J 0003/95 (Montre-bracelet) 28-02-1997
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Statut juridique des chambres de recours - Res judicata
Epuisement des voies de recours
Moyen administratif ou juridictionnel à utiliser pour répondre aux requêtes alléguant, postérieurement à une décision définitive d'une Chambre de recours, la violation d'un principe fondamental de procédure
Saisine de la Grande Chambre de recours
I. Le 07 octobre 1994, la Société ETA SA FABRIQUE D'EBAUCHES a déposé une notice de recours contre la décision de la Division juridique de l'Office européen des brevets datée du 5 août 1994 et acquitté la taxe de recours. Le mémoire de recours a été reçu le 07. décembre 1994. Elle y présentait les requêtes suivantes :
- annuler la décision de la Division juridique de l'Offi ce européen des brevets du 5 août 1994 ;
- ordonner qu'il soit procédé à l'inscription au Registre européen des brevets de la date de dépôt de la requête en restitutio in integrum formée par la requérante le 16 janvier 1992 ;
- ordonner qu'il soit procédé à la radiation du Registre européen des brevets, avec effet au 25. novembre 1991, de la mention selon laquelle le brevet européen n 0 098 239 a été révoqué par la décision de la chambre de recours le 25. novembre 1991 ;
- ordonner le remboursement de la taxe payée lors du dépôt du présent recours ;
- ordonner une procédure orale selon l'article 116.
II. Dans la décision frappée de recours, la Division juridique s'est déclarée incompétente pour statuer sur les deux requêtes présentées le 11 novembre 1992 par la société ETA SA afin qu'il soit procédé, dans le Registre européen des brevets :
- à l'inscription de la date de dépôt d'une requête en restitutio in integrum déposée parmi d'autres par la requérante le 16 janvier 1992 devant la chambre de recours technique 3.5.2 afin d' être restaurée dans son droit de poursuivre la procédure dans le cas T 456/90, sur la base de revendications modifiées ;
- à la radiation, avec effet au 25 novembre 1991, de la mention selon laquelle le brevet européen n 0 098 239 a été révoqué par la décision T 456/90 prise le 25 novembre 1991 par ladite chambre.
III. Concernant ces deux requêtes, la Société ETA SA a exposé qu'elles ont fait suite à la décision précitée datée du 25 nov embre 1991 dans laquelle la Chambre de recours technique 3.5.2 a révoqué le brevet n 0 098 239, sans tenir compte de la proposition présentée par le titulaire du brevet de modifier ses revendications en fonction des objections éventuelles de l'instance de recours.
Cependant, par lettre du 31 juillet 1992, le Président de la Chambre de recours 3.5.2 a informé le mandataire de la requérante qu'aucune suite ne pouvait être donnée aux requêtes présentées le 16 janvier 1992. Dans un courrier ultérieur daté du 28 septembre 1992, le Vice-Président chargé des chambres de recours a fait savoir au même mandataire que la décision T 456/90 était finale et qu'elle ne pouvait donc être révisée. C'est donc le 11 novembre 1992 que le mandataire de la requérante a déposé les requêtes adressées à la Division juridique de l'Office européen des brevets.
IV. Dans la décision sujet du présent recours, la Division juridique a exposé que, à la date où elle a été saisie, toutes les procédures prescrites par la CBE et concernant le brevet en cause étaient définitivement closes, précisément parce que la décision de révocation du brevet, prise à l'issue de la procédure de recours, avait eu pour effet de leur mettre un terme. Dès lors, aucune instance n'était compétente pour réformer cette décision et la Division juridique ne pouvait que refuser de statuer sur les requêtes du 11 novembre 1992.
V. A l'appui du présent recours, la Société ETA SA a développé les arguments suivants :
1) Sur les requêtes concernant le Registre européen des brevets
L'article 127 CBE dispose que l'Office européen des brevets doit tenir un Registre où sont portées les indications dont l'enregistrement est prévu par la CBE. Lorsque l'évolution du dossier rend nécessaire une telle inscription, l'autorité compétente doit procéder d'office à l'inscription. Les inscriptions devant être portées au Registre sont énoncées à la Règle 92 CBE. Cette disposition a été complétée par les communiqués du Président de l'OEB. Partant de ces textes, il est possible d'extraire une liste de l'ensemble des inscriptions devant être portées au Registre.
