet aurait des conséquences inacceptables, ce qui justifierait que l'on ne s'en tienne pas à l'interprétation littérale dudit article.
12. Les principaux arguments de la chambre de recours technique sont résumés au point 3.7 des motifs de la décision T 26/88 : une décision de révocation du brevet
- serait vide de sens ("pointless") et risquerait de donner lieu à une procédure de recours inutile ;
- serait une source d'insécurité juridique et pourrait prêter à confusion.
13. Or, la Grande Chambre de recours ne peut pas accepter l'argument qui consiste à dire qu'il serait dénué de tout sens ("pointless") de procéder par voie de décision pour révoquer un brevet lorsque cette révocation est due au non-respect des conditions de forme. Les décisions susceptibles de recours ne sont pas réservées aux seuls cas dans lesquels sont en cause des questions relevant du droit matériel des brevets. Elles ont également leur raison d'être lorsque les délais impartis pour satisfaire à des conditions de forme n'ont pas été respectés. Il convient de ne pas dénier au titulaire du brevet le droit de former un recours également dans ces cas-là. En effet, la question du respect des délais prescrits pour l'accomplissement des actes de procédure peut poser aussi bien des problèmes de droit que des problèmes de fait. C'est ainsi que la date de paiement d'une taxe peut être litigieuse dans les faits; mais il peut également se poser la question juridique de la date à laquelle le paiement est réputé effectué. La manière dont il convient d'interpréter à cet égard le règlement relatif aux taxes a d'ores et déjà fait l'objet de nombreuses décisions des chambres de recours et, dans certains cas, cette question juridique a été résolue dans un sens favorable au requérant.
D'autre part, d'après la CBE, les décisions ayant trait au respect des conditions de forme peuvent intervenir à n'importe quel stade de la procédure. Même lorsqu'il s'agit des conditions exigées à l'article 91, lettres a à d de la CBE, qui sont des conditions de pure forme, la CBE stipule explicitement à l'article 91(3) que leur non-respect peut être sanctionné par le rejet de la demande européenne par la section de dépôt. Cette disposition présente un autre point commun avec les dispositions de l'article 102(4) et (5) CBE relatives à la révocation : le non-respect du délai imparti entraîne immédiatement une décision négative. Il ne sert à rien à la partie concernée qui a dépassé la date limite de prévenir la décision de rejet en remédiant à ce défaut de forme. En effet, la décision est juridiquement motivée par le non-respect des délais prescrits pour satisfaire à une condition de forme. La décision de révoquer un brevet parce qu'il n'a pas été satisfait dans les délais aux conditions de forme est donc dans la logique des procédures prévues par la CBE.
14. Comme autre argument invoqué à l'encontre de la révocation du brevet par voie de décision, la chambre 3.3.1 fait valoir que lorsque le titulaire du brevet utilise le remède que constitue la présentation d'une requête en restitutio in integrum, la prise d'une décision de révocation en application de l'article 102(4) et (5) peut être source d'insécurité juridique (points 3.3 et 3.7 des motifs de la décision T 26/88).
Cet argument appelle les observations suivantes : Il n'est pas plus compliqué de statuer sur une requête en restitutio in integrum en cas de non-respect des délais prévus à l'article 102(4) et (5) CBE qu'en cas de non-respect d'autres délais. Le titulaire du brevet peut recourir à ce remède juridique dans le cadre de la procédure d'opposition si "l'empêchement a pour conséquence directe, en vertu des dispositions de la présente convention, la révocation du brevet européen" (article 122(1) CBE). Le titulaire du brevet peut donc présenter une requête en restitutio in integrum après la cessation de l'empêchement, même si la décision de révoquer le brevet n'a pas encore été rendue. Dans certains cas, il doit même présenter cette requête s'il veut respecter le délai visé à l'article 122(2) CBE. Les instances compétentes peuvent donc prendre les décisions qui s'imposent pour éviter un éparpillement de la procédure. Le cas échéant, la décision de révocation et la décision au sujet de la requête en restitutio in integrum seront fusionnées. Si le titulaire du brevet estime qu'il a respecté les délais et conteste pour cette raison la révocation de son brevet en ne présentant une requête en restitutio in integrum qu'à titre subsidiaire, il peut s'avérer préférable de statuer simultanément sur ces deux aspects. Dans le cas d'un recours, la chambre de recours peut alors trancher ces deux questions au cours d'une seule et même procédure.
15. Les considérations de la chambre 3.3.1 relatives à la situation juridique des tiers en cas d'application automatique de la sanction de révocation (point 3.8 des motifs de la décision T 26/88), appellent les commentaires suivants :
Si, bien qu'ayant fait preuve de toute la vigilance nécessaire, le titulaire du brevet n'a pas respecté les délais prévus à l'article 102(4) et (5) ainsi qu'à la règle 58(5) CBE, il peut sur requête être rétabli dans ses droits. L'article 122(6) CBE protège les tiers de bonne foi en leur accordant le droit de poursuivre l'exploitation de l'invention. Les dispositions de l'article 122(6) CBE ne fournissent aucun argument qui permette d'étayer la thèse de la perte automatique des droits. A propos de la perte des droits, l'article 122(1) énumère les différentes façons dont la procédure peut prendre fin :
- rejet de la demande de brevet européen, ou d'une requête ;
- demande réputée retirée ;
- révocation du brevet européen ;
- perte de tout autre droit, ou d'un moyen de recours.