2) Sur la compétence de la Division juridique et celle de la Chambre de recours
L'article 15(e) CBE dispose que la Division juridique est l'une des instances chargées des procédures prescrites par la CBE. L'article 20 CBE établit qu'elle est compétente pour toute décision relative aux mentions portées sur le Registre européen des brevets. Sa compétence pour se prononcer en matière d'inscription, et donc pour statuer sur les requêtes présentées par la requérante le 11 novembre 1992, ne fait dès lors aucun doute.
La Division juridique a le devoir de vérifier que les indications dont l'inscription est requise figurent à la liste susmentionnée. Elle ne bénéficie d'aucune compétence permettant de statuer sur le fond de la procédure donnant lieu à une inscription, même à titre préjudiciel. Elle doit se limiter à constater les faits et non à les apprécier. Le but premier du Registre est d'informer le public et d'attester des procédures en cours. L'inscription au Registre doit donc être effectuée dès l'ouverture d'une procédure, indépendamment de toute considération sur le bien-fondé ou même la recevabilité de la requête.
Selon l'article 111 CBE, la Chambre de recours peut, quant à elle, "soit exercer les compétences de l'instance qui a pris la décision attaquée, soit renvoyer l'affaire à ladite instance pour suite à donner". La présente Chambre de recours a donc le pouvoir d'ordonner elle-même l'inscription au Registre européen des brevets de la date de dépôt de la requête en restitutio in integrum, ainsi que la radiation du Registre de la mention selon laquelle le brevet a été révoqué.
Depuis que les requêtes du 11 novembre 1992 ont été présentées, la teneur du Registre européen des brevets est restée inchangée, ce qui donne une fausse idée de l'état de la procédure concernant le brevet n 0 098 239. La publicité du Registre fait que cette représentation erronée du brevet peut induire des tiers en erreur. La sécurité juridique qui constitue la raison d'être du Registre est donc mise en péril. Il appartient à l'OEB de mettre fin aux risques créés par cet état de fait, en choisissant la voie procédurale la plus rapide pour remédier à cette situation.
3) Concernant la mention dans le Registre du dépôt de la requête en restitutio in integrum
Cette requête, déposée le 16 janvier 1992, n'a jamais été retirée et se trouve donc toujours pendante. Le communiqué du Président de l'OEB du 22 janvier 1986 (JO OEB 1986, 61) énonce sous le chiffre 3 que la date de réception de la requête en rétablissement dans un droit sera inscrite dans le registre européen des brevets. A la suite du dépôt de la requête le 16. janvier 1992, la Division juridique avait l'obligation de porter l'inscription de la cause pendante au Registre.
4) Concernant la radiation au Registre de la mention de la révocation du brevet
La Chambre de recours 3.5.2 ne s'est toujours pas prononcée sur la recevabilité du recours déposé le 16. janvier 1992 contre la décision T 456/90 datée du 25. novembre 1991 et prise à la suite d'une procédure orale du 23 octobre.
Le lendemain de la procédure orale, le 24. octobre 1991, le mandataire de la requérante a informé par écrit le Président de la Chambre que le titulaire du brevet était prêt à modifier le brevet, en fonction des objections éventuelles que l'instance de recours pourrait prendre en considération.
Toutefois, la Chambre de recours n'a pas donné suite à cette requête, bien qu'elle la cite expressément dans sa décision. Enfin, la décision a été rendue par la Chambre de recours 3.5.2 alors qu'elle assumait la fonction de la Division d'opposition en vertu de l'article 111 CBE. Il s'agit ainsi d'une décision du ressort de la Division d'opposition rendue par la Chambre de recours agissant en première instance. Cette décision doit bénéficier d'une voie de recours.
Ainsi, aussi longtemps qu'il n'aura pas été statué sur la recevabilité et/ou sur le fond du recours du 16. janvier 1992, celui-ci continuera de produire l'effet suspensif prévu à l'article 106(1) CBE. Dès lors, c'est à tort que l'inscription de la révocation du brevet demeure au Registre. En conséquence, la Division juridique doit ordonner la radiation de la révocation.
Par ailleurs, la décision du 25 novembre 1991 ne saurait produire d'effet car elle est entachée de graves vices de procédure.
VI. Dans une notification datée du 25 septembre 1996 le rapporteur a invité la requérante à prendre position sur le rejet éventuel du présent recours au motif essentiel que les décisions des Chambres de recours sont définitives ; qu'elles prennent force de chose jugée à la date de leur signification ; qu'en l'espèce, la procédure concernant le brevet européen n 0 098 239 a trouvé son terme dans la décision de révocation du brevet prise le 25. novembre 1991 ; que cette décision n'est donc plus susceptible de recours ; qu'ainsi, à part la mention de la révocation du brevet, aucune autre inscription au Registre n'apparaissait possible après ladite décision.
VII. Dans les observations produites en réponse, la requérante, tout en soulignant les faits et conclusions développés supra au point V, a exposé que, selon elle, son droit d'être entendue a été violé lors de la procédure T 456/90 qui a conduit à la décision de révocation de son brevet. Elle a développé que, depuis, elle s'était heurtée au refus de statuer des instances compétentes de l'Office européen des brevets, notamment de la Chambre de recours technique qui a refusé de statuer : (1) sur la recevabilité de la requête en restitutio in integrum, et (2) sur le recours contre la décision de ladite Chambre du 25. novembre 1991, déposés le 16 janvier 1992. En conséquence, elle s'estime victime d'un déni de justice.
S'appuyant sur le point 3.2 des motifs de la décision G 5/88 (JO OEB 1991, 137) qui a affirmé que le principe de la confiance légitime, ancré dans la jurisprudence des chambres de recours, était applicable en référence à la bonne foi qui doit régir les relations entre l'OEB et ses usagers, la requérante a affirmé qu'elle ne réclamait rien d'autre que le respect des règles de procédure établies par la CBE et soutenu que la Chambre de recours 3.5.2 avait commis un déni de justice en refusant de trancher les questions juridiques qui lui ont été soumises.
Elle en a conclu que ses requêtes soulevaient des questions de droit fondamentales visant :
- pour ce qui concerne la requête en restitutio in integrum, au respect du droit d'être entendu ;
- pour ce qui concerne son recours contre la décision du 25. novembre 1991, au droit d'obtenir le réexamen d'une décision de révocation d'un brevet lorsque la décision de révocation est rendue pour la première fois par la Chambre de recours.
A l'égard de ce dernier point, la requérante a exposé que l'article 32 de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPS) prévoit que les Etats membres doivent garantir la possibilité d'un réexamen par une autorité judiciaire de toute décision de révocation d'un brevet ; qu'ainsi le recours du 16 janvier 1992 pose la question de savoir comment la Convention sur le brevet européen doit être interprétée afin d'être compatible avec cet article du TRIPS.
VIII. Pendant la procédure orale tenue le 28 février 1997, la requérante a réitéré son argumentation et souligné que ses deux requêtes du 16 janvier 1992 tendaient à la révision de la décision du 25 novembre 1991. Concernant la présente procédure, tout en souhaitant que la Grande Chambre de recours soit saisie, elle a formulé les requêtes définitives suivantes :
1. Annuler la décision de la Division juridique de l'Office européen des brevets datée du 5 août 1994 ;
2. Constater que les requêtes déposées par la requérante devant la Chambre de recours 3.5.2 le 16 janvier 1992 sont pendantes ;
3. Dire que la Division juridique est compétente pour examiner les requêtes déposées le 11 novembre 1992 ;
4. Cela fait, exerçant les pouvoirs de la Division juridique en vertu de l'article 111 CBE, que la présente Chambre ordonne :
(a) qu'il soit procédé à l'inscription au Registre européen des brevets de la date de dépôt de la requête en restitutio in integrum formée par la requérante le 16 janvier 1992 ;
(b) qu'il soit procédé à la radiation du Registre européen des brevets, avec effet au 25. novembre 1991, de la mention selon laquelle le brevet européen n 0 098 239 a été révoqué par la décision de la Chambre de recours le 25. novembre 1991, en raison :
(i) du dépôt d'un recours ayant effet suspensif contre cette décision, et
(ii) du vice substantiel de procédure affectant la décision du 25 novembre 1991 ;
Elle a enfin sollicité le remboursement de la taxe du présent recours.
1. Le recours qui est formé contre la décision de la Division juridique datée du 5 août 1994 est recevable. La présente procédure a pour objet de déterminer si cette Division était ou non compétente pour examiner les requêtes qui lui ont été présentées le 11 novembre 1992 par la société ETA SA, Fabrique d'ébauches, puis, si nécessaire, de rechercher s'il convenait ou non d'y faire droit.
2. Quant à la compétence, l'article 15(e) CBE établit que la Division juridique est l'une des instances instituées à l'Office européen des brevets pour l'application des procédures prescrites par la Convention sur le brevet européen. L'article 20(1) CBE dispose que cette Division est notamment compétente pour toute décision relative aux mentions à porter sur le Registre européen des brevets. Par ailleurs, dans la décision J 18/84 (JO OEB 1987, 215, cf. points 2.4 et 2.5 de ses motifs) il a déjà été jugé, en application de ces textes, que l'inscription d'une mention sur le Registre européen des brevets relève de la voie administrative mais que, dès lors que l'OEB refuse, ou envisage de refuser ladite inscription, la Division juridique est seule compétente pour prendre une décision. En l'espèce, puisqu'il s'avère que l'Office a refusé de faire droit aux requêtes concernant les mentions au Registre présentées par la société ETA SA, il relevait donc bien de la compétence de la division juridique de prendre une décision, afin d'une part d'exposer les motifs de ce refus et, d'autre part, de permettre à la requérante de bénéficier d'une voie de recours.
3. Quant au fond, la Chambre constate que toutes les requêtes présentées par la société ETA SA à la suite de la décision T 456/90 tendent à obtenir la révision de cette décision et, dans cette attente, à ce que ses effets soient suspendus. Ceci est vrai quelle que soit la qualification qui leur a été attribuée. Il en est ainsi tant de la requête en restitutio in integrum et de la notice de recours présentées par la requérante le 16 janvier 1992, que des requêtes qu'elle a déposées le 11 novembre 1992 auprès de la Division juridique. Ainsi, la décision qu'il convient de prendre dans le présent recours dépend, d'une part, de la réponse à la question de savoir quelles suites doivent être réservées à de telles requêtes et, d'autre part, si de telles suites doivent ou non faire l'objet de mentions dans le Registre européen des brevets.
A cet égard, l'exposé des faits et conclusions constituant la première partie de la présente décision fait apparaître deux types de suites envisagées :
- celle à caractère juridictionnel revendiquée par la requérante qui se scinde en deux variantes, soit la réouverture du recours contesté, soit l'ouverture d'un nouveau recours diligenté contre le recours contesté ;
- celle à caractère administratif retenue par le Président de la Chambre 3.5.2 et par le Vice-Président en charge des Chambres de recours qui, après avoir constaté que la suite revendiquée par la requérante ne leur apparaissait pas compatible avec les dispositions de la CBE, l'ont avisée par courrier que ses requêtes ne seraient pas considérées.
Un troisième type de suites pourrait consister en une procédure juridictionnelle spécifique correspondant aux principes généralement retenus en la matière dans les Etats contractants.
Sur la réouverture de la procédure de recours ou l'ouverture d'un nouveau recours
4. L'article 21(1) CBE, ainsi que l'article 106(1) qui est son corollaire, établissent que les Chambres de recours constituent, au sein de l'Office européen des brevets, l'organe compétent en dernière instance pour l'application des procédures prescrites par la CBE. En effet, l'article 106(1) n'institue aucun recours contre les décisions des Chambres de recours et l'article 21(1) CBE limite la compétence desdites Chambres à l'examen des recours formés contre les décisions de la section de dépôt, des divisions d'examen, des divisions d'opposition et de la Division juridique. Ainsi, dès lors que la Chambre de recours a pris la décision qui met un terme au recours, l'affaire est, au niveau des procédures internes à l'OEB, définitivement tranchée. Parce que les Chambres de recours ne sont pas compétentes pour réexaminer leurs propres décisions et que la CBE n'a pas créé d'instance pour ce faire, leurs décisions sont définitives et prennent force de chose jugée à la date de leur prononcé ou à celle de leur signification.
5. Ceci est confirmé par la jurisprudence des chambres de recours de l'Office européen des brevets. Cette jurisprudence est, pour l'essentiel, fondée sur les principes issus des maximes Res judicata pro veritate accipitur (la chose jugée est tenue pour vérité) et Lata sententia, judex desinit esse judex (La sentence rendue, le juge cesse d'être juge), principes généralement admis en matière de procédure dans les Etats contractants.
6. Le principe issu de la maxime Res judicata repose sur la nécessité de donner une fin à tout litige. Généralement admis, il permet d'assurer la sécurité juridique en prenant en compte l'intérêt général du public au règlement des litiges (expedit rei publicae ut finis litium sit). Il donne à chacun le droit à être protégé contre une multiplication tracassière des procès et poursuites judiciaires : les gens ne doivent pas être troublés deux fois en la même matière (nemo debet bis vexari pro una eadem causa). Il interdit donc aux parties de remettre en cause ce qui a été jugé. Après épuisement des voies de recours ordinaires, une décision acquiert force de chose jugée, c'est-à-dire qu'elle n'est plus susceptible d'un recours suspensif d'exécution. Elle ne peut donc être remise en cause que par d'éventuelles voies de recours extraordinaires, légalement ouvertes à cet effet.
6.1. Dans la jurisprudence des Chambres de recours, la portée du principe issu de la maxime res judicata est la même que celle attribuée à "la force de chose jugée". Ceci a été précisée dans la décision T 934/91 (JO OEB 1994, 184), au point 3 des motifs :
"Il s'agit d'une affaire définitivement tranchée par la juridiction compétente, le jugement ayant autorité définitive en ce qui concerne les droits des parties et de leurs ayants cause (Black's Law Dictionary, 5ème édition). Lorsqu'un jugement définitif de ce type a été rendu par la juridiction compétente, il est totalement exclu que la même requête, demande ou cause soit rejugée entre les mêmes parties ou leurs ayants droit".
Il apparaît bien que l'expression "jugement ayant autorité définitive" retenue dans la traduction de la décision T 934/91 supra n'a pas d'autre sens que celui plus approprié de "jugement ayant acquis force de chose jugée".
Les décisions suivantes illustrent en la matière la jurisprudence constante des chambres de recours : T 79/89 (JO OEB 1992, 283), T 678/90 du 23 novembre 1994 (non- publiée au JO OEB), T 690/91 du 10 janvier 1996 (non- publiée au JO OEB), T 934/91 (JO OEB 1994, 184), décisions intermédiaire et finale dans l'affaire T 843/91 (JO OEB 1994, 818 et JO OEB 1994, 832), T 167/93 (à publier dans le JO OEB).
6.2. Le principe de chose jugée (res judicata) est appuyé par la maxime de droit "La sentence rendue, le juge cesse d'être juge" (Lata sententia, judex desinit esse judex), qui signifie que la juridiction est dessaisie de la contestation qu'elle a tranchée, selon le cas dès le prononcé du jugement ou dès que le jugement a été signifié. Ainsi, la juridiction dont la décision est passée en force de chose jugée ne peut plus revenir sur sa décision, même du consentement des parties. Seule reste, en règle générale, la possibilité de corriger les erreurs manifestes de caractère purement matériel (cf. R. 89 CBE).
6.3. Le principe de force de chose jugée s'applique aux décisions à caractère judiciaire, c'est-à-dire aux décisions prises par une juridiction. Sur cette question, dans la décision G 1/86 (JO OEB 1987, 447, point 14 des motifs), la Grande Chambre de recours a clairement établi que les chambres de recours de l'Office européen des brevets sont des instances judiciaires.
Le statut des chambres de recours a aussi été récemment abordé par la High Court of Justice au Royaume Uni (Patents Court) dans l'affaire R.v The Comptroller of Patents, Designs and Trade Marks ex parte Lenzing AG. La High Court a retenu que "la juridiction définitive pour la révocation sous le nouveau système juridique [de la CBE] est la chambre de recours de l'OEB" et que "le Royaume-Uni et les autres Etats contractants se sont mis d'accord au niveau international, dans la CBE, pour que la chambre de recours soit le juge définitif en matière d'opposition. Cette chambre est reconnue comme l'équivalent auprès de l'OEB de la House of Lords, de la Cour de Cassation ou du Bundesgerichtshof... Ceux qui demandent des brevets auprès de l'OEB doivent accepter les résultats de ses décisions et de ses règles de procédure." Cette décision a également reconnu aux chambres de recours de l'OEB la qualité de tribunal spécialisé exerçant l'autorité judiciaire au sens de l'article 32 de l'Accord TRIPS.
7. Par ailleurs, la présente Chambre considère que de sérieux inconvénients pourraient résulter de la réouverture éventuelle d'un dossier après une décision passée en force de chose jugée prise par une chambre de recours de l'Office européen des brevets. Les inconvénients seraient identiques en cas d'ouverture d'un nouveau recours faisant suite au recours contesté.
7.1. L'article 106(1) dispose que tout recours a un effet suspensif. Si un recours contre une décision d'une chambre de recours était considéré recevable, le nouveau recours serait soumis aux mêmes règles de procédure que le précédant, il aurait donc un effet suspensif empêchant la décision attaquée de produire des effets juridiques. Cela signifierait en outre qu'une décision faisant l'objet d'un recours ne pourrait, au mieux, avoir d'effets juridiques qu'à compter de la date où la chambre de recours saisie du nouveau recours aurait rendu sa décision (cf. J 28/94 (JO OEB 1995, 742)). Ceci créerait une grande incertitude quant au moment où toutes les décisions des chambres de recours deviendraient exécutoires. Cette incertitude pourrait perdurer. En effet, dès l'ouverture du nouveau dossier de recours, la requérante bénéficierait des droits dont dispose toute partie à une procédure devant l'OEB. En particulier, les dispositions des articles 110, 113 et 116 CBE seraient applicables. Selon l'article 110 CBE, la chambre a l'obligation d'inviter les parties, aussi souvent qu'il est nécessaire, à présenter des observations sur les notifications de la chambre ou sur les communications d'autres parties. Aux termes de l'article 113 CBE, toute décision de la chambre ne peut être fondée que sur des motifs au sujet desquels les parties ont pu prendre position. Enfin, l'article 116 CBE implique qu'il est nécessairement recouru à la procédure orale dès lors qu'une partie le requiert. Ainsi, la réouverture du recours dont la décision est contestée, ou l'ouverture d'un nouveau recours ne permet pas de procéder à un examen rapide d'une allégation de violation d'un principe fondamental de procédure, puis de prendre une décision à bref délai.
7.2. La possibilité d'ouvrir un nouveau recours, ou celle de rouvrir un dossier de recours présenterait d'autres aspects négatifs. Si elles étaient retenues, elles pourraient êtres utilisées à des fins purement dilatoires. Cet effet serait d'autant plus pervers qu'une telle procédure, à laquelle il serait nécessairement mis fin par une nouvelle décision d'une chambre de recours, pourrait à son tour, selon la même voie, faire l'objet d'une nouvelle contestation, invoquant elle-même la violation d'un principe fondamental de procédure. La série de recours pourrait continuer ad infinitum.
7.3. De telles conséquences seraient susceptibles de compromettre l'équilibre général du système né de la Convention sur le brevet européen, en risquant d'allonger inconsidérément la procédure de délivrance.
Sur la réponse par courrier administratif
8. En l'espèce, les suites réservées par le Président de la Chambre 3.5.2 et par le Vice-Président en charge des Chambres de recours aux requêtes du 16 janvier 1992, à savoir les réponses par courrier, peuvent être considérées comme des fins de non-recevoir de nature purement administrative. Cette pratique est celle qui a été retenue pour donner suite aux quelques requêtes de même type parvenues devant les chambres de recours depuis leur création. Or, elles sont fortement contestées par la requérante, essentiellement parce qu'elles n'apportent pas de solution quant au fond des questions soulevées.
Sur une suite juridictionnelle spécifique
9. En règle générale, un jugement conserve force de chose jugée, même s'il est attaqué pour irrégularité (violation d'un principe fondamental de procédure par exemple) par une voie de recours spécifique. En effet, dans nombre d'Etats contractants, ainsi que devant la Cour de justice des communautés européennes (cf. Art. 41 du 2ème Protocole sur le Statut de la Cour), la loi institue de telles voies.
9.1. En France, par exemple, le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée (articles 593 et suivants du Nouveau code de procédure civile) ; il est qualifié de voie de recours extraordinaire et se caractérise essentiellement en ce qu'il n'est pas suspensif d'exécution (article 579 NCPC) et qu'il ne peut être attaqué par un nouveau recours en révision (article 603 NCPC). D'autres pays connaissent des voies de recours similaires ouvertes aux parties contre des décisions passées en force de chose jugée. Il en est ainsi de l'Espagne avec le "Recurso de revisión" régi par les articles 1796 à 1810 LEC de la Ley de Enjuiciamiento Civil ; c'est le cas également de l'Italie avec la "Revocazione straordinaria" prévue à l'article 395 du Codice di procedura civile ; c'est encore le cas de la Suisse qui prévoit différentes possibilités tant au niveau cantonal que fédéral : le "recours de nullité" (art. 68 et suivants de la Loi fédérale d'organisation judiciaire)), la "révision d'un arrêt du Tribunal fédéral" (art. 136 et suivants OG), et le "recours de droit public" (art. 84 OG). En Autriche il s'agit de la "Nichtigkeitsklage" (§ 529 ZPO de la Zivilprozeßordnung) et de la "Wiederaufnahmeklage" (§ 530 ZPO). Le droit allemand l'envisage pareillement, l'article siège étant le §§ 578 de la Zivilprozessordnung sur la "Wiederaufnahme". Excepté pour l'Italie, ces voies souvent qualifiées d'extraordinaires n'ont pas d'effet suspensif. Dans tous les cas, elles sont envisagées par la loi, séparément des voies de recours ordinaires usuelles. Tandis que dans la plupart des pays cités à titre d'exemple, les cas d'ouverture sont limitativement énumérés par la loi, en Suisse s'agissant du "recours de droit public" le Tribunal fédéral peut déduire du principe d'égalité, prévu lui-même par les textes, de nouvelles violations de droit sur lesquelles le recours peut se fonder. Quant au système anglais, après épuisement des voies de recours ordinaires, il prévoit la possibilité que le tribunal annule sa propre décision définitive, dans des cas limités, suite à une grave irrégularité telle que la violation d'un principe fondamental de procédure (Craig v. Kanssen [1943] 1 KB 256, [1943] I All ER 108, CA). Un critère pour décider de la gravité de la violation de procédure est de rechercher si elle constitue un manquement aux normes d'équité naturelles (principles of natural justice) (Marsh v Marsh [1945] AC 271 at 284). (Cf. Halsbury's Laws of England, Fourth Edition, Vol. 26, 556.).
9.2. Les textes de la CBE n'instituent pas quant à eux de procédures semblables. Seul l'article 23 du Règlement en matière de discipline des mandataires agréés prévoit la possibilité d'une révision d'une décision définitive des instances disciplinaires.
Saisine de la Grande Chambre de recours
10. Aux termes de l'article 112(1)(a) CBE, afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose, la chambre de recours, soit d'office, soit à la requête de l'une des parties, saisit en cours d'instance la Grande Chambre de recours lorsqu'une décision est nécessaire à ces fins.
Selon la présente Chambre, la question de savoir par quel moyen administratif ou juridictionnel les chambres de recours doivent répondre à des requêtes telles que celles présentées en l'espèce soulève une question de droit d'importance fondamentale. En effet, ni la CBE d'une part, ni la jurisprudence ou les pratiques procédurales ou administratives des chambres de recours d'autre part ne fournissent de réponse claire.
En corollaire, se pose la question de savoir si la procédure qui sera retenue devra ou non faire l'objet d'une mention sur le Registre européen de brevets.
DISPOSITIF
Par ces motifs,
Les questions suivantes concernant un point de droit fondamental sont soumises à la Grande Chambre de recours :
1. Dans le cadre de la Convention sur le brevet européen, quelles suites administratives ou juridictionnelles convient-il de réserver aux requêtes fondées sur la violation alléguée d'un principe fondamental de procédure et qui tendent à la révision d'une décision passée en force de chose jugée prise par une Chambre de recours ?
2. Convient-il, le cas échéant, d'en prescrire l'inscription sur le Registre européen des brevets ?