Rien ne permet de conclure que, par principe, la perte de droits doit intervenir le plus tôt possible, et que les tiers devraient pouvoir invoquer le non-respect d'un délai par le titulaire du brevet au cours de la procédure d'opposition pour se prévaloir d'un droit (celui de poursuivre l'exploitation de l'invention) à un moment où le titulaire du brevet n'a pas encore épuisé toutes les voies de recours qui lui sont offertes. Cela n'aurait d'ailleurs guère de sens. En effet, un tiers ne pourrait raisonnablement être certain que le droit est effectivement perdu. Il n'est par exemple pas à même d'apprécier à ce stade si la partie concernée par la perte de droits a produit des faits et des moyens de preuve permettant de conclure que l'acte non effectué l'a été dans les délais et le cas échéant que la notification concernant la perte de droits doit être annulée. Si le titulaire du brevet parvient à obtenir une décision en sa faveur, le tiers qui exploite l'invention se rend coupable de contrefaçon. Il ne peut avoir été dans les intentions des auteurs de la Convention d'inciter les tiers à accomplir de tels actes d'exploitation tant que la perte de droits n'est pas devenue inattaquable.
La perte de droit constatée dans la notification selon la règle 69(1) CBE devient inattaquable si une décision n'est pas requise (règle 69(2) CBE) dans le délai prévu ou si une décision selon la règle 69(2) CBE est devenue définitive.
16. Il ressort des travaux préparatoires concernant la règle 69 CBE que le sous-Groupe "Règlement d'exécution" s'est préoccupé très tôt des implications que pourrait avoir la fiction du retrait. Une grande partie du sous-Groupe a estimé qu'"un acte aussi grave doit nécessairement résulter d'une décision de caractère juridique, afin que soient sauvegardés les droits du déposant, qui pourra introduire un recours dans un certain délai. Une décision de cette nature s'impose, d'autant plus que le fait que la demande est réputée retirée est publié... et que des tiers de bonne foi peuvent commencer à exploiter l'invention devenue libre" (Rapport du sous-Groupe "Règlement d'exécution", septembre 1970, BR/51/70, p. 13). Le sous-Groupe a également insisté sur la nécessité de ne faire aucune inscription concernant la perte du droit dans le registre des brevets tant que le délai pour requérir une décision n'est pas venu à expiration et, si une telle requête a été présentée et si une décision a été rendue, tant que le demandeur a la possibilité de former un recours contre cette décision (rapport du sous-Groupe, novembre 1970, BR/68/70, p. 11). Donc, lorsque la demande est réputée retirée, le demandeur doit continuer à être protégé sans que des tiers puissent acquérir le droit d'exploiter l'invention à titre transitoire.
L'importance particulière que revêt pour la protection de la bonne foi des tiers la date à laquelle la perte de droits devient définitive ressort également clairement des dispositions transitoires qui accompagnent dans certains cas les modifications du règlement d'exécution. A titre d'exemple, on peut citer l'article 2 de la décision du Conseil d'administration du 8 décembre 1988 modifiant le règlement d'exécution de la CBE, JO OEB 1989, 2 ainsi que l'article 2, n° 3 de la décision du Conseil d'administration du 7 décembre 1990 modifiant le règlement relatif aux taxes, JO OEB 1991, 11, 15 : ils prévoient que les dispositions plus favorables du règlement ainsi modifié sont applicables dans tous les cas où "la constatation de la perte d'un droit n'est pas encore devenue définitive à la date d'entrée en vigueur de la présente décision".
17. La Grande Chambre de recours ne peut admettre non plus que, à la différence d'une notification établie conformément à la règle 69(1) CBE, une décision de révocation risque de prêter à confusion. La procédure qui consiste à décider directement qu'un brevet est révoqué est claire et ne comporte qu'une seule étape. Cette décision comporte déjà un exposé des motifs.
En revanche, la procédure par laquelle la demande est réputée retirée se compose d'une notification non motivée et d'une décision ultérieure, laquelle est motivée et rendue sur requête. L'envoi préalable de la notification devrait rendre inutile l'exposé des motifs de la constatation de la perte de droits dans les cas où le non respect du délai n'est pas contesté. Par contre, cette procédure en deux étapes est plus compliquée que celle dans laquelle une décision est rendue immédiatement. En tout état de cause, le droit des parties à la procédure d'obtenir une décision motivée et susceptible de recours est préservé. C'est au législateur de décider dans quels cas il y a lieu d'émettre tout d'abord une notification non obligatoirement assortie d'un exposé des motifs (règle 69(1) CBE). Il n'est pas en soi contradictoire qu'il ait prévu des dispositions différentes pour la procédure de délivrance et pour la procédure d'opposition, laquelle implique plusieurs parties.
18. En résumé, eu égard au libellé clair et au contexte des dispositions de la CBE, il convient de constater que la révocation d'un brevet européen en application de l'article 102(4) et (5) CBE doit toujours faire l'objet d'une décision.
Conclusion concernant la première question de droit
19. La Grande Chambre de recours apporte la réponse suivante à la première question de droit qui lui a été soumise :
"La révocation d'un brevet en application de l'article 102(4) et (5) CBE doit être prononcée par voie de décision."
DISPOSITIF
Conclusion concernant la seconde question de droit
20. La seconde question de droit n'a pas été présentée à la Grande Chambre de recours comme étant une question d'importance fondamentale du fait qu'il existerait des divergences à cet égard entre les décisions rendues par les chambres de recours ; cette question n'est soumise que dans la mesure où il s'agit d'un second problème qui pourrait se poser dans le cas où la révocation du brevet européen conformément aux dispositions de l'article 102(4) et (5) CBE devrait tout d'abord être constatée au moyen d'une notification selon la règle 69(1) CBE. Etant donné toutefois qu'en réponse à la première question de droit qui a été posée, il a été affirmé que la division d'opposition doit rendre une décision, la Grande Chambre de recours n'a pas à se prononcer sur la deuxième question dans le cadre de la présente procédure